Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
  • Contact

Saïd et Diana

Said-et-Diana-2.jpg

Recherche

Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

13 mai 2008 2 13 /05 /mai /2008 18:54

Mangeurs de terre
                              Sylvain

A Sylvain

Epinay, jeudi, 8 mai 2008

Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Qu’un très vieil ouvrier aux filatures
Du Nord c’était le temps de la Commune
Il s’appelait Sylvain c’était un homme bon
Il avait vingt ans et pas appris à lire
La campagne est charbon là où il est né
La maison a une treille un petit jardin
Son père trime au service d’un grand Monsieur
Un grand seigneur des terres On a la vie dure
A l’usine le travail c’est comme les billes
Qu’il garde précieuses quand il en a
Mais pas souvent si c’est bonne fortune
Si c’est mauvaise on fait leur fête aux lapins
Quand les grands chassent à courre ça a du bon
Dans la petite maison des champs soupire
La marmite Sylvain serait tout étonné
D’apprendre que Vincent qui n’est pas un Monsieur
A peint comme un labour sur une toile brune
Des pommes de terre lui quand il en a
Précieuses il les mange avec les épluchures
                        Portrait après la chasse

Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Qu’un très vieil homme assis son chien son fusil
Sous la treille devant la maison le soir
Attend que la campagne charbon crépite
De lampes aux verres luisants comme les yeux
Des hiboux A l’usine il est mécanicien
C’est l’hiver pas de travail on débauche dur
Lui il préférait le jardin les chemins
De givre ou de bruyère il connaît le pays
Avec ses pieds avec ses mains comme les billes
De plomb il a appris à compter faut voir
Pas un qui lui raflait c’était ses pépites
Sombres Il fait froid le jardin donne peu
Bientôt plus que des pommes de terre c’est sûr
Mais le grand Monsieur généreux qui chasse à courre
Sur son domaine les prend comme rabatteurs
Lui il n’aime pas tuer les bêtes pour rien
Eux ils ont le droit de tirer les lapins pour
Remplir la marmite grâce au seigneur
Des terres Il sent bien qu’il y a forfaiture
                                                 Mains d'ouvrier paysan

Je rêve que je n’ai pas d’autre famille
Que Sylvain son chien les hérissons du jardin
Sous la treille de la petite maison
L’été il boit un verre de vin le dimanche
Le chien à ses pieds en quête d’aventure
Il fait doux sur la photo sépia il pose
Solitaire sans savoir que c’est pour moi
Cent ans après la Commune on se rencontre
Je sais qu’il regardait les livres d’images
Peut-être qu’il a appris à lire enfin
Sa culture c’étaient les oiseaux les saisons
Les fruits les arbres les fleurs et les ruches blanches
L’âme profonde des sources et de la terre
Il ne possédait rien mais il était leur roi
Dans ses mains d’ouvrier paysan les roses
Ont la couleur du sang rouge et noir l’un contre
L’autre sur ma palette qui mirage
La campagne charbon là où il est né
Serait-il étonné que je l’imagine
Rebelle et fraternel et que je sois fière
De l’idéal humain qu’il m’a donné
Que mon labour de la peinture à l’écriture
Nourrisse le jardin et la treille mutine.
                    Sylvain dans les années 1870-80

Partager cet article
Repost0
12 mai 2008 1 12 /05 /mai /2008 11:37

            Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvage        L'Enfer du Clos-Salembier, comme tout enfer concentrationnaire, tue l'essence du corps en même temps que le corps charnel. Il le tue en le faisant se dé-penser lui-même. Il anéantit le verbe fait chair dans la chair dévorée. D'où l'importance du feu dans chaque processus d'anéantissement, afin de flouer le corps de la terre. Du jardin qui est l'envers de l'enfer. Jardin au sein duquel le corps qui se fond fait fleurs et fruits. Le feu fait s'envoler le corps vers des hauteurs insensées où aucune maternité nouvelle ne peut lui être promise.
      C'est de cet Enfer du sens clos que vous chutez dans le ravin-vagin de la Femme sauvage où s'est réfugié le sens ouvert du premier lien paradisiaque et jamais vraiment rompu pour l'être féminin avec l'univers.  Le lieu du bas, c'est le lieu du ventre, qu'il est convenu de considérer comme celui de l'infâme, des viscères, du sang menstruel, de l'accouchement, «le Berceau». Ce lieu du ventre est le centre humain et paradisiaque du récit. Celui vers lequel le récit tend à se déplacer pour prendre corps féminin. “ En plein cœur de guerre, le havre. En effet La Clinique est par excellence protohistorique. ( … ) Unique lieu et moment où il n'est point d'autre but pour l'humanité que venir, chose extraordinaire, au jour. Dans la salle de travail, le monde tend à rien d'autre que naître. ”
      L'Allemagne des années 1930-50 et l'Algérie des années 50-70, ces deux pays “ à haine et à mort à ce moment de leur histoire percutent la vôtre. Et donnent pour vos parents légateurs de cette histoire - la vôtre - le désir-réalité du vivant. N'est-ce pas une preuve très forte de liberté par rapport à un destin ancestral “ d'hostilité et d'imposture ? Ne vous en sentez vous pas heureusement “ marquée ou peut-être fragilisée ?

      H.C.:
D'abord je savais que dans ma famille il y avait abri. Quelque chose était heureux. J'avais un très fort sentiment de paradis dans la mesure où je me disais par ailleurs que le paradis était perdu et menacé. Je me disais qu'on ne peut pas être heureux dans le malheur et que donc cela devrait se payer. J'ai toujours vécu de cette manière-là.

      Mon père avait ouvert après la  guerre la première clinique de radiologie d'Algérie. Au bout d'un ou deux ans, il est mort d'épuisement. La question pour ma mère s'est alors posée pour cette clinique. Elle l'a donc transformée en clinique d'accouchements. Avant cela elle faisait des accouchements au Clos-Salambier, dans le bidonville où elle descendait la nuit avec sa lampe et sa sacoche. J'ai vécu cela directement car elle a fait ses études entre 36 et 40 ans et je les ai faites avec elle.

      J'ai vécu mon premier accouchement quand j'avais 14 ans. J'ai assisté alors entre autres scènes à une fausse couche où la femme à force de grossesses répétées avait la peau du ventre jaunâtre avec des milliers de plis. J'ai vu des femmes au corps abominablement abîmé. Par la vie, par les maternités, par la violence. Et puis j'ai vu le contraire. Les femmes qui allaitaient leur enfant dans l'autobus étaient très belles.

      Il y avait des bagarres à mort avec couteaux et blocs de rochers. J'ai vu un Arabe se faire lapider par une bande de gosses parce qu'il était saoul. J'ai vu des gens hurler de douleur. Et cette force d'engendrement incroyable. Des gamins morveux, crasseux, pouilleux, en haillons et qui avaient une telle puissance de vie. Nous vivions entre vie et mort tout le temps. La conscience politique de ma mère était d'être sage-femme. Elle avait pris avec mon père ce chemin de préserver de la vie.

 Petite fille palestinienne à Gaza 1993 Photo Marc Fourny
A suivre...
Partager cet article
Repost0
9 mai 2008 5 09 /05 /mai /2008 23:13
             Petits chemins de banlieue
Petit chemin le long de la Seine à Genevilliers direction le Parc de Chantereine
Et buisson d'églantines
      On oublie souvent que la banlieue c'est aussi un endroit où on vit à côté d'une nature qui n'a pas complètement disparu loin de là et qui occupe des espaces très vastes bien qu'on l'aie peu à peu recouverte de cités et de parkings de voies express et d'entrepôts...
     Ouais la nature et ses buissons d'églantines sauvages ses ronciers bourrés de mûres violettes ses coquelicots ses rives de Seine ou de Marne avec saules pleureurs aulnes
peupliers... et toute la faune qui y grouille et s'y planque est là et bien là pour nous autres qui créchons dans la périphérie heureusement !
      Et si au lieu de ne causer que de la ville bidon on profitait de la chance qu'n'ont pas les parisiens et que nous autres on a de ses p'tits chemins creux ses rives des grands fleuves ses forêts ses parcs géants ses promenades et tous ses endroits vraiment jolis à découvrir style petits bistrots au bord de l'eau petits trains et étangs aux canards et aux cygnes qui viennent nicher... hérons gris et cormorans noirs... ça serait une façon de lui dire qu'on est heureux de vivre là... 
      Donc l'ami Louis et moi ça fait un moment qu'on a décidé des balades improvisées dans notre 9-3 pour commencer vu que tout ça on le fait avec nos pieds et les transports un peu aussi des fois et on vous a préparé des micro reportages avec photos de nos découvertes tout près de notre cité d'Orgement à Epinay d'abord et puis plus loin comme Petit Poucet avec ses cailloux blancs...
      Sûr qu'on va en faire des rencontres de recoins insolites et d'images extras alors on vous en fera profiter et à vous aussi de nous envoyer vos trouvailles si vous voulez... Comme ça d'un bout à l'autre de nos déambulation on va refaire une carte de la banlieue avec rien que des endroits qu'on aime et qui font du rêve !


