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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

26 juin 2008 4 26 /06 /juin /2008 23:22

Cet article de Jean Pélégri sur Camus qu'il a connu et aimé à sa façon est un de ceux qui reste à mes yeux le plus vrai et le plus proche de cet homme sur lequel on a pu lire tout un fatras de bêtises prétentieuses et comme toujours lorsqu'il s'agit de Jean il est empreint de modestie et d'une intuition poétique qui donnent l'impression qu'il a été écrit hier...
Pour le confort de la lecture et en regard à la force de cette relation le texte est publié en entier même s'il est un peu long je pense que c'est mieux... 
Les lignes qui précèdent le texte sur Camus sont extraites des cahiers inédits que Jean m'a confiés avant de nous quitter il y a quatre ans...






Image Jean Pélégri 2007
Louis Fleury


Etre le Kateb


J’écris ou plutôt je parle, pour être entendu un jour de toute une foule.

Pour que l’homme, qui me lit dans la solitude de sa maison, retrouve dans mes paroles la voix de tous les hommes, ses frères.

Art poétique
Non daté

 













A propos de Camus, débuts et suites
Article écrit pour la revue Simoun

Jeudi, 22 mai 1960

L’exil et le Royaume

      Je ne l’ai rencontré qu’une seule fois, un soir, à Paris, vers minuit, à la suite d’une rencontre de hasard - dans un café qui faisait face au théâtre où l’on jouait Requiem pour une Nonne. Et nous avions parlé de l’Algérie…
      Il est toujours étrange de rencontrer, ailleurs, quelqu’un de son pays : cela donne une impression d’exil. Je l’ai éprouvée ce soir-là, dans la chaleur de ce café à la fois intime et exotique. Les cafés parisiens sont pour nous si différents de ceux d’Alger, que la rue paraît traverser, mais en même temps, à cause de nos lectures et des films, ils nous semble les avoir toujours connus, dans une vie antérieure.
      Dehors, c’était une nuit d’hiver. Des autos défilaient derrière les rideaux. On distinguait au passage leur ombre noire, la lueur des veilleuses, le chuintement des pneus sur le goudron mouillé. Qu’il semblait loin le bonheur marin de Tipasa !
      Moi, j’essayais d’accorder l’image de l’homme qui me parlait et celle que je m’étais faite de lui, à travers ses livres - j’essayais d’accommoder… Je ne me doutais pas que je n’aurais pas d’autres souvenirs de lui.
      Il m’avait pourtant invité à venir le voir. Mais je n’avais pas osé - par pudeur, par fierté. J’attendais d’avoir des raisons plus solides à son estime. En regard de lui je n’étais rien. Ensuite, à l’occasion de mon livre, il m’avait écrit, à plusieurs reprises - mais on n’ose pas croire aux lettres. J’attendais… ! Nous avions, me semblait-il, toute la vie devant nous… Ce n’est qu’après sa mort que j’ai su, par d’autres, que je ne lui étais pas indifférent.
      Savais-je d’ailleurs moi-même la profondeur de mon attachement pour lui ? Je pensais qu’il y entrait surtout de l’estime, de l’admiration, une obscure complicité venue d’une terre et d’un ciel communs – peut-être même un sentiment moins désintéressé : celui par lequel nous nous identifions, naïvement, avec un homme de notre pays, quand la gloire le visite. Et puis, un matin, dans le journal, un gros titre, une photo… “ Il y avait, disait le journal, il y avait sur son visage comme de l’étonnement ”.
      Moi, dans les jours qui ont suivi, c’est de vivre que j’étais étonné - étonné jusqu’à la stupeur. Chaque fois que je mangeais un fruit, ou que je voyais un rayon de soleil, sur une table, un livre, une robe, je ne pouvais m’empêcher de penser à lui. Je ne pouvais me faire à l’idée que ces simples plaisirs de l’œil et de la bouche, qu’il avait tant aimés, lui fussent désormais interdits. Comment l’imaginer, lui, dans ce définitif exil ? Comment imaginer sans lèvres et sans sourire, sans regard, celui qui nous avait appris à voir - à voir d’un autre œil, celui de l’art et de la mémoire, la mer et le soleil quotidiens ?
      Il me semblait aussi qu’avec lui s’était évanouie, du même coup, dans la même vague, toute une région de mon paysage intérieur - qu’une certaine mer, un certain golfe s’étaient engloutis à jamais, un certain printemps “ où les dieux parlent dans le soleil et l’odeur des absinthes ”.
      “ Les îles ont fui ”, dit l’Apocalypse… J’avais perdu la mer. Elle s’était retirée de moi. Et Tipasa n’existait plus !


Photo Jean Pélégri détail
Djamel Farès 2000


      A cette stupeur, à ce grand vide soudain, s’ajoutait une peine plus simple, plus fondamentale, cette du cœur - “ qui nous fait évoquer des morts les phrases familières ”. Je me souviens qu’avec des amis algériens, pendant ces jours - et il y avait, me semble-t-il, un beau soleil sur Paris, la Seine et les allées du Bois - nous n’avons cessé de parler de lui, essayant d’additionner, dérisoirement, les quelques images, vivantes, que nous avions dans nos mémoires. Comme si ce mort illustre était aussi un mort personnel ! Ce n’était pas seulement un grand écrivain que nous avions perdu, mais quelque chose d’autre - singulièrement nous Algériens - quelque chose comme un frère.
      Et aujourd’hui me voilà, comme beaucoup d’autres, avec toutes les conditions de l’amitié - mais sans l’ami. Réduit à me retourner vers mon seul souvenir : cette rencontre au milieu de l’hiver parisien.

