Eh bien voilà ! c'était il y a 50 ans le 1er juillet 1961... Salut Ferdine ! Personne ne t'a oublié y a pas de risques... Et la langue que tu as mise à jour elle ne mourra jamais... Ouaouf ! Ouaouf !...
Hommage à Céline Mort à Meuson suite...
Ouaouf !… Ouaouf !… si Céline il y a plongé tout au fond de la gamelle énorme où elle mijote la misérable condition humaine c’était avec le projet halluciné de la remonter à la lumière la hisser hors de son trou à terreur et à barbarie lui rendre sa grandeur et ses armes de chevalerie son élégance sa jeunesse sa beauté… qu’elle a peut‑être eues autre part jadis au commencement du monde qui sait ?…
C’est qu’il l’expérimente chaque jour le Docteur Destouches dans sa pratique si tellement marginale de la médecine avec “ son style ” comme l’appelle Monnier qu’est aussi déjanté que celui de son écriture… il se la coltine l’impuissance effarante des gueux à s’extirper de la peur de la honte de la culpabilité de la médiocrité d’une vie où le travail n’est pas considéré comme un savoir‑faire mais comme un abrutissage un abêtissement quotidien une féroce servitude…
Et pourtant c’est bien au milieu de tout ça que l’émotion va jaillir et faire grandir jusqu’à l’aube au plus confiné au plus secret des terriers à chagrin où on clamse s’anéantit broutille futilité grain de poussier dérisoire le désir d’atteindre aux Dieux et à leur bonté solaire à leur rayonnement vertueux et clairvoyant… gardiens de l’intuition de la justice de la conscience et des rêves du monde… Ouaouf !…
“ Avec habileté, il montre d’abord les hommes et leurs règles de vie sous un aspect critique et souvent féroce, le boutiquier, le sergent, l’ouvrier, le petit fonctionnaire, l’employé, le ringard clochardeux, l’économie, l’épargne, le drapeau tricolore… Ensuite, sans appuyer, sans disserter, il fait entrevoir des vertus humbles et secrètes, il attribue aux personnages un comportement ambigu, il déconcerte le lecteur, le rend perplexe, et le fait rêver. ”
Ferdinand furieux
Ouaouf !… Ce qu’on va se faire encore houspiller vitupérer alpaguer aux cordons chaînettes clochettes et guipures de notre costume de montreurs d’ours la chienne Bonnie la plantureuse vautrée aux orgies pas équivoques et cézigue l’inventeuse de baobabs à fleurs de lune et qui dansent si vous permettez… ce qu’on va en prendre plein nos éventaires à camelotes d’ouragans et de petits zephs si on ose… Ouais c’est qu’on n’est pas trop bien harnachées nous autres questions références littéraires on vous a mis au parfum de notre situation qui resplendit pas lerche… Et pis on a eu la mauvaise fortune on est habituées on ne manche pas encore mais si on manchait ça serait boutons de culotte… qu’y a quelqu’un qui s’est approprié un titre qui décape rare : “ Le voyeur voyant ”… une aubaine à pas laisser là au trottoir pour les macs... et le tout afin écrire des abominations ça aide pas… Ouaouf !… Bon… on va essayer de vous mettre au parfum… une ou deux images comme ça des ailes d’épouvantails qui battent aux manteaux d’apesanteur pour reprendre leur vol et Hop !… On ne développera pas c’est pas notre affaire hein ?… Pavé dans la marre analyses and co… Allez montez à bord voir un peu reluquer de quoi qu’il s’agit !… Ouaouf !…
“ Et quand il veut nous décrire le sergent Alcide, militaire abrupt et dur avec au fond du cœur un amour pudique pour sa petite nièce orpheline, il s’approche et le regarde dormir… ‘ Il offrait à cette petite fille lointaine assez de tendresse pour refaire un monde entier et cela ne se voyait pas. ( … ) Ce serait pourtant pas si bête s’il y avait quelque chose pour distinguer les bons et les méchants. ” Je ne sais pas vous mais mézigue j’ai des accointances avec les mythologies d’Afrique et des époques où on pouvait jouer aux billes avec les dieux vu qu’ils étaient si nombreux qu’y en avait quasi un ou une pour ce qui est des déesses voué à chaque usage familier… C’était des dieux domestiques et bien commodes ce qui empêchait pas les autres les féeriques les enchanteurs les veilleurs de feu de crécher à l’intérieur des troncs des grands arbres et des pierres dressées et pensez pas que c’est fini car vous vous goureriez un peu… En tout cas faut croire que d’être breton ça incite aux ailleurs ce qu’est normal vu qu’on perche en bout de terre et aux références magiques ce qu’est admis pour sûr… on est de sacrés rêvasseurs crédules et toujours en quête d’un Graal à défendre ou à conquérir !