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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

21 mars 2009 6 21 /03 /mars /2009 22:48

Le chien du monde suite...

Vous savez que notre blog est un territoire d'expérimentation d'écritures et d'images alors que ceux qui ont lu le début de mon article sur mes " Petites chroniques d'après Céline" ne m'en veuillent pas de cette partie de texte à rajouter à l'intérieur de la précédente esquisse... J'espère que vous vous y retrouverez...

   

      “ Avec la médecine, moi, pas très doué, tout de même, je m’étais bien rapproché des hommes, des bêtes, de tout. Maintenant, il n’y avait plus qu’à y aller carrément, dans le tas. ” ( Voyage au bout de la nuit, Ed. La Pléiade, 1952 p. 240)

Ouais… que Céline soit médecin successivement et au hasard de ses tribulations dans les dispensaires à Clichy Bezons Sartrouville… et tant d’autres villes de banlieue c’est pas anodin… Imaginez ce que ça signifie que “ la médecine sociale ” d’l’époque et l’atmosphère qu’est pas plus copine aujourd’hui des dispensaires avec la misère humaine qui se presse dedans pousse les murs pique les chaises des couloirs et leur troupeau gris agglutiné… Et même quand il faisait le toubib à son compte le Docteur Destouches il a  soigné les gens de tous les bas fonds des campagnes et des villes… ceux qui sont pris dans une sorte de résignation au malheur… une complicité presque… “ Les gens étaient si pauvres et si méfiants dans mon quartier qu’il fallait qu’il fasse nuit pour qu’ils se décident à me faire venir, moi, le médecin pas cher pourtant. J’en ai parcouru ainsi des nuits et des nuits à chercher des dix francs et des quinze à travers les courettes sans lune. ” ( Voyage au bout de la nuit, Ed. La Pléiade, 1952 pps. 241‑242 )

Parc’que de la façon étrange qu’il avait le Docteur Louis Destouches de pratiquer la médecine que même les carabins pas trop délicats en général qui le reniflaient passer à portée étaient perplexes et la plupart bien admiratifs ou ébahis faut quand même en causer… Sur ce point on y reviendra… mais ce que la médecine qu’il bricole Céline à chaque endroit à chaque réalité différente met en évidence c’est son rapport à lui avec c’qu’y a d’intime de secret au-dedans de la vie et ça c’est drôlement proche de nous autres le chien du monde et moi… Ouaouf ! Ouaouf ! Dans sa thèse sur La Vie et l’œuvre de Philippe‑Ignace Semmelweis ( 1818‑1865 ) il donne sa vision de cette médecine qui jamais dans son job de médecin ne changera et qui bien au-delà des soins bienveillants qu’elle procure au corps se penche sur l’ineffable malheur humain…

“ L’heure trop triste vient toujours où le Bonheur, cette confiance absurde et superbe dans la vie, fait place à la Vérité dans le cœur humain.

Parmi tous nos frères, n’est-ce point notre rôle de regarder en face cette terrible Vérité, le plus utilement, le plus sagement ? Et c’est peut-être cette calme intimité avec leur plus grand secret que l’orgueil des hommes nous pardonne le moins. ” ( Cahiers Céline, n°3, Ed. Gallimard, 1977, p. 18. )

 Car c’est tout dans la manière complexe qu’il a Céline de s’approcher des gens qu’il considère comme pourris de haine les uns envers les autres ces tristes cornichons... que tient son rapport si étonnant à la mort et d’abord sûr à la vie… Et le seul endroit où lui qu’est un solitaire acharné même s’il lui faut ses rencontres avec les potes de Montmartre sans qui forcé il crèverait de n’pas pouvoir causer brailler observer ce grand bouillon maudit du monde… ouais le seul lieu de l’approche des autres c’est la pratique de la médecine pour se coltiner avec le pire des créatures et des fois aussi par aventure explorer aussi la tendresse comme avec les bêtes… Ouaouf ! Ouaouf !

Une approche qu’il pourrait pas faire autrement Ferdine avec la pudeur énorme qu’est la sienne et là alors dans ces moments avec d’un côté l’ambiance bidoche et le tout à l’avenant du sexe et de la mort des hôpitaux hospices dispensaires… des gourbis étroits et crasses des petites rues poisses d’la banlieue… si vous avez fréquenté vous voyez un peu cette chiennerie hein ? et de l’autre la présence à flots un déferlement pareil qu’à la gueuse de guerre du gigantesque troupeau d’humains malmenés c’est toute la  liberté et la grandeur de l’homme seul parmi ses semblables qu’il expérimente !

 “ J’étais trop complaisant avec tout le monde et je le savais bien. Personne ne me payait. J’ai consulté à l’œil, surtout par curiosité. C’est un tort. Les gens se vengent des services qu’on leur rend. ” ( Voyage au bout de la nuit, Ed. La Pléiade, 1952 p. 244)

Bien sûr qu’y a dans ce monde-là qui déboule de tous les recoins les plus noirauds des sujets d’écriture pour des siècles Ah ouiche ! Mais d’abord et ça va ensemble y avait sujet à l’émotion… L’émotion qu’on n’peut pas résister… le terrible effarement qui vous prend à la gorge à la tripe à la peau… L’émotion c’est ça qui vaut la peine et pas autre chose et c’est en se passionnant  pour la souffrance du corps des gens souvent les plus largués les plus démunis… ceux que la bonne société balance par‑dessus bord : les mômes des trottoirs les vieux les putes… tout comme il se passionne du même coup pour la beauté et la féerie qui radinent quand il regarde les danseuses qu’il a son rythme des faubourgs… son accordéon des bals popus et des petits troquets de la zone… sa musique qu’est celle de tous les natifs des endroits où sont venus se planter comme dans un port les vagabonds qui appartiennent à nulle part …

 “ Ils me tenaient, pleurnichaient les clients malades, chaque jour d’avantage, me conduisaient à leur merci. En même temps ils me montraient de laideurs en laideurs tout ce qu’ils dissimulaient dans la boutique de leur âme et ne le montraient à personne qu’à moi. ” ( Voyage au bout de la nuit, Ed. La Pléiade, 1952 p. 244)

 

 Et avec ça Céline médecin ou écrivain c’est l’anarchiste total qui radine dans nos expérimentations marginales vagabondes au chien et à moi… “ Anarchiste déjà tu étais, Louis. Brutal aux aspects puérils, révolutionnaires, égalitaires, oui ! ” Cahiers de L’Herne n°3, p. 16 ) Une de ses façons à lui qu’il lâchera pas même quand il est au régiment du 12e cuirassiers et qu’il a à peine dix huit balais la hiérarchie et les classifications sociales que les bourgeois ont installées pour en fiche plein les mirettes du populo et le faire s’aplaventrer devant les maîtres ça lui a jamais causé !

D’abord il l’écrit à son poteau des années d’apprentissage de la médecine Albert Milon qui l’accompagne dans les tournées en Bretagne contre les ravages de la tuberculose : “ Mais la misère n’est concevable que pour ceux qui l’ont tâtée – et le cœur des bourgeois est quelque chose d’inconcevablement terne et d’insensible à la misère des autres – ( … ) Oui, mon vieux, j’ai gravi et successivement descendu déjà bien des échelons de l’échelle sociale et je reste confondu de l’incompréhension des cloisons étanches qui existent entre les hommes – Il y a foutrement plus de différences entre un bourgeois français et un pauvre Gaulois qu’entre riche François et un opulent Teuton. ” ( Lettre non datée à Albert Milon, Céline, le Temps des espérances, François Gibault, Ed. Mercure de France, p. 226 )

Anar Céline et comment ! et pas dupe du fait que cette manie de hiérarchie comme il le dit là elle sert à faire miroiter à l’homme du peuple que s’il arrive par des tas d’entourloupes à se hisser à la hauteur et à entrer dans la clique des nantis il pourra tranquille se fiche pas mal des camarades et voilà ! Là-dessus fallait pas compter sur lui pour faire du sentiment avec le prolétaire comme il l’appelait parce qu’il était de la troupe des exploités… Dans tous ses voyages il avait pu remarquer que le chien du monde il en crevait partout de la rapacité de la meute qui défend sa tribu son clan sa classe sociale sa famille et sa gueule et si vous ne faites pas partie du lot c’est pas la peine hein ?

“ Jamais les prolétaires ‘ favorisés ’ n’ont été si fort attachés à leurs relatifs privilèges patriotiques, ceux qui détiennent dans leurs frontières des richesses du sol abondantes, n’ont aucune envie de partager. ( … ) Les hommes ils se mettent en quart terrible tant qu’ils peuvent, ils y tiennent plus qu’à l’honneur à ces bonnes richesses du sol… Ils les défendent à vrai dire, comme la prunelle de leurs yeux… contre toute immixtion, contre tout genre de partage avec les prolétaires des autres pays miteux, avec les enfants de la malchance, qui sont pas nés sur du pétrole… ( … ) Pour les prolétariats cossus, les autres n’ont qu’à se démerder, ou tous crever dans leur fange… ”Bagatelles pour un massacre, Ed. Denoël, 1937 p. 152 )

 Sûr qu’il digérait pas le manque de solidarité et même plus d’empathie minimum entre les êtres et comme il avait raison de sa colère face à tous ces misérables qui pas capables de se soutenir les uns les autres dans la pire des débines fonçaient en masse comme les types du régiment des cuirassiers se faire ratatiner et trucider les autres pour le profit honteux de quelques-uns…  

“ ( … ) Tristes gens – mystiques. Je les ai vus foncer à la mort – sans ciller – les 800 – comme un seul homme et chevaux – une sorte d’attirance – pas une fois – dix ! Comme d’un débarras. Pas de sensualité – pas un sur dix parlant français – doux et brutes à la fois – des cons en somme. ” Bulletin célinien, n° 24, Bruxelles. Lettre à Roger Nimier du 14 novembre 1950 in Biographie de L‑F. Céline Frédéric Vitoux

Alors Céline lui qu’a assisté à cette vendange des corps jeunes et joyeux ce qui lui a pris  à votre avis de bifurquer direction la médecine à peine qu’il revient de son périple d’Afrique Douala en 1917… même si c’est en faisant  le détour par son job de “ conférencier pour la fondation Rockfeller de propagande contre la tuberculose ” ? 


A suivre...  

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26 février 2009 4 26 /02 /février /2009 23:09

Le chien du monde suite

      Ouaouf ! Ouaouf ! Le revoilà ce chien du monde encore ! Ce sacré bon sang de clébard qui tient à la ramener chaque fois qu’on cherche à la lui faire fermer et qu’il y a péril pour sa peau pour ses poils pour sa tronche de vieux baroudeur d’utopies qui cavale d’un bout de cette carcasse de terre l’autre depuis quarante balais et le reste… Et pourquoi sa gueulerie vous me direz hein ? 