Marguerites et coquelicots mêlées à des giroflées
et des herbes folles le long du Pont d'Epinay
      Donc on est partis à l'aventure sous un soleil de Mai qu'on a pas vu depuis un an au moins direction le Parc Départemental de l'ïle Saint-Denis où on va souvent quand il fait beau avec l'idée de pousser jusqu'à l'autre rive de la Seine...
      On a donc traversé au Pont d'Epinay et on est descendus par un escalier qui prend à même le Pont vers Genevilliers et on s'est retrouvés au début d'un petit chemin et d'une piste cyclable qui partent à gauche vers on n'sait où on n'y est pas allés encore et à droite qui s'en vont rejoindre le Parc de Chantereine le plus grand parc du coin y paraît...



Début du chemin vers le Parc de Chantereine au Pont d'Epinay

      Autre plaisir de cette ballade pas ordinaire un petit train qui fait tout le tour du Parc et qui va jusqu'à son terminus qui est notre point de départ à nous à côté du Pont d'Epinay...       
      Les horaires du petit train sont affichés et on apprend même qu'il y a des jours où on a droit à une vraie loco à vapeur comme les grosses !     
      On est ravis de regarder le conducteur manoeuvrer pour venir placer la petite loco devant les wagons après l'avoir entendu actionner son sifflet à chacune de nos promenades sur l'autre berge dans le Parc de l'ïle Saint-Denis... enfin on sait quelle bouille il a !



Le petit train 
  
 et son aiguillage à la gare de départ d'Epinay 
      
      On a suivi la voie du chemin de fer qui s'enfonce douce dans de buissons d'églanines roses et blanches des aubépines qui sentent trop bon avec petites berges couvertes de pâquerettes et du côté de la Seine on longe les berges avec saules et tout une végétation folle qui cache des tas de rafiots en train de vieillir tranquilles au fil de l'eau...
 
Aubépines qui embaument

la coque de la Josée un peu en rade
      Un peu plus loin en descendant par un petit escalier tout près du fleuve qui a des reflets gris-bleu et verts très doux cet après-midi on découvre l'endroit caché au milieu des roseaux et protégé de notre curiosité d'humains du nichage d'un couple de cygnes dont les petits viennent de naître... A quelques pas de nous le mâle surveille qu'on ne s'approche pas !

              





Le cygne mâle qui nous épie du coin de l'oeil



  La femelle en train de couver derrière une barrière de roseaux

     
     La ballade est douce le long du chemin frais entre les roseaux et on finit par trouver l'entrée du parc sur notre droite pendant que Louis remarque sur le plan que c'est vraiment un parc très vaste et que probable on n'aura pas le temps de faire le tour vu que le petit train ne nous a pas attendus !
      Un peu fatigués et ivres de soleil et de parfums on se retrouve dans un géant espace d'herbes et d'arbres ou tous les p'tits des cités alentour se coursent avec des bouteilles d'eau pour s'arroser tellement il fait chaud dans une ambiance de dimanche d'été avec les familles maghrébines blacks pakistanaises srilankaises and so on... qui surveillent alongées sur l'herbe pendant que des jeunes sur un banc on allumé le narguilé... Nous on se pose à l'ombre d'un arbre après avoir vérifié que c'est vraiment immense on n'a plus le courage d'aller au-delà... 




Enfin le Parc de Chantereine ! 

 Le petit train s'en va sans nous mais promis la prochaine fois je vous raconte la suite...

Alors si vous trouvez comme nous que notre banlieue elle est vraiment très class ne vous en privez pas !

Partager cet article
Repost0
8 mai 2008 4 08 /05 /mai /2008 15:46

         Camille ou la réalité d'une sculpture vraiment humaine

Il y a une expo Camille Claudel au Musée Rodin de l'Hôtel Biron et son parc fabuleux alors ne la loupez pas ! Celles et ceux qui ne connaissent pas cette oeuvre magique allez-y...
Camille a été ignorée méprisée enfermée de son vivant... ne laissez pas les maîtres de l'inculture généralisée et les nécrophages s'emparer d'elle après sa mort... Allez-y cette oeuvre est à vous !

Sakountala ou l'abandon... suite...
      Certainement elle est une naine et ils sont des géants mais elle possède ce qu’ils ne peuvent concevoir… Le mouvement sans fin de la flamme vivante qui se poursuit bien au-delà du feu… Alors quand il lui faut rester immobile elle couve sous la cendre… Jamais non jamais elle ne cesse de se mesurer à la trajectoire du monde… Certainement elle est une naine et ils sont des géants…

 

      Petite âme du feu… crois-tu qu’elle pourrait t’oublier ? C’est elle qui t’a donné ta grandeur et ta légèreté… C’est elle qui les a empêchés de te voler aussi ton nom… C’est elle qui t’a ouvert la porte de ses forêts d’où tu n’es plus revenue… Bavarde… bavarde tu ne cessais pas de causer avec les feuilles des arbres…
      Il ne te reste que tes yeux dans la neige rouge de l’asile… Tu savais que je ne te laisserais pas avoir froid… Je devine qu’ils t’ont retiré la fourrure noire de la louve qui te protégeait de leurs mains glacées… Même si elle est plus libre que le courant d’air entre nos bouches crois-tu qu’elle pourrait t’oublier ?
      Folle tu m’attendais ?
      La première fois… j’avais poussé la porte de l’atelier peu avant… Ça neigeait bleu de la verrière sur toi… C’était pour allumer le poêle… Le feu ça me connaît ! Le gros poêle debout comme le sentinelle de la forêt te mate à l’instant où tu fais glisser tes bas… Bleu le crissement de la neige le long de tes chevilles nues… Moi… je n’osais pas poser les bûches… Moi… faire un peu de bruit… Tu as levé la tête à cause de l’odeur de mousse qui te chatouillait…
      C’était moi… J’avais l’odeur mouillée dans mes cheveux… L’odeur de l’argile et des feuilles endormies… Doucement elles s’emmêlent à mes mains qui montent la garde sur elles… Sous la fourrure noire de la louve tu étais nue comme tes chevilles bleues… Et il n’y avait que moi qui le savais…
      Un jour j’ai dit en froissant le papier et en brisant les coques de noix pendant que tu reniflais l’odeur par la porte entrebâillée… l’odeur du feu… j’ai dit :
      - Je voudrais que tu te déshabilles rien que pour moi…
      Tu as regardé mes mains dans le feu qui léchait tes chevilles de douceur… Le feu ça me connaît…
      - Rien que pour toi ?…
      J’ai eu soudain très envie de te demander si tu te souvenais du nom de cette sculpture… Celle que tu avais commencée avec la boue rouge de Villeneuve sans le savoir lorsque tu étais encore une fillette bagarreuse… Mais l’odeur du plâtre humide de la cave m’a séché la langue… Il était temps que je rentre…      Je ne peux pas regarder ta beauté en face… Ma difformité me l’interdit… Et pourtant sous la fourrure noire il y a ce corps qu’il a massacré… Ce corps que je dois couvrir de mon regard rouquin afin de le reprendre et de le rendre à la trajectoire légère de la lumière et des incendies de paille…
      J’ai eu soudain très envie de te demander si tu te souvenais de tes cavales dans la forêt aux arbres sorciers qui poussent leurs doigts racines à l’intérieur du sable… Si tu te souvenais de moi…
      Aux murs de ton atelier le papier qui pend telles des écorces fraîches… Les fêtes que tu donnes sont des festins d’épouvante pour les petits messieurs qui craignent la poussière… Lorsqu’il sera temps tes amis ne te reconnaîtront pas… Toi aussi tu leur offriras un repas de pierres à chacun… Et chacun leur tour ils t’abandonneront à l’aube froide de lait caillé…
      Folle tu m’attendais ?
      Tu as levé la tête… Et c’était moi… Tu as reniflé l’odeur juste avant le feu… L’odeur des pommes de pin poisseuses dans mes mains qui craquaient au milieu des braises…
      Les couteaux bleus de tes yeux ont touché mes mains comme pour se tremper dedans… Tu as dit avec un air de petite fille gourmande et enchantée :
      - Oh oui… du feu… c’est bon le feu…
      Et tu as commencé à entrouvrir la fourrure noire sur tes seins roux où des taches de lumière se posaient flocons de neige…
      Moi… je n’osais pas refermer la porte du poêle… Moi… goûter la douceur cruelle et laiteuse de tes seins sous le battement de mes cils…
      Dehors au pied du réverbère la fille a remonté sa robe de jersey rouge en haut de ses cuisses tel un signal sanglant… Elle est un fanal qui ouvre le port autour duquel ils tournent aveugles et obstinés… Elle incendie son petit rectangle de trottoir… Elle est une mèche d’amadou brusquement attisée par le vent… A côté d’elle une portière claque semblable à une gifle attendue… Le geste de la main qu’il fait va saisir quelque chose resté en suspens à hauteur de son visage où le rimmel a dessiné une ombre…
      Il ne regarde pas ses yeux au moment où elle fait signe de la tête pour dire non… Durant quelques secondes il est à l’affût… Les doigts tendus vont saisir ce qu’elle doit forcément lui donner… Alors soudain dans un mouvement familier il lui attrape le poignet et appuie de sa main gauche le mégot incandescent à côté des cicatrices anciennes…
      La flamme de ton sexe ocre frissonnait sous la neige bleue de la verrière… Grimpante… ta dégaine de louve et les vrilles du chèvrefeuille qui me recouvrent malgré moi…
      Petite âme du feu… je ne sais déjà plus qui je suis… Il est temps que je ferme la porte du poêle… Il est temps que je retourne au fond de ma cave m’endormir en boule au creux des écorces et des fougères… Demain je reviendrai à l’aube de lait caillé et nous commencerons ensemble à nous souvenir de cette légende indienne dont le nom me brûle les lèvres… Et nous nous enduirons en riant de la boue rouge et noire de Villeneuve où nous nous cacherons du vieux bouc qui ne pourra nous reconnaître…
      Dans les gestes du feu les femmes se retrouvent… Dans la flamme qui habite le cœur de la lampe… Dans l’âtre qui habite le cœur de la maison… Les femmes vont de l’une à l’autre… On ne les nomme pas gardiennes de la lumière ou de la chaleur craquante des fours à pain… On ne les nomme pas… Elles appartiennent à l’innommable murmure des poêles et des lampes comme le regard appartient aux yeux…