      Quand je songe à ce soir-là, je me demande s’il l’avait encore en lui, le bonheur de Tipasa. J’aurais dû lui poser la question, elle est importante. Pour nous tous. Mais je ne savais pas… Je l’ai quitté comme on quitte un vivant… Il pleuvait dans la rue - une rue froide qui ne sortait d’aucun de ses livres. De ce fait, elle ressemblait aux rues de l’exil, telles qu’on les imagine. Est-ce ainsi que Paris lui apparut, quand il fut chassé d’Algérie ? Ce qui me frappe en effet, depuis cette rencontre, chaque fois que je le relis, c’est l’importance dans toute son œuvre, l’obsession de ce thème de l’exil.
      De l’Etranger jusqu’à l’Hôte, ce thème revient constamment sous sa plume, au propre et au figuré - comme il revient dans sa vie, avec cet intérêt passionné qu’il a toujours montré à l’égard de tous les exilés. Peut-être même le sentiment de l’absurde n’est-il, chez lui, que la transposition métaphysique de ce thème. L’homme exilé de sa terre, s’exile du ciel. C’était là semble-t-il l’épine profonde enfoncée dans sa chair. Et c’est par là que son œuvre est exemplaire pour tous les écrivains algériens, surtout ceux d’origine européenne. Nous sommes tous, en effet, des fils d’exilés, et peut-être, à leur tour, nos fils le seront-ils.
      Aussi retrouvons-nous en elle tous nos problèmes et toutes nos difficultés, toutes nos ambiguïtés - ce balancement crucifiant entre nos deux patries : l’Algérie et l’Europe - que connaissent aussi les écrivains musulmans de langue française. L’une est la terre de l’enfance, sans être celle de l’innocence ; l’autre, la capitale de l’esprit. Mais entre les deux, il y a toujours, en nous, une large mer, une mer de séparation -où nous nous obstinons péniblement, vainement peut-être, à dresser des ponts, que la moindre vague emporte. C’est là notre travail de Sisyphe. Il fait de nous des condamnés à la conciliation - à la réconciliation.
      Il fut ce condamné, bien avant tous les autres. Inlassablement, il poussa ce rocher - d’abord seul, dans le silence de l’indifférence, puis au milieu des railleries et des huées. Toujours à contretemps, dans la volonté lucide de déranger les conformistes du moment. Il le fit avec passion et mesure - ce qui est la marque du véritable amour, avec l’initiative et la persévérance.
      C’est là que se situe mon deuxième souvenir.

      C’était à Alger, par un après-midi de janvier 1956. Il était venu inviter les hommes de son pays à une trêve civile, pour épargner les victimes innocentes - et à cause de cela, sa vie était menacée. Cela se passait au Cercle du Progrès sur la place du Gouvernement, ce lieu de rencontre entre deux villes, mais endormi jusque là dans le passé. C’était de cette place, me racontait mon père, pue partaient autrefois les diligences, pour la plaine ou la montagne. Et c’est là qu’adolescent, dans la chaleur de l’après-midi, je prenais, pour aller vers la ferme natale, un car rempli de vieux Arabes à l’allure royale - un car tout bleu.
      Je l’avais toujours aimée, cette place : elle était un lieu d’amitié avec les miens, avec la mer. Noces m’avait appris à mieux l’aimer encore, à l’aimer telle qu’elle était - mais avec des mots. Je pensais bien la connaître. Pourtant, en ce soir de janvier 56, elle allait, grâce à lui, prendre un visage tout différent, se métamorphoser.
      Sous les arcades, à la grande porte de l’immeuble, deux courants s’opposaient déjà, celui de la fraternité et celui de la violence. Quelle stupeur de reconnaître, au hasard d’un remous, défigurés, des visages de camarades de lycée, avec qui autrefois, pendant la récréation de dix heures, j’avais partagé la “ coca ” à vingt sous - de les voir, pour la première fois, revêtus du masque politique de la haine. La plupart, hésitaient encore entre le chahut et l’émeute. Par moments, une plaisanterie fusait, qui les démasquait. Les rôles, ce soir-là, n’étaient pas encore bien connus. Ce n’était qu’une répétition.
      Je n’avais pu entrer, faute de carte, et j’étais allé m’adosser à un ficus. Autour, sur la place, dans le ciel, c’était le crépuscule - tel qu’il l’avait toujours décrit : le jour, avec ses certitudes, basculait dans la nuit. Pourtant, ce soir-là, à cause de lui, on pouvait espérer encore - résister à cette défaillance de la lumière. La nuit n’était pas totale. Au troisième étage, les grandes fenêtres du Cercle du Progrès étaient illuminées, fastueusement. Et en les regardant, je me sentais un peu comme le pauvre de Victor Hugo qui contemple, avec envie, le festin auquel il n’a pas été convié. Là-haut, dans cette salle où contre le même désespoir se coudoyaient Musulmans et Européens, c’était peut-être - moment encore plus éphémère que la gloire fragile du jour - c’était peut-être le dernier festin de l’amitié !
      C’est alors que se produisit la métamorphose. La place, avec ses maigres arbres, ses mendiants, sa foule du soir, ses trams bondés, sombrait - mais pas dans la détresse de la nuit, comme à l’ordinaire. Elle semblait naître au contraire, basculer dans une existence nouvelle, s’éveiller brusquement d’un long sommeil pittoresque et colonial - celui que beaucoup d’écrivains de passage, Gide par exemple, avait décrit, fixé, comme on le fait des papillons morts, en les épinglant. Ce soir-là, une passion la traversait, une passion neuve et sombre - la sienne.
      Un moment même, il me sembla que le décor, pourtant familier, surgissait soudain… d’un roman de Dostoïevski - cet auteur qu’il avait lu dans sa chambre de Belcourt, fenêtre ouverte sur les bruits de la rue, et par lequel il avait appris, lui le Méditerranéen, à donner sens, profondeur et mystère au paysage ensoleillé de ses certitudes. En effet, sous mes yeux, cette place se faisait fiévreuse, exaltée, fascinante, blanche et noire comme le mal et le bien. Etrange dépaysement !
      C’est à cet instant, sans doute, que je l’ai le plus profondément admiré, et secrètement envié. Rares en effet sont les écrivains qui peuvent ainsi accorder leur œuvre avec leur vie et réussir, dans la même démarche, cette double création. Lui, par sa seule présence, il était parvenu à donner sens nouveau au quotidien, à éveiller ce qui était endormi. Sa présence, et son courage, stylisaient en quelque sorte le réel. Si bien que sa vie, à l’image du soir, prenait le visage d’un destin. “ Les mots de la fin étaient prononcés ”. 