Ouais d’accord il se mêle ! il se mêle !… mais vous n’croyez pas qu’il y’a lieu après l’ensablement tout vif des marmots de Palestine et les femmes et les vieux dégommés pantins du joli jeu de massacre… Paf ! Pif ! Paf ! pour le plaisir… et les autres dessus leur colline verrouillée barbelée muraillée à fond…  les civils qui se repassent les jumelles et qu’applaudissent. Et la haine des larbins de la fricaille de ce monde-ci direction des gens du Sud… y’a pas de quoi se mêler des fois ? Et la cervelle en putréfaction des véreux politicards et rentiers gras qui mène la troupe des bigorneaux prolétaires et autres bouffons à se laisser endormir au formol et sa morbide odeur qu’ils reniflent ravis… y’a pas de quoi ? 

Ouaouf ! Ouaouf ! La question qu’il se pose le chien qu’a la manie des interrogations dans son for intérieur vu que dehors les causeries des autres les humains intelligents il se mêle pas… il a pas lu assez il peut pas hein ? La question… ouais c’est ça… ce qu’il en aurait écrit Céline de la mort crépuscule du ghetto Palestine poussé mine de rien dehors du monde ?

 

Ouaouf ! Ouaouf !

Et après ça ?... Ouais… après ce qu’on vient de se farcir là comme trêve des confiseurs le temps où la terre fourre sa tête dans son tunnel de taupe et qu’elle attend que mézigue ou un autre ouistiti lui rallume la loupiote pour remettre ça un coup sa balade d’ivresse au terrain miné des étoiles… Pan ! Ziouh ! Ptaf ! Après qu’on lui a fait péter une ou deux charrettes de missiles d’artifice en guirlandes de Noël qu’entortillent son sapin d’olivier au moment ou y a personne qui suppose que ça peut arriver… enfin personne c’est pas gagné… y a des monstres costumés militaires à l’envers de leur peau fichés plantés partout pourtant… des épouvantails que rien épouvante… plein la terre ç’en est… Pan ! Ziouh ! Ptaf ! et Pan encore ! Faites-moi confiance je sais… les connais…y sont les mêmes toujours… se déplacent juste un peu… zig… zag… zig… zag… sur la surface verglacée de sang de notre caillou bleu les mariolles…

Ouais… après tout ça qui nous est arrivé surprise emballée papillotes comme balancée du ciel… Vroum ! Broum ! Badaboum ! pendant que nous autres innocents que personne nous avait mis au parfum on guettait… c’t’époque c’est normal des douceurs de miel et de dattes à s’en lécher les babines… Après tout ça… Céline aussi lui il demanderait pas mieux qu’on arrête les frais et qu’on le laisse tranquille à Meudon avec sa meute à mater pousser les pâquerettes dans la prairie hirsute tignasse devant la villa Maïtou la troisième sur la gauche tout au bout du petit raidillon avec la glycine et les plantes pagaille de hauteur une vraie brousse qu’accrochent les tournicotons rouillés trois fois du grillage en bazar et du portail bleu lavande délavé pendant que les pages hiéroglyphes elles tombent sous la table… pfuitt… pfuitt… et Toto qui picore les crayons et qui chante à tue‑tête :  Dans les plaines de l’Asie centrale
  

          Ouais… après tout ça faut qu’on saute à la suite d’Agar et du troupeau des clebs Hop ! Hop !... Ouaouf ! Ouaouf !... qu’on avance quoi… pas rester motus caramels mous face d’elle avec sa robe rouge  la grande exciseuse son surin affûté rasoir à la paluche… La guerre probable qu’on l’a comme une cicatrice d’abord nous les emplâtres d’humains jamais capables quand y faut s’arrêter urgence au bord… la guerre encore partout… Et sa cohorte puante d’images qui nous renvoie l’estomac dehors aux égouts ! Aux égouts ! Aux égouts ! Une cicatrice d’avant qu’on soit blessé même… on l’a d’origine avec la barbaque malade de l’espèce des hommes à l’intérieur… leur décomposition qui monte à l’assaut à peine ils sont nés… comme ça qu’on est nous autres… et pas question d’aboyer… Ouaouf ! Ouaouf !

Céline il ne les avait pas vus venir non plus avec leur guerre au départ… ils la lui avaient emballée dans un joli papier qui donnait une allure bien aguichante… Pour ça qu’il y était parti Bardamu enfant qu’il était encore et qu’il savait pas ce que les adultes sont capables… avec leur façon terrible de vous mettre dans le malheur comme si c’était une grande fête qui se ramenait virevoltait avec ses fifres et ses tambours pour la parade vous connaissez ?… Ran-tan-plan ! Et Ran ! Ran ! Ran-tan-plan !… Mais c’est vite qu’il allait l’apprendre Bardamu la vacherie que c’est : “ A vingt ans, je n’avais déjà plus que du passé. ” ( Voyage au bout de la nuit p.95 Ed. La Pléiade, 1981 )

La guerre c’est le pompon dans l’inhumain de ce que les promoteurs de la barbarie bien ordinaire ont le pouvoir de nous balancer entre les pattes… Celle des petits seigneurs qui la ramènent aux usines… aux supermarchés… aux fabriques de pub et aux machines à fric… fric-frac… Celle des proprios qu’occupent des tranches géantes de la terre qu’on a sous les pieds nous tous les cornichons… qu’exploitent qui font fructifier… ceux qui possèdent au fin fond de leurs frigos aussi immenses que tout un quartier des tonnes de boustifaille qu’ils libèrent qu’au compte-gouttes… vous visionnez l’affaire et ses intérêts ? … Et pendant ce temps de leur goinfrerie dans leurs fabriques d’armes dernier cri… Broum ! Vroum ! Broum ! le chien du monde dans sa course ce qu’il fait ? Ouaouf ! Ouaouf !

Les mêmes les horribles on les retrouve les coloniaux partout où on essaie de se tirer de fuir leur puanteur organisée… S’il l’avait vu Céline en son temps que c’était déjà écrit tout pareil la manière qu’ils procèdent pour transformer l’humain loupiot sacrément innocent en un exploiteur tortionnaire de ses congénères du troupeau blême et s’il l’avait flairée l’arnaque alors ! “ Il est facile d’imposer des disciplines farouches aux masses fanatisées. Hitler, lui, tout fuhrer qu’il est, aura bien du mal à sortir de ce marasme alimentaire imbécile ; la paix n’intéresse personne et la fraternité embête tout le monde. Il lui sera difficile en vérité d’obtenir un morceau de sucre, pour organiser la paix allemande, tandis qu’on lui donnera pour la guerre tout le sang qu’il voudra. ” ( Cahiers Céline N°3 Ed. Gallimard, 1977, pp. 217-218 )

Que ça y est avec les détails de celui qui y est allé voir et qui a pas ménagé l’effort vu que c’était un voyageur Céline… le Docteur Destouches d’abord avec ses tribulations et cette idée qu’il avait déjà quand il disait que la langue qu’il était en train de créer serait “ antibourgeoise ” ( Cahiers Céline N°1, p 51 )… ouais que ça y est dans le Voyage et qu’il en a fait le tour de cette guerre totale que font les maîtres au chien du monde… l’homme avec toute sa liberté qui refuse les mille contrefaçons du collier de servitude… Lui il voudrait bien écrire vraiment… noter tous ses hurlements… mais il sait pas il peut pas… pas encore… mais quand il pourra alors… quand il pourra…

Moi pour tout dire aujourd’hui où je vous cause après le fabuleux trafalgar de ce Noël qui était pourtant pas de nature à m’étonner vu ce que je sais de l’humain programmé pour la mort qui fait en sorte de fricoter avec elle au plus près… la grande exciseuse… vous me voyez ahurie par tout ce qu’on a raté ce qu’on n’a pas pu… ce qui nous a filé entre les paluches… museau au sol pourtant et flairant le ragoût terrestre de notre destinée… Ouaouf ! Ouaouf ! … Ouais… notre incurie notre foutaise à nous autres c’est ça que je me dis en visionnant les p’tits lascars gazaouis illuminés par les comètes de phosphore qui leur volent leurs yeux…

Céline ce qu’il aurait fait vous pensez ? Qu’il aurait volé à la rescousse comme pour Bébert le môme de sa bignolle dans Mort à crédit vous vous souvenez ? Faire son travail et basta ! médecin jusqu’au bout et pas lui rendre son ticket avant le moment l’ultime à la tapineuse toujours en bas sur notre trottoir à nous attendre et à tourner tourner… tourner comme la jolie toupie rouge de plomb durci qui tourne tourne autour du monde et qui ne nous lâchera pas tant qu’on ne l’aura pas épouillé ce chien du monde de la clique sanguinaire des parasites dans leur petite armure d’argent massif et de leurs bandes d’humanoïdes décadents… leurs troupeaux militaires avides de meurtres et d’orgies qui jouent aux billes de phosphore sur sa peau d’enfance… Ouaouf !… Ouaouf !…

Alors Céline vous me direz ?… Céline faudrait pas oublier qu’il a eu sa jeunesse coincée entre deux boucheries admirables alors normal que la mort ça l’ait un peu titillé non ?… On ne lui a pas assez reproché son goût pour le morbide et sa passion d’aller farfouiller chez l’humain c’qu’y a de pas reluisant… ses tendances pourries… sa cruauté et le reste… Le Bernanos par exemple en 1933 à propos du Voyage : “ La mort sujet de votre livre, seul sujet. ” ( Cahiers Céline N°1, p 51 )…

Ah ! ouiche… et si c’était tout le contraire en fait ? Et si ceux qui insistent à lire les récits de Céline lui qui s’est coltiné la sale Ogresse la camarde à des tas de sauces faut voir comme… s’ils s’acharnent à nous saouler avec l’idée que Céline il crèche chez elle à tous les étages… ça n’est pas des fois de leur goût bien à eux qu’ils bavassent à voir crever l’énergumène chien du monde et à en jouir les drôles ?…

“ Lui qui non seulement voit partout la menace et la réalité de la mort, mais encore soupçonne qu’il peut y avoir en nous un désir secret de nous y abandonner, travaille sans relâche à l’écarter. Médecin ou écrivain, il s’agit toujours de lutter contre elle. En regard de la formule dont sort tout le Voyage au bout de la nuit, sur l’envie qu’ont les hommes de tuer et de se tuer, et de la phrase souvent citée de Mort à crédit : 
“ C’est naître qu’il aurait pas fallu. ”, il y a celle-ci, de Féerie pour une autre fois, qui ne mériterait pas moins d’être mise en exergue : “ Je suis du parti de la vie voilà ! ”
 
Préface de La Pléiade
 
Henri Godard, 1979 )


A suivre... 