 A suivre... 
Partager cet article
Repost0
7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 11:47

Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvage

           De l'autre côté de nos liens infernaux suite...       Et comment pourrait-on imaginer monter vers un quelconque paradis en gravissant des piles de corps morts et défigurés ? “ … ma mère ne s'est jamais rendu compte de la quantité d'éléments mortels empilés dans la Ville. ” “ … cette Ville qui était nombreusement nommée, comme le sont les divines Villes dont on récite les attributs, pour moi c'est l'Enfer… ( … ) semblant être la vie même, alors qu'en réalité selon moi elle était guerre sur guerre… On pense bien sûr aux charniers juifs ou aux mille deux cent morts de la petite bourgade de Toudja en Kabylie durant la guerre d'Algérie, par exemple.
      Qu'y a-t-il de pire que de se condamner, de se damner à voir d'en haut ce qui Est sa propre plaie ? Comment sauver le corps aimant de ce carnage ? En ce sens Aïcha ne pourrait‑elle pas être tout le contraire de ce qu'est Fips ? La jouissance du corps autorisée au travers du corps de “ l'autre ” ?
      “ Entrer dans la maison charnelle d'Aïcha ”, ce n'est peut-être pas seulement “ entrer ” pour renaître mais aussi “ descendre ” ? Ne plus voir d'un peu au-dessus, comme sur le Vélo ce qui se passe dans le “ par-terre ”. Mettre pied-à-terre. S'enraciner.
      Et justement, Aïcha la représentation de la Mère, ne peut-elle aussi être regardée comme image symbolique de la Déesse Mère originelle, figure solaire et lunaire à la fois ? Présence matriarcale généreuse et abondante. Alma matrix.

H.C
.: Aïcha est quelqu'un de très particulier. Elle a figuré le maternel pour moi parce qu'elle était une très belle femme en premier lieu, et ensuite parce qu'elle était tout le temps enceinte. Lorsqu'elle ne pouvait plus travailler, une de ses filles prenait le relais. C'était comme si le corps d'Aïcha était là tout le temps. Aïcha qui avait peut-être appartenu à la tribu des Ouled Naïl était quelqu'un que je n'ai jamais vu humiliée ou offensée. Elle était tellement rayonnante charnellement que c'était cela qui dominait. 
Je pensais toujours qu'elle n'était pas domestique. Je la vivais comme une sorte d'entité très archaïque et que j'aimais moi aussi de manière archaïque. Elle avait bien sûr une autre vie que j'ai toujours désirée, mais à laquelle je n'ai jamais eu accès. Le jour où j'ai appris épouvantée que son prénom n'était pas Aïcha en fait, j'ai vu là l'image de l'aliénation dans laquelle nous étions. Elle n'a jamais osé dire: “ mais je ne m'appelle pas Aïcha ”. Et nous étions sans soupçons car le nom contre lequel nous nous gardions était Fatma qu'utilisaient les Européens à l'égard des Algériennes.
C'était une personne qui avait un charme fou. 
     
      Mais le mensonge change le corps aimé par la Déesse Mère en corps trahi par le Dieu Père. Le message reçu à la naissance est promesse de vie soudain muée dans le sang en cycles de mort. Ce sont “ les Treize coups de fouet d'Aïcha ” - mère terre promise - Aïcha qui est justement celle qui dispense le lait de ce Paradis perdu, sur le dos de Fips, fils père perdu, père-dû dans lequel perdure la cruauté des crimes et des esclavages.

H.C.:
Cette scène avec Fips était terrifiante. Nous étions tous dans un état de transe. Elle a accompli le geste de secours le plus immédiat. Le malheur c'est qu'après coup on ait toujours attaché Fips car il était devenu dangereux.
     
      “ Mais là-dessus m'arrive Aïcha lente crémeuse une jatte de lait sur le point de bouillir qui ne déborde pas remue de l'intérieur des épaisseurs désirables une gélatine enivrante à contempler pour son légérissime frémissement.

       Dans “ … il n'y a pas de femme chez nous… ” peut-on entendre: il n'y a pas d'accueil ou de plénitude, pas de corps ouvert pour recevoir et pour donner ? Aïcha ne vous semble‑t‑elle pas tellement femme et tellement vraie parce qu'elle se situe “ avant ” la formulation historique-politique-virile guerrière de penser l'autre, la vie, le monde ? Une figure primordiale qui tisserait du lien-amour-vie et non du lien-violence-mort.
      Une relation au monde qui passerait par le sentir et le ressentir et non plus par l'abstraction du sens. “ … d'ailleurs vivre était ma façon de penser et la peau était le livre. ”
      Et lorsque vous évoquez la confusion entre le masculin et le féminin ou encore une fois, “ l'inversion ” des rôles par votre mère avec le cadeau du vélo de femme à votre frère, ne pensez-vous pas que de faire prendre la place du féminin par le masculin est le désir général des mères ? C'est à dire de lui faire occuper les deux places. Ou toute la place ?
      Pour ce faire elles “ économisent ” du masculin et dé-pensent du féminin ?
      Pour reprendre ce que vous dites concernant Le Vélo  … et d'autant plus viril à la fin qu'il était féminin au commencement. ” Ne peut-on largement déborder l'histoire du Vélo et de l'Algérie pour rejoindre l'universel ? Le monde serait “ d'autant plus viril à la fin qu'il était féminin au commencement ”. Car qui a exprimé son désir de s'approprier la connaissance interdite au départ si ce n'est la femme ?

H.C
.: Sur ce point je dois vous reprendre mais uniquement par rapport au référent. J'accepte tout à fait ce que vous dites de l'inversion du féminin masculin comme piste d'interprétation. Mais il faut savoir que ma mère est un être neutre. Elle n'a donc jamais privilégié le masculin, justement. De ce point de vue-là elle est très germanique. Elle appartenait à une famille qui, en plus est une famille de femmes. Son propre père a été tué en 1915, comme soldat allemand. C'était les femmes qui portaient la famille, la nourrissaient.
C'est sa rationalité économique, à la mort de mon père, car nous étions pauvres, qui lui a fait acheter au bout de toutes ces années d'attente, un vélo de fille. Elle n'a même pas songé à castrer mon frère dans cette histoire puisque l'homme n'existait pas pour elle. Elle n'a pas vu du tout l'enjeu de la scène.  Elle vivait parmi ses sages-femmes et voilà. L'homme, on pouvait très bien s'en passer. Elle était complètement hors du symbolique. Elle était au delà de l'opposition masculin féminin.
     
