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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 23:28

Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvageCet extrait fait suite à celui publié le 10 avril 2008                                 
                           De l'autre côté de nos liens infernaux
      Le message d'amour de ce “ Messie ” annoncé ne sera pas reconnu parce qu'il est hors du contexte. Deux fois hors. Hors en tant qu'Algérien et non-Algérien. Hors en tant que Juif et non-Juif. Double "réalité" plaquée sur lui de l'extérieur et refusée à lui par l'extérieur. Mais à l'intérieur que se passe-t-il ? Double situation d'exils à l'intérieur de soi et d'exodes répétés les uns sur les autres, dont l'origine n'est ni prise en compte ni nommée. Lorsque l'on naît au croisement de ces déflagrations comment cela s'inscrit-il dans le corps ? Existait-il des mots pour délivrer Fips du rôle de réincarner de la souffrance ?

H.C
.:  Je savais qu'il y avait un système de prison en Algérie, que tout le monde était enfermé dans des systèmes d'exclusion extrêmement complexes. Là-dessus s'est déroulée cette histoire inouïe de Fips que je n'ai reconstituée que tardivement bien qu'elle ait toujours été avec moi. Fips est indissociable de l'Algérie. Fips est Job. Le chien émissaire qui portait les péchés de tout le monde alors que par définition il était le seul innocent absolu. Et je crois que je suis coupable encore aujourd'hui de son martyr et de sa mort. Je n'ai jamais pu m'en absoudre. Et je suis la seule porteuse de l'histoire de Fips parce que ma famille a oublié. Mon frère qui est mon double l'a vécue de manière très éloignée sans du tout incorporer ce personnage.

      Fips est donc “ disgracié ” comme un ange déchu. Tout ce qu'il est-hait, est marqué dans son corps : “
verbe fait chair ”. Corps multiple du peuple juif et-ou du peuple algérien “ en souffrance ” de lui-même et de l'autre. En attente de toutes les souffrances possibles comme preuve du corps incarné ? Tant que les Juifs et-ou les Algériens se livrent à la souffrance ils existent pour le bourreau d'eux, pour leur mal-aimant. Vous-Fips ne pouviez être reconnue que par une semblable souffrance du corps ?
      Qui est Le Chien ? Le corps, l'être sensible, sensuel, réceptif, aimant de l'Algérie, votre corps, le corps des femmes, le corps juif-arabe-nègre-fait esclave, le corps de votre père ? Tout ce que “ nous ” interdisons au corps d'écrire, de crier, d'inventer pour sortir de la souffrance de la pensée. D'une pensée plaquée sur lui par d'autres.
      N'est-il pas celui qui est “ empêché d'être ” ? “ Mon âme le Chien Ma transfigure sauvage ”.

H.C.:
 Ce qui est terrible c'est que Fips est mort de désespoir. Il est la figure même de la tragédie. Il payait pour nous. Il était trahi par nous. Et c'est la tragédie même parce que nous n'étions pas des traîtres. Les circonstances étaient toujours plus fortes que nous. Il n'y avait aucun moyen d'échapper. Nous étions anachroniques. Tout ceci se passait trop tôt ou trop tard.

       Etre dans la cage de la terre est déjà terrible. “ … il tourne en hurlant au grillage de sa cage où grimpent les rosiers rouges sous la mitraille. C'est le mensonge bestial, primaire, celui que tous les bourreaux mettent en œuvre. Mais la cage du “ ciel ” où vous êtes enfermée à des hauteurs insupportables n'est-elle pas celle qui peut rendre folle par le désir infernal de déchoir qu'elle suscite ?
      Il y a une double dichotomie qui entache la fusion ratée avec soi-même et avec l'autre. Celle qui touche d'abord l'être élu par le père auquel la mission de “ tisser des liens ” au dessus du mensonge raciste, colonial, inhumain… est dévolue, et inaccomplie. A laquelle se mêle l'inséparation entre la pensée sur soi et la pensée en soi par laquelle l'être féminin est rompu.

           “ J'ai sept ans, depuis quelques années je suis juive dit-on. (…) Son corps coupé en deux par le milieu retenu dans le voile tombe comme une masse sur le sol… (…) Un affreux sentiment de délivrance me perce. J'ai l'existence coupée en deux. ”

      La jeune fille dont le corps est couvert du voile de la virginité ne peut le penser destiné au viol, à la souillure. C'est l'abîme dans lequel le corps est abîmé. Cette scène de " la femme coupée en deux " ne peut-elle concerner toutes les femmes ? A la fois libres et prisonnières dans leur corps et leur regard sur elles, soumises et rebelles, coupables et innocentes, sachant et ne voulant pas savoir…
      La première faute étant peut-être simplement d'être une femme. De ne pas pouvoir, et plus encore dans un univers patriarcal, quitter ce rôle pour défendre l'autre si semblable de la culpabilité qui la tue. Qui nous tue.

H.C.:
 Il y a un personnage du livre qui figure la violence sexuelle en Algérie. Il s'agit de "Yadibonformage" puisque c'est ainsi qu'on l'appelait. Cette violence qui a été refoulée et déniée par la plupart des gens car ceux qui n'étaient pas dans des quartiers arabes n'étaient pas en contact avec elle. Elle était omniprésente. Les femmes mauresques se tenaient toujours sur leurs gardes dans l'autobus. D'un côté s'exprimaient toutes les formes de perversités dues à l'interdit des rapports entre hommes et femmes, et de l'autre, l'obsession de la virginité. Ma mère à la Clinique d'accouchements ne vivait que cela. De nombreuses femmes venaient se faire recoudre.
L'histoire avec Yadibonformage est redoutable car j'étais vraiment une petite fille. Je pense qu'il me proposait d'avoir un rapport sexuel avec moi sur le mode détourné comme toujours. J'en ai conçu une inquiétude énorme dont je n'ai pas parlé. Je me suis réfugiée à l'intérieur de la maison et je l'ai fui. Sans parler de nos turpitutes avec les contrôleurs d'autobus chaque jour. Mon frère et moi nous étions les gardiens secrets de ces histoires que nous ne racontions pas pour ne pas tourmenter ma mère. Et puis que faire ?
A suivre... 
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24 avril 2008 4 24 /04 /avril /2008 23:40

Petite suite en blues majeur
Epinay, samedi, 19 avril 2008Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est une grande aile d’oiseau
Qui frappe à la fenêtre du monde
Qui demande à entrer qui demande à sortir
Sortir de la maison de paille têtue
Entrer dans la citadelle de sable
Où brillent encore des excréments d’étoiles
Sortir de la fabrique d’hommes perdus
Sur l’île des tortues on prépare la suite
Des jarres de mil des cases de roseaux
Feu vert les lucioles ! Sortir des puits d’aveugles

Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est qu’il n’y a pas d’avenir
Par ici On se paie la tête des tortues
Sauf des pâtes qui bouillent un vague destin
Dans une casserole d’océan
Au foyer on fait cuisine cause commune
Safran rouge safran jaune peuple arc-en-ciel
Qui partage des calebasses de foutou
Entrer dans la ronde du monde pamplemousse
Coupé en deux par l’odeur verticale
Café noir peaux nègres au petit matin
Givrées de sueur sèche Ce qu’il y a

Ce qu’il y a
C’est la chaleur des fours plaques de plâtre nues
Bâtissant les demeures des voleurs de miel
Chasseurs d’esclaves et de tortues marines
Sur l’île c’est le bâton de pluie qu’on secoue
L’eau qui court sait entrer et sortir entière
Citadelle de cendres la vie fait mal
Ce qu’il y a c’est que l’avenir bout hissant
Sa goualante en haut des friches de dunes
Et l’océan qui déborde des casseroles
Pour se blottir au creux des mains ouvrières
Sale leurs coupures d’aubes grenadines

Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est la gueule voix lactée
Des travailleurs blacks quand les salamandres rousses
Dansent dans la night sa chevelure crépue
Les prend comme lorsqu’ils étaient petits enfants
Ils regardent à la fenêtre du monde
Pamplemousse demain coupé en deux
Et la suite est une demeure chimère
Feu rouge les lucioles ! Elles agitent
De petites lanternes de papier malignes
Elles jouent à changer les langes des étoiles
Contre un string tissé par les vers à soie
Du textile Encore des travailleurs nègres
La lune veille au-dessus de l’île aux tortues

Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est qu’ils sont âmes volcans
La lave d’or ruisselle sur leur corps lucioles
Que n’essuiera aucun manteau d’hiver
Ils demandent à boire du lait froid
Des chèvres sacrées qu’on ne trait plus Les heures
Vont par deux au feu et par trois faire des rondes
Repérer les terriers d’hommes aux champs de neige
Qui meurent dans les cocons des chenilles rouges
Pour devenir papillons ils hantent l’histoire
Des citadelles de goudron qui fument
Où les usines poussent des cris lancinants

Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est la peau bleue des Négros
Mise à sécher à la fenêtre du monde
Grande lessive savane pourpre couleur
Qui claque clameur des souffrances humaines
Vendue pour rien aux fabriques de placo
Et de choses qui enchantent les décharges
Poubelles ardentes que les mains des nains
Tamisent Ce qu’il y a ce sont les tortues
Marines revenant à la maison de dunes
Donner vie aux fils de la lune escale pleine

Ce qu’il y a
Ce qu’il y a c’est leur naissance nocturne
Même l’océan n’efface pas la trace
Tampon blanc sur leur dos noirs si larges ils nagent
Au hasard dans les filets des maquereaux
Sont pris qui manigancent cadences folies
Boréales au brasier leur cuir cuit deux heures
Ce qu’il y a c’est que personne ne tient
Plus longtemps Au foyer la cause commune
Les pâtes l’avenir du monde ont refroidi
Le pamplemousse coupé en deux attend
Deux heures et la grande aile d’oiseau
S’envole elle aussi elle fait les trois huit
Deux heures et la houle du cœur océan
Les ensommeille un peu mais demain ils se cassent
Ce qu’il y a c’est qu’ils rentrent juste à temps
Sur l’île aux tortues Ce qu’il y a feu vert 
Les lucioles ! Les fours sont chauds Ce qu'il y a
C’est à vous de prendre la suite maintenant.

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23 avril 2008 3 23 /04 /avril /2008 12:46
                  Images du Cahier Résistances Mai 68

Aujourd'hui voici quelques images de notre nouveau Cahier pour vous donner j'espère l'envie d'en découvrir plus...
Une fois encore Louis s'est surpassé... ce nouveau Cahier est plein de dessins mais ici vous avez en priorité d'exclusion ( Hi Hi ! ) les photos de Jacques Du Mont ( voir le lien ) qui travaille avec nous et qui est un photographe très diabolique... Alors à vous de voir...
La page rubrique photo de notre Cahier avec la vieille deudeuche de Laurent... un texte à découvrir... Une deux chevaux bleu cristal  Laurent Bieber























Laurent à la soirée expo " Les djenoun de la périféerie " avec les images de Louis à la librairie Résistances en octobre 2007


Deux jeunes amoureux de la banlieue ouest à Orly qui ont posé pour notre photographe avec un rêve d'avenir : "avenir je t'aimais bien tu sais..."

Jacques a profité de l'occasion car les jeunes des banlieues n'ont pas forcément envie de poser pour nous c'est bien normal...
Lui il l'a fait avec plein de naturel et de sensibilité on a une sacrée chance !



















C'est Aurélie danseuse Hip-Hop qui a demandé à Jacques de lui faire les photos de son book...





















Une jolie couleur bleue de la banlieue et un p'tit clin d'oeil jaune qui danse !















Et les sixties dans tout ça hein ? les voilà un peu comme moi je les ai vécues ( là c'est pas moi ! ) mais ça pourrait...  j'ai élevé des chèvres et pas que ça...

Photo montage du magazine
Femmes en mouvement
vraiment c'était chouette ce qu'on faisait !






















Bien sûr vous n'y coupez pas vous me connaissez... ça pourrait encore être moi avec Che et Hô évidemment...
Un p'tit texte que vous avez sur notre blog
Des nuages pour commencer...















Un face à face miroir hier aujourd'hui avec ce portrait d'Yvette d'Aubervilliers qui a posé elle aussi pour Jacques le photographe et les fleurs c'est... à vous de deviner...












Enfin cette dernière image tendre douce et un peu triste car notre Cahier est dédié à Ali que vous connaissez si vous lisez notre blog... Ali notre épicier gentil de la cité de La Source à Epinay... Ali le héros avec les gens du film Alimentation générale de Chantal Briet qui nous regarde en souriant du haut de ses jolis nuages... A toi Ali !
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22 avril 2008 2 22 /04 /avril /2008 22:57

                   La porte n'est jamais fermée suite et fin
        Ecoute… écoute…
      C'était un peu avant l'heure de midi et j'étais nue sous la fourrure de la bête j’écoutais dans la cuisine où des brisures du rayon jaune citron éclaboussaient de la fenêtre jusqu’à mes pieds les chuchotements grognements clapotis joyeux de la cafetière… C'est en versant le café que j'ai pensé qu'y avait quelqu'un qui grattait à la porte mais comme ça ne se pouvait pas à cette heure j'y suis allée pour voir avec la fourrure qui avait glissé de mes épaules à cause de la chaleur…
      C'était le vieux du neuvième il me regardait l'air navré de quelqu'un qui vient de faire une bêtise il tenait un sac en papier chiffonné à la main et il attendait au bord du paillasson comme s'il était incandescent… J'ai vite refermé la fourrure mais à cette heure-ci justement je ne m'attendais pas à devoir cacher mon corps c'était pour moi et pour lui un moment d'intime délivrance…
      - Ce sont des gâteaux pour votre amie… des gâteaux orientaux ils sont tous frais c’est une amie de Beyrouth qui vient de les apporter… enfin pas de Beyrouth c’est loin elle habite le block d’à côté depuis qu’elle a quitté… il a dit ça tout bas en tendant vers moi la main avec le sac en papier dans la paume comme une offrande… Oh… mais je veux dire… c'est pour vous aussi… Vous savez c'était y’a un an tout juste… pour Farou… mon pauvre Farou… Alors je suis venu voir si la glycine ne dérangeait pas je lui ai peut-être mis trop d'eau elle a beaucoup poussé et ça m'ennuierait que…
      Il avait mis tous ces mots-là en vrac à l’intérieur de sa bouche lui qui ne causait pas c’était pour se donner du courage et puis à cause de Farou ça le rendait fou cette histoire moi je comprenais il avait pas d’autre ami et d’en bafouiller juste avec quelqu’un qui savait ça l’aidait… il avait l'air de plus en plus désolé je le voyais prêt à faire demi-tour je l'ai pris par l'épaule et je l'ai attiré à l'intérieur… A moitié nue sur le paillasson avec ce vieux type et ses gâteaux ça aurait encore faire causer… j’avais pas besoin j’étais assez dans le collimateur forcément avec Nora et ses amis blacks ils croyaient qu’on couchait tous ensemble ils avaient la haine…
      “ Les gouines !… les gouineuh-euh-euh !… ”