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17 février 2009 2 17 /02 /février /2009 23:57

Le chien du monde
Epinay, samedi, 14 février 2009

          “ Ces gens-là même que je regardais par la fenêtre et qui n’avaient l’air de rien, à marcher comme ça dans la rue, ils m’y faisaient penser, à bavarder au coin des portes, à se frotter les uns contre les autres. Je savais moi, ce qu’ils cherchaient, ce qu’ils cachaient avec leurs airs de rien les gens. C’est tuer et se tuer qu’ils voulaient, pas d’un seul coup bien sûr, mais petit à petit comme Robinson avec tout ce qu’ils trouvaient, des vieux chagrins, des nouvelles misères, des haines encore sans nom quand ça n’est pas la guerre toute crue et que ça se passe alors plus vite encore que d’habitude.
Voyage au bout de la nuit Louis-Ferdinand Céline Ed. La Pléiade, 1981

        Ouaouf ! Ouaouf !

        Céline ouais !… oh là là ! faut pas causer hein ?… Je vous ai raconté déjà dans la Petite Chronique d’avant ce que le pas imaginable Docteur Destouches m’avait refilé… parc’que Céline excusez dans ma tronche d’ex môme de la banlieue zone d’indicible c’est d’abord toujours le “ Docteur Destouches ” … excusez ou excusez pas mais de l’époque d’après la première tuerie grandiose comme de celle d’aujourd’hui choisir la banlieue de n’importe quelle grande Babylone pourrie de peur effarement misère et compagnie pour marner c’est pas donné à tout l’monde…
      S’il l’a assez répété que pour lui la médecine c’était la première des choses qui menait sa vie… qu’on le sache bien ! D’ailleurs c’est “ sur papier du dispensaire de Clichy ” comme le précise François Gibault dans son Céline 1932-1944 Délires et persécutions ( p.21 Ed. Mercure de France, 1985 ) qu’il écrit à un de ses soutiens pour le prix Goncourt Lucien Descaves en 1932 : “ Je suis médecin dans ce dispensaire municipal. C’est mon métier après vingt autres. ( … ) ” Donc Céline le Docteur Destouches avec son expérience des faubourgs qu’est pas rien pouvez me croire j’en viens je sais de quoi je cause… il me parle immédiat sitôt le début du Voyage à moi qui ai qu’une enfance sauvage de banlieue et de la vadrouille de petits chemins à mettre dans la marmite aux écritures…
      Quand je découvre Voyage j’ouvre des chasses style les roues de charrette du chien face à la sorcière du conte… forcé que ça m’époustoufle le langage c’est celui que mézigue j’ai entendu avec le françarabe méli-mélo touillé comme ci comme ça là où on vivait je vous jure j’invente pas ! Oh là là !… pour sûr qu’il faudra que je vous raconte aussi cette histoire de la langue qui fait toute l’affaire la différence l’énorme la précieuse pierre d’enchantement la vert émeraude… entre Céline et aussi un type comme Bukowski et les autres écrivains pour ceux comme moi qui sortent le tête de leur trou bétonné joli et ses myriades de loupiotes mirifiques quinquets… des centaines des milliers de carreaux qui vous matent à peine que vous avez mis le museau dehors… il faudra…
      Ouaouf ! Ouaouf ! La différence nous autres les raminagrobis voyous de l’écriture griffeurs de parchemins d’hasard… paplars de boucherie dans les cuisines de nos Mothers… les pages arrachées de leurs catalogues à tricots… nous les glavioteux des mots argots verlan la parlote populaire des faubourgs quoi ! nous les pas affranchis des combines que se repassent depuis des lustres les proprios du beau style péroraison et compagnie… l’incendie d’intense qui nous ravage l’intérieur tout soudain on le prend là pareil qu’un bain de lune qui vidange les baignoires vermeilles pleines des écritures mortes qu’on nous a collées dessus costume d’écoles obligé !
      Donc Céline… ah ouais ! V’là trois mois que je prends des notes… vous écrire la deuxième Petite Chronique mais je n’me doutais pas après que je vous aie mis au parfum de mon horreur de la guerre la grande tuerie et de ses laquais militaires les infâmes les pourris… non je n’me doutais pas… pouvais pas redouter pire que ce qu’ils viennent de nous envoyer les macchabées véreux direct de la prothèse vert de gris qu’ils ont comme cerveau les grotesques… ni que le sujet qui m’était venu relisant des bouts de la correspondance démoniaque de Céline… le courrier c’est à ça qu’on voit qui c’est l’homme… et des phrases qu’il leur lâchait chaque fois qu’ils se pointaient escaladaient la rampe de terre jusqu’au sous‑sol de la villa Maïtou avec Agar et la meute préparant l’orgie… allait bondir salement dans notre présent…
      Cette couillonnerie morbide que la plupart des gusses qu’on se frotte avec ont à l’intérieur de leur placard aux ardeurs néfastes … cette gentillesse qu’ils mettent à reluquer le chien du monde en train de crever voir le pousser un peu s’il accélère pas trop… lui étendre dessus sa peau leurs nappes de pierre… cette grandguignolerie je voulais bien vous en parler et de la lutte qu’on a à mener nous autres les farcis  de l’écriture pour pas qu’ils se jettent tout le monde et nous avec au tombeau ouvert béant… ouais je voulais bien vous en parler avant que la mitraille des uns ne dégringole dessus le corps des autres innocents largués alchimistes d’un instant qu’ils sont à renifler les galettes de semoule cuisant sur les braseros dans les gourbis de Gaza…
      Vrai qu’il l’avait dit Céline à Serge Perrault lui le voyant des lendemains cristal dans ses abîmes de papier et que je l’avais lu : “ Ils achèteront plus tard mes livres, beaucoup plus tard, quand je serai mort, pour étudier ce que furent les premiers séismes de la fin, et la vacherie du tronc des hommes, et les explosions des fonds de l’âme… ils savaient pas, ils sauront !… ” ( Céline à Meudon Images intimes 1951-1961 p.66 David Alliot, Ed. Ramsay, 2007 ) La mort gratuite balancée par des snipers obscènes les cuisses écartées rangers plantées pour caler leurs fusils mitrailleurs et viser à l’aise des vieux Palestiniens drapeaux blancs agités tremblotants… Pan ! la vicieuse l’exciseuse de petits matins doux et frais comme les citronniers aux flancs des collines avant… lui regardant les troupeaux d’hommes éventrés dans les champs des Flandres s’il en avait tâté de ses vices qui présageaient déjà de la suite… Ah ouiche ! Et les mômes de Gaza cuits au phosphore c’était les revenants feux follets de ceux de Berlin sous les ruisseaux de bombes épatantes… Ce qu’il prédisait Ferdinand que le monde changerait pas sauf pour plus de méchanceté encore ça s’était réalisé… Ouaouf ! Ouaouf !
      Ouais… c’est avant tout ça que je voulais vous envoyer la suite de l’époustoufle que ça m’avait fait les mots du Voyage à moi qui n’écris que par erreur d’errance entre la jubilation et la douleur… des petits pas perdus sur les parkings bleu gris à Ouh là là ! sur‑Seine… vous vous souvenez qu’on s’était arrêtés à l’entrée de Ferdinand Bardamu au cœur de la fournaise et du crottin et voilà qu’avant ce Noël de plomb j’avais prévu de vous asticoter avec l’intuition de ce que Céline m’a fait piger en douce… la mort et son masque c’est ça qu’arrête pas de nous éloigner de nous empêcher d’être un peu fraternels entre quidams alors qu’on a de naissance revêtu déjà notre costume solitude… Et que face à elle y a que les mots qu’on invente qui nous font peut-être un peu moins crevards… Ouais… c’est de ça dont je voulais vous causer et puis voilà…
      Si vous avez lu le Voyage vous trouverez facile le passage où Ferdine rencontre “ la petite Lola d’Amérique ” “ infirmière comme elle était ”… “ C’était une gentille fille après tout Lola, seulement, il y avait la guerre entre nous, cette foutue énorme rage qui poussait la moitié des humains ; aimants ou non, à envoyer l’autre moitié vers l’abattoir Alors ça gênait dans les relations, forcément, une manie comme celle-là. ( Voyage au bout de la nuit p.49-50 Ed. La Pléiade, 1981 )
      Et puis pour vous rencarder plus faut que vous sachiez que j’avais déjà prévu la suite de ce corniaud bâtard de chien du monde une troisième Petite Chronique dont le propos m’avait sauté dessus à cause d’une réflexion que se fait Bardamu sur l’impossibilité de sauver sa peau quoi…“ Cependant j’avais peu de chances d’y échapper, je n’avais aucune des relations indispensables pour s’en tirer. Je ne connaissais que des pauvres, c’est-à-dire des gens dont la mort n’intéresse personne.  ( Voyage au bout de la nuit p.50 Ed. La Pléiade, 1981 ) Ouais c’est ça vous avez capté… la mort et la misère sociale c’est pas des beaux sujets ça et qu’on a pas besoin d’être sortis des écoles pour en causer ?…
      Et Céline il a tellement creusé pataugé dedans que j’ai eu juste à lire pour m’instruire et à vous glisser les commentaires depuis le recoin d’obscur et de ronde de ma petite vie ordinaire et sa ferveur pour aller à la soupe à la tambouille poivrée safran et aux bonnes aventures aussi…
      Ouaouf ! Ouaouf ! que je me croyais tranquille comme un asticot sur sa viande mézigue pendant que je gribouillais des morceaux de souvenirs de mon époque de jeunesse encore… zig-zag en arrière zig-zag en avant et que je patrouillais aux côtés de Bardamu et de son histoire de guerre… un roman que je croyais avec le temps passager vêtu d’une mousse verte par-dessus… La mort elle a plein de visages pour sûr et le chien du monde s’il en sait quelque chose lui qu’arrête pas de prendre sa course qu’elle lui ravisse pas ses artistes ses poètes ses loupiots d’Afrique tout baveux du lait des comètes…
      Ouaouf ! Ouaouf ! Hop ! Hop ! … Mais la mort sociale celle de l’ouvrier au turbin mécanique d’enfer atroce pointage des minus copeaux d’exister et du troufion kamikazé dedans la garce d’explosion c’est ça qui le tenait aux tripes le Docteur Destouches et c’est ça qui le faisait écrire Céline pardi … “ Je n’avais pas encore appris qu’il existe deux humanités très différentes, celle des riches et celle des pauvres. Il m’a fallu, comme à tant d’autres vingt années et la guerre, pour apprendre à me tenir dans ma catégorie, à demander le prix des choses et des êtres avant d’y toucher, et surtout avant d’y tenir. ” ( Voyage au bout de la nuit p.81 Ed. La Pléiade, 1981 )
      Ouais c’est bien ça : la mort et la misère ça fait son petit bonhomme de chemin en bonne compagnie. Et déjà quand Céline rédigeait le Voyage c’est dans le ventre ouvert des abattoirs de la banlieue que les deux commères avaient leurs quartiers de préférence et ça ne s’est pas arrangé depuis… “ Il existe pour le pauvre en ce monde deux grandes manières de crever, soit par l’indifférence absolue de vos semblables en temps de paix, ou par la passion homicide des mêmes en la guerre venue. S’ils se mettent à penser à vous, c’est à votre torture qu’ils songent aussitôt les autres, et rien qu’à ça. ” ( Voyage au bout de la nuit p.82 Ed. La Pléiade, 1981 )

A suivre...