      La complexité de votre “
couple ” avec votre frère ne réside-t-elle pas dans le fait qu'il ait volé votre désir d'aller vous mêler “ aux petizarabes ” grâce au Vélo ? Et qu'il y soit allé seul. “ Sans vous. Vous êtes une fois encore dans le “ sans ”.
      Ce vélo-volé n'a-t-il pas été pour vous le tournant du “ jeu ”, du “ je ” ? Puisque la scène du réel vous échappait, foncer sur la scène de l'irréel ? Inventer un univers faute de découvrir celui qui aurait dû être vôtre.
      En tant que femme et créatrice, l'Algérie ne peut-elle être votre intime obscur ? “ …ne‑pas-connaître l'Algérie c'est la connaître aussi. Le lien-de-lait avec Aïcha.

H.C.:
Pour mon frère qui lui, est un algérien, le côté masculin, viril et machiste comptait énormément. Il s'est emparé du vélo, alors que lorsque je suis sortie à quatorze ans, les petizarabes ne l'ont pas toléré. J'ai été mise par terre instantanément. J'ai renoncé au vélo pour privilégier mon voyage intérieur.
Mon frère ne m'a pas volé le vélo, c'était très clair entre nous. Cela a opéré une division d'orientation. J'ai pris la direction de la littérature, et lui celle de la terre, de la géographie et de l'exploration. Il est resté du côté de l'aventure et de la conquête. Il voulait la terre et moi je voulais le papier.
Et pourtant je désirais passionnément connaître l'Algérie. Mais nous ne disposions pas de moyens de transport. C'est seulement avant mon départ d'Algérie que j'ai découvert Tipaza parce que quelqu'un qui avait une voiture me l'a permis. Je pouvais atteindre ce qui était à la portée de mes pieds. Nous traversions Alger dans toutes les directions en permanence. Nous étions des explorateurs. Mais cela a ses limites. C'est mon frère qui a commencé à tout découvrir. Moi je suis partie sans avoir connu l'Algérie.
Mais on connaît de mille manières. Moi j'ai connu le corps des Algériens. Parce que ma mère m'a déléguée à la remplacer à l'âge de 14 ans dans les soins qu'elle donnait aux Algériens dans les bidonvilles. J'ai vraiment tout vu. J'ai vu, j'ai senti, j'ai touché. Hommes et femmes.
Lorsque j'ai vu l'Algérie, puisque ma mère y est restée jusqu'en 1971, ce n'était déjà plus chez moi.
 A suivre...

Partager cet article
Repost0
6 mai 2008 2 06 /05 /mai /2008 23:18

       Ma machine à écrire s’appelait Calamity Jane 4
                          Epinay, samedi, 22 mars 2008

“ le public ne retient d’un écrivain, ou de ses écrits, que ce dont il a besoin, et se moque du reste. or ce qu’il en retient lui est, la plupart du temps, le moins indispensable, alors que ce qu’il laisse filer lui ferait le plus grand bien. grâce à quoi, je peux, au demeurant, continuer à amuser la galerie sans me faire flinguer, car si tout le monde comprenait, ce serait la fin des créateurs, vu qu’on partagerait la même fosse à purin. tandis que j’ai la mienne, que vous avez chacun la vôtre, et qu’il va de soi que ma fosse est la plus immonde. ”
Charles Bukowski Journal d’un vieux dégueulasse Ed.Grasset, 2007
       Je vous disais en commençant la petite chronique précédente que j’avais besoin d’une phrase ou deux de Buko pour me jeter dans l’magma suintant sa salive de mousse verte de l’écriture… Ouais c’est ça… j’en ai besoin et c’n’est pas du tout un prétexte parc’que l’histoire de Calamity Jane même si c’est sûr que les autres créateurs en ont une toute pareille et pas ordinaire c’est la mienne celle du moment que j’essaie de vous dire en plongeant farfouiller la chose tellement intime et fascinante… le moment où on se balance sur le tapis roulant de l’écriture et ce qu’y a juste avant ce passage-là la terreur la folie l’ascenseur qui au lieu de monter capturer la lune descend descend descend dans les fonds souterrains les plus obscurs d’abîmes raouf ! raouf !… où grouille la présence obscène de la hideuse forme noire… la mort de ceux qu’on aime… de leur conscience de leur lucidité de leur peau douce à lécher la seule mort en fait la nôtre qui nous fait hurler à la lune comme un chien ouaouf ! ouaouf !…
      Faut vous dire qu’au départ j’n’avais pas l’intention de vous raconter ça mon p’tit gourbi béton buveur d’eau sa table basse et ses paperasses par terre tombées de je n’sais quel arbre maître de mes forêts mes feuilles mortes ma machine à écrire l’odeur bonne du café la lune toujours pleine Bonie la chienne braqueuse de jambons à l’os les paillassons les boîtes de pub et nos déambulations d’papillons nocturnes et le reste… Non ! Eplucher mâchonner bavouiller les bouts d’pain qui m’ont nourrie à cette époque de ma faim féroce d’une fuite encore plus douloureuse que celle déjà pas mal de 20 piges accumulées dans mon corps termitière d’Afrique et au bout d’mes paluches pailletées d’ocres d’outremer de vermillon de terres… mes 20 piges de barbouille pour rien et la suite… leur faire faire la putain au pied d’ma petite lampe réverbère et les montrer les exhiber leur chair fraîche et mouillée sur des trottoirs de papier blafard c’est un truc vraiment dégueulasse alors !…
      Moi j’pensais qu’avec les livres ceux qu’on sue de joie et de p’tites pépites nacrées à écrire pour qu’ils soient lus enfin qu’ils soient sucés par les iris de ceux qui ont envie de ces prairies-là de minuscules instants que tout l’monde a oubliés on était débarrassé définitif de notre passion d’aboyer par ci d’aboyer par là ouaouf ! ouaouf !… au moins pour un morceau suffisant du temps et qu’on pouvait roupiller un peu ouf !… loin de la lune pleine et des feuilles d’arbres tombées…
      Ecrire sur sa family life ses petites affaires sordides ses vieux sublimes graves qu’il faut planter là pour enfin sortir la tête du pataquès tellement pourrave qu’il nous a menés direct jusqu’aux portes d’enfer des asiles d’aliénés ça me paraissait pire que de déballer les déchets d’mes poubelles que je partage avec les jeunes rats au museau rose fendu devant une foule de lascars qui a rien demandé… Et puis y a eu Céline et son Passage Choiseul y a eu Hank et son Journal d’un vieux dégueulasse et de les lire alors ça m’a fait le grand chambardement de la compréhension…
      Cette chose vous vous souvenez ? cette chose dont je vous ai causé qui était trop grande pour moi qui m’écrasait et que je voulais tant… tant quand j’avais six berges et que j’errais au bord du petit val je l’avais trouvée là posée comme un caillou rond et doux sur mon chemin elle était proche de moi je pouvais la ramasser la prendre la toucher c’était plus interdit ça n’me ferait pas mal…
      En lisant Céline et Hank je me disais ce qui était impensable je me disais moi aussi… et comme ils m’ouvraient la porte d’une souffrance la leur qu’on n’peut pas imaginer et qui nous embarque au milieu des fous au milieu de la bave incandescente du désarroi je me suis mise à vous parler de Calamity Jane pour que vous sachiez que l’écriture la création ce sont juste des cailloux blancs et ronds posés sur notre chemin pas plus pas moins…