      C’était la dernière répétition de la tragédie qui commençait. Déjà, en effet, tandis qu’il parlait pour éveiller et pour réunir, des hommes s’étaient groupés sur la place - ses frères de race - et, comme pour l’exiler une nouvelle fois, ils le huaient, avec des cris de mort. Ils le huaient dans la ville de sa mère… “ Oui, tu es mon frère, et vous êtes mes frères que j’aime. Mais quel goût affreux a parfois la fraternité ! ” Ensuite, dans la nuit tombée, devant la statue du Duc d’Orléans, ils avaient allumé un grand feu, qui éclairait les naseaux du cheval de bronze - le premier feu de la haine.
      Pendant les mois, les années qui allaient suivre, nous n’aurions, pour éclairer notre nuit, que ce seul feu. Encore aujourd’hui, il nous glace. Mais qui saura encore nous dire qu’il y a, pour les hommes d’un même pays, d’autres recours que celui-là pour faire face au désespoir, pour équilibrer les forces de la nuit ?

      Aussi est-ce toujours vers ce souvenir de janvier 56 que je me suis retourné, chaque fois qu’à Paris ou ailleurs, j’ai entendu certains critiquer, jusqu’à l’insulte, du fond de leur fauteuil et avec la bêtise doctorale de l’ignorance ou de la haine, ce qu’ils appellent “ le silence de Camus ” !… Beaucoup font les braves, dit Bertolt Brecht, comme si les canons étaient braqués sur eux - alors qu’il s’agit simplement de lorgnettes de théâtre . Et c’est vers ce souvenir que je retournerai encore, si un jour, quand ils auront vingt ans, je devais rencontrer les enfants de Camus. Oui, je leur parlerai de ce soir-là - pour qu’ils puissent, un instant, savourer ce très doux bonheur : être fier du courage de son père.
      Je voudrais, pour conclure, exprimer un vœu, un vœu naïf, dont il aurait lui-même souri… Il faudrait qu’un jour, une fois la paix revenue et Tipasa délivrée de ses barbelés, cette place, ou une autre, porte son nom - pour que son exemple, qui aujourd’hui encore nous invite à na pas désespérer, ne soit pas oublié. Ne sommes-nous pas d’une terre où l’on aime honorer les morts ? Et peut-être pourrons-nous ainsi dans ce geste dérisoire, oublier un peu qu’à plusieurs reprises, nous l’avons condamné à l’hiver de l’exil.
      On graverait sur une plaque - mais assez haut, pour la mettre à l’abri des imbéciles - les mots qu’il prononçait ce soir-là : “ En ce qui me concerne, j’ai aimé avec passion cette terre où je suis né, j’y ai puisé tout ce que je suis, et je n’ai jamais séparé dans mon amitié aucun des hommes qui y vivent, de quelque race qu’ils soient. Bien que j’aie connu et partagé les misères qui ne lui manquent pas, elle est restée pour moi la terre du bonheur, de l’énergie et de la création. Et je ne puis me résigner à la voir devenir pour longtemps la terre du malheur et de la haine… Puisque c’est là notre tâche, si obscure et ingrate qu’elle soit, nous devons l’aborder avec décision, pour mériter un jour de vivre en hommes libres. ”
      Ce serait une consolation, pour nous qui sommes du royaume, de se donner rendez-vous sur cette place avec des amis, avant d’aller vers le port - une petite consolation - malgré l’incroyable étrangeté de voir ainsi pétrifié, à jamais, celui qui fut notre jeunesse.
      On se souviendrait plus facilement, en lisant ces mots, ces mots déjà tout préparés pour la fin, de ce jeune homme en costume blanc qui marchait vers la mer, sous le soleil - au temps de l’invincible été.

De longs extraits de ce texte ont été publiés dans le livre sous forme de dialogue Jean Pélégri l'Algérien Le scribe du caillou Ed.Marsa, 2000

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24 juin 2008 2 24 /06 /juin /2008 23:08

Hélène Cixous Alice Cherki et Frantz Fanon suite...

          A partir de la publication de Peau noire, masques blancs, l'on peut commencer à parler de la façon particulière de se mouvoir en écriture que Fanon a adoptée et perpétuée pour chacun de ses textes. D'après sa femme Josie “ Fanon a écrit la première mouture de ce livre en le lui dictant, tout en marchant de long en large comme un orateur qui improvise… ” Et “ cette parole dite à un autre de préférence proche et inscrite par cet autre, était son premier et essentiel support ”.
          La parole est donc l'expression d'un corps en mouvement une surrection du sens jaillie d'une tension musculaire et de l'échange avec l'autre. Chaque moment de sa vie d'homme et de militant ainsi que de son travail de psychiatre le confirmera. Tout dans sa démarche est relation voulue de proximité du corps et de la parole. Qu'il s'agisse de la réflexion sur son expérience médicale menée en simultanéité avec celle-ci dans le rapport qui s'invente sans cesse du “ malade ” au “ soignant ”. Qu'il s'agisse de la manière de la transmettre par l'intermédiaire du lien de celui qui dicte à celui qui prend en note. Qu'il s'agisse de rompre le rapport d'aliénation réciproque de celui qui humilie ou torture à celui qui est en situation de victime. Fanon ne fuit jamais la violence de l'altérité au contraire il la provoque pour la comprendre et la dépasser par ce qui peut de part et d'autre en être dit.

          “ Mon ultime prière : Oh mon corps, fais de moi toujours un homme qui interroge. ” En effet, la profonde singularité de cet ouvrage, outre le propos, tient à son écriture. Son originalité est dans la nécessité de transmettre une expérience par un corps à corps avec la parole. ”
          Peau noire, masques blancs - Frantz Fanon Portrait