La Villa Maïtou à Meudon 2007

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27 janvier 2009 2 27 /01 /janvier /2009 23:49

De Camus à Céline... “ Je me révolte donc nous sommes ”... 
Epinay, décembre 2008

 

Ecrire sur Camus ça n’est pas une chose facile pour des gens qui ne prétendent pas avoir des opinions bien bricolées par les années d’école et l’habitude de bavouiller de ci de là avec de l’éloquence et du bon raisonnement ni pour ceux qui n’aiment pas du tout se retrouver parmi les innombrables qui ont pondu leur petit commentaire sur l’homme qui marche sous le soleil de Tipaza et le reste…

C’est pour ça que moi qui ai quand même quelques autres raisons de le faire ne serait‑ce que mon expérience de vie insoumise et marginale porteuse d’une certaine forme de révolte je me suis abstenue… Bien que le désir je l’aie eu je l’aie et qu’à mesure que le temps passe et que les rencontres avec des êtres de vie authentique qui ont bien connu le Camus des années algériennes tel que mon ami Jean Pélégri ou que Jean-Claude Xuereb m’incitent… je songe souvent qu’il faudrait s’y mettre…

Probable que c’est l’horreur de bavasser dans le vide et de faire du commentaire de texte alors qu’il y aurait tant à mettre de nos aventures autour des mots de L’Homme révolté de Caligula des Justes de Lettre à un ami allemand et des articles algériens au minimum qui m’ont retenue toujours de parler des engagements et des utopies accompagnant chaque réflexion de Camus… Et peut-être encore l’aura du doute en faisant une personne humaine qui écrit si loin des maîtres en écriture tous ceux-là qui nous assomment… Je crois bien que c’est ça qui me touche d’abord chez lui : le fait que j’y repère parfois sous le glacis de l’homme de lettres l’enfant des quartiers pauvres d’Alger où il a grandi…  l’enfant qui devenu un homme devait se demander s’il avait une légitimité pour devenir un écrivain…

Probable que c’est la même chose qu’avec Céline sur qui je me suis décidée à gribouiller un ou deux articles parce que là aussi là toujours c’était ma vie qui s’y collait. Et même si les deux hommes et les deux œuvres n’ont rien à voir je m’y sens moi pourtant en fraternité sensible avec plein d’intuition qui circule qui va qui vient et j’y retrouve des lambeaux de toutes les fringues que j’ai endossées les unes par-dessus les autres... Ouais c'est ça...  un peu à la façon de Céline à Meudon et de comment il s’attifait le bougre…

Jusqu’ici j'ai préféré laisser aux professionnels de l’art oratoire et de la critique le champ libre... Je me sens tellement hors de ce contexte-là à des mille de distance de la pensée abstraite et tellement malhabile à ajouter quelque chose... une réflexion… dans le sens de réflexe comme une balle qui rebondit et qu’on attrape au vol sans y penser justement… une réflexion hésitante indocile et malmenée c'est forcé par la réalité à tant de démonstrations aux références imparables…


          “ Des idées tout le monde en a… ” c’est Céline qui le disait et comme il avait raison… Oui des idées tout le monde en a et moi justement en ces années de ma jeunesse 1975 par là… j’avais 19 berges et des idées je n’en avais pas lerche… J’avais réussi à virer le pataquès de lieux communs qui est l’héritage piégé des braves gens de la droite catho non politisée c’est‑à‑dire bien dans le sens du courant que cherchait à me refiler mes vieux… eux qui n’avaient rien vu d’autres en 1968 que le manque d’essence pour la voiture de mon père qui était alors représentant en fil à coudre et fermetures éclair… ça ne s’invente pas…

Mais et Camus dans tout ça vous allez dire ? De Camus dans cette année 1975 je venais de découvrir complètement ahurie le texte de L’Homme révolté que je bouquinais sous la table pendant les cours de philo en bouclant une terminale difficile où je m’ennuyais redoutable sauf pendant les heures de philo par le fait… De cette terminale le principal souvenir qui me reste à part Camus c’est d’avoir lu les premiers vers de René Char de Desnos de Breton et de Saint John Perse grâce à mon prof de philo le poète Georges Brindeau… et d’en être restée les yeux écarquillés…

Avoir un prof de philo poète pour de vrai c’est déjà pas banal et un bonheur qu’on imagine pas qui puisse vous arriver à 19 berges mais faut que je vous dise que pour moi les années d’étude et d’école elles ont été à la fois tristes et violentes … une suite d’heures qui me rapetissaient dans mon corps et la poésie c’est bien la première chose qui m’a filé le début de la piste pour me tirer de là… fiche le camp vite vite de cet ennui qui me crevait la peau et de la peur pas descriptible qui va avec… Pas étonnant que j’aie rencontré Camus quasi en même temps vu que lui le désespoir d’une enfance qui ne mène nulle part je suppose qu’il l’a connu malgré la compagnie qu’il avait des petits mômes des rues d’Alger et de la liberté qu’y avait alors à vivre sur cette terre solaire…

Mais sa souffrance à lui c'était une pauvreté bien réelle semblable à celle des autres gamins ce qui permet de comprendre qu’il se soit senti proche des personnages de la littérature russe et surtout de ceux qu’on rencontre dans les romans de Tolstoï car quelle était la misère des koulaks ! La misère qui transpire comme une mauvaise sueur de la plupart des récits des écrivains russes tels que Gorki Dostoïevski Gogol… a dû aussi influencer l’écriture des Justes et la phrase qu’on trouve dans les premières pages de L’Homme révolté : “ La conscience vient au jour avec la révolte. ” colle tout à fait avec l’histoire de Stépan et de Yanek. Et la situation d’une grande partie de la société russe à l’aube de la révolution devait avoir des ressemblances avec celle des populations de l’Algérie colonisée qui ont un matin décidé que ça y était la limite de ce qu’il avaient supporté était atteinte…

A l’époque où j’embarquais à bord de L’Homme révolté je ne connaissais rien de l’enfance algérienne pauvre de Camus et je ne me vois pas en train d’aller quêter des similitudes de souffrance et de désastre avec la mienne ou des moyens pour recoller mon enfance en pièces vu que tout ça je ne pouvais pas le penser ni y penser… J’étais en plein dedans avec mes 19 berges et j’allais mettre un bout de temps à en sortir… Là où je zonais alors c’était la grande solitude et je n’avais pas d’autre compagnie que les bouquins où je creusais page après page ma galerie depuis des lustres en me disant qu’un jour ça déboucherait… ouais et j’avais raison… ça a débouché sur la révolte…

A l’état de solitude de mon adolescence il n’y avait que la révolte qui pouvait opposer son incendie et donner du sens à l’insensé total qui créchait sous ma peau parce que justement elle n’est ni une idée ni un concept ni une théorie et que ceux qui prétendent qu’elle est cela sont des niais qui n’ont jamais connu la lucidité atroce d’avoir le choix à la sortie de l’enfance entre l’abêtissement commun et le désespoir singulier…

Non… la révolte elle s’est pointée avec les poèmes de Baudelaire et de Rimb’ chantés par Léo Ferré et avec ses textes de Poètes vos papiers ! qui me griffaient la gorge comme un greffier qu’on libère de sa cage… Elle était cette émotion sauvage et brute avec laquelle on se construit en face de la chiennerie du monde bâtard des nantis et contre celui des hommes sans conscience. Cette émotion dont parle Céline qui allait devenir comme ça l’outil dont j’avais besoin pour forger à mon propre incendie mon histoire et ma destinée et les relier à celles des autres…

Et je peux dire aujourd’hui que j’ai bien bourlingué sur les pistes de l’existence et de l’écriture que L’Homme révolté de Camus tel que je l’ai lu à 19 ans a été le premier texte libertaire que j’ai approché de lui et le premier texte libertaire qui m’ait initiée à une expérimentation de l’histoire de la révolte humaine qu’il s’agisse de celle d’un paysan Makhnoviste d’Ukraine d’un ouvrier du livre de la Commune de Paris ou d’un anarchiste républicain espagnol en 1936…

Et la phrase qui ne m’a pas quittée depuis : “ Je me révolte donc nous sommes… ” venue un matin fracasser la vitre de ma solitude est s’il faut parler d’idées de la même invitation au désordre joyeux mis en commun que celle de Louise Michel : “ Toute idée remuée devient une aurore… ” 
A suivre...   

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12 août 2008 2 12 /08 /août /2008 19:04

A toi Mahmoud
En hommage au poète palestinien Mahmoud Darwich notre blog publie des extraits de ses poèmes de ses textes et d'entretiens qu'il a donnés à différents journaux ainsi que des témoignages...
 
                                Une mémoire pour l’oubli
                                      Mahmoud Darwich
                                                 Ed. Actes Sud, 1994
                        Traduit de l’arabe par Yves Gonzalez-Quijano et Farouk Mardam-Bey

 
Extrait

“ Du rêve naît un autre rêve :
-Tu vas bien ? Je veux dire : tu es vivant ?
- Comment savais-tu qu’à l’instant je dormais, la tête sur tes genoux ?
-  Parce que tu m’as réveillée en bougeant dans mon ventre. J’ai compris que j’étais ton cercueil. Es-tu vivant ? M’entends-tu bien ?
- Est-ce que cela arrive souvent que je sois tiré d’un rêve par un autre rêve, qui explique le premier ?
- C’est ce qui nous arrive, à toi et à moi. Es-tu vivant ?
- A peu près.
- Les démons t’ont fait mal ?
- Je ne sais pas, mais il reste du temps pour mourir.
- Ne meurs pas tout à fait !
- J’essaierai.
- Dis-moi : quand est-ce arrivé ? Je veux dire : quand nous sommes-nous rencontrés ? Quand nous sommes-nous séparés ?
- Il y a treize ans.
- Et nous nous sommes revus souvent ?
- Deux fois. Une fois sous la pluie, et encore une fois sous la pluie. La troisième fois, nous ne nous sommes pas rencontrés. J’ai voyagé, je t’ai oubliée. Je viens de m’en souvenir, je viens de me souvenir que je t’ai oubliée. Je rêvai
- Moi aussi, c’est pareil. Je rêvais. J’ai eu ton numéro de téléphone par une amie suédoise qui t’a rencontré à Beyrouth. Je te souhaite une bonne nuit. Pense bien à ne pas mourir. Je te désire toujours. Quand tu vivras, à nouveau, je veux que tu me parles. Comme le temps passe, treize ans ! Mais non, cela s’est passé cette nuit. Je te souhaite une bonne nuit. ”


“ Je suis malade d'espoir ” par Mahmoud Darwich

Propos recueillis par Gilles Anquetil

Extraits de l’entretien de
Mahmoud Darwich à l'occasion de la publication de son recueil de poèmes “ Ne t'excuse pas ” au Nouvel Observateur publié dans les pages Débats du numéro 2154 ( 16 février 2006 ).