      - Nora n’va pas rentrer avant ce soir vous savez… elle est en bas en train de jouer… il me fixait sans oser me regarder ses calots bleus gris pâles faisaient l’aller-retour de mes pieds nus à mes mèches ébouriffées il était pathétique on aurait cru qu’on jouait une pièce tragi-comique tous les deux… on ne savait pas notre texte pas du tout…
      - Ah !… il a dit ça sur un ton effrayé et doux aussi ça ne voulait rien dire et y avait tellement de choses dans ce mot-là… Les gâteaux c’est fait maison y faut goûter une fois dans sa vie hein ! c’est pour ça… il a continué et à nous deux que je pensais on pouvait pour de vrai jouer Ubu roi c’était pas la peine de répéter on ferait comme dans la vie… si c’était ça le théâtre alors d’accord je voulais bien revoir mon dégoût de toutes leurs mises en scène…
      J’ai couru à la fenêtre en faisant attention que la fourrure ne me quitte pas et je l'ai ouverte en grand sur les grappes bleues et les moineaux qui se baignaient dans la marre de soleil de la gouttière… ils étaient ravis ils se pouillaient chamaillaient c’était bon…
      - Vous entendez ?… les pattes du soleil se glissaient sous la fourrure à l’endroit du cou où y a un pli qui chatouille un peu j’avais envie de retirer la peau de la bête de tout larguer… alors vous avez une amie libanaise qui est venue de Beyrouth ?…       Comme je me suis retournée le vieux a hoché la tête et j'ai vu son regard il se dirigeait vers le miroir qui occupait toute la place dans la traîne de lumière jaune à croquer où j'avais écrit Palestine en arabe avec le rouge à lèvres…
      - Si vous voulez voir Nora le mieux c'est que vous y alliez tout d’suite… c'est son moment de repos si on veut vous pouvez entrer facile la porte est jamais fermée…
      En même temps que j’ai dit ça à toute vitesse j'ai songé qu'il avait de la peine pour son chien mais moi j'étais pas très à la hauteur pour les sentiments ni pour les grandes émotions c’était Nora qui gérait… nous autres les Arabes l’amour ça nous connaît elle répétait souvent en secouant sa chevelure rouquine des ribambelles de petits rires sur ses lèvres…
      - Y’a du café chaud dans la cuisine j’vais vous en chercher une tasse… avec les gâteaux ça sera extra… là il ne m’a pas donné la réplique mais c’était normal et ça me laissait quelques secondes de répit pour la suite et à lui aussi…et je me suis précipitée pas assez vite le vieux a protesté derrière mon dos :
      - Non… non… ça n'est pas la peine… je vous en prie… c'était juste pour la glycine… oui à Beyrouth c’est loin…
      J'ai mis plusieurs minutes pour remplir le bol et pour farfouiller dans les placards à la recherche du sucre il était sur la table la fourrure a glissé le long de mon dos j’arrivais à rien… quand je suis revenue du côté des moineaux la pièce jaune était vide le vieux avait disparu mais il avait laissé quelque chose d'étrange quelque chose de cristallin de ce côté je ne savais pas quoi mais je le sentais… c'était à l'intérieur du miroir…
      En dessous du mot Palestine écrit en arabe il avait tracé quelques signes avec le rouge à lèvres une écriture que je ne connaissais pas y avait bien la ressemblance mais bon il m’avait parlé de Beyrouth pas plus… qu'est-ce qui lui avait pris ?… Ça me cassait la tête de comprendre pourquoi il s'était sauvé comme ça après avoir taggé sur mon miroir bon… et moi qui n'avais pas encore bu mon café ! Il avait eu bien le temps de refroidir…
      A peine j'ai tenté un demi-tour direction la cuisine les bols dans les mains que Brayan est entré comme un chat qui a ses habitudes…
      - Ho baby… c'est sympath de m'avoir préparé le café… lui il a pas hésité à poser sur moi ses iris blacks qui pétillaient de rire à chaque fois qu’il se pointait…
      La fourrure a à nouveau glissé et on devinait mon corps dénudé mais Brayan qui portait lui aussi un sac en papier et un paquet sous le bras a fait celui qui s'en moque tout à fait et même il a souri avec nonchalance l'air amusé par le grotesque de la situation vu que j’avais le choix entre les bols et la peau de la bête c’était pas simple… Pourquoi ils viennent tous quand je me lève à peine avec des choses dans les mains j’ai pensé les gâteaux du vieux bonhomme étaient posés dans la marre de soleil sur bord de la petite table basse…
       - Nora… Nora est pas là Brayan… tu sais bien… j’ai dit en songeant que décidément il allait falloir que je ferme cette porte à clefs si je voulais jouir de la caresse jaune à croquer sur ma peau nue le matin…
      Brayan s'est arrêté surpris de me trouver avec deux bols face au miroir il se doutait bien que j'étais pas en train de lui reposer les questions idiotes sur ma beauté ou sur celle de Nora et j’ai vu qu’il fixait quelque chose… ce que j’avais senti tout à l’heure quand le vieux est parti d’un coup ça m’avait échappé…
      - Tiens… tu apprends l'hébreu maintenant ? il a pouffé en frottant le côté gauche de sa narine avec l’index comme il faisait quand un truc lui paraissait trop rigolo j'ai haussé les épaules en me faisant la réflexion qu'après tout il pouvait être aussi déplaisant que les autres… pour finir à cause du café j’allais être de mauvaise humeur malgré les petits piafs extras la lumière jaune à croquer c’était nul…
      - Eh baby je t'invite à déjeuner j'ai apporté des brochettes Okay ? il a dit en me faisant un clin d'œil…
      - Certainement pas j'ai pas encore bu mon café comme tu vois et j’n'ai pas faim à cette heure je viens de me lever…et puis y’a les gâteaux arabes c’est le vieux bonhomme du neuvième qui les a apportés de Beyrouth… bon j’ai tout emmêlé mais c’était pas grave Brayan me regardait avec la mimique têtue de quelqu'un qui n'a pas l'intention de céder un pouce de terrain…
      - Des gâteaux venus exprès de Beyrouth pour notre petit-dej j’y crois pas… c’est un génie de la lampe le vieux alors !…
      - Quand même… j'ai murmuré j'aimerais bien savoir ce qu'il a écrit… la grande silhouette de Brayan en contre-jour dans la lumière jaune s’agitait devant moi on aurait dit un danseur de Hip-Hop il avait l’allure d’un des héros blacks des films d’Ousmane Sembène…
      - Devine… il a dit en riant franchement comme s'il était en train de préparer un bon tour moi ça m’a énervée et j’avais toujours les deux bols dans les mains ça me laissait pas beaucoup de possibilités…
       - Je n’vois pas comment tu pourrais le savoir…
      C'est ce moment-là que Nora a choisi pour venir nous surprendre avec la Rhapsodie in Blue  de Gershwin… Brayan s’est approché l’air inspiré d’un marabout qui va vous délivrer du mauvais sort et il m’a chuchoté à l'oreille un truc qui m’a fait sursauter et j’ai manqué de lui renverser dessus les deux bols de café… mon café que décidément je ne boirais pas…
      - C'est malin !… j'étais vraiment en colère et j'avais que l’idée de me débarrasser des bols n'importe où et de le fiche dehors…
      - Je n’vois pas du tout pourquoi ce vieux aurait marqué ‘ je t'aime ’ justement là… tu oublies que j'ai écrit Palestine en arabe et en plus… je ne sais plus trop ce que j’allais ajouter parce qu’alors j'ai vu les mots de Genet quand il marchait doucement dans les décombres rouges de Chatila… : “ …je suis français, mais entièrement, sans jugement, je défends les Palestiniens. Ils ont le droit pour eux puisque je les aime. Mais les aimerais-je si l'injustice n'en faisait pas un peuple vagabond ? ” et j'ai songé qu'en même temps il avait fait l'échange… Il a pris la haine il a pris la honte il a pris le désespoir et il a laissé le repos et la sépulture… il a laissé le tatouage et la cicatrice… Morts n'importe comment. Morts laissés à l'abandon. Cependant, dans le camp, autour de nous, toutes les affections, les tendresses, les amours flottaient, à la recherche des Palestiniens qui n'y répondraient plus ”…
      Brayan a posé ses sacs sur le rebord de la fenêtre en repoussant les grappes bleues et les moineaux et il m'a pris des mains les bols de café avec comme de la gravité…
      - Peut-être qu'il a écrit ça pour la même raison que je comprends l'hébreu…