          Devenu médecin du cadre des hôpitaux psychiatriques son départ pour l'hôpital de Blida en 1953 correspond peut-être à l'impossibilité d'obtenir un poste aux Antilles ou au Sénégal. Une lettre à Léopold Sédar Senghor étant restée sans réponse. A l'hôpital de Blida‑Joinville où il travaillera de 1953 à 1956 il va se trouver confronté à ce que l'on a appelé la théorie du “ primitivisme ” consistant à voir “ dans l'indigène nord-africain un homme primitif dont l'évolution cérébrale est anatomiquement défectueuse, différence raciale génétiquement fixée ” doctrine des “ psychiatres de l'école d'Alger ”.
          Cette thèse figure dans le Manuel alphabétique de psychiatrie, édité en 1952 et qui sera “ le seul ouvrage de langue française accessible aux étudiants et apprécié par eux ” au moins jusqu'aux années 1970.
          Fanon prendra la parole dans la revue Consciences maghrébines sur le sujet rapprochant cette théorie de celle selon laquelle “ l'Africain normal est un Européen lobotomisé ”. Cette remise en cause par l'écriture de notions racistes prétendant s'appuyer sur une observation médicale se fera de manière simultanée avec la mise en place à l'hôpital de Blida de la socialthérapie.
          Fanon comme tout vrai vivant ne reste jamais dans une dénonciation négative. Il joint aussitôt à l'invalidation d'une pensée archaïque la mise en mouvement et en acte d'un nouveau type de relation humaine qui esquisse une réelle réciprocité du regard.
          A partir de 1954, Fanon participe à la révolution algérienne et va s'inscrire dans ces moments de l'Histoire qu'il considère comme reflétant “ son souci de désaliénation des plus aliénés ” avec une trajectoire qui continue de refléter à la fois sa différence et sa proximité. Il rédige durant la grève des étudiants de l'été 1956 Racisme et culture qu'il présentera au Premier Congrès des Ecrivains et Artistes noirs en septembre 1956 à Paris à la Sorbonne.

          “ Il revient avec force sur l'idée selon laquelle le racisme est un élément culturel, c'est‑à-dire un ‘ élément qui se renouvelle, se nuance en fonction de l'évolution de l'ensemble culturel qui l'informe ’. Le racisme biologique, qui se veut scientifique, cède la place à ce racisme culturel, reprise subtile par la modernité, après 1945, des énoncés racistes : l'objet du racisme, ce n'est plus la configuration du crâne ou la couleur de la peau ou la forme du nez, mais une ‘ certaine forme d'exister ”.
          Frantz Fanon Portrait


Enfants palestiniens à Jérusalem
1993
Photo Marc Fourny


          L'allusion faite par l'auteure à l'écriture “ dans le même temps ” du Cadavre encerclé et de Nedjma par Kateb Yacine situe parfaitement où l'on en est et ce qui se dit par l'écriture de la pétrification d'une culture et d'une population dont le corps demeurera à la fois amputé de lui-même et captif. Toutes ces formes de mises en esclavage “ partiel ” laissent subsister dans l'être juste assez de “ non-identité ” en-deçà de laquelle il n'est plus rien pour qu'il puisse garantir à l'autre sa totalité régnante et son unité physique sa factice grandeur.
          L'image du cadavre d'une culture et d'un peuple encerclés renvoie en effet à ce qui se joue dans la violence humaine comme étape précédant l'accomplissement de la disparition absolue et finale de l'autre lorsque le dominant ne requiert plus du tout d'esclave… lorsqu'il est lui-même tout à fait mortvivant. Le cadavre ne sera effectivement jamais enterré ne retrouvera jamais ni sa terre ni aucun territoire de mémoire pouvant à nouveau “ le rappeler ”… “ le souvenir ”. Il est hors de toute parole sans-souvenir et sans sépulture.
          Or le rêve de Fanon ne pouvait que rejoindre celui des femmes et des hommes qui écrivent aujourd'hui à partir de l'expérience des divers métissages qui se sont tissés au sein des sociétés modernes dans lesquelles ils vivent. Ce en quoi, être de mouvement il voyait déjà au‑delà du strict présent. “ La culture spasmée et rigide de l'occupant, libérée, s'ouvre enfin à la culture du peuple devenu réellement frère. ”
          A la fin de l'année 1956 lorsque la situation en Algérie devient intenable Fanon envoie sa lettre de démission et reçoit en réponse un arrêté d'expulsion. Après avoir transité par Paris il rejoint Tunis début 1957. Il entre rapidement “ dans le service de presse, encore embryonnaire et éclaté entre le Maroc et la Tunisie ”. Il joint à cela “ un poste de psychiatre à mi-temps à l'hôpital de la Manouba ”. Dans l'été 1957 il intègre l'équipe rédactionnelle d'El Moudjahid, organe de presse du F.L.N. Il va y participer à la rédaction de nombreux articles durant les années de guerre, travail militant réalisé en commun et dans l'anonymat plus laborieux que “ glorieux ” où les passages les plus personnels écrits par Fanon ne sont souvent pas retenus.
          Fidèle à l'idée qui le préoccupe depuis le début de sa réflexion “ il s'intéresse essentiellement dans ces écrits à l'affrontement entre le colonisé et le colonisateur ”. Il entre en contact avec la réalité de la torture en Algérie ce qui donnera à mon avis le passage le plus fort de sens des Damnés de la Terre à savoir le chapitre 5 intitulé Guerre coloniale et troubles mentaux. Il y présentera dix cas de troubles mentaux et de comportements violents dus à “ l'atmosphère de guerre totale qui règne en Algérie ”.
          L'article qui paraît alors sur ce sujet dans El Moudjahid s'intitule L'Algérie face aux tortionnaires français. Nous voici avec ce passage de la vie et de l'écriture de Fanon au coeur de ce qui répercute l'aliénation dans son cycle ne présentant plus à force ni début ni fin. La trace transmise d'une “ culture de la douleur et de la honte ” qui s'inscrit dans le corps en-deçà et au-delà de la main du bourreau est une forme de négation très difficilement communicable. Seul justement le bourreau sait et “ partage ” le ressenti de sa victime et ce couple mortellement uni demeure bien après les guerres la donnée de base des esclavages futurs : “ … nos actes ne cessent jamais de nous poursuivre ”, écrira Fanon dans Les Damnés de la Terre.


A suivre...

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23 juin 2008 1 23 /06 /juin /2008 23:15

La part du pauvre suite...

              Khaled l’aveugle… C’est seulement depuis deux soirs que j’ai osé me payer le plaisir avant de trifouiller à nouveau ce morceau de trottoir avec mes pieds de commander deux verres de thé au lieu d’un… Attablée à mon soleil je déguste la lumière dorée qui fait le lézard à l’intérieur du liquide ambré en sautant d’un verre à l’autre comme dans tes yeux.