      Donc je vous disais que pour fuir cette peur géante qui me verglaçait de sueur et qui avait pas de nom la chienne Bonie et moi on se ruait enfonçait perdait au creux des rues et des boulevards de la Babylone nocturne et que cette débandade insensée sans fin allait machiner les rencontres feu follet qui nous feraient ressortir des catacombes où toutes nos morts scintillaient et nous aveuglaient et où on était pour l’instant larguées total…
      L'odeur moisie de mes fringues champignonées à mort joutait contre celle de l’encre du papier de la cire des bougies et où la lampe veillait penchée au-dessus de mes feuillets bouchonnés et de Calamity Jane elle m’attendait comme une boule de feu planquée à l’intérieur d’un cocktail Molotov…
      La monstrueuse forme noire avait pris un double visage sous le masque de la night que je n’savais pas et qui me faisait courir courir les lèvres mangées de mousse verte elle était à mes trousses je la sentais et Bonie la chienne la sentait pareil elle se retournait dans sa course stoppait radical aboyait en furie de hurlements… ouaouf ! ouaouf ! ouaouf !…
      Oui… elle avait le double visage de mon père qui s’était cassé d’la vie y a cinq piges de ça en me laissant dans le caddie un tas d’bazar d’enfance souffrance dont je me serais passée gentil et son masque maquillé blanc figé sous le givre en planquait un autre plus cruel plus envoûtant plus charogne mais que je ne voyais pas éblouie par la lumière indécente du Sud que j’étais et par le rayonnement luciole des citronniers tout en haut des terrasses et des petits jardins blancs d’Alger où je rêvais toutes les nuits que je courais dans les rues d’une autre Babylone…Pour celles et ceux qui ont l’envie de voir comment ça se fabrique réel l’écriture vous pouvez aller faire un tour du côté des fragments du récit “ Sous la peau des citrons ” qui sont aussi sur notre blog pas loin d’ici… alors vous comprendrez…
      Le masque c’était celui d’un écrivain algérien que je venais de rencontrer dans une librairie arabe au bord du fleuve enfin presque et que tout le monde connaît où il marnait esclave après avoir fichu le camp de son pays malade de la peste encore une autre mais qui a les mêmes maniganceurs vous savez ? et il avait pris pour moi peu à peu le faciès hilare et fou de Caligula… je vous raconterai…
      La monstrueuse la méduse et ses blacks corbacs qui avaient cerné Vincent juste avant qu’il se tire une balle dans le ventre ils tournaient autour de nous la chienne Bonie et moi dans nos cavales sur les chemins familiers que j’empruntais le jour en compagnie de Caligula quand il délaissait sa librairie et je n’le savais pas… Mais l’instinct de la vie chaude qui me venait probable des êtres qui m’aimaient les créatures souvent animales et un peu humaines qui me protégeaient de leur bonté simple et de leur petite farouche de lampe allumée notre fanal d’insomnie au creux de la géante Babylone nocturne me poussait roulait déboulait direction les quartiers où ma jeunesse avait croisé celles des garçons blacks ivres de musique et de Blues du côté de la rue de l’Ouest…
      C’est une de ces nuits alors que la neige s’était mise à tomber on n’s’y attendait pas on avait aucun abri à proximité elle nous sucrait les babines et même si notre peau avait la chaleur des grandes lessives bouillonnant dans les baquets bleus où la vie clapote monte déborde même si on était dans toutes nos extrémités avec la ville petite putain complice sous nos pattes j’étais en train de me dire que ça serait bien de s’arrêter quelque part où personne ne pourrait nous mettre la main dessus vu qu’on était des fantômes déjà à moitié sapées de poudre blanche…
      Ouais ça serait bien de se dégotter une sorte de troquet comme y’en a que dans les ports à Saint-Malo j’en ai débusqué des comme ça bien plus tard bourrés de types qui sont revenus et qui sentent le phoque et le sel et qui ne causent pas la gueule pétée d’étoiles à Amsterdam aussi et dedans c’était des femmes qui ont tout donné leur chair rouge flasque et généreuse moulée dans des nylons blacks comme de très vieux oiseaux migrateurs… les ports du Nord j’les connais j’y ai traîné dans les années 70 c’est loin à l’époque on pouvait tout… Hambourg Rotterdam Anvers un troquet avec un poêle où je ferais fondre mes fringues gelées et je chaufferais un peu mes arpions en même temps je m’avalerais un p’tit noir pendant que Bonie la chienne fumerait de sa houppelande collée de boue et d’odeurs des caniveaux… ça nous ferait une pause ça serait pas mal…
       Rue de l’Ouest dans les sixties y avait des squatts des musiciens fous ivres de musique d’Afrika et de poudrerie… des cinoches trop vieux des impasses où des ateliers d’artistes crevaient leurs murs délabrés sur des jardins plein de statues de chats d’arbres centenaires… maintenant y’a plus rien y’a la night sur macadam black et c’est tout…       Just on est tombé dessus sa tâche de lumière jaune lavée qui s’étalait en plein tourbillons de flocons frais que la chienne Bonie qui a toujours jamais rien compris aux phénomènes naturels poursuivait bondissait sautait en claquant des babines ouaouf ! ouaouf ! ouaouf ! elle croyait à une conspiration de tous les diables contre elle Bonie elle était tout en pattes et en gueule en estomac et en débordements mais son cerveau il suivait pas… on y pouvait rien personne lui en voulait…
      C’était un bistrot de revenants comme il nous fallait et j’ai pas su le retrouver quand j’y suis allée dans c’coin-là des jours des années après mais cette nuit précisément on n’pouvait pas tomber mieux il avait l’allure qui convenait à notre folie… Il s’appelait “ A la lanterne ” et toute la boutique à l’extérieur était peinte couleur de sang vif qui lui donnait au cœur de la night et de son déshabillé nylon noir un goût d’orgie sous le falot qui se balançait au-dessus de la porte et j’vous jure que c’était une vraie lampe tempête hallucinée qui faisait de la gargote un repère de pirates et de jacobins où on serait en bonne compagnie ma frangine Bonie et moi…
      Pour voir c’qui se tramait à l’intérieur du gourbi y’avait qu’à rentrer c’était enfumé comme les forges de Satan là-dedans et fallait écarter une sorte de brouillard rouquin qui jaillissait de la pelure de tous les entassés dans les coins sur les tables de tous les vautrés seuls ou les uns contre les autres et de la machine à café pour finir qui pompait comme une loco à vapeur…
      Sûr qu’on était pas loin du tripot de Céline à Londres et c’est drôle parc’que vu ce qu’on fuyait on aurait eu des raisons de se méfier des lieux où le sang bouillonne et cuit plein ses grandes marmites mais on l’a senti de suite ceux qui avaient comme nous poussé la porte du bistrot “ A la lanterne ” étaient des marins égarés qui avaient basculé par-dessus bord un jour de gros temps et on s’était ramenés là envoûtés aspirés par des traces qu’on a pas vues qui mangeaient les semelles de nos pompes les lâchaient plus… Probable que Bonie la chienne elle avait senti les relents les sueurs fades des autres ouistitis qui s’arrachaient l’un et puis l’autre à l’atmosphère de brûlot et de gros rouge chauffé de la gargote avant que la bave rose de l’aube guillotine leur dégueule dessus…
      D’ailleurs faut que je vous dise qu’à peine poussé la porte pendant que je restais agrafée au linoléum grenade écrasée autour de mes baskets qui leur giclait dessus et que j’écarquillais mes yeux gavés d’embruns aux odeurs de patate douce Bonie la traqueuse de jambons à l’os m’avait plantée là je n’l’avais plus vue on aurait dit que sa peau et ses poils ocres tout hérissés s’étaient dissous écartelés bouillis et que ses os mêmes avaient tourné gélatine à l’intérieur de la purée rousse… j’entendais rien que ses aboiements joyeux l’horrible ce qu’elle allait encore manigancer piller ripailler… ouaouf ! ouaouf ! ouaouf ! je m’attendais pas… ça serait le pire forcé elle m’avait habituée… bientôt 20 piges que je fricotais dans ses malfaisances…
      C’était une engeance du diable une bestiole satanique et l’imposture qui la faisait invisible je la soupçonnais arc-en-ciel juste pour les yeux Bonie elle était la soustraction des couleurs mais son odeur elle me restait on me reniflait de très loin à l’autre bout des rues avant que j’approche c’était cuit mes fringues elles en étaient embaumées joli… Si on rajoute les relents moisis de mon gourbi béton qui m’envasaient lents mes berges je cumulais sur moi le maximum d’accointances avec une Babylone engloutie ma petite ville d’Is et ça me rendait bien des services pour écumer les solitudes vertes de l’écriture… ouaouf ! ouaouf !…
      Bon mais avant de vous raconter mon histoire avec le bistro de la lanterne et ses revenants tous revenus d’une histoire d’un monde d’une vie qui les a crachés là à marée descendante comme des vieux coquillages trop ringards pour pouvoir encore faire partie de la mouvante houle de ceux qui composent ce qu’on appelle une société faut quand même que je vous continue un peu les aventures de Calamity Jane sinon vous n’comprendrez pas… Oh ! pas beaucoup deux trois mots ayez pas peur… Calamity Jane avec elle c’est simple en tapant de deux doigts sur son clavier ta ta ta ta ta !… et Hop !… en sautant par-dessus le “ e ”…       Faut vous dire que si un jour j’ai décidé de faire rentrer une machine à écrire à l’intérieur de notre gourbi où la table basse les tapis de brins de tissus outremer orange et vert noués les feuilles de papier jetées ci et là la petite lampe familière la cafetière toujours à moitié pleine les étagères bourrées de bouquins Bonie la chienne lunatique et moi on moisissait gentil avec la complicité du béton qui buvait l’eau des égouts c’est d’abord pas que je vous mente et que je vous fasse le coup de l’écrivaine qui n’s’y retrouve plus au milieu de sa géante pile de feuillets noircis son récit unique trop extra même pas publié encore qu’il est… non… Calamity Jane c’était d’abord pour écrire mes piges dans les quelques revues qui voulaient bien de nous et qui nous nourrissaient… à l’époque on n’était pas exigeantes… faut vous dire aussi qu’on revenait de loin comme les passants du bistro “ A la lanterne ” je vous raconterai…
      Ça en fait des choses et je n’sais pas si ça vaut vraiment la peine que je vous fasse entrer dans mon atmosphère d’aquarium de ce temps et là-dedans un canal entier s’était arrêté formidable main on était pas à l’étroit vu qu’on débordait comme on voulait comme je vous ai raconté notre folie la chienne Bonie et moi avec Calamity Jane qui bullait aussi en bonne compagnie ça va de soi…
      Je vous ai dit au départ qu’avant d’avoir lu Céline et Buko jamais j’ai eu dans l’idée de faire de l’écriture avec mes p’tites histoires et les carambouilles d’aventures où je me suis fourrée pour enchanter ma vie de fleurs de grenadiers fabuleuses eh bien pour c’qui est de l’incroyable existence de Calamity Jane c’est pareil… Oui… j’avais comme qui dirait toujours eu bien du mal à payer mon terme ça n’vous dit rien ? vu que le seul métier que j’ai pratiqué pour de vrai et là j’ai usé mes paumes sur des pains de terre ronde saignante avec de minuscules grumeaux de pierre aigus qui rentraient dedans je vous raconterai ça aussi la céramique c’est un métier mais j’n’ai jamais pu me faire payer pour les pots les assiettes les bols qui sortaient de mes mains ça n’vous dit rien…
      Alors après les années passées à enfourcher la mobylette la bleue pour faire le coursier vous vous souvenez ? je m’suis rappelé bêtement qu’à l’école celle du tableau noir et du chiffon mouillé j’étais bonne en rédaction et rédiger des notes de lecture pour des magazines des revues ça ne me posait pas de problème… L’écriture j’me rendais pas compte j’avais pas arrêté depuis mon enfance barre de chocolat noire moisie et morceau de baguette du goûter à la pension de m’enfoncer dedans et d’y prendre la fuite c’était mon issue de secours mon refuge ma trace de lumière brillante ma déchirure désespoir mon ange de joie ma foudre apprivoisée…
      J’écrivais sur tout sur rien à l’envers du sommeil et des brins d’herbe dans la marge des cahiers de compte de la sœur économe entre les lignes des livres et aussi pour exaspérer les maîtres… j’écrivais et je croyais que tout le monde en faisait autant… J’écrivais et je dessinais comme font les êtres simples et les enfants parc’que c’est le seul territoire où personne ne peut venir te faire du mal une radieuse solitude… Comment j’aurais survécu à la cruauté du monde si j’n’avais pas eu ça ?
      J’écrivais pas pour raconter des choses juste pour aboyer ouaouf ! ouaouf ! ouaouf ! je vous l’ai dit pour aboyer hurler gémir fiche le camp très loin au plus loin de l’enfance où on est broyé par ce qui vient des autres… Ouais j’ai jamais désiré que d’apprendre à aboyer… ouaouf ! ouaouf !
      Alors Calamity Jane les fiches de lecture Clic-clac ! clic- clac !… en sautant par‑dessus la lettre “ e ” Hop !… c’était facile… j’ai poussé la porte d’une librairie arabe dans une rue du 5ème peu importe le nom parce que j’avais rien à perdre et que l’Orient c’est une de mes traces d’enfance banlieue vous savez… retrouver Auber notre sixième et mes p’tits frangins d’Algérie… et j’ai pris en pleine figure des iris noirs qui m’ont définitif crevé le cœur et je me suis perdue au fond tout au fond de ma folie… ouaouf ! ouaouf !
      Alors Calamity Jane Clic-clac ! clic-clac !… en même temps que la première fiche de lecture sur le livre d’un écrivain d’Algérie que j’aime bien on se connaît de loin on se renifle au milieu de l’odeur des citronniers j’ai expédié à une revue qui démarrait que j’avais dénichée dans le rayon Maghreb de la Fnac c’était ma bibliothèque favorite par une jolie coïncidence poétique les premières pages de mon premier conte qui s’appelait Par la queue des diables ouaouf ! ouaouf !… A suivre... 
Partager cet article
Repost0
5 mai 2008 1 05 /05 /mai /2008 23:38