Intégrismes
“ En tant que poète, suis-je condamné à m'exiler dans une petite chambre pour tenter, plume à la main, d'humaniser le monde ? La poésie est par définition ouverture et affirmation de la diversité des identités. Elle est la voix qui rassemble les êtres humains. Mais aujourd'hui les communautés ne sont agitées que par des passions absurdes et irrationnelles. J'ai peur que la trop fameuse “ guerre des civilisations ” ne soit bien en train d'avoir lieu. Mais ses protagonistes en sont les intégristes de chaque camp. ” ( … )
“ C'est la défaite générale de l'intelligence, le triomphe de la bêtise outrancière, l'adieu à la raison. Oui, la folie est générale. Le discours de haine est beaucoup plus facile à proférer parce qu'il ne flatte que les instincts. Les opprimés en arrivent à croire qu'ils ne s'en sortiront qu'en s'abandonnant à l'hystérie. La haine est une maladie qui se nourrit de l'obsession de l'ennemi. Le rôle de la poésie, disait Char, est aussi de transformer son ennemi en adversaire. Aujourd'hui, on ne cherche, on ne relève dans l'autre camp que les outrances, les caricatures de l'autre. Dans ce monde bipolaire, il n'y a plus de place pour la paix. ” ( … )

Empreintes
“ Dans mes poèmes, et en particulier dans mon dernier recueil, Ne t'excuse pas, je décris un dialogue, parfois rude, entre mes différents moi. Un Palestinien digne de ce nom doit s'enrichir de toutes les cultures qui l'ont fabriqué - les cultures mésopotamienne, grecque, persane, ottomane, juive, chrétienne et musulmane. Seules les identités multiples sont belles. C'est une chance d'appartenir à un pays irrigué par des cultures très anciennes, qui toutes ont laissé des empreintes. Elles étaient souvent celles de l'occupant, mais aujourd'hui elles sont devenues miennes. ” ( … )
Exils
“ En 1981, en exil à Beyrouth, j'ai créé la revue “ Al-Karmel, à la fois ouverte sur la littérature et la poésie palestiniennes et les littératures du monde. On m'a bien sûr reproché de ne pas uniquement célébrer la littérature de mon peuple. Chaque fois, je réponds que toute littérature qui défend une cause noble et juste tout en renouvelant la forme enrichit la littérature palestinienne. ” ( … )
“ Le thème central de ce recueil, c'est le retour au pays, en Palestine. Je médite sur deux notions: le chemin et la maison. Avant mon retour, je pensais que la maison était plus belle, plus désirable que le chemin. Aujourd'hui, je trouve que le chemin est plus beau que la maison. ” ( … )
Renaissance
“ Le paradoxe aujourd'hui, c'est que j'écris sur la beauté dans un pays où elle a été mutilée, saccagée, et où l'on vit en deçà de la vie. Je tente de compenser ce manque par la beauté que je chante dans mes poèmes. Comme un poète qui recommencerait de zéro, je m'attache à décrire la forme d'un nuage ou d'un cyprès, la fleur d'un amandier. Je me suis placé sous la protection des maîtres de la poésie arabe, mais uniquement des maîtres joyeux. Oui, j'écris en état de joie. Pas pour survivre, simplement pour vivre. ” ( … )
“ La poésie en Palestine est un combat pour “ désoccuper ” la langue. On me reproche parfois de ne plus être un poète de la résistance, un militant. Mais la vraie défaite serait que notre langue même soit vaincue par l'occupation. L'occupant s'attend à ce que nous ne parlions que de notre souffrance. Etre palestinien, ce n'est pas une profession, c'est aussi affirmer qu'un être humain, même dans le malheur, peut aimer l'aube et les amandiers en fleur. Ecrire un poème d'amour sous l'occupation est une forme de résistance. Le rôle de la poésie, c'est aussi de rendre les choses obscures pour qu'elles donnent de la lumière. Elle rend l'invisible visible et le visible invisible. La poésie est l'art du clair-obscur. Une lumière trop crue, trop violente efface tout. ” ( … )

Pour lire l'intégralité de cet entretien : www.bibliobs.nouvelobs.com 

                           
                              Au dernier soir sur cette terre
                                      Mahmoud Darwich
                                      Traduit de l’arabe par Elias Sanbar
                                             Ed. Actes Sud, 1994
Extrait

La huppe

 

“ Amour. D’un voyage à l’autre tu nous fais en vain voyager. Tu nous as fait souffrir. A nos parents rendus étrangers et à notre eau et à notre azur. Tu nous as saccagés et tu as vidé les heures du crépuscule de leur couchant et tu nous a dépouillés de nos mots premiers, volé nos jours au jeune pêcher et nos jours tu les as volés. Amour, tu nous a fait souffrir et pillés, à toutes choses rendus étrangers et tu t’es dissimulé derrière les feuilles de l’automne. Tu nous as dévalisés Amour, sans nous laisser le peu pour te chercher un lui et son ombre embrasser. Laisse-nous donc un épi dans l’âme qui puisse t’aimer. Et ne brise pas le verre du monde autour de nos appels. Ne te trouble, ni ne tempête. Apaise-toi un instant que nous distinguions en toi les éléments lorsqu’ils t’élèvent leur noce pleine. Rapproche-toi que nous percevions une seule fois. Méritons-nous d’être les esclaves de ton invisible frémissement ? Ne disperse pas ce qui demeure des débris de notre ciel. Amour tu nous as fait souffrir. Amour, don qui nous gaspille pour guider l’obscur en nous et il s’enflamme et ne nous appartient point, ni l’estuaire du fleuve ne nous appartient. Et le monde devant nous prend feu, feuilles de cyprès anciens qui aux nostalgies conduisent les nostalgies. Amour, tu nous as tant fait souffrir, rendus absents à nous-mêmes et tu nous as de nos noms dépouillés. Amour. ”

1991

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12 mai 2008 1 12 /05 /mai /2008 11:37

            Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvage        L'Enfer du Clos-Salembier, comme tout enfer concentrationnaire, tue l'essence du corps en même temps que le corps charnel. Il le tue en le faisant se dé-penser lui-même. Il anéantit le verbe fait chair dans la chair dévorée. D'où l'importance du feu dans chaque processus d'anéantissement, afin de flouer le corps de la terre. Du jardin qui est l'envers de l'enfer. Jardin au sein duquel le corps qui se fond fait fleurs et fruits. Le feu fait s'envoler le corps vers des hauteurs insensées où aucune maternité nouvelle ne peut lui être promise.
      C'est de cet Enfer du sens clos que vous chutez dans le ravin-vagin de la Femme sauvage où s'est réfugié le sens ouvert du premier lien paradisiaque et jamais vraiment rompu pour l'être féminin avec l'univers.  Le lieu du bas, c'est le lieu du ventre, qu'il est convenu de considérer comme celui de l'infâme, des viscères, du sang menstruel, de l'accouchement, «le Berceau». Ce lieu du ventre est le centre humain et paradisiaque du récit. Celui vers lequel le récit tend à se déplacer pour prendre corps féminin. “ En plein cœur de guerre, le havre. En effet La Clinique est par excellence protohistorique. ( … ) Unique lieu et moment où il n'est point d'autre but pour l'humanité que venir, chose extraordinaire, au jour. Dans la salle de travail, le monde tend à rien d'autre que naître. ”
      L'Allemagne des années 1930-50 et l'Algérie des années 50-70, ces deux pays “ à haine et à mort à ce moment de leur histoire percutent la vôtre. Et donnent pour vos parents légateurs de cette histoire - la vôtre - le désir-réalité du vivant. N'est-ce pas une preuve très forte de liberté par rapport à un destin ancestral “ d'hostilité et d'imposture ? Ne vous en sentez vous pas heureusement “ marquée ou peut-être fragilisée ?

      H.C.:
D'abord je savais que dans ma famille il y avait abri. Quelque chose était heureux. J'avais un très fort sentiment de paradis dans la mesure où je me disais par ailleurs que le paradis était perdu et menacé. Je me disais qu'on ne peut pas être heureux dans le malheur et que donc cela devrait se payer. J'ai toujours vécu de cette manière-là.

      Mon père avait ouvert après la  guerre la première clinique de radiologie d'Algérie. Au bout d'un ou deux ans, il est mort d'épuisement. La question pour ma mère s'est alors posée pour cette clinique. Elle l'a donc transformée en clinique d'accouchements. Avant cela elle faisait des accouchements au Clos-Salambier, dans le bidonville où elle descendait la nuit avec sa lampe et sa sacoche. J'ai vécu cela directement car elle a fait ses études entre 36 et 40 ans et je les ai faites avec elle.

      J'ai vécu mon premier accouchement quand j'avais 14 ans. J'ai assisté alors entre autres scènes à une fausse couche où la femme à force de grossesses répétées avait la peau du ventre jaunâtre avec des milliers de plis. J'ai vu des femmes au corps abominablement abîmé. Par la vie, par les maternités, par la violence. Et puis j'ai vu le contraire. Les femmes qui allaitaient leur enfant dans l'autobus étaient très belles.

      Il y avait des bagarres à mort avec couteaux et blocs de rochers. J'ai vu un Arabe se faire lapider par une bande de gosses parce qu'il était saoul. J'ai vu des gens hurler de douleur. Et cette force d'engendrement incroyable. Des gamins morveux, crasseux, pouilleux, en haillons et qui avaient une telle puissance de vie. Nous vivions entre vie et mort tout le temps. La conscience politique de ma mère était d'être sage-femme. Elle avait pris avec mon père ce chemin de préserver de la vie.