Ecoute… lorsque je reviens à travers la nuit encore entortillée sous son foulard de silence qui bâillonne les bouches de sommeil mais laisse les paupières ouvertes je ne prends jamais le chemin le plus court… Pourtant on croirait qu’au bout de ces heures foutues à transporter des rames de papier pesant leur poids d’arbres abattus d’une extrémité à l’autre de l’imprimerie l’envie se planque en toi d’étirer tout ton corps dans des draps comme de l’eau. Sûrement c’est comme ça pour les autres mais pas pour moi…

Si je retournais aussitôt dans mon cagibi après avoir quitté Sarah qui rentre en mobylette vers sa Cité éclatée au bout de la banlieue je perdrais le sens de la nuit… C’est ce que je me dis pendant que le bus sorti comme un insecte brillant de l’ombre collée à ses basques d’une banlieue encore plus larguée que celle de Sarah me trimballe parmi le brasillement des feux de Bengale des boîtes du Boulevard Saint-Germain où viennent s’échouer entre deux tables les clowns aux chaussures trop grandes qui poinçonnent l’ombre comme moi en veilleurs solitaires…

Ecoute… la dame qui est couchée sur des cartons à l’intérieur de son duvet dont le bleu brûle pareil celui d’une nuit d’été généreuse mes paupières enfonce en moi chaque fois que j’arrive à sa hauteur un regard coincé entre la colère et le désespoir qui ne se résigne pas… La boutique contre laquelle elle s’adosse dans sa maison de carton est pailletée de vêtements de femmes dont les tissus se frôlent en un murmure de papillons prisonniers d’un flacon de verre.

La boutique aux papillons de tissus porte sur son enseigne un nom qui en dit long : “ Nuit câline ”. La maison de cartons est une façon de ne pas se faire complètement absorber par le macadam des trottoirs qui sucent la peau qu’on leur offre et où seuls les pieds s’en sortent sans être à moitié mangés. Les trottoirs cannibales ont du pain sur la planche…

Je ne sais pas pourquoi je m’arrange pour descendre cette rue-là où m’attend le corps de cette femme langé dans son habitacle de plumes que je me force à enjamber ou à contourner selon les cas et la griffe impitoyable de deux yeux de proie. C’est une petite rue qui rejoint le Boulevard Saint-Germain au milieu des poubelles des restaurants gavées précautionneusement de marchandises et les chaussures cirées jusqu’à l’os des types ivres avec talent qui sortent de la Rhumerie en trébuchant… Ils viennent se butter lame de fond mécanique contre le corps qui fait écluse au milieu du trottoir…

            Je me demande si elle n’attend pas ce moment de l’insulte avec délice. Ses yeux de proie crient. Les hommes s’épavent en elle. Leurs lèvres sont sucrées d’alcools caraïbes et de mangues dans lesquelles ils ont mordu longtemps. Superbe elle se dresse de son totem de­­ corps fiché là. Au pied des costumes papillonnant leurs ors et leurs voilettes vénitiennes au‑dessus de cuissardes rouges canailles et d’escarpins insaisissables…

Il y a des tas d’autres rues par lesquelles je pourrais capturer la nuit juteuse du Boulevard extravagant à la recherche d’un port absent mais c’est celle-là que je choisis. C’est celle-là que mes pieds prennent comme si le regard oriflamme de cette femme planté en moi était une plaie à garder vive. Une échancrure de mémoire. C’est seulement depuis deux soirs Khaled l’aveugle… que j’ai osé me payer le plaisir de commander deux verres de thé au lieu d’un.

 

Ecoute… écoute…

Cet hiver comme il avait fait très froid j’avais enfilé par-dessus mon bleu une veste en kapok aussi épaisse qu’un édredon car l’entrepôt stockait les courants d’air à la manière d’un croupier ses jetons. Il les ratissait sur son tapis de ciment et nous les renvoyait à hauteur de l’estomac. Sarah avait l’air d’un lutin dans son bleu beaucoup trop grand sous son bonnet pointu d’astrakan où de fines mèches rousses s’ébouriffaient. Je m’étais amusée un jour pendant la pause à compter les tâches de rousseur qui picoraient ses joues et jusqu’au bout de son nez… Prise d’un fou rire à cause du nombre qui me paraissait illusionniste j’avais dû abandonner pendant qu’elle m’affirmait qu’elle en avait bien plus encore à partir du bas des reins…

C’était elle Sarah… qui avait cousu sur ma veste édredon hors de laquelle j’émergeais à peine du bout des doigts un col de fourrure faisant capuche que lui avait donné un vieux tailleur qui habitait parmi les éclats de sa banlieue. Il lui avait aussi fourni des gants car ses mains à force d’ouvrir les cartons de papier et de les retourner sur les tapis roulants qui les entraînaient vers les différents ateliers où on entendait sans cesse ronchonner les machines étaient presque celles d’une vieille femme des trottoirs.

Il faisait si froid cet hiver-là qu’on nous avait déposé en cachette à cause de l’interdiction un brasero et plusieurs sacs de charbon avec consigne absolue de tout inonder avant l’aube. Rouge… rouge et noir… Ça voulait dire que celles qui prenaient la relève de jour n’auraient droit qu’aux ongles violets comme des coquillages… Bien sûr on n’éteignait rien du tout… Et le matin se ramenait dans le soleil orange du brasero pendant qu’on mangeait avant de se séparer la soupe aux haricots ou aux lentilles qu’avait apportée Benjamin dans sa gamelle fumante qui nous vidait l’estomac des coups de poing courants d’air.

Nous trois et Clarisse le Guadeloupéen dont les chaussures n’avaient pas de lacets et qui travaillait à la broyeuse de cartons… nous trois… on avait réussi à déchiqueter l’ennui… On reprenait durant toute la nuit sans rien y comprendre les chansons dans sa langue qu’il répétait à tue-tête pour faire mieux encore que le bruit de la machine à manger nos vies de papier…


A suivre...

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20 juin 2008 5 20 /06 /juin /2008 17:36

Après un premier article dont j'avais pris des extrait dans le magazine des Femmes en mouvements n°7 de Juin 1978  il était question des femmes de mineurs et pour rendre hommage à nouveau à cette arrière-grand-mère dont je vous ai causé dans mon histoire des familles ouvrières paysannes : Mémé... voici un nouvel extrait de ce magazine où y a tout ce qui nous manque tant aujourd'hui concernant les conditions d'existence de nous autres les gens qui depuis toujours ont trimé marné besogné... Il s'agit des femmes des usines du textile où Mémé à bossé dès 8 piges en 1884 donc... Mais là quelques cent ans plus tard les conditions de travail ne sont pas meilleures comme vous verrez... A toutes les femmes qui ont eu leur vie pourrie par le travail je dédie cet article...
 

