Mangeurs de terre
Sylvain
A Sylvain
Epinay, jeudi, 8 mai 2008
Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Qu’un très vieil ouvrier aux filatures
Du Nord c’était le temps de la Commune
Il s’appelait Sylvain c’était un homme bon
Il avait vingt ans et pas appris à lire
La campagne est charbon là où il est né
La maison a une treille un petit jardin
Son père trime au service d’un grand Monsieur
Un grand seigneur des terres On a la vie dure
A l’usine le travail c’est comme les billes
Qu’il garde précieuses quand il en a
Mais pas souvent si c’est bonne fortune
Si c’est mauvaise on fait leur fête aux lapins
Quand les grands chassent à courre ça a du bon
Dans la petite maison des champs soupire
La marmite Sylvain serait tout étonné
D’apprendre que Vincent qui n’est pas un Monsieur
A peint comme un labour sur une toile brune
Des pommes de terre lui quand il en a
Précieuses il les mange avec les épluchures
Portrait après la chasse
Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Qu’un très vieil homme assis son chien son fusil
Sous la treille devant la maison le soir
Attend que la campagne charbon crépite
De lampes aux verres luisants comme les yeux
Des hiboux A l’usine il est mécanicien
C’est l’hiver pas de travail on débauche dur
Lui il préférait le jardin les chemins
De givre ou de bruyère il connaît le pays
Avec ses pieds avec ses mains comme les billes
De plomb il a appris à compter faut voir
Pas un qui lui raflait c’était ses pépites
Sombres Il fait froid le jardin donne peu
Bientôt plus que des pommes de terre c’est sûr
Mais le grand Monsieur généreux qui chasse à courre
Sur son domaine les prend comme rabatteurs
Lui il n’aime pas tuer les bêtes pour rien
Eux ils ont le droit de tirer les lapins pour
Remplir la marmite grâce au seigneur
Des terres Il sent bien qu’il y a forfaiture
Mains d'ouvrier paysan
Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Que Sylvain son chien les hérissons du jardin
Sous la treille de la petite maison
L’été il boit un verre de vin le dimanche
Le chien à ses pieds en quête d’aventure
Il fait doux sur la photo sépia il pose
Solitaire sans savoir que c’est pour moi
Cent ans après la Commune on se rencontre
Je sais qu’il regardait les livres d’images
Peut-être qu’il a appris à lire enfin
Sa culture c’étaient les oiseaux les saisons
Les fruits les arbres les fleurs et les ruches blanches
L’âme profonde des sources et de la terre
Il ne possédait rien mais il était leur roi
Dans ses mains d’ouvrier paysan les roses
Ont la couleur du sang rouge et noir l’un contre
L’autre sur ma palette qui mirage
La campagne charbon là où il est né
Serait-il étonné que je l’imagine
Rebelle et fraternel et que je sois fière
De l’idéal humain qu’il m’a donné
Que mon labour de la peinture à l’écriture
Nourrisse le jardin et la treille mutine.
Sylvain dans les années 1870-80