 Petite fille palestinienne à Gaza 1993 Photo Marc Fourny
A suivre...
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7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 11:47

Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvage

           De l'autre côté de nos liens infernaux suite...       Et comment pourrait-on imaginer monter vers un quelconque paradis en gravissant des piles de corps morts et défigurés ? “ … ma mère ne s'est jamais rendu compte de la quantité d'éléments mortels empilés dans la Ville. ” “ … cette Ville qui était nombreusement nommée, comme le sont les divines Villes dont on récite les attributs, pour moi c'est l'Enfer… ( … ) semblant être la vie même, alors qu'en réalité selon moi elle était guerre sur guerre… On pense bien sûr aux charniers juifs ou aux mille deux cent morts de la petite bourgade de Toudja en Kabylie durant la guerre d'Algérie, par exemple.
      Qu'y a-t-il de pire que de se condamner, de se damner à voir d'en haut ce qui Est sa propre plaie ? Comment sauver le corps aimant de ce carnage ? En ce sens Aïcha ne pourrait‑elle pas être tout le contraire de ce qu'est Fips ? La jouissance du corps autorisée au travers du corps de “ l'autre ” ?
      “ Entrer dans la maison charnelle d'Aïcha ”, ce n'est peut-être pas seulement “ entrer ” pour renaître mais aussi “ descendre ” ? Ne plus voir d'un peu au-dessus, comme sur le Vélo ce qui se passe dans le “ par-terre ”. Mettre pied-à-terre. S'enraciner.
      Et justement, Aïcha la représentation de la Mère, ne peut-elle aussi être regardée comme image symbolique de la Déesse Mère originelle, figure solaire et lunaire à la fois ? Présence matriarcale généreuse et abondante. Alma matrix.

H.C
.: Aïcha est quelqu'un de très particulier. Elle a figuré le maternel pour moi parce qu'elle était une très belle femme en premier lieu, et ensuite parce qu'elle était tout le temps enceinte. Lorsqu'elle ne pouvait plus travailler, une de ses filles prenait le relais. C'était comme si le corps d'Aïcha était là tout le temps. Aïcha qui avait peut-être appartenu à la tribu des Ouled Naïl était quelqu'un que je n'ai jamais vu humiliée ou offensée. Elle était tellement rayonnante charnellement que c'était cela qui dominait. 
Je pensais toujours qu'elle n'était pas domestique. Je la vivais comme une sorte d'entité très archaïque et que j'aimais moi aussi de manière archaïque. Elle avait bien sûr une autre vie que j'ai toujours désirée, mais à laquelle je n'ai jamais eu accès. Le jour où j'ai appris épouvantée que son prénom n'était pas Aïcha en fait, j'ai vu là l'image de l'aliénation dans laquelle nous étions. Elle n'a jamais osé dire: “ mais je ne m'appelle pas Aïcha ”. Et nous étions sans soupçons car le nom contre lequel nous nous gardions était Fatma qu'utilisaient les Européens à l'égard des Algériennes.
C'était une personne qui avait un charme fou. 
     
      Mais le mensonge change le corps aimé par la Déesse Mère en corps trahi par le Dieu Père. Le message reçu à la naissance est promesse de vie soudain muée dans le sang en cycles de mort. Ce sont “ les Treize coups de fouet d'Aïcha ” - mère terre promise - Aïcha qui est justement celle qui dispense le lait de ce Paradis perdu, sur le dos de Fips, fils père perdu, père-dû dans lequel perdure la cruauté des crimes et des esclavages.

H.C.:
Cette scène avec Fips était terrifiante. Nous étions tous dans un état de transe. Elle a accompli le geste de secours le plus immédiat. Le malheur c'est qu'après coup on ait toujours attaché Fips car il était devenu dangereux.
     
      “ Mais là-dessus m'arrive Aïcha lente crémeuse une jatte de lait sur le point de bouillir qui ne déborde pas remue de l'intérieur des épaisseurs désirables une gélatine enivrante à contempler pour son légérissime frémissement.

       Dans “ … il n'y a pas de femme chez nous… ” peut-on entendre: il n'y a pas d'accueil ou de plénitude, pas de corps ouvert pour recevoir et pour donner ? Aïcha ne vous semble‑t‑elle pas tellement femme et tellement vraie parce qu'elle se situe “ avant ” la formulation historique-politique-virile guerrière de penser l'autre, la vie, le monde ? Une figure primordiale qui tisserait du lien-amour-vie et non du lien-violence-mort.
      Une relation au monde qui passerait par le sentir et le ressentir et non plus par l'abstraction du sens. “ … d'ailleurs vivre était ma façon de penser et la peau était le livre. ”
      Et lorsque vous évoquez la confusion entre le masculin et le féminin ou encore une fois, “ l'inversion ” des rôles par votre mère avec le cadeau du vélo de femme à votre frère, ne pensez-vous pas que de faire prendre la place du féminin par le masculin est le désir général des mères ? C'est à dire de lui faire occuper les deux places. Ou toute la place ?
      Pour ce faire elles “ économisent ” du masculin et dé-pensent du féminin ?
      Pour reprendre ce que vous dites concernant Le Vélo  … et d'autant plus viril à la fin qu'il était féminin au commencement. ” Ne peut-on largement déborder l'histoire du Vélo et de l'Algérie pour rejoindre l'universel ? Le monde serait “ d'autant plus viril à la fin qu'il était féminin au commencement ”. Car qui a exprimé son désir de s'approprier la connaissance interdite au départ si ce n'est la femme ?

H.C
.: Sur ce point je dois vous reprendre mais uniquement par rapport au référent. J'accepte tout à fait ce que vous dites de l'inversion du féminin masculin comme piste d'interprétation. Mais il faut savoir que ma mère est un être neutre. Elle n'a donc jamais privilégié le masculin, justement. De ce point de vue-là elle est très germanique. Elle appartenait à une famille qui, en plus est une famille de femmes. Son propre père a été tué en 1915, comme soldat allemand. C'était les femmes qui portaient la famille, la nourrissaient.
C'est sa rationalité économique, à la mort de mon père, car nous étions pauvres, qui lui a fait acheter au bout de toutes ces années d'attente, un vélo de fille. Elle n'a même pas songé à castrer mon frère dans cette histoire puisque l'homme n'existait pas pour elle. Elle n'a pas vu du tout l'enjeu de la scène.  Elle vivait parmi ses sages-femmes et voilà. L'homme, on pouvait très bien s'en passer. Elle était complètement hors du symbolique. Elle était au delà de l'opposition masculin féminin.
     
      La complexité de votre “
couple ” avec votre frère ne réside-t-elle pas dans le fait qu'il ait volé votre désir d'aller vous mêler “ aux petizarabes ” grâce au Vélo ? Et qu'il y soit allé seul. “ Sans vous. Vous êtes une fois encore dans le “ sans ”.
      Ce vélo-volé n'a-t-il pas été pour vous le tournant du “ jeu ”, du “ je ” ? Puisque la scène du réel vous échappait, foncer sur la scène de l'irréel ? Inventer un univers faute de découvrir celui qui aurait dû être vôtre.
      En tant que femme et créatrice, l'Algérie ne peut-elle être votre intime obscur ? “ …ne‑pas-connaître l'Algérie c'est la connaître aussi. Le lien-de-lait avec Aïcha.

H.C.:
Pour mon frère qui lui, est un algérien, le côté masculin, viril et machiste comptait énormément. Il s'est emparé du vélo, alors que lorsque je suis sortie à quatorze ans, les petizarabes ne l'ont pas toléré. J'ai été mise par terre instantanément. J'ai renoncé au vélo pour privilégier mon voyage intérieur.
Mon frère ne m'a pas volé le vélo, c'était très clair entre nous. Cela a opéré une division d'orientation. J'ai pris la direction de la littérature, et lui celle de la terre, de la géographie et de l'exploration. Il est resté du côté de l'aventure et de la conquête. Il voulait la terre et moi je voulais le papier.
Et pourtant je désirais passionnément connaître l'Algérie. Mais nous ne disposions pas de moyens de transport. C'est seulement avant mon départ d'Algérie que j'ai découvert Tipaza parce que quelqu'un qui avait une voiture me l'a permis. Je pouvais atteindre ce qui était à la portée de mes pieds. Nous traversions Alger dans toutes les directions en permanence. Nous étions des explorateurs. Mais cela a ses limites. C'est mon frère qui a commencé à tout découvrir. Moi je suis partie sans avoir connu l'Algérie.
Mais on connaît de mille manières. Moi j'ai connu le corps des Algériens. Parce que ma mère m'a déléguée à la remplacer à l'âge de 14 ans dans les soins qu'elle donnait aux Algériens dans les bidonvilles. J'ai vraiment tout vu. J'ai vu, j'ai senti, j'ai touché. Hommes et femmes.
Lorsque j'ai vu l'Algérie, puisque ma mère y est restée jusqu'en 1971, ce n'était déjà plus chez moi.
 A suivre...

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25 avril 2008 5 25 /04 /avril /2008 23:28

Entretien avec Hélène Cixous De l'autre côté de nos liens infernaux  à partir de son livre Les Rêveries de la Femme sauvageCet extrait fait suite à celui publié le 10 avril 2008                                 
                           De l'autre côté de nos liens infernaux
      Le message d'amour de ce “ Messie ” annoncé ne sera pas reconnu parce qu'il est hors du contexte. Deux fois hors. Hors en tant qu'Algérien et non-Algérien. Hors en tant que Juif et non-Juif. Double "réalité" plaquée sur lui de l'extérieur et refusée à lui par l'extérieur. Mais à l'intérieur que se passe-t-il ? Double situation d'exils à l'intérieur de soi et d'exodes répétés les uns sur les autres, dont l'origine n'est ni prise en compte ni nommée. Lorsque l'on naît au croisement de ces déflagrations comment cela s'inscrit-il dans le corps ? Existait-il des mots pour délivrer Fips du rôle de réincarner de la souffrance ?

H.C
.:  Je savais qu'il y avait un système de prison en Algérie, que tout le monde était enfermé dans des systèmes d'exclusion extrêmement complexes. Là-dessus s'est déroulée cette histoire inouïe de Fips que je n'ai reconstituée que tardivement bien qu'elle ait toujours été avec moi. Fips est indissociable de l'Algérie. Fips est Job. Le chien émissaire qui portait les péchés de tout le monde alors que par définition il était le seul innocent absolu. Et je crois que je suis coupable encore aujourd'hui de son martyr et de sa mort. Je n'ai jamais pu m'en absoudre. Et je suis la seule porteuse de l'histoire de Fips parce que ma famille a oublié. Mon frère qui est mon double l'a vécue de manière très éloignée sans du tout incorporer ce personnage.

      Fips est donc “ disgracié ” comme un ange déchu. Tout ce qu'il est-hait, est marqué dans son corps : “
verbe fait chair ”. Corps multiple du peuple juif et-ou du peuple algérien “ en souffrance ” de lui-même et de l'autre. En attente de toutes les souffrances possibles comme preuve du corps incarné ? Tant que les Juifs et-ou les Algériens se livrent à la souffrance ils existent pour le bourreau d'eux, pour leur mal-aimant. Vous-Fips ne pouviez être reconnue que par une semblable souffrance du corps ?
      Qui est Le Chien ? Le corps, l'être sensible, sensuel, réceptif, aimant de l'Algérie, votre corps, le corps des femmes, le corps juif-arabe-nègre-fait esclave, le corps de votre père ? Tout ce que “ nous ” interdisons au corps d'écrire, de crier, d'inventer pour sortir de la souffrance de la pensée. D'une pensée plaquée sur lui par d'autres.
      N'est-il pas celui qui est “ empêché d'être ” ? “ Mon âme le Chien Ma transfigure sauvage ”.

H.C.:
 Ce qui est terrible c'est que Fips est mort de désespoir. Il est la figure même de la tragédie. Il payait pour nous. Il était trahi par nous. Et c'est la tragédie même parce que nous n'étions pas des traîtres. Les circonstances étaient toujours plus fortes que nous. Il n'y avait aucun moyen d'échapper. Nous étions anachroniques. Tout ceci se passait trop tôt ou trop tard.

       Etre dans la cage de la terre est déjà terrible. “ … il tourne en hurlant au grillage de sa cage où grimpent les rosiers rouges sous la mitraille. C'est le mensonge bestial, primaire, celui que tous les bourreaux mettent en œuvre. Mais la cage du “ ciel ” où vous êtes enfermée à des hauteurs insupportables n'est-elle pas celle qui peut rendre folle par le désir infernal de déchoir qu'elle suscite ?
      Il y a une double dichotomie qui entache la fusion ratée avec soi-même et avec l'autre. Celle qui touche d'abord l'être élu par le père auquel la mission de “ tisser des liens ” au dessus du mensonge raciste, colonial, inhumain… est dévolue, et inaccomplie. A laquelle se mêle l'inséparation entre la pensée sur soi et la pensée en soi par laquelle l'être féminin est rompu.

           “ J'ai sept ans, depuis quelques années je suis juive dit-on. (…) Son corps coupé en deux par le milieu retenu dans le voile tombe comme une masse sur le sol… (…) Un affreux sentiment de délivrance me perce. J'ai l'existence coupée en deux. ”

      La jeune fille dont le corps est couvert du voile de la virginité ne peut le penser destiné au viol, à la souillure. C'est l'abîme dans lequel le corps est abîmé. Cette scène de " la femme coupée en deux " ne peut-elle concerner toutes les femmes ? A la fois libres et prisonnières dans leur corps et leur regard sur elles, soumises et rebelles, coupables et innocentes, sachant et ne voulant pas savoir…
      La première faute étant peut-être simplement d'être une femme. De ne pas pouvoir, et plus encore dans un univers patriarcal, quitter ce rôle pour défendre l'autre si semblable de la culpabilité qui la tue. Qui nous tue.

H.C.:
 Il y a un personnage du livre qui figure la violence sexuelle en Algérie. Il s'agit de "Yadibonformage" puisque c'est ainsi qu'on l'appelait. Cette violence qui a été refoulée et déniée par la plupart des gens car ceux qui n'étaient pas dans des quartiers arabes n'étaient pas en contact avec elle. Elle était omniprésente. Les femmes mauresques se tenaient toujours sur leurs gardes dans l'autobus. D'un côté s'exprimaient toutes les formes de perversités dues à l'interdit des rapports entre hommes et femmes, et de l'autre, l'obsession de la virginité. Ma mère à la Clinique d'accouchements ne vivait que cela. De nombreuses femmes venaient se faire recoudre.
L'histoire avec Yadibonformage est redoutable car j'étais vraiment une petite fille. Je pense qu'il me proposait d'avoir un rapport sexuel avec moi sur le mode détourné comme toujours. J'en ai conçu une inquiétude énorme dont je n'ai pas parlé. Je me suis réfugiée à l'intérieur de la maison et je l'ai fui. Sans parler de nos turpitutes avec les contrôleurs d'autobus chaque jour. Mon frère et moi nous étions les gardiens secrets de ces histoires que nous ne racontions pas pour ne pas tourmenter ma mère. Et puis que faire ?
A suivre... 
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18 avril 2008 5 18 /04 /avril /2008 17:40

        Cette fois-ci et parce qu'il s'agit d'un très grand poète alors il faut une écriture connaisseuse et poétique à la fois... 
      Quelques extraits d'un texte en hommage à Aimé Césaire écrit par Christiane Chaulet Achour une grande amie spétialiste de la littérature algérienne et des Antilles, entre autres... Pour la découvrir elle et ses multiples travaux et livres :
www.christianeachour.net              Pour Aimé Césaire
Christiane Chaulet Achour, 17 avril 2008
(Université de Cergy-Pontoise, Centre de Recherche Textes et Francophonies et Département des Lettres modernes)

“ Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouche, ma voix, la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir ”
Cahier d’un retour au pays natal )


Aimé Césaire est né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe en Martinique. Il aurait, cette année, 95 ans… Sony Labou Tansi lui rendant hommage en 1989, écrivait : “ Césaire poète aura mis le feu de l’âme à la paille des arbitraires et des insoutenables ( … ) L’art du poète est aussi l’art d’apprivoiser la foudre. ”

Il fait ses études primaires et secondaires dans l’île puis part à Paris en 1932, après son baccalauréat, au Lycée Louis le grand et à l’ENS. C’est alors qu’il découvre Rimbaud et le marxisme. Il collabore à la revue Légitime défense. Mais surtout, en 1934, il fonde avec Senghor et Damas, la revue L’Etudiant noir qui entend mener un combat culturel. C’est dans ce groupe qu’émerge le mot “ Négritude ” qui prend sa charge poétique dans Cahier d’un retour au pays natal :

“ Ma négritude n’est pas une pierre, sa surdité
ruée contre la clameur du jour
ma négritude n’est pas une taie d’eau morte
sur l’œil mort de la terre
ma négritude n’est ni une tour ni une cathédrale
elle plonge dans la chair rouge du sol
elle plonge dans la chair ardente du ciel
elle troue l’accablement opaque de sa droite patience. ”

      Césaire a toujours insisté sur le fait que, pour lui, sa conception de la négritude n’était pas biologique mais culturelle et historique : il s’agit d’approfondir la conscience d’appartenir à la race noire et d’avoir la volonté de revaloriser la culture africaine.
      Dès 1935, il se met à la rédaction du Cahier d’un retour au pays natal dont une première version paraît dans la revue Volontés. Juste avant la déclaration de guerre, Il rentre en Martinique avec son épouse Suzanne. Ils sont tous deux professeurs au lycée de Fort-de-France. Au cours de sa carrière d’enseignant, Césaire a eu de nombreux Martiniquais devenus célèbres. Parmi ses élèves, il aura ainsi Joby, le frère aîné de Frantz Fanon qui passe à Frantz les cours de Césaire lorsque celui-ci prépare seul et à l’avance son baccalauréat.
      Entre 40 et 44, il crée la revue Tropiques avec René Ménil. Suzanne y est très active. C’est en 1941 qu’André Breton, de passage en Martinique, découvre Tropiques, Césaire et le Cahier d’un retour au pays natal. Il est enthousiasmé et le texte qu’il écrit alors, “ Un grand poète noir ”, deviendra la préface de l’édition du Cahier en 1947. ( … )
      Cette année 1946, il publie chez Gallimard Les Armes miraculeuses, poèmes et tragédie. La tragédie a pour titre, Et les chiens se taisaient ; avec elle, Césaire inaugure sa création théâtrale illustrée plus tard par d’autres pièces. De cette tragédie, je veux retenir ce cri du Rebelle qui a tant marqué la littérature ensuite :


“  Mon nom : offensé ; mon prénom : humilié ;
mon état : révolté ; mon âge : l’âge de pierre.
( … )
Ma race : la race tombée. Ma religion…
mais ce n’est pas vous qui la préparerez avec votre désarmement…
c’est moi avec ma révolte et mes pauvres poings serrés et ma tête hirsute

Très calme

Je me souviens d’un jour de novembre ; il n’avait pas six mois et le maître est entré dans la case fuligineuse comme une lune rousse, et il tâtait ses petits membres musclés, c’était un très bon maître, il promenait d’une caresse ses doigts gros sur son petit visage plein de fossettes. Ses yeux bleus riaient et sa bouche le taquinait de choses sucrées : ce sera une bonne pièce, dit-il en me regardant, et il disait d’autres choses aimables mon maître, qu’il fallait s’y prendre très tôt, que ce n’était pas trop de vingt ans pour faire un bon chrétien et un bon esclave, bon sujet et bien dévoué, un bon garde-chiourme de commandeur, œil vif et le bras ferme. Et cet homme spéculait sur le berceau de mon fils un berceau de garde-chiourme.
( … )

Tué… Je l’ai tué de mes propres mains…
Oui : de mort féconde et plantureuse ( … )
J’ai choisi d’ouvrir sur un autre soleil les yeux de mon fils ( … )
Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, un pauvre homme torturé, en qui je ne sois assassiné et humilié  ”. ( … )

      En 1948, il publie un nouveau recueil, Soleil cou coupé chez Gallimard et, en 1949, Corps perdu avec des gravures de Picasso, aux éd. Fragrance.
      C’est en 1950 que paraît un texte qui n’a pas fini d’éclairer le phénomène historique du colonialisme, Discours sur le colonialisme, aux éd. Réclame ( il ne sera réédité par Présence Africaine qu’en 1955 ). Comme l’écrit en 1989, Sony Labou Tansi :
    
      “ J’ai relu plus d’une cinquantaine de fois le Discours sur le colonialisme, je n’y ai trouvé aucun germe de haine, aucun transport de rancune ou d’amertume. Je n’y ai rencontré qu’un humanisme sans complaisance, qui ne fait de cadeau à personne ( … ) Malgré l’ampleur du problème et la nature passionnée de la question coloniale Césaire y met tellement d’humanité qu’il arrive à présenter devant nos consciences la double misère du bourreau et de la victime, la déshumanisation du maître et de l’esclave, le double piège qui mène au triple triomphe de la médiocrité sur la raison, sur l’intelligence et sur l’esprit ”. ( … )

      En 1956, Il participe au Premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne. C’est l’année où il quitte le PCF ( “ Lettre à Maurice Thorez ” ) et fonde le PPM, Parti Progressiste Martiniquais, dont l’objectif est l’autonomie martiniquaise et non l’indépendance. Il publie une version définitive du Cahier à Présence Africaine.
      1960 et 1961 sont marquées par la publication de deux recueils, au Seuil, Ferrements et Cadastre. Du premier, retenons :

 
“ Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen
N’y eût-il dans le désert
Qu’une seule goutte d’eau qui rêve tout bas,
Dans le désert n’y eût-il
Qu’une graine volante qui rêve tout haut,
C’est assez,
Rouillure des armes, fissure des pierres, vrac des ténèbres
Désert, désert, j’endure ton défi
Blanc à remplir sur la carte voyageuse du pollen. ”

      En 1962, c’est une étude historique sur Haïti qu’il fait paraître à Présence Africaine, Toussaint Louverture – Etude historique sur la révolution et le problème colonial. Sur la lancée, en quelque sorte, de cette présence de Haïti, si vive dans son parcours, il écrit, en 1963, La Tragédie du roi Christophe ; en 1965, Une Saison au Congo : ces deux pièces réfléchissent au pouvoir et au chemin difficile des libérations et des indépendances. Sa dernière pièce sera un “ dialogue ” intertextuel avec Shakespeare dont il adapte la pièce, sous le titre Une Tempête – La Tempête de Shakespeare pour un théâtre nègre. ( … )
      En 1976, les éditions Desormeaux à Fort-de-France éditent Aimé Césaire, œuvres complètes, en 3 volumes. ( … )
      En 1982, il édite, toujours au Seuil, Moi, laminaire.
      L’année suivante, en 1983, c’est le 25ème anniversaire du PPM.
     En 1986, Césaire donne l’édition critique définitive du Cahier ( Présence Africaine ).