        On vit sans vivre
           Article extrait du magazine des femmes en mouvements
           N°6 Juin 1978 

Mémé à 40 ans en 1916 

      Rien ne va plus dans le textile, ce secteur industriel qui emploie plus de 80% de femmes.

      En trois ans, 150000 emplois de supprimés. Sans parler du chômage partiel très développé. Des salaires de 30% inférieurs à la moyenne générale. Sans parler des conditions de travail souvent très dures et même insupportables ( debout, le bruit, la poussière, la chaleur… ) et sans parler de toutes les maladies honteuses qui prolifèrent dans un secteur en crise ( sous-traitance, dépôt de bilan, travail à domicile… ).

      A Watrelos, chez Du Sartel, la direction répète toujours que c’est une des plus modernes filatures sur place. Pourtant les conditions de travail y sont particulièrement pénibles.

      Une ouvrière raconte :
Ça, pour du tape-à-l’œil, il y en a : des millions de dépensés pour installer des salles de repos et surtout une salle de réception, avec climatisation, sono, ameublement de style… Ce sont les vitrines de la boîte qu’on montre à tous les visiteurs qui viennent s’extasier devant nos installations. Mais le réfectoire ? Il date des débuts de l’usine ; aucun plat n’y est servi. On n’a aucun poste d’eau potable dans toute l’entreprise ! Conséquence : on n’a même pas pu installer de distributeurs de boisons.
      Quel bruit ! quelle odeur ! Si tu veux, on peut parler des conditions de travail : les plus pénible, c’est le gazage. Les filles sortent de là après leurs huit heures toutes noires comme si elles remontaient de la mine. Et quel bruit dans l’atelier ! Que de poussière ! ( leur travail consiste à passer la fibre au gaz pour enlever les impuretés ). Et impossible de s’en débarrasser. Eh bien ces filles-là ont le même salaire qu’aux autres postes. Avec une prime d’insalubrité : mais tu sais de combien, la prime ? Environ 50F par mois !
      On ne profite de rien. A l’emballage, c’est dur aussi. L’enfer du rendement. Les filles “ bourrent ” tant qu’elles peuvent pour arriver à gagner un peu plus que le SMIC. Ce sont surtout des jeunes, et qui ne tiennent pas le coup longtemps. Un sandwich avalé sur la machine, même pas le temps d’aller aux wc ; et le matin elles arrivent à 4h30, une demi-heure après la mise en route générale pour gagner du temps ; mais c’est dangereux car elles font démarrer les machines dans le noir.

      Faut voir les problèmes de santé dans ce secteur ; des histoires de colonne vertébrale, des maladies des bronches, et surtout une sacrée fatigue nerveuse. Une fois sorties du boulot, on ne profite de rien, on est trop crevées.
      400 bobines de 2 kilos Moi, je suis dans le secteur du bobinage. C’est très moderne, paraît-il. On vient d’installer de nouvelles machines ; mais elles sont plus hautes, donc plus d’effort pour y poser les bobines ; et les bobines sont deux fois plus lourdes.
      On travaille debout - d’ailleurs toutes les ouvrières travaillent debout dans l’entreprise. Moi je suis voyageuse de banc à broches. J’explique : je dois mettre les bobines, les retirer, les poser sur le haut de la machine. Cela fait environ 400 bobines à manipuler. Chacune pèse deux kilos. A la fin du poste, je t’assure, on est complètement éreintées. Pour ça je suis payée 11,50F de l’heure ( à déduire 10,90% pour les différentes retenues ).
      On est une dizaine de femmes dans l’atelier. Les deux chefs sont des hommes. Le contremaître en chef, lui, doit se faire dans les 6500F par mois ! D’ailleurs sur les 643 salariés de l’entreprise, il n’y a que deux femmes cadres : une secrétaire de direction et une au centre d’apprentissage de la boîte.
      Pas de promotion pour nous les femmes dans ce genre d’entreprise ! Aussi la retraite, si tu la prends à 60 ans eh bien ! tu touches 1100F ! Impossible donc de s’arrêter avant.
      On vit, sans vivre Nos horaires, c’est ceux des 3/8 : de 5 heures à 13 heures, de 13 heures à 21 heures. La nuit ce sont des travailleurs immigrés, des Algériens, qui la font, avec les mêmes salaires de misère que nous.
      Alors pour celles qui n’habitent pas Watrelos, quelle vie ! Le car de ramassage ou la mobylette. Ça en pleine nuit, en plein froid. Certaines ont opté pour une solution qui n’est pas moins pénible : elles sont hébergées au foyer de la filature et ne rentrent chez elles qu’en fin de semaine. On vit, sans vivre. D’abord le travail ; et après, s’il en reste, la vie personnelle.

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19 juin 2008 4 19 /06 /juin /2008 18:07

      Une enfance bohême d’écrivain ordinaire... suite...