Les algues bleues de la glycine s'enroulaient à mes poignets et je laissais les moineaux écarter la fourrure de mes jambes… D'en bas les notes me parvenaient plus éphémères que des grains de lumière… J'ai senti dans mon cou la main de Brayan sous la fourrure et aussitôt la chaleur jaune m'a surprise comme une vague jouant avec mes orteils et jusqu'au bout des ongles de pied… Je me suis retournée et je savais que j'étais nue mais ça n'avait plus aucune importance…
      Brayan a glissé son index sur ma bouche et il a suivi la trace de mes lèvres lentement…
      - Eh baby… tu ne crois pas qu'il est temps qu'on arrête la vengeance?… Et puis il a attrapé dans un des sacs une salopette qui avait exactement la couleur jaune citron exaspérante et mûre à point de ses cheveux et il l'a posée sur moi…
      - Oh baby !… avec ça tu es la reine de la lumière…
      Accroupie devant le miroir il me semblait que je voyais s'ouvrir la porte des cellules des merveilleux assassins qu'aimait Jean Genet qui n'avaient en réalité tué que leur ombre et qui erraient désormais chaque nuit seuls à la recherche d'une âme aimante le long des ruelles du ghetto…
      Dans la cuisine Brayan faisait griller les brochettes il chantonnait et en écartant les algues bleues de la glycine j'ai aperçu le vieux du neuvième qui marchait d'un pas mal assuré direction la boîte à musique d'où sortaient les voix des filles… Elles l'ont absorbé et la fourrure mouvante des chats s'est refermée derrière lui…
      La voix de Nora chantant Black Is the Color s'étirait montait claquait aux vents comme la voilure d'une goélette au-dessus de laquelle planait tranquille dans des sonorités un peu douloureuses et caressantes celle de Brayan pareil à un grand goéland en train d'embarquer le ciel…
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21 avril 2008 1 21 /04 /avril /2008 16:52

Ce journal de Palestine nous l'avons tenu en 1993 au moment où les pourparlers de paix avaient lieu et nous comme tant d'autres on y croyait très fort... Marc photographe dans les années 70 en ensuite est parti préparer un livre témoignage en prenant des photos à Gaza et à Jérusalem juste avant la signature des accords de paix d'Oslo... Notre bouquin n'a jamais vu le jour... voici des extraits de ce qu'il aurait pu être... en vrac...Photo Marc Fourny  1993 Gaza Camp de Khan Younis
       Extrait du livre de Racha Salah L’an prochain à Tibériade publié en 1996 aux Ed. Albin Michel

      “ Nicolas, aujourd’hui Gouayr n’existe plus. Il a été rasé après le départ de notre tribu, le campement est devenu terre agricole. Non loin de là, les Israéliens ont construit une ville nouvelle, tout en dur, qu’ils ont appelée ‘ Majdal Garosar ’, m’a dit mon père. Je voudrais y aller. Voir ce lieu au moins une fois dans ma vie pour retrouver les endroits où ma famille vivait. Constater par moi-même que ce pays, imaginé, ressemble bien à l’idée que je m’en fais : un grand lac aux eaux claires, bordé par des vallons verts recouverts d’oliviers et d’orangers. ”

Extraits de Journal 93
      ( … ) Pour moi je crois que la seule chose que je pourrais dire aux Palestiniens c’est que la souffrance dans la chair d’être “ hors de soi ” qui va avec “ hors de chez soi ”… la sensation aiguë de ne pas pouvoir habiter son corps la coupure nette entre le désir la volonté qu’on en a et ce qui est impossible parce que tout autour se construit contre soi… cette souffrance je la connais… C’est tout ce que j’ai connu du monde en moi pendant 30 ans ce que certains appellent “ folie ” n’est parfois qu’une façon qu’on a de nous arracher la peau… Nous dépouiller c’est ça ?… Nous dépouiller de notre passion frénétique à être… être ensemble sans laquelle on n’est que la somme d’égoïsmes accumulés… Etre ensemble avec la chair et le jardin… Avec l’autre cet étranger dont je connais tout sans rien connaître…
      Mais je crois que c’est plus facile d’être une folle solitaire et marginalisée que d’être emprisonnés dans la démence d’un “ nous ” “ notre peuple ” “ nos martyrs ” emprisonnés par ce que ceux d’en face renvoient d’eux-mêmes en direction de ce camp de ces quelques centaines de mètres carrés où la réalité quotidienne est décidée programmée manipulée par d’autres… car depuis combien de temps les Palestiniens n’ont-ils pas été libres d’organiser sur leur terre un Etat où exister à leur convenance comme c’est le cas de la plupart des peuples ?
      Pour les jeunes Israéliens bientôt la question sera : comment répondre quand nous ne répond plus à ta place ? Quand soudain la certitude de l’infaillibilité de l’héritage est prise en défaut parce qu’elle ne débouche que sur de la mort… Quelle terrible violence faite à des corps encore enfants qui au lieu de découvrir la marque inaliénable de l’amour découvrent celle de la terreur… Ici se poursuit l’héritage et je ne te parle pas des enfants palestiniens qui ne sont eux depuis la naissance qu’une blessure… Programmés blessés… Alors qu’est-ce qu’on peut faire en face de ça mon petit frère ?… ( … ) DomPhoto Marc Fourny  Jérusalem 19993

Lettre de Marc, Juillet 1993


Salut Dom,

      Juste quelques mots ( tu vas voir, tu l’as voulu ma vieille… ), pour les dernières nouvelles. Et puis quand même faut bien dire que ta lettre m’a exaspéré ! Non, moi j’écris pas… Moi je suis abonné aux 9 heures frangine ! Moi je suis le tourneur sur un tour très perfectionné de pièces en terre pour des poêles suisses à bois censés chauffer à mort les familles congelées dans leur trou noir et leurs vieilles rancoeurs. Alors la terre comme symbole moi l’ouvrier ça me laisse plutôt froid si ça t’ennuie pas… Non, tout ça c’est pas vraiment vrai mais quand même tu pousses un peu !
      Alors donc, moi je pars comme prévu sans toi en Israël ( ou plutôt en Palestine ) si tout se passe bien fin août et j’espère y retourner pour plus longtemps fin de l’année car pour l’instant je suis raide niveau fric, malgré nos efforts d’organisation de notre projet… Tiens, ça y est je regarde que je viens d’écrire Palestine entre parenthèses et ça me fait penser à ce que je t’ai demandé un jour… Oui tu sais ma question sur pourquoi tu dis toujours Palestine alors qu’on entend partout parler de l’Etat d’Israël ?
      Ta réponse : “ Palestine c’est la terre comme celle du jardin de mon enfance aussi familière aussi douce aux lèvres et à dire ” … un truc comme ça ? Mais pour moi c’est compliqué et “ politiquement ” Palestine ça me dit rien tandis qu’Israël ça me dit autant que colons en Algérie. Ce sont toujours les mêmes qu’on écrit dans la parenthèse… Même pour un anarchiste comme moi ce sont ceux qui construisent un Etat qui donnent un nom à un pays. Toi tu dirais paysage…Photo Marc Fourny  1993  Enfants palestiniens jouant au cerf-volant à Gaza

Extrait du livre de Racha Salah L’an prochain à Tibériade

 

       “ Comme toutes les femmes du campement, ma grand-mère travaillait aux champs. Quand elle parle de sa terre, elle emploie le mot ‘ Dounia ’ : ‘ monde ’, une manière de nous préciser, à nous ses petits-enfants, que nous possédions alors un domaine immense. De combien d’hectares ? lui a un jour demandé l’une de mes cousines. Oum Salah n’a rien répondu. Les chiffres ne font pas partie de sa culture. La seule chose dont elle soit sûre, c’est que c’était une terre ‘ immense comme un monde ’, où elle cultivait de beaux fruits et légumes : aubergines, tomates, laitues, pommes et bananes. ”Photo Marc Fournt 1993 Portrait de jeune palestinienne à Jérusalem

Lettre de Marc, Juillet 1993 suite

      C’est vrai que tout ça n’est pas un jeu et j’ai de petites angoisses des fois en y pensant. Ce que je vais faire là-bas ? C’est pas des questions à poser à quelqu’un qui a seulement un CAP de mécanicien et qui a déraillé pile au moment où il a vu son copain de 14 balais pareil que lui dans l’atelier se faire prendre les doigts dans la fraiseuse et ressortir en hurlant.
avec un truc sanglant à la place de sa main… Depuis comme tu sais j’ai pas arrêté de fuir toutes les fraiseuses de la terre qui ratatinent les paluches des gamins voilà le hic…
      Et justement y a un trou immense dans la marée de ceux qui refusent de se taire devant le silence des hommes au cœur sec et à la liberté éteinte… Moi je suis dans ce trou et je ne sais pas pourquoi je crie quand je crie tout seul. Mais les mots, mes mots sont impuissants… Ils faut que je continue pourtant. Alors les images… peut-être que j’y vais à cause de tout ce qu’on a vécu avant, Che, la révolution des œillets, la Fraction Armée Rouge, le Larzac et nous avec nos rêves qu’on a pris en main de ces terres sauvages et de l’insoumission…
      Moi en refusant de porter les armes pour le défendre, j’ai refusé à ce pays d’avoir des droits sur moi. “ Son héritage guerrier ” comme tu dis, j’en ai jamais voulu. Mais c’est dans les cellules de l’armée que j’ai vraiment eu la trouille. Tu as vu que j’étais pas joli à cet instant-là… Tu sais, quand un copain à moitié fou se fracasse les poings contre les murs de sa cellule juste à côté tu flippes secos… Encore des doigts écrasés ça me suit… Rien à voir avec les camps de torture du Néguev, je sais… Moi tout ce que je peux donner aux Palestiniens c’est ma trouille et ma fragilité. La force ils l’ont, mais un regard qui connaît leur angoisse de la honte, de l’abandon du combat, de la mort programmée par d’autres et que tu n’arrives plus à chasser, car tout ça je l’ai eu dans le ventre… Je ne répond peut-être pas à ta question… mais si pourtant…
      Je n’ai pas encore bien défini la direction que je vais prendre, sur la bande de Gaza ça va assez mal. En l’espace d’un mois ils ont arrêté un cameraman de Reuter (  faut dire qu’il avait un nom arabe, ça aide pas… ) et tiré sur des photographes de l’AFP, de Sigma et de Contact, plus un cameraman de France 2 arrêté. Tout ça dans les camps de Rafah et Chatti, et tu rajoutes le journaliste anglais… Bon même si je ne fais pas du tout partie de la bande des “ tirailleurs ” venant aussi faire du cliché spectaculaire qui va le savoir ? Et puis en quoi ça me rendrait sympathique à des militaires aussi tarés que tous ceux de la sorte ? Pourtant c’est que je compte bien rester un homme vivant moi !
      Au début je pensais aller de Tel Aviv à la Bande de Gaza mais je suis indécis. D’un côté je n’ai pas vraiment le projet de faire du “ New”, d’un autre côté c’est un des points clef du problème palestinien et je ne suis pas prêt pour ça. Je veux suivre au plus près ce dont on a causé mais comment ne pas voir aussi que des gens crèvent à cause de la culpabilité silencieuse ( vis-à-vis des Juifs ) que nous ont refilée nos vieux ? ( … )
Photo Marc Fourny  1993  Jeunes enfants palestiniens à Jérusalem
A suivre...
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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 17:40

        Cette fois-ci et parce qu'il s'agit d'un très grand poète alors il faut une écriture connaisseuse et poétique à la fois... 
      Quelques extraits d'un texte en hommage à Aimé Césaire écrit par Christiane Chaulet Achour une grande amie spétialiste de la littérature algérienne et des Antilles, entre autres... Pour la découvrir elle et ses multiples travaux et livres :
www.christianeachour.net              Pour Aimé Césaire
Christiane Chaulet Achour, 17 avril 2008
(Université de Cergy-Pontoise, Centre de Recherche Textes et Francophonies et Département des Lettres modernes)

“ Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ”
Cahier d’un retour au pays natal )


Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe en Martinique. Il aurait, cette année, 95 ans… Sony Labou Tansi lui rendant hommage en 1989, écrivait : “ Césaire poète aura mis le feu de l’âme à la paille des arbitraires et des insoutenables ( … ) L’art du poète est aussi l’art d’apprivoiser la foudre. ”

Il fait ses études primaires et secondaires dans l’île puis part à Paris en 1932, après son baccalauréat, au Lycée Louis le grand et à l’ENS. C’est alors qu’il découvre Rimbaud et le marxisme. Il collabore à la revue Légitime défense. Mais surtout, en 1934, il fonde avec Senghor et Damas, la revue L’Etudiant noir qui entend mener un combat culturel. C’est dans ce groupe qu’émerge le mot “ Négritude ” qui prend sa charge poétique dans Cahier d’un retour au pays natal :

“ Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité
ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte
sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience. ”

      Césaire a toujours insisté sur le fait que, pour lui, sa conception de la négritude n’était pas biologique mais culturelle et historique : il s’agit d’approfondir la conscience d’appartenir à la race noire et d’avoir la volonté de revaloriser la culture africaine.
      Dès 1935, il se met à la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal dont une première version paraît dans la revue Volontés. Juste avant la déclaration de guerre, Il rentre en Martinique avec son épouse Suzanne. Ils sont tous deux professeurs au lycée de Fort-de-France. Au cours de sa carrière d’enseignant, Césaire a eu de nombreux Martiniquais devenus célèbres. Parmi ses élèves, il aura ainsi Joby, le frère aîné de Frantz Fanon qui passe à Frantz les cours de Césaire lorsque celui-ci prépare seul et à l’avance son baccalauréat.
      Entre 40 et 44, il crée la revue Tropiques avec René Ménil. Suzanne y est très active. C’est en 1941 qu’André Breton, de passage en Martinique, découvre Tropiques, Césaire et le Cahier d’un retour au pays natal. Il est enthousiasmé et le texte qu’il écrit alors, “ Un grand poète noir ”, deviendra la préface de l’édition du Cahier en 1947. ( … )
      Cette année 1946, il publie chez Gallimard Les Armes miraculeuses, poèmes et tragédie. La tragédie a pour titre, Et les chiens se taisaient ; avec elle, Césaire inaugure sa création théâtrale illustrée plus tard par d’autres pièces. De cette tragédie, je veux retenir ce cri du Rebelle qui a tant marqué la littérature ensuite :


“  Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ;
mon état : révolté ; mon âge : l’âge de pierre.
( … )
Ma race : la race tombée. Ma religion…
mais ce n’est pas vous qui la préparerez avec votre désarmement…
c’est moi avec ma révolte et mes pauvres poings serrés et ma tête hirsute

Très calme

Je me souviens d’un jour de novembre ; il n’avait pas six mois et le maître est entré dans la case fuligineuse comme une lune rousse, et il tâtait ses petits membres musclés, c’était un très bon maître, il promenait d’une caresse ses doigts gros sur son petit visage plein de fossettes. Ses yeux bleus riaient et sa bouche le taquinait de choses sucrées : ce sera une bonne pièce, dit-il en me regardant, et il disait d’autres choses aimables mon maître, qu’il fallait s’y prendre très tôt, que ce n’était pas trop de vingt ans pour faire un bon chrétien et un bon esclave, bon sujet et bien dévoué, un bon garde-chiourme de commandeur, œil vif et le bras ferme. Et cet homme spéculait sur le berceau de mon fils un berceau de garde-chiourme.
( … )

Tué… Je l’ai tué de mes propres mains…
Oui : de mort féconde et plantureuse ( … )
J’ai choisi d’ouvrir sur un autre soleil les yeux de mon fils ( … )
Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié  ”. ( … )

      En 1948, il publie un nouveau recueil, Soleil cou coupé chez Gallimard et, en 1949, Corps perdu avec des gravures de Picasso, aux éd. Fragrance.
      C’est en 1950 que paraît un texte qui n’a pas fini d’éclairer le phénomène historique du colonialisme, Discours sur le colonialisme, aux éd. Réclame ( il ne sera réédité par Présence Africaine qu’en 1955 ). Comme l’écrit en 1989, Sony Labou Tansi :
    
      “ J’ai relu plus d’une cinquantaine de fois le Discours sur le colonialisme, je n’y ai trouvé aucun germe de haine, aucun transport de rancune ou d’amertume. Je n’y ai rencontré qu’un humanisme sans complaisance, qui ne fait de cadeau à personne ( … ) Malgré l’ampleur du problème et la nature passionnée de la question coloniale Césaire y met tellement d’humanité qu’il arrive à présenter devant nos consciences la double misère du bourreau et de la victime, la déshumanisation du maître et de l’esclave, le double piège qui mène au triple triomphe de la médiocrité sur la raison, sur l’intelligence et sur l’esprit ”. ( … )

      En 1956, Il participe au Premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne. C’est l’année où il quitte le PCF ( “ Lettre à Maurice Thorez ” ) et fonde le PPM, Parti Progressiste Martiniquais, dont l’objectif est l’autonomie martiniquaise et non l’indépendance. Il publie une version définitive du Cahier à Présence Africaine.
      1960 et 1961 sont marquées par la publication de deux recueils, au Seuil, Ferrements et Cadastre. Du premier, retenons :

 
“ Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen
N’y eût-il dans le désert
Qu’une seule goutte d’eau qui rêve tout bas,
Dans le désert n’y eût-il
Qu’une graine volante qui rêve tout haut,
C’est assez,
Rouillure des armes, fissure des pierres, vrac des ténèbres
Désert, désert, j’endure ton défi
Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen. ”

      En 1962, c’est une étude historique sur Haïti qu’il fait paraître à Présence Africaine, Toussaint Louverture – Etude historique sur la révolution et le problème colonial. Sur la lancée, en quelque sorte, de cette présence de Haïti, si vive dans son parcours, il écrit, en 1963, La Tragédie du roi Christophe ; en 1965, Une Saison au Congo : ces deux pièces réfléchissent au pouvoir et au chemin difficile des libérations et des indépendances. Sa dernière pièce sera un “ dialogue ” intertextuel avec Shakespeare dont il adapte la pièce, sous le titre Une Tempête – La Tempête de Shakespeare pour un théâtre nègre. ( … )
      En 1976, les éditions Desormeaux à Fort-de-France éditent Aimé Césaire, œuvres complètes, en 3 volumes. ( … )
      En 1982, il édite, toujours au Seuil, Moi, laminaire.
      L’année suivante, en 1983, c’est le 25ème anniversaire du PPM.
     En 1986, Césaire donne l’édition critique définitive du Cahier ( Présence Africaine ).








“ Pour un cinquantenaire
A Lilyan Kesteloot
Excède exsude exulte Elan
Il nous faut Présence construire ton évidence
En contreforts de pachira
En obélisque
En cratère pour menfenil
En rayon de soleil
En parfum de copahu
Peu importe
En poupe de caravelle
En flotille d’almadies
En favelles
En citadelles
En rempart d’andésite
En emmêlement de pitons
Il n’importe
Le vent novice de la mémoire des méandres
S’offense
A vif que par mon souffle
De mon souffle il suffise
Pour à tous signifier
Présent et à venir
Qu’un homme était là
Et qu’il a crié
En flambeau au cœur des nuits
En oriflamme au cœur du jour
En étendard
En simple main tendue
Une blessure inoubliable. ”
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17 avril 2008 4 17 /04 /avril /2008 23:01

 A Aimé Césaire      Ce soir c'est un simple hommage à un poète qui vient de mourir...
      La mort d'un poète pour ceux qui restent c'est un peu moins de lumière et de feu dans leurs mains...
      Pas d'images pour accompagner ce poème le visage d'Afrika sur la page d'hier est aussi dédié à l'homme qui a écrit avec une telle force sur la négritude... 

Afrika
A Aimé Césaire
Epinay, mardi, 15 avril 2008

Afrika femme rouge et verte
Femme faite avec la terre et la boue sèche
Au fond des fleuves taris par la soif sans fin
Du petit baba blanc au grand fusil
Femme faite avec le lai jaune sucré
Des fruits qu’elle presse contre ses seins
Pour donner à sa peau leur couleur nacrée
Oranges mangues mandarines abricots
Qu’aucun gamin black ne mange il se dépêche
De poser le pack de coca-cola aux pieds
Des types gras qui bectent dans le bistrot
D’Amadou il leur sert la chair rouge et verte
D’éléphant flingué ce matin un vieux mâle
Transi qu’une balle a cueilli Femme faite
De terre cuite et ronde comme ses cuisses
Au centre du feu des feuilles de palmes fraîches
Avec leur huile rackettée par la fente
Brune de leur sexe que le petit baba
Blanc vend pour beurrer les tartines et la tête
De ses maîtresses qui n’ont pas d’odeur
Femme faite de la peau des crocos saqués
De la boue sèche au sang pourpre des marigots
Pour faire sacs à mains sous les ongles qui crissent
Des croqueuses de jeunes nègres trop maigres
Pour faire bon larbin Femme faite avec
Deux yeux noirs obscurs et même plus la peur
Qu’ont les chimpanzés tondus costard trois pièces
Bagouzés rollexifiés horrifiés faisant
Le singe aux terrasses des bistrots Leurs nids
Largués en haut des grands fromagers t’attendent
Femme faite des lèvres rousses coquilles
Qui poussent dans les mangroves salées douces
Comme l’entrejambe des petites négresses
Que la queue énorme des cannibales
Banquiers dodus avale et puis resquille
La récolte des tiens trois dollars l’hectare
Femme faite des dents cachées du tigre blanc
Elevé dans la réserve à touristes
Photos safaris et partouzes devant
Le conseil des vieux au centre du village
Cueilleurs de diamants ils n’ont jamais rien dit
Femme faite des petits couteaux corail
Plantés dans la terre rouge et verte
De tes savanes de tes lagons de tes brousses
Tu arraches avec ta langue des lambeaux
De parchemins d’écorces de pages des livres
Couverts de sperme de pisse de sang d’histoire
Volés chaque jour à ton peuple et tu nourris
Tes enfants affamés qui connaissent ta rage
Ta douleur tes chants tes rêves ta naissance
Bien-aimée Femme faite de terre et de boue
Sèche rouge et verte tu jettes à la gueule
Des riches tenanciers de  désastre blanc
Des riches profiteurs de misère noire
Tes bandes de jeunes termites et seul
Dans la poussière du monde finissant
Ton corps de glaise sculpté restera debout.

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16 avril 2008 3 16 /04 /avril /2008 00:53
             Peintre ou écrivaine ?
      Celles et ceux qui viennent se balader sur notre blog des Cahiers des Diables bleus savent qu'avant d'être écrivaine j'ai trifouillé dans la barbouille pendant 20 piges et que j'en suis sortie à moitié ivre comme le bateau de Rimbe de désespoir et de folie...
      Ouais rien que ça... mais les frangines et les frangins qui sont faits aux pattes pris à la gorge par cette passion-là savent... et les autres ils ont qu'à imaginer...
      Aujourd'hui j'ai rien envie d'écrire... cette nuit j'avais la géante nostalgie et pas trop de souvenir d'où j'ai fichu les photos de mes quelques peintures que j'ai pas bazardées mais celle-là je savais...
      Je savais pour cause que c'est la dernière image que j'ai créée avant de briser mes pinceaux et que je l'ai poussée au bout tout au bout de la nuit du peintre explosé que j'étais... je vous raconterai...
      Elle s'appelle
Afrika et je n'peux pas la regarder sans douleur et sans jubilation... Après elle y a eu le rien la mort et... l'écriture...
      Je voulais juste vous l'offrir...
Afrika  huile sur bois 1995
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15 avril 2008 2 15 /04 /avril /2008 22:34

         La porte n'est jamais fermée
         Au début la porte était restée grande ouverte et la musique se glissait insidieuse sous ma fourrure pour me chatouiller dans le cou à l'heure de midi… Il me semblait que j'étais le chat assis sur le piano car tout mon corps s'étirait dans un bien-être douloureux… Nora savait que je me levais rarement plus tôt à cause de mes courses de la nuit… C'était son plaisir de me réveiller avec des petits mots doux et taquins de plus en plus fort de plus en plus vite… Elle qui travaillait jusqu'à l'aube au bar Bleu était debout bien avant moi et j'entendais le frôlement léger de ses pieds sur le parquet… Nora elle était libre de vivre en plein jour moi j'avais une bête fière et ombrageuse qui me guidait dans les ruelles froides du ghetto pour accomplir la vengeance…
           Des fois elle rentrait avec un musicien black ils me précédaient d’une deux minutes… Je traînais en calculant juste l’instant où y avait encore assez de profondeur dans les replis soyeux de la nuit pour m'accueillir alors je distinguais de l'extrémité de la ruelle la p’tite veilleuse qui fouillait l'obscurité à ma recherche… Quoi qu'il arrive le ghetto il a une lampe en plein cœur…
         Parmi les mecs que Nora fait pénétrer dans cet espace qui n'est qu'à nous y en a un avec lequel c'est différent c'est Brayan le Black albinos qui a aidé à porter le piano… D'abord Brayan il ne vient pas pour coucher avec Nora mais pour parler ou quelque chose comme ça ou peut-être juste il vient après la fermeture du bar Bleu parc’que ni pour Nora ni pour lui la musique elle ne s'arrête… Nora elle dit en rigolant que la musique a Brayan dans la peau… Moi je lui ai fait remarquer exaspérée quand même qu'elle préférait au moins pendant quelques heures à la musique qui avait fabriqué une forteresse solitaire autour de nous ses amants alors elle répondait :
      - C’est pas moi qui les choisit c’est elle…
       Brayan c’est un soleil noir…
       Nora elle prétend que Brayan est le seul mec que je laisse m'approcher vu qu’on se trouve en marge de toutes les sortes de tribus qui ont un jour existé aucun ramassis d'individus ligotés ensemble par des ficelles d'héritages avec des couleurs spécifiques à chaque tas n'voudrait nous reconnaître et nous faire part de la grande veine qu'on a d'appartenir… Non… on n'appartenait pas sauf pour moi aux bracelets d'algues bleues de la glycine et pour Brayan à la houle rhythm and blues comme un costume de paillettes argenté incrusté sous sa peau… J'entendais sa voix et celle de Nora de l'autre côté de la porte entrebâillée elles s'enroulaient s’entortillaient pareil qu’un coquillage avec la p’tite lampe opale sa perle lumineuse au bord de mon sommeil.Brayan il dormait à l'intérieur du mêli-mêlo des coussins et des fringues de filles éparpillées qu’on étalait dans notre gourbi… Du côté des onze heures pendant que Nora ruisselait sous sa douche en poussant des cris à cause de l'eau qui se déréglait tout le temps et qu’elle cherchait partout les tubes de rouge à lèvres que je lui piquais pour écrire il descendait emballé dans la gandoura rose vif qu'elle avait posé au pied du lit il allait acheter les croissants ce qui fait que Brayan qui n'était l'amant de personne dans cette histoire passait pour un type qui couchait avec les deux filles à la fois mais vu qu'il était un nègre pas vraiment nègre ça ne concernait ni les Negros ni les Blancs… Et d'ailleurs qui était vraiment blanc dans cette histoire ?… Même Genet c’est pas sûr qu’il l’était…
         N'y a que Brayan pour oser rester chaque matin où il a passé la nuit à naviguer dans ses coussins et à préparer le café en chantonnant une des rengaines de Fats Waller avec des claquements de doigts pour chiper le rythme comme il dit… Brayan ne respectait aucun des rituels que la bête a imposés par sa ruse et que je ne peux plus enfreindre sans la sentir peser lourde sur ma poitrine il poussait ma porte avec la cafetière à la main :
      - Eh baby !… Y'a pas une nuit où je n’rêve pas de toi…
      Chose inimaginable il s'asseyait sur le lit il chahutait la fourrure de sa main libre en enchaînant sur Baby Y need a man  de Janis Joplin c'est une chanson que Nora et moi on a l'habitude de chanter à tue-tête et en fausset avec les voix les plus discordantes pour narguer les Apaches et le voisinage… J'aurais bien voulu lui jeter au visage toutes les insultes qui chauffaient mon ventre mais Brayan c’est pas un mec comme les autres il a bouffé trop de soleil et il est squatté par une lumière jaune à croquer…
      Au début la porte était restée grande ouverte et les Apaches patrouillaient à distance avec des airs mondains en ricanant c'était rien que de la musique de Blacks des vieux rythmes réchauffés qui avaient pas de place dans leur histoire aujourd'hui… Et puis ça a commencé à les énerver quand ils ont pigé qu'à l'intérieur du vieil atelier désaffecté qui est devenu le quartier général des greffiers du ghetto les filles ont trouvé le moyen de faire avec leur corps ce qu'elles veulent…
      Alors un jour sur le coup de midi ils ont décidé d'aller mettre de l'ordre là-dedans et ils sont arrivés au moment où les filles préparaient le thé pendant que Nora se faisait la voix avec Nina Simone… Heureusement la Zinia qui a toujours un œil à droite un œil à gauche a prévenu aussitôt et on a bouclé la porte et on les a attendus ou plutôt ce sont les gamines du ghetto vu qu'elles sont leurs frangines par le fait qui leur ont dit ce qu'elles avaient à dire… fallait leur donner une leçon qu’ils arrêtent de se prendre au sérieux et de les traiter quoi…
         - C'est vous qu’avez voulu qu'on reste enfermées à l'intérieur comme des vieilles pendant qu’vous allez dehors partout où ça vous plaît… Eh bien maintenant restez-y dehors !
      Les Apaches ils ont pas l'habitude qu'on leur parle sur ce ton ils se sont préparés à prendre d'assaut la petite porte et les filles devant se resserraient en se tenant le bras avec du courage alors la Zinia qu'on a pas vu jusque là a bondi d'on ne sait où à la main gauche sa canne menaçante et à la main droite un revolver astiqué si parfait qu'il semblait inoffensif…
      C'est celui qui portait une boucle d'oreille avec une tête de mort et qui est sûrement une sorte de chef qui s'est avancé sur elle pour la pousser de là…
      - Allez tire-toi la vieille… on t'a assez vue dans les parages avec tes puceux… u dégages où j’te fais ta fête… c'est pas ton flingue de théâtre qui va nous filer la frousse…
      La Zinia immobile elle a pas répondu un mot figée tranquille comme une squaw sous son béret noir elle a juste levé le bras à la hauteur qu'il fallait pour avoir la tête de mort du même coup qu'un p’tit bout d'oreille comme trophée…
      A peine une minute la place était vide et la Zinia a fourré sans se presser le revolver dans la poche de son tablier elle a déclaré froidement de sa voix rauque de paysanne aux façades qui en ont pas perdu pas un mot :
      - Si vous connaissez pas Calamity Jane la Zinia va vous mettre au parfum… c'est pas demain que vous vous ferez la peau d'une vieille anarchiste comme moi…
      Quand un quart d'heure plus tard les vigiles attirés par un bruit bizarre qui ressemblait à un coup de feu se sont pointés ils n'ont trouvé que la Zinia assise sur une caisse entourée de la fourrure mouvante des chats devant la porte ouverte d'où s'évadait un des songs de Billie Holiday…
A suivre...

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14 avril 2008 1 14 /04 /avril /2008 20:39

                                  Petites chroniques d'une cité de banlieueLundi, 14 avril 2008  De là d’où je vous cause… 2

      P’t’être que vous vous souvenez de l’année dernière à cette époque c’était un très joli mois d’avril qu’avait tout d’un printemps léger et sucré avec sa cérémonie des merguez chaque week-end dans notre cité d’Orgemont je vous ai raconté c’était avant la suite qui a rien de formidable et ce qu’on se farcit depuis un an un an seulement c’est pas possible ! Nous autres on a l’impression qu’ça fait un siècle que cette affaire nous est tombée dessus raide avec les murs de la citadelle Babylone en plus c’est relou alors !…
      Là en vous causant écrivant j’écoute IAM sur le poste et c’est clair que “ ça pousse derrière ” et qu’on n’a même pas aujourd’hui comme l’année dernière à c’moment la cérémonie de la douceur de vivre avec plein d’bouts d’soleil dans les p’tites ruelles de la tess’ et la joie de s’y retrouver ensemble avec des choses qu’on est les seuls à connaître quand on est né dans c’monde-là que les autres appellent “ ghetto ” et que nous on aime parc’qu’on a pas envie de se dire que là où on vit c’est crasseux comme ils racontent eux qui n’y mettent jamais les arpions…
      Ce qui s’est passé depuis un an par ici je vais pas vous le décrire c’est comme par chez vous avec un peu plus de sans issue qu’avant un peu plus de zermi et un peu plus de silence de plomb qui renvoie les gens chez eux pour pas qu’ils se causent qu’ils se rencontrent et qu’ils magouillent une petite révolte ou une petite façon d’s’en sortir les uns les autres comme ils sont capables de faire quand c’est l’printemps et qu’y a plein de douceur de l’air… “ Je pense pas à demain parc’que demain c’est loin… ” Voilà comment elle finit la chanson d’IAM et c’est sûr qu’aujourd’hui dans notre cité on se dit tous ça et que l’image qu’on a de nous-mêmes elle n’s’est pas améliorée depuis un an alors !…
      Et au fait d’image il a encore fallu que je lise par hasard vu qu’on me l’a refilé au cours d’un Salon où nos Cahiers des Diables bleus étaient sur le pont un d’ces bouquins écrits si on peut dire ça au moins mis en circulation dans c’pays qui est devenu celui de la littérature super marché super mâché pondu donc par un écrivain d’Algérie qui est pas un immigré ça non !… et pas plus un fils d’immigré ça non !… et pas plus qui a fréquenté nos banlieue d’ici sur Seine c’est visible à chaque fois que je les lis ces feuilles-là je me dis qu’ils ont le droit d’inventer d’accord c’est même leur job au fond… mais alors ils évitent de faire passer ça pour le réel genre témoignage parc’que nous vraiment leur radotage pareil celui des journaleux baveux sur la-vie-dans-les-cités-comme-j’l’ai-vécue ça nous gonfle !…
      Le sujet de son bouquin s’y en a un en fait c’est pas la cité vous vous en doutez vu que c’est jamais le sujet et que nous autres qui y vivons quand même on n’en est jamais les héros de leurs bouquins juste la cité c’est un décor et nous les figurants… vous avez remarqué ? Donc le sujet de c’livre c’est très très compliqué vous dire que je n’suis pas sûre de l’avoir compris… alors je m’avance et il semble que le sujet ça soit un truc tordu du genre : un jeune garçon se suicide parc’qu’il a découvert que son vieux qui était un brave cheikh qui vivait dans son village berbère depuis des lustres et que tout l’monde aimait bien était en fait un ancien nazi un vrai SS qui portait l’insigne des Totenkopf “ tête de mort ” rien que ça…
      En fait cet homme-là qui écrit semblerait que ça soit son obsession que les combattants pour l’Indépendance de l’Algérie et particulièrement ceux du FLN étaient des frangins des mecs de la SS ou du genre et j’ose même pas dire qu’il mettrait gentil les musulmans pratiquants dans ce sac-là mais c’est tout juste… vu qu’il nous fait un amalgame drôlement ficelé entre l’Islam et l’islamisme radical ce qui est on le sait le dada des réacs racistes et droitistes en touts genres de tous pays unissez vous pour le bien contre le mal etc etc… vas-y que j’t’embrouille tout ça pour que le gogo du bar du coin il y pige que couic et qu’il voie comme la petite mamie du block 3 tous les jeunes et pas jeunes basanés comme des dangers l’couteau sous la parka…      Alors moi qui vis dans une cité de banlieue à mi-temps depuis quatre ans qui suis née en banlieue dans le 9-3 et qui ai grandi à Auber pour ne rien vous cacher et qui vadrouille dans les cités d’la banlieue de Paris et d’ailleurs depuis pas mal de piges je voudrais dire que ce genre de baratin d’un type qui est total étranger à la banlieue on en a rien à faire pas besoin et vraiment c’est du n’import’ouiq ! Dans notre tess’ qui est pas différente des autres de la banlieue d’ici et des banlieues des autres Babylones de c’pays j’imagine y a pas “ d’Imam fhürer ” je cite… pas de “ mosquée dans les caves ” je cite… pas d’ “ habitants caporalisés par l’imam, cernés par les barbus en djellabas et bousons noirs, humiliés par les kapos qui tournent autour d’eux comme des pitbulls… ” Je cite encore et j’arrête parc’que ce type est un malade qui a besoin de fabriquer du pire pour vendre ses bouquins dégeus et comme la banlieue a le dos large vas-y ! …
      C’est drôle parc’que quand on lit comme moi un peut tout de ce qui s’écrit sur la banlieue vu que c’est mon centre d’intérêt en tant qu’écrivaine comme vous savez on remarque que cette littérature du grand délire qu’elle suscite est d’abord fondée sur de la haine à grosse lessive… des lessiveuses des machines à laver entières de haine qui bouillonne et qui se répand sur nous autres comme s’il fallait qu’on expie pour ?… J’vous laisse trouver pour quoi étant donné que moi je n’ai pas idée car les gens que j’connais et dont à l’occasion je vous raconte la vie dans ces petites chroniques ils sont tous les mêmes que ceux que je frôle bouscule fréquente ailleurs dans d’autres espaces et ils ont rien qui les dispose à être ni des moutons crétins qui suivent des chefs barbares ni des monstres prêts à trucider des p’tits enfants dans des caves sordides… Ouais c’est drôle mais nous la haine on ne l’a pas entre nous du tout ça non… si elle nous vient la haine c’est de l’extérieur avec les jugements et la morale des autres… toujours des autres…
      Dans la tess’ d’Orgemont moi j’y rentre la nuit avec mon sac et mon pognon que j’ai gagné en faisant ce week-end le Salon de la Ligue des Droits de l’Homme avec nos Cahiers des Diables bleus ou avec mon portable à la main ou avec mon pain de chez le boulanger marocain ou avec n’importe quoi et je croise des gens que je connais de vue ou que je n’connais pas et j’ai peur de personne et je vis parmi les gens que je respecte et que j’aime… Et comme j’observe les gens justement pour écrire mes petites chroniques je les vois se débrouiller comme ils peuvent avec le moins de pognon qu’ils ont de jour en jour tout comme nous autres aussi et je vois les p’tits jouer avec des jouets qu’ils fabriquent sur le macadam black vu qu’ici y a pas d’erre de jeux comme ailleurs souvent à Paris et dans des quartiers plus rupins y en a…
      Et s’il arrive des brutalités entre les gens ou des conflits ou des engueulades ou des colères terribles c’est exact comme ça se fait ailleurs partout où je vais-je vois ça… mais partout ailleurs on ne met pas en scène le lieu de vie le monde l’espace des gens pour en faire un spectacle ripou qui satisfait la petite crasseuse bien infecte voyeurie des bien chez eux et bien sur eux des littéraristes à cinquante balles qui flattent le penchant qu’ont pas mal de gugusses à suivre la piste du “ choc des civilisations ” et à faire en sorte qu’on se jette bien la haine entre nous… Moi ce qui me plaît dans notre cité d’banlieue c’est qu’on vit ensemble et qu’on se serait jamais rencontrés nous tous d’un bout à l’autre du monde si le hasard de la tess nous avait pas fait ce coup-là ! Et ça c’est de l’émerveillement tous les jours ouais… c’est avec cet émerveillement-là que j’écris…

A suivre...
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