“ Pour un cinquantenaire
A Lilyan Kesteloot
Excède exsude exulte Elan
Il nous faut Présence construire ton évidence
En contreforts de pachira
En obélisque
En cratère pour menfenil
En rayon de soleil
En parfum de copahu
Peu importe
En poupe de caravelle
En flotille d’almadies
En favelles
En citadelles
En rempart d’andésite
En emmêlement de pitons
Il n’importe
Le vent novice de la mémoire des méandres
S’offense
A vif que par mon souffle
De mon souffle il suffise
Pour à tous signifier
Présent et à venir
Qu’un homme était là
Et qu’il a crié
En flambeau au cœur des nuits
En oriflamme au cœur du jour
En étendard
En simple main tendue
Une blessure inoubliable. ”
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14 avril 2008 1 14 /04 /avril /2008 20:39

                                  Petites chroniques d'une cité de banlieueLundi, 14 avril 2008  De là d’où je vous cause… 2

      P’t’être que vous vous souvenez de l’année dernière à cette époque c’était un très joli mois d’avril qu’avait tout d’un printemps léger et sucré avec sa cérémonie des merguez chaque week-end dans notre cité d’Orgemont je vous ai raconté c’était avant la suite qui a rien de formidable et ce qu’on se farcit depuis un an un an seulement c’est pas possible ! Nous autres on a l’impression qu’ça fait un siècle que cette affaire nous est tombée dessus raide avec les murs de la citadelle Babylone en plus c’est relou alors !…
      Là en vous causant écrivant j’écoute IAM sur le poste et c’est clair que “ ça pousse derrière ” et qu’on n’a même pas aujourd’hui comme l’année dernière à c’moment la cérémonie de la douceur de vivre avec plein d’bouts d’soleil dans les p’tites ruelles de la tess’ et la joie de s’y retrouver ensemble avec des choses qu’on est les seuls à connaître quand on est né dans c’monde-là que les autres appellent “ ghetto ” et que nous on aime parc’qu’on a pas envie de se dire que là où on vit c’est crasseux comme ils racontent eux qui n’y mettent jamais les arpions…
      Ce qui s’est passé depuis un an par ici je vais pas vous le décrire c’est comme par chez vous avec un peu plus de sans issue qu’avant un peu plus de zermi et un peu plus de silence de plomb qui renvoie les gens chez eux pour pas qu’ils se causent qu’ils se rencontrent et qu’ils magouillent une petite révolte ou une petite façon d’s’en sortir les uns les autres comme ils sont capables de faire quand c’est l’printemps et qu’y a plein de douceur de l’air… “ Je pense pas à demain parc’que demain c’est loin… ” Voilà comment elle finit la chanson d’IAM et c’est sûr qu’aujourd’hui dans notre cité on se dit tous ça et que l’image qu’on a de nous-mêmes elle n’s’est pas améliorée depuis un an alors !…
      Et au fait d’image il a encore fallu que je lise par hasard vu qu’on me l’a refilé au cours d’un Salon où nos Cahiers des Diables bleus étaient sur le pont un d’ces bouquins écrits si on peut dire ça au moins mis en circulation dans c’pays qui est devenu celui de la littérature super marché super mâché pondu donc par un écrivain d’Algérie qui est pas un immigré ça non !… et pas plus un fils d’immigré ça non !… et pas plus qui a fréquenté nos banlieue d’ici sur Seine c’est visible à chaque fois que je les lis ces feuilles-là je me dis qu’ils ont le droit d’inventer d’accord c’est même leur job au fond… mais alors ils évitent de faire passer ça pour le réel genre témoignage parc’que nous vraiment leur radotage pareil celui des journaleux baveux sur la-vie-dans-les-cités-comme-j’l’ai-vécue ça nous gonfle !…
      Le sujet de son bouquin s’y en a un en fait c’est pas la cité vous vous en doutez vu que c’est jamais le sujet et que nous autres qui y vivons quand même on n’en est jamais les héros de leurs bouquins juste la cité c’est un décor et nous les figurants… vous avez remarqué ? Donc le sujet de c’livre c’est très très compliqué vous dire que je n’suis pas sûre de l’avoir compris… alors je m’avance et il semble que le sujet ça soit un truc tordu du genre : un jeune garçon se suicide parc’qu’il a découvert que son vieux qui était un brave cheikh qui vivait dans son village berbère depuis des lustres et que tout l’monde aimait bien était en fait un ancien nazi un vrai SS qui portait l’insigne des Totenkopf “ tête de mort ” rien que ça…
      En fait cet homme-là qui écrit semblerait que ça soit son obsession que les combattants pour l’Indépendance de l’Algérie et particulièrement ceux du FLN étaient des frangins des mecs de la SS ou du genre et j’ose même pas dire qu’il mettrait gentil les musulmans pratiquants dans ce sac-là mais c’est tout juste… vu qu’il nous fait un amalgame drôlement ficelé entre l’Islam et l’islamisme radical ce qui est on le sait le dada des réacs racistes et droitistes en touts genres de tous pays unissez vous pour le bien contre le mal etc etc… vas-y que j’t’embrouille tout ça pour que le gogo du bar du coin il y pige que couic et qu’il voie comme la petite mamie du block 3 tous les jeunes et pas jeunes basanés comme des dangers l’couteau sous la parka…      Alors moi qui vis dans une cité de banlieue à mi-temps depuis quatre ans qui suis née en banlieue dans le 9-3 et qui ai grandi à Auber pour ne rien vous cacher et qui vadrouille dans les cités d’la banlieue de Paris et d’ailleurs depuis pas mal de piges je voudrais dire que ce genre de baratin d’un type qui est total étranger à la banlieue on en a rien à faire pas besoin et vraiment c’est du n’import’ouiq ! Dans notre tess’ qui est pas différente des autres de la banlieue d’ici et des banlieues des autres Babylones de c’pays j’imagine y a pas “ d’Imam fhürer ” je cite… pas de “ mosquée dans les caves ” je cite… pas d’ “ habitants caporalisés par l’imam, cernés par les barbus en djellabas et bousons noirs, humiliés par les kapos qui tournent autour d’eux comme des pitbulls… ” Je cite encore et j’arrête parc’que ce type est un malade qui a besoin de fabriquer du pire pour vendre ses bouquins dégeus et comme la banlieue a le dos large vas-y ! …
      C’est drôle parc’que quand on lit comme moi un peut tout de ce qui s’écrit sur la banlieue vu que c’est mon centre d’intérêt en tant qu’écrivaine comme vous savez on remarque que cette littérature du grand délire qu’elle suscite est d’abord fondée sur de la haine à grosse lessive… des lessiveuses des machines à laver entières de haine qui bouillonne et qui se répand sur nous autres comme s’il fallait qu’on expie pour ?… J’vous laisse trouver pour quoi étant donné que moi je n’ai pas idée car les gens que j’connais et dont à l’occasion je vous raconte la vie dans ces petites chroniques ils sont tous les mêmes que ceux que je frôle bouscule fréquente ailleurs dans d’autres espaces et ils ont rien qui les dispose à être ni des moutons crétins qui suivent des chefs barbares ni des monstres prêts à trucider des p’tits enfants dans des caves sordides… Ouais c’est drôle mais nous la haine on ne l’a pas entre nous du tout ça non… si elle nous vient la haine c’est de l’extérieur avec les jugements et la morale des autres… toujours des autres…
      Dans la tess’ d’Orgemont moi j’y rentre la nuit avec mon sac et mon pognon que j’ai gagné en faisant ce week-end le Salon de la Ligue des Droits de l’Homme avec nos Cahiers des Diables bleus ou avec mon portable à la main ou avec mon pain de chez le boulanger marocain ou avec n’importe quoi et je croise des gens que je connais de vue ou que je n’connais pas et j’ai peur de personne et je vis parmi les gens que je respecte et que j’aime… Et comme j’observe les gens justement pour écrire mes petites chroniques je les vois se débrouiller comme ils peuvent avec le moins de pognon qu’ils ont de jour en jour tout comme nous autres aussi et je vois les p’tits jouer avec des jouets qu’ils fabriquent sur le macadam black vu qu’ici y a pas d’erre de jeux comme ailleurs souvent à Paris et dans des quartiers plus rupins y en a…
      Et s’il arrive des brutalités entre les gens ou des conflits ou des engueulades ou des colères terribles c’est exact comme ça se fait ailleurs partout où je vais-je vois ça… mais partout ailleurs on ne met pas en scène le lieu de vie le monde l’espace des gens pour en faire un spectacle ripou qui satisfait la petite crasseuse bien infecte voyeurie des bien chez eux et bien sur eux des littéraristes à cinquante balles qui flattent le penchant qu’ont pas mal de gugusses à suivre la piste du “ choc des civilisations ” et à faire en sorte qu’on se jette bien la haine entre nous… Moi ce qui me plaît dans notre cité d’banlieue c’est qu’on vit ensemble et qu’on se serait jamais rencontrés nous tous d’un bout à l’autre du monde si le hasard de la tess nous avait pas fait ce coup-là ! Et ça c’est de l’émerveillement tous les jours ouais… c’est avec cet émerveillement-là que j’écris…

A suivre...
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