 Epinay, dimanche, 8 juin 2008

      C’est un banc qu’est toujours vide… y a des oiseaux aussi juste à droite pas loin de la fontaine ça sent très bon des aubépines je crois… vous aimeriez…
      Si vous voulez je vous lis une ou deux pages juste pour l’impression hein ?
      D’accord… mais juste une ou deux pages hein…
      Parole de lézard ce TGV Paris-Montpellier c’est devenu par force son territoire elle passe là-dedans aussi long temps que des nomades du désert transporteurs de sel sauf qu’elle son temps il est enfermé sous la carapace du gros reptile qui la trimballe comme dans les contes de fées d’un morceau d’sa vie à l’autre… Sûr qu’sa vie c’est moitié iguane des gares quand elle débarque dans la night elle voit des dunes et ça lui va bien…
      En sautant Hop ! Hop ! du TGV de 5H23 qui coince les buttoirs à 9H30 et se cale en Gare de Montpellier elle croise le conducteur qui vient de larguer la motrice au museau de fennec orange et ils ont échangé un sourire connivence… Se sont jamais rencontrés évident mais avec tous les conducteurs les chauffeurs des p’tits durs ou des grands dans toutes les gares elle a des signes de reconnaissance ils sont pas famille mais z’ont la solitude des z’animaux sans horde qui dodelinent de la tête cherchent des points de repères quand ils arrivent… la tendresse farouche des voyageurs les pieds brûlés des marcheurs de sable…
      Elle a sauté Hop ! Hop ! et pas plus réveillée que ça malgré la quantité de p’tits noirs qu’elle s’est avalée depuis que le miaulement de greffier en chasse du portable l’a sortie d’un bon de sous la couette rouge style les vieux gros édredons c’est dans un Emmaüs d’la zone vraiment pas chère qu’elle l’a choppée dessous un tas de chiffons coussins crados oreillers moitié crevés ripous… elle avait encore transpiré le corps tout mouillé de la sueur pamplemousse de l’aube l’heure de son sommeil profond quand elle s’arrache à ses mirages miroboles ses dunes cuivrées ocre ses tapis trop volant au-dessus des Babylones aux coupoles mosaïques de ces bleus comme les anges en auront jamais où elle arrête pas de marcher à peine elle s’endort…
      Elle a sauté Hop ! Hop ! du TGV de 5H23 calé en gare de Montpellier à 9H30 la gare elle la connaît aussi depuis qu’elle vient des années elle a tracé dedans ses chemins familiers pareils ceux qui traversent les gares de la grande Babel toutes les villes où elle ira jamais flâner paumer sa race de crapauds qui croâ croâ ! autour de la même marre… ces villes ces horaires ces voix ces quais ces gens qui déboulent leurs valises bourrées des choses de leur vie les choses des cris et des poussières de leur vie…
      Ceux qui arrivent et ceux qui repartent aussi déjà y’a des années elle les regardait qu’on les poussait vers la sortie vite vite ! Ils avaient l’ai de ces gens que la zermi emballe au départ de leur naissance et zouh ! C’était une autre gare dans son existence de gamine des banlieues après la Gare du Nord une autre où grand-père Antonin allait voir son poteau Sergio un Espagnol qu’ils s’entendaient d’enfer ensemble vu qu’ils avaient deux choses en commun que personne n’a pu leur chouraver malgré les départs en trombe et les arrivées n’importe où…
      Deux choses ouais… d’abord le béret en laine noire enfoncé bas sur le front qui leur descendait aux oreilles et leur donnait l’allure de vieux guérilléros et puis le silence léger papillon de nuit qui avait squatté leur bouche définitif… Elle n’les a jamais entendu tchatcher plus de quatre mots et ça lui allait bien… on avait l’habitude dans le grognement des motrices le silence buté des ouvriers du rail les cheminots comme on disait… C’était les chevaliers modernes d’un Grall qui se tirait devant carapatait et qu’il atteindraient pas… la prochaine gare… la prochaine gare…

      Bon alors faut suivre ! La Gare d’Austerlitz je pourrais vous en faire visiter d’autres moi… toutes que je les connais sur la terre presque pas que j’exagère à cause d’Antonin qui m’a mis ça dedans et voilà… La Gare d’Austerlitz où Sergio l’Espagnol qui avait fui la dictature avec ses frangins anars de la Republica et de ses années de sang qui lui ont coupé le cou et qui s’étaient envoyés les chemins des Pyrénées sur leurs espadrilles et leurs pieds nus pour atterrir dans les campements on en causait pas… Sergio il conduisait les motrices de ce côté-ci des Pyrénées et c’est tout… il allait jamais plus loin c’était entendu…
      La Gare d’Austerlitz sa main dans celle d’Antonin ses pas qui essaient de suivre les siens ils traversaient le hall comme des oiseaux une volière fabuleuse pour rejoindre les salles de repos des chauffeurs de locos à une extrémité de cet espace maginaire décor de conte et terriblement pas terminable… arrivaient à la hauteur des voix où les durs qui remontaient du Sud roupillaient après avoir déchargé leur cargaison population installée pareille une tribu indienne parquée à l’intérieur de son campement provisoire pour sa première halte après dix plombes de voyage d’errance et Zouh ! direct l’exil… Un autre exil que celui de Sergio et pourtant c’était le même…
      A chaque fois qu’ils franchissaient l’ombre qui protégeait ce recoin de la gare y avait une sorte d’envoûtement qui la prenait elle serrait la main d’Antonin qui l’entraînait qu’il ralentisse obligé ! qu’il obéisse au rituel même s’il mettait toute sa mauvaise volonté elle le retenait arrêtait son élan pour finir elle se figeait devant le campement qui lui paraissait la chose la plus grave et la plus pas ordinaire du monde qui hantait sa mémoire d’enfant…
      C’était une masse d’êtres comme pris dans la cire qu’aurait refroidi d’un moment dramatique et ça en faisait des créatures pas réelles parmi les gens qui bougeaient couraient s’appelaient braillaient et qui n’les reluquaient pas… Pour les voir d’ailleurs fallait être aussi seul que sont les mômes et à la même hauteur que ces gens assis le dos rond les épaules un peu voûtées la tête des femmes on la devinait à cause des foulards blacks les jeunes aussi qui dépassait presque pas des amoncellements grotesques de paquets des collines rigolotes et tristes on aurait dit que tout ça était à vendre un jour de marché…
      Le visage rond et brun des marmots effarés qui fixaient de leurs deux trous de quinquets noirs et vides ce qu’y avait entre eux et elle qui existait pas et qui était aussi peu franchissable qu’un vitre gelée où leurs doigts tentaient de gratter la neige…
      Ce qui lui retirait son insouciance c’est qu’elle savait que même si elle arrivait à s’approcher assez pour voir leurs mains qui serraient des manteaux beaucoup plus moches et plus vieux que son duffle-coat bleu-marine et quelques ours en tissus qui pendouillaient crasseux et miteux entre leurs jambes la distance entre eux et elle resterait la même et aucun signal de reconnaissance ne casserait la limite pourtant pas visible du campement…
 
A suivre...

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17 juin 2008 2 17 /06 /juin /2008 23:08

Hélène Cixous Alice Cherki/Frantz Fanon suite...