… Ouaouf !… Alors Céline c’est l’Horus de l’azur aux yeux doubles visionnaires quinquets de ciel plus lavés que lavande et plus ardents que lapis d’Orient incarnation du soleil de l’aube et du crépuscule fils d’Isis et d’Osiris… Un jour mutilé amoindri dans sa vision par les maîtres du sang et de la mort il retrouve la vue grâce à Thot le dieu lunaire ibis sacré au plumage noir et blanc qui fouine à l’été avec les sternes piailleuses au bords des étangs dans l’arrière‑pays breton…
Et le texte antique qui raconte la naissance de Thot affirme : “ Thot a créé le monde par le verbe… ” Bon craignez rien je vais pas vous assommer avec la carrière de ce dieu‑là sauf que c’est un type qu’est pile poil ce qui convient à Ferdine pour lui refiler la double vue que les lascars tireurs de flash‑ball de l’époque lui avaient retirée… Inventeur de la langue et de l’écriture c’est déjà pas minable comme pedigree et en plus l’animal c’est un sacré connaisseur de l’avenir donc aucun étonnement à ce que Ferdine possesseur de cet œil qui lui file la vision d’au‑dessus pour ne pas dire d’au‑delà se charge de l’invisible à nos mirettes malhabiles… Ouaouf !… Et Monnier qu’abonde sans hésiter nous contredira pas “ Ce détachement, cette hauteur de vue lui évitent les jugements péremptoires. Il n’est pas l’esclave d’une thèse et n’est jamais contraint de juger, de dire‘ celui‑là est bon ’ ! ‘ Cet autre est mauvais ’ Il a conscience de la fragilité des jugements. ” C’est ça qui rend les ailes qu’on s’est fait tailler à vif nous autres les p’tits lascards des banlieues à peine sortis de notre bocal d’insouciance déjà écrabouillés dessous le fardeau de l’héritage… cette misère du monde ce qu’on en fait hein ?… Ouaouf !…
“ La misère humaine me bouleverse… voilà mon œuvre. ” ( voir “ Cahier ” 1, )… avec Céline on n’est jamais dans le jugement la culpabilité le verdict qui taille net le costard au ras du cou… Ferdine c’est le plus convaincu des libertaires celui qui ne cessera pas de croire qu’en nous retirant un peu de nos peurs et de nos humiliations on aura peut‑être qui sait le coup de folie… de n’avoir plus besoin ni des dieux ni des maîtres vu qu’on se sera enfin échappés du coin de l’école suant et puant le désespoir et l’agonie… C’est dans Les beaux draps publié en 1941 que Céline va tenter de prophétiser “ Au lieu d’apprendre les participes et tant que ça de géométrie et de physique pas amusante, y a qu’à bouleverser les notions, donner la prime à la musique, aux chants en chœur, à la peinture, à la composition, surtout aux trouvailles personnelles, aux rigodons particuliers, tout ce qui donne parfum à la vie, , guilleretteries jolies, porte l’esprit à fleurir, enjolive nos heures, nos tristesses… ” Ouaouf !… Ouaouf !… ouais au fond c’est vrai qu’encore une fois ils ont gagné ils ont réussi à faire s’étendre leur silence de mort bloché de mots qui rotent au cloaque… leur linceul d’impostures croulant comme un drap de comédie sur le corps toujours plus gueulant plus harranguant plus vivant de celui qui disait à Monnier avant de le quitter devant la petite maison au bord de la Baltique : “ J’ai le cirque… La danseuse… et les animaux savants… ” mais pas comme ils le croient comme ils se le repassent de salle de rédaction en studio plateau téloche et les autres leurs commentaires leurs analyses nécros leurs portraits des familles… Non ce qu’ils ont encore un peu plus foiré eux les spécialistes de la communication les lustucrus du spectacle “ C’est cette discrétion, cette réserve qui touchent, et qui ont fait gagner à Céline des milliers de lecteurs parmi les êtres les plus naturellement éloignés de la littérature. ” ( … ) “ Chez Céline la pudeur est partout, la bonté toujours secrète, dissimulée, à l’abri derrière l’outrance, la violence du langage. ” Cette violence ils ne sont pas prêts de la reconnaître pas plus aujourd’hui qu’hier dans les textes des rappeurs et des slameurs des quartiers qui sont les héritiers directs de Bardamu… Ouaouf !… Elle planque toujours la ferveur de ceux qui issus des milieux où on ne bricole pas dans l’intellect ont fait chauffer aux forges de la révolte le fer de lance de la langue et ont taillé dedans le cri étranglé et farouche de notre colère et de notre délivrance…
Rigodons !…Rigodons !… sans cesse jusqu’au bout du jour jusqu’au bout de la nuit… Voilà pour en finir sur le ton de l’inimitable Mahé dans un extrait d’une missive de Céline datée seulement du “ 18 ”… 1935 peut‑être… à Chicago juste après la perte d’Elisabeth Craig… “ Je suis ici avec Karen et sa revue. Elle vit aussi dans le quartier le plus interlope de Chicago. Après minuit plus de sentiments. C’est Wilson Avenue. Deux rigodons par semaine. Les cognes sont en bras de chemise. Un cireur par boutique, et des grolles à fond je te jure. Une heure fignolée et pas moins. On termine avec la brosse à dents. Voyez petits clients. ” Ferdine perdu largué abandonné à sa galère… Et Mahé qui nous envoie au Rigodon…
“ Ah ! Rigodon !… J’en profite pour signaler à l’érudit Alain Hardy que ce mot rigodon apparaît ici pour la première fois dans l’œuvre de Céline, tout de suite après ce nouveau dramatique voyage au bout de la nuit… Je pense qu’il le classera dans son troisième champ sémantique ‘ comprenant l’idée de macabre ( projectile ayant fait mouche, balle, idée de mort ) et par croisement avec le second champ, celui dans lequel est compris le concept plus restreint de danse, déterminant l’acception nouvelle pour le mot de “ danse macabre ”.
Oui c’est ça… Rigodons ! Rigodons !… toute la journée et toute la nuit autour de nos feux de joie de folie et de passion afin de ne pas penser que c’est fini… Ouaouf !… Ouaouf !… c’est bien fini jamais plus l’enchanteur des mots ne nous fera danser entre les petits signaux lutins farfelus et gentillets de ses féeries… Ouais Rigodons encore !… de cette tristesse‑là il ne faut surtout pas que les macabreurs en soient informés car ils mettraient au point un moyen de nous l’abîmer… Ouaouf !… “ Ce soir j’entends Marie Canavaggia me dire au téléphone ‘ Nous ne reverrons plus notre ami… ’ ( … )
Au début de la matinée, je retrouve Lucette auprès de Louis endormi. Il y a là Marcel Aymé et le docteur Wuillemin qui a pris toutes les dispositions pour faire modeler un masque mortuaire. Au dehors, un soleil éclatant, et dans la maison une étrange impression de silence et d’apaisement. Etrange ? Pourquoi ?… Au bout d’un moment, je comprends que les animaux se sont tus. Il n’y a plus un aboirment, les chats sont invisibles, cachés, il n’y a plus un pépiement d’oiseau, Toto le perroquet ne parle plus… Il va rester des mois sans parler… ( … )
Trois jours après la mort, la presse diffuse la nouvelle. Prévenus intentionnellement trop pard, les journalistes et les photographes seront peu nombreux le jour de l’enterrement, où se retrouveront les plus fidèles, amis de toujours, admirateurs lointains, mystérieusement prévenus. Aux côtés de Marcel et de Nimier, je reconnais l’acteur Max Révol, Jean‑Roger Caussimon…
Quelques jours passeront et Lucette fera graver un bateau à voile dans la pierre de la tombe…
Rêverie, Saint‑Malo, la Bretagne. ”