En miettes…
Epinay, dimanche, 4 mai 2008Leur seul jour de fête c’était le dimanche
La lumière était fraîche aux marronniers en fleurs
La lessive était faite aux arbres violette
Petits voiliers clairs qui voguent parmi les branches
Chemises et rubans gais chemins de couleurs
Musarde au bord du fleuve leur joie parfaite

Leur seul jour de fête c’était le dimanche
La guinguette était peinte de rouge et de vert
Le petit vin léger leur montait à la tête
Paumes larges leurs mains étaient douces aux hanches
Prairies les jupes vont coquelicots ouverts
Tournent leurs rondes que la nuit bleue arrête

Leur seul jour de fête c’était le dimanche
Le train était terminus en pleine nature
La chevelure rousse ou brune enfin défaite
Petit clapotis des barques contre les planches
Les pieds volent comme moineaux dans les ramures
Se saoulent leur corps las de langueurs secrètes

Leur seul jour de fête c’était le dimanche
Les taches de soleil riaient aux balançoires
Les bouquets de coucous neigeaient de pâquerettes
Glissées dans les pains ronds taillés en grosses tranches
Petites fritures qu’on pêche jusqu’au soir
Etourdissent la mousse au lourd sommeil prête

Leur seul jour de fête c’était le dimanche
Aux mines aux fourneaux aux chantiers aux labours
Ils ont tanné leur peau comme la peau des bêtes
Leur foyer était pauvre leur âme était franche
Solidaires le temps mort du compte à rebours
D’un monde généreux guinche dans leurs têtes

Leur seul jour de fête c’était le dimanche
Aux enfants que nous sommes poètes rêveurs
Baladins voyageurs flânant aux vents sans quêtes
Ils ont donné le goût d’une heureuse revanche
Dans les draps du printemps nous dormons de bon cœur
Ravis d’avoir mis pour eux le travail en miettes
Que chaque jour s’enchante aux parfums de nos fêtes.

Partager cet article
Repost0
2 mai 2008 5 02 /05 /mai /2008 12:23

                              Ma frangine sanguine
                                           Paris, 21 août 1997        Ecoute… écoute… je voudrais te raconter une histoire…
      C'est un soir d'été très chaud dans Paris quand tu ne pars pas en vacances avec dans le fond un gros point rouge qui dure longtemps et qui éclabousse les dents des tours qui mordent dedans un gentil soir malgré ses senteurs passantes… Pelure d'oranges canettes et mégots qui se baladent autant dire qu'en dehors des beaux quartiers ça pue un peu un peu énormément même… Avec un copain qui n'a pas plus que moi de poudre d'escampette dans son sac à cette époque où tout le monde se retire des affaires sauf quelques bandes de rats d'égout obstinés on sort d'un petit boui-boui marocain bien sympath… C'est sur les boulevards là où il y a le grand cimetière des macchabées pas ordinaires enfin juste à côté pour ceux qui connaissent un lieu tranquille par nature…
      Trois filles qui réussissent une bouffe raffinée locale et des thés à la menthe comme en Arabie pas besoin d'y aller… Comme je fais toujours quand je traîne dans les quartiers plein de gens j'ai pris le dictaphone pour le cas d'une rencontre on commence par causer comme ça et puis après au fil des aiguilles ça remplit toute la bobinette… C'est ça qui me botte moi la conversation de hasard où s'étale sans en avoir l'air la confiture des histoires que les gens qui ne partent pas ont à revendre c'est chouette c'est la vie faut rien en perdre…
      Donc on reprend le chemin du retour vers Ménilmontant à vrai dire lentement parce qu'il y a comme de l'étouffement dans l'air des vapeurs sournoises entre poubelles et essence on a beau avoir l'habitude ça porte un peu au cœur quand même… Pour vous situer très exactement on remontait la rue des Amandiers tout ce qu'il y a de plus brave comme quartier pas bourgeois ni mesquin pour deux sous des gens comme nous quoi… A cette heure-ci de l'été presque dix heures des boutiques d'épiciers arabes qui fermeront pas de si tôt des chiens qui trimballent leur maître des mômes qui massacrent des ballons de caoutchouc ratatinés et des boîtes de conserves calme paisible y a pas à se plaindre…
      Un ou deux types nous matent assis au pied des marches d'un foyer d'émigrés ou adossés au mur le clope qui fait le tour et l'air pas là du tout… Comme je les comprends… Déjà pour nous c'est dur alors… Y en a qui sont allongés sur une sorte de truc ni jaune ni vert qu'on appelle de l'herbe je crois dans les piaules c'est sûrement pas tenable il rentreront quand il fera tout à fait nuit comme nous…
      On a à peine dépassé l'épicerie arabe “ Aux nuits de Shahrazad ” et un immeuble qu'on a même pas remarqué quand on entend un bruit sec comme une porte qui claque normal… Aucune raison que ça éveille un soupçon d'inquiétude ou d'intérêt après tout de suite on devine une cavalcade de pieds dans des escaliers très distinctement une fuite avec des coups et un peu des cris peut-être… C'est la curiosité et l'esprit fouineur qui nous fait arrêter d'un coup notre digestion bien pépère… On retourne quelques mètres et on prend presque sur nous une fille qui vient de rater au moins trois marches en descendant une sorte de tire-bouchon plus sombre que le désespoir… Pas le temps de vérifier que c'est un immeuble assez vieux comme il y en a plein dans le coin avec des petites piaules à l'étage et des valises partout empilées… Elle se tire en courant sur ses escarpins qui se tordent on ne voit pas son visage mais elle a l'air d'une jeune gamine pas plus de vingt ans en vérité…
      Y a une détresse dans tout son corps pourtant drôlement agile et souple avec des bonds jolis mais c'est pas le moment de s'extasier… Elle trébuche sur rien seulement dans ses pieds comme si le diable était à ses trousses bien sûr de fait y a quelqu'un derrière qui nous tombe lourdement sur les arpions sans nous remarquer tellement il a la colère… Moi jamais tentée par les coups et les vacheries je pense qu'il faut attendre d'avoir des informations plus amples ça ne va certainement pas être long à venir…
      - Sale putain !… je vais t'apprendre !… tu es qu'une salope… ma sœur est une putain!… une putain !      Elle a une jupe pas très courte noire à peine moulante mi-cuisses et des collants en plus cette chaleur mettre des collants c'est courageux ! Un sweet noir aussi plutôt vaste avec des paillettes mauves bleues indigo vertes luciole, et ses longs cheveux qui se mélangent henné et ambre crépus pas trop… Elle est vachement belle ! Je m'y connais en femmes depuis le temps que j'arpente Paris et ailleurs aussi et que je les regarde j'en ai pas vu tant que ça avec de la classe comme elle dans cette panique… Elle trébuche parce qu'il la harcèle comme un fou mais autrement elle volerait c'est réel j'invente rien… Elle se sauve puisqu'il y a rien d'autre à faire. Il est demi-hystérique mais elle a pas peur… je suis sûre qu'elle n'a pas peur… Pas honte non plus Rien elle est de l'autre côté de tout ça…
       - Non… c'est pas vrai… on a rien fait de mal… on discutait c'est tout…
      C'est raide comme aventure pour un gentil soir d'été j'ai la bouche sèche comme du sable et de la sueur qui mouille mon tee-shirt dans le dos… S'il la touche je lui plonge dessus je vais pas la laisser seule et fragile à mort… Sûrement pas… Sur le trottoir on est deux au moins deux filles parce que les autres ça compte pas…
      En tout cas c'est ce que je me dis à l'intérieur de mon estomac qui fait la boule… Moi qui sais pas me battre ça va être intéressant d'une baffe il m'enverrait faire l'oiseau dans le caniveau… Bon on en est pas là elle tente de lui faire face brusquement arrête son mouvement vers l'échancrure des boulevards si proches… Il y a des tas de mecs sur les boulevards… Elle serre son sac à main contre elle c'est son bouclier dedans il y a tout ce qu'elle ne veut pas perdre je sais j'imagine bien ce qu'y a dedans… Des photos de sa mère de son père au bled un autre été de toute la famille et surtout les plus petits et puis peut-être y a une autre photo aussi… son livre préféré avec des cartes postales que lui ont envoyé ses copines des bâtons de bleu indigo de vert luciole pour les cils parce qu'elle les veut plus longs de mauve pour les paupières de l'enfant qu'elle ne peut plus être et de rouge pour les lèvres aussi… Ma frangine sanguine…
      Farouche sauvage elle est comme Ophélie noyée dans leurs regards leurs milliers de regards d'eau sale mais elle ne se laissera pas tirer à aucun sort… Et triste parce que ça ne sert à rien pourtant elle veut lui répondre je vois son visage dans un éclair des lampes de la rue on vient de les allumer ça pétille drôlement c'est gai comme du champagne qu'on touille dans les guinguettes pour la fête de l'été… Sur le trottoir c'est pas du tout la fête… Elle a des yeux qui craquent de larmes mais elle pleure pas… Je vois parfaitement qu'elle pleure pas elle est sacrément courageuse son geste vers lui a duré une seconde ou deux pas plus…
      Lui il ne s'arrête pas il bondit sur le trottoir… Le trottoir devient un endroit malfaisant… Vite fait d'un trou sort un rat qui trouillard rentre aussitôt Sauve qui peut ! Lui se ramasse dans un vélo rouillé qui est appuyé à un panneau de sens interdit la rue ne manque pas d'accessoires toujours disponibles… Elle bouge pas… Heureusement qu'y a ce vélo sinon il lui tombait dessus il la massacrait sans doute… Qu'est-ce que j'en sais ? En fait je sais rien de ce qu'il ressent juste là pendant qu'il déchire la rue en hurlant… Ils l'entendent tous… Y a pas de doute ils sont au parfum maintenant c'est ça qu'il veut ? Et s'il aimait se faire du mal ?

      Lui le héros il a pas vingt cinq ans un môme qu'a grandi ici Jean délavé et baskets blanches avec le petit signe qu'on repère dessus un blouson d'une marque connue aussi comme les gamins branchés du côté de la Bastille ou du Châtelet… Il a mis toute sa paie dedans s'il bosse par miracle faut savoir que c'est vraiment un miracle de bosser ces temps-ci dans ces quartiers-là de cette ville très convenable et même dans tous les quartiers de toutes les villes c'est un miracle ça court pas les rues les miracles moins que les rats s'il bosse pas c'est sa vieille qui lui paie sans le dire à son vieux qui le sait et qui fait semblant…
      Je suis sûre que c'est un gamin plutôt gentil qui cherche pas les histoires il traîne sur les boulevards pour mater un peu avec ses copains et il s'occupe comme tout le monde qui n'a rien de particulier à faire… Il a pas la barbe de six mois ni les stigmates de la bêtise sur son museau pour ce que j'en distingue dans le champagne des lampes il a l'air gravement paumé sous son masque de redresseur d'erreur fatale de gardien de la virginité des sœurs des cousines des grands-mères est-ce que je sais… De qui il a endossé le costume par mégarde? Le vêtement lui va pas et il se prend les pieds dedans exprès sinon il l'aurait déjà rattrapée et frappée peut-être…
      - Putain!… vas à Vincennes… vas-y… T'étais assise sur son lit et tu faisais rien !… salope…
      Moi j'ose rien je sais pas m'en mêler j'ai peur qu'elle morfle des suites quand je serai plus sur les lieux pourtant je voudrais qu'elle sente qu'elle n'est pas seule qu'elle le sente si fort… Il balance un coup de pied vers elle et il la rate encore c'est la tragédie grecque mais y a pas le décor c'est pas grandiose pour un sou la rue avec les poubelles vertes en plastique et les collines d'oranges de l'épicerie arabe qui scintillent l'épicerie de Shahrazad et tous les vêtements du foyer mitoyen en train de sécher aux séchoirs des fenêtres…
      Ou bien c'est Venise sans les canaux et sans les soupirs y a personne qui meurt sur la scène y a pas de scène non plus simplement un trottoir qui résonne sous le claquement de ses talons qui marquent en passant le goudron tiède… Elle s'est plus retournée elle a pris la direction des Boulevards et elle s'est coulée dans la foule comme un lutin léger elle a disparu dans l'échancrure des pieds des mecs comme un oiseau…
      Derrière elle il restait nous et la rue des Amandiers qui monte en spirale vers Ménilmontant là où il y a encore des jardins avec des cerisiers l'été les amandiers ça sent rien mon copain tirait sur sa clope dans le moisi des escaliers du drame un point rouge cerise brûlant qui m'a fait penser à la lampe des théâtres… Le frangin est revenu mais on ne voyait pas ses yeux soudain il me faisait peur il a mis un grand coup de ses baskets avec le signe dessus dans la poubelle en plastique qui s'est renversée contre l'étalage des oranges de l'épicerie de Shahrazad il a mis un grand coup dans la carcasse du vélo et il a saisi le panneau à pleine mains et il l'a secoué en criant c'était de l'arabe je crois parce qu'on ne comprenait pas mais y avait pas besoin de comprendre y avait qu'a regarder les oranges se débiner dans le caniveau et l'égout et le néant en dessous de nos godasses en dessous de l'été de la rue des Amandiers où il y a un théâtre populaire parisien qui fait relâche comme tout le monde…
      On a tiré le rideau et on a emboîté le trottoir sans se consulter dans le sens où elle s'était enfuie on s'est retrouvés au milieu des pieds des mecs des odeurs et du bruit… A la terrasse du boui-boui marocain y avait juste une table vide au milieu des tajines qui sentaient trop bon pour la circonstance la boule de l'estomac a dit “ rien qu'un thé ” et on m'a obéit j'ai sorti le block notes et le plume noir de la sacoche du dictaphone en faisant tinter le plateau de cuivre avec mes ongles mon copain a grillé un paquet de cigarettes lentement…
      Les mots se débinaient comme les oranges dans le caniveau comme les rats comme les talons sur le trottoir… L'épicerie de Shahrazad venait de fermer… Un gamin épluchait une orange sanguine assis sur un bidon d'huile en fer blanc quand il a mordu dedans le jus a éclaté sur sa figure et il a passé sa langue le plus loin qu'il a pu le goût sucré de l'orange a duré aussi longtemps que la saveur amère de l'écriture… Lorsque j'ai tourné la tête ils étaient tous partis ailleurs c'était vraiment une nuit d'été muselée de silence à l'intérieur de la boutique des filles un petit point rouge brûlait comme un trou dans le cœur…
Partager cet article
Repost0
1 mai 2008 4 01 /05 /mai /2008 02:27

                 Sakountala l'abandon... suite...      Pourquoi est-ce qu’elle avait choisi ce vieux bouc ? Elle une fille solitaire qui ne ressemble à personne. Ses chaussures et ses bas à la main elle entre dans l’atelier alors qu’il ne fait pas encore jour. On aurait dit qu’elle avait peur de réveiller les masses d’argile qui la cernaient. Elle s’assoit les jambes repliées en face de la sculpture qu’elle a emmaillotée la veille et qu’elle vient de déballer. Elle penche la tête de façon à ne voir que le profil tranchant s’aiguiser sous la lueur de l’aube.

      Un jour j’avais poussé la porte de l’atelier un peu avant. Ça neigeait sombre de la verrière sur toi. C’était pour allumer le poêle… Le feu ça me connaît ! D’étonnement j’ai failli faire tomber tout le paquet de fagots sur la troupe de chats qui me fixait d’une seule prunelle. J’ai cru qu’une de ces créatures qu’ils modelaient avec passion avait pris chair soudain.
      Folle tu m’attendais ?

      La première fois que je t’ai vue tu portais la fourrure noire de la louve. Elle… un bras relevé au-dessus de son visage. Moue maussade. Un peuple de petits visages froissés qu’elle ne voulait montrer à personne. Ces créatures dormantes en dessous des paupières lourdes de sommeil. Ses songeries. Chacune grimée d’un instant. Une seconde qui résume toutes les autres. Grimées de blanc les facettes de son visage changeant. Il ne faut pas qu’ils sachent. Elle est seulement sculptrice. Surtout qu’ils ne devinent rien car ils la tueraient. Fardée de givre pour pas qu’on voie la marque qu’elle s’est appliquée à cacher. Depuis qu’elle le connaît elle est ici avant le jour.
      Petite âme du feu… dans ses mains elle pouvait tenir des braises sans se brûler. Si elle vivait au creux des forêts parmi des peuples sauvages elle aurait des pouvoirs de guérisseuse. Mais elle vit parmi des bourgeois maussades et sédentaires qu’elle dérange seulement par sa difformité. Il n’y a que chez les artistes ou les gueux ce qui est la même chose qu’elle peut obtenir un peu de reconnaissance. Petite âme du feu… elle scintille de leur passion et couve sous les cendres de leur impuissance.
      La première fois… j’avais poussé la porte de l’atelier un peu avant. Ça neigeait bleu de la verrière sur toi. C’était pour allumer le poêle. Le feu ça me connaît !

      Grimpante… Sa dégaine de louve qui sait se couler s’enlacer autour des vrilles du chèvrefeuille dont je me sens recouverte malgré moi. Moi… seule j’invente au coin de ses lèvres le tracé de la pluie printanière. Cette chose qu’elle a laissée d’elle au cœur de la forêt il y a longtemps. Cette fossette c’est moi qui l’ai dessinée en creusant de la pointe de l’ongle son masque d’argile.
      Elle… Mon rafiot embringué d’algues violettes un sous-bois… Une enfant au ventre encore doux de nuages… Un collier de pâquerettes… C’était plein de morceaux de plâtre et de bazars insoupçonnés dans ma cave…
      Je me suis souvent posé la question si je n’avais pas grandi parce qu’il n’y avait pas de place ou bien au contraire si j’avais trouvé dans le ventre des pierres ma juste place… J’aime tant cette couleur rousse des écorces qui me protège cette allure d’écureuil… sautillante et fugace… Quand je pense que j’aurais pu sans ce costume servir de modèle au vieux bouc !… L’homme-dieu castré par la petite vague verte grotesque évidemment… Lui apeuré d’elle tourbillon de soleil… Multiple déesse mutilée au plus profond de sa cavale… C’est drôle que je n’arrive pas à me souvenir du nom de cette sculpture…
      C’est pourtant moi qui en ai transporté les morceaux éparpillés dans la camionnette pendant que le vieil homme et les forestiers du coin se coltinaient le bloc de plâtre dont l’essentiel avait tenu bon… l’essentiel… leurs visages égratignés par les ongles de la nuit tissés de fils de lumière… La nuit leur avait donné son regard sans paupières… les morceaux… abandonnés dans le cagibi d’un musée de province avec une cuvette émaillée et des outils de jardin. Cette fois-ci il ne s’agissait pas de provisions de petit-bois…
      Ma rebelle… qu’ont-ils pu faire de toi ? La porte de ton atelier est cadenassée depuis longtemps… Voici les petits matins criblés de givre où je t’ai cherchée… A plusieurs reprises j’ai déposé un gros sac de pommes de pin et d’écorces devant ta porte afin que tu puisses allumer le poêle…
      Folle tu m’attendais ?
      Souvent tu glissais la clef de l’atelier sous le paillasson et tu disparaissais… Le buée froide des rives n’a pas gardé l’empreinte de tes pieds nus comme la terre rouge et noire de Villeneuve… En te cachant dans l’Ile tu avais peut-être songé à te perdre au fil des eaux pour leur échapper ? Lorsqu’ils entraient chez toi par surprise après avoir franchi les pavés ronds comme des carapaces de tortues ils ne trouvaient qu’un cimetière de plâtres réduits en tous petits morceaux sur lesquels régnaient des chats volumineux vautrés à l’intérieur de chutes de velours rouge déchirés tels des bandages sanglants… Les chats semblaient maîtres et seigneurs de cette tragédie sans autres acteurs que des présences fantomales… Certainement elles se déplaçaient d’une toile d’araignée à l’autre on aurait dit l’âme solitaire des sculptures brisées…
      A l’intérieur de la cave bourrée d’une quantité de sacs de pommes de pin de fagots de bruyère de mains et de pieds inertes et même parfois de têtes que les chats observent ilotes immobiles elle a fait son trou… Elle dort en boule au creux d’un tas d’écorces et de fougères sèches qui la bordent d’odeurs… Des fois elle a l’impression à son réveil qu’il s’est écoulé tout une saison pendant son sommeil l’été par exemple n’est pas une sinécure…
      Après les bouquets de feux de la Saint Jean il ne lui reste plus qu’à imaginer les courtes flammèches des champs de chaumes à l’automne… L’été les ateliers de sculpture se vident et on l’abandonne à de vagues rondes au hasard des marbres morts blancs comme de grands tombeaux ils demeurent dressés sous la lune dans l’incertitude de leur naissance… 

 A suivre...
Partager cet article
Repost0
29 avril 2008 2 29 /04 /avril /2008 00:06
                                         Rêveries...
      A la suite de l'entretien que j'ai eu avec elle à partir de son livre Les rêveries de la femme sauvage Hélène Cixous m'avait invitée à parler de ce recueil devant ses élèves à la Fac de Saint-Denis... J'ai gardé un souvenir très fort de cet échange avec une femme hors du commun... et avec les étudiantes et les étudiants tout aussi passionnés qu'elle... Voici la lettre qu'elle m'a envoyée après ces moments de travail partagé intense et vrai...
Partager cet article
Repost0