        Et certes le courage de dire ce qui ne se dit pas : “ c'est un secret, c'est ce qu'elle me laisse ”, ne peut venir que par une transmission féminine de tout ce que contient la “ vieille Valise” mémoire du corps et de ses maux-mots. Transmission-libération du chien à trois pattes, “ ocre chiot ineffable entre l'infini de l'oubli et l'infini de la mémoire ”. Ce qui est dit à “ d'autres ” n'appartenant pas à “ nous ”, ce qui est livré dé-livre, ce qui est enfin transgressé permet d'affranchir “ l'autre ” de la culpabilité sans objet réel, de la méconnaissance infranchissable. Là où il y a cadeau de sens pour celui qui ne sait pas, il y a désir de désaliénation réciproque.
         C'est une accélération soudaine du mouvement de rapprochement, comme une danse de désenvoûtement, une course à contre-courant de tant de temps pétrifié. Une culbute des corps eux-mêmes cessant de freiner pour enfreindre la peur ossifiée dans les cachots des silences amortis, et se rejoindre par le circuit le plus court avant de n'être à nouveau in-terre-rompus. Là où il y a récit et écoute du récit là seulement il peut y avoir cicatrice.
        “ Mais je ne suis pas la seule, nous l'avons tous tu et sans mot donné et sans briser le sceau déposé il y a des dizaines d'années. (… ) Mais d'un autre côté, il y a eu choix, cette femme a été choisie pour mongolien entre toutes les sept cents mille autres femmes. ”
        Qu'est-ce qui fait qu'on est ce qu'on naît si ce n'est un hasard diabolique qu'on a coutume d'appeler destin et qu'on sert à table toute la vie ? Toute la vie avant, jusqu'au moment où la tentation d'après s'approche à pas de loup et où on tire la nappe d'un geste improvisé imprévisible renversant du coup les mets, les convives et les menus objets du festin. C'est une vraie pagaille qui s'ensuit où on peut dé-choir de son habit désigné sans honte d'être nue tant il est plus aisé de changer d'habit que de peau. La forclusion du mongolien a une peau qui dure et qui demande une éternité d'impatience pour s'en sortir. “ En bas de la scène infatigable le Livre nerveux, veut, veut, veut. ”
        Et je songe ici à une des phrases d'Hélène Cixous lors de notre entretien : “ Je ne peux même pas penser que je pourrais me retrouver un jour devant la tombe de mon père. Je l'exclus absolument comme étant d'une violence terrible. ” La femme qui a été choisie par la mère et par le Livre pour “ pousser la porte de cette nuit ” n'a plus peur de traverser “ le vestibule de l'apocalypse ” pour se rendre sur la “ Tombe ” dans le “ cimetière ” “ potager ” et se réapproprier une “ miette grosse comme un ongle ” de la terre et du corps du fils-père mort afin de rendre cette mort et toutes les morts plus familières. Et de les guider vers l'oubli.
        Premier voyage symbolique aussitôt suivi d'un second sur l'emplacement de la Clinique pour faire la lumière sur le refoulé de la scène primitive d'une épouvantable violence. “ Le livre me pousse à retourner à Alger ”… Alger lieu ancien de la patte coupée après tant d'autres. Lieu renouvelé où “ la mort est enfin entrée avec une grande simplicité dans notre vie et dans notre famille… ”
        Le second voyage commence, il se déroulera à travers le corps d'un enfant mort et mis en boîte depuis longtemps, momifié, corps qui fait pourtant encore souffrir et dont il va falloir accepter de se débarrasser pour ne plus être le chien à trois pattes, le chien boiteux. Ainsi en a décidé le Livre.

        “ J'ouvre les mains. On ne reprend pas l'enfant qu'on a donné. Il faut que je m'arrête me dis-je. Je fermai le livre. (… )
J'ai laissé la porte de la Clinique se refermer derrière moi. ”

Alice Cherki / Frantz Fanon

        “ Fanon croyait en l'homme incroyablement. Il ne pensait pas forcément au progrès, mais qu'à force de désirer, la vie l'emporte sur la mort. ”
Frantz Fanon Portrait

        Ce qui m'a intéressée parmi les différentes facettes de la personnalité d'un homme riche en contradictions et en excès - “ il ne faut pas s'économiser… ” résumerait assez bien sa pensée - c'est l'intérêt qu'il portait à l'écriture comme mouvement du corps et la réflexion qu'il a menée à travers elle sur l'aliénation de l'être et ce dès le début de son histoire.
        Né en Martinique en 1925 où il connaît et lit Aimé Césaire il va sitôt débutées ses études de médecine en France où il part parce qu'“ il étouffe dans une société étriquée et immobile ” et parce qu'il n'y a “ pas de faculté aux Antilles à cette époque-là ”, se préoccuper de littérature et de philosophie autant que de ce qui deviendra son métier, la psychiatrie.
        C'est cette particularité de sa démarche consistant à ne pas établir de séparation entre son expérience médicale et politique, sa vie d'homme, et son travail de journaliste et d'écrivain qui rendent le personnage attachant, et l'écriture, à la fois vivante puisque suivant le mouvement de son évolution au contact des autres, et particulièrement clairvoyante quant à la répétition de relations inhumaines.
        Il commence d'ailleurs lorsqu'il est étudiant en psychiatrie à Lyon, par rédiger un article qui sera publié dans la revue Esprit en 1952, intitulé Le syndrome nord-africain. Ce texte le premier rendu public situe quelle sera durant toute sa vie la préoccupation passionnée qui donnera naissance à ses livres. Il s'agit déjà d'“ une extraordinaire interrogation sur le rejet et la chosification d'un autre, baptisé ‘ bicot ’, ‘ bougnoule’, ‘ raton’, ‘ melon’. ”
        “ Il met en évidence l'attitude raciste et rejetante du corps médical français devant un patient nord-africain qui se présente avec sa douleur. Il est sa douleur et ne peut être dans le langage qui préciserait un symptôme. (… ) L'ouvrier nord-africain, coupé de ses origines et coupé de ses fins, devient un objet, une chose jetée dans le grand fracas. ”
“Le syndrome nord-africain” - Frantz Fanon Portrait
        Quelques années avant d'aller expérimenter un ressenti identique en Algérie, Fanon observe dans la situation en miroir, le mépris en métropole concernant la population ouvrière immigrée dont le corps est deux fois “ coupé ” voire mutilé dans son autonomie par un asservissement physique dont il ne peut se défaire ni par les mots ni par les actes. La thèse qu'il rédige et qu'il présente en premier lieu sera le futur texte du manuscrit de Peau noire, masques blancs, qui est alors refusé. C'est à l'hôpital de Saint-Alban, en Lozère, avec le docteur Tosquelles, “ psychiatre, émigré espagnol antifranquiste ” qu'il “ pratique les techniques de soins de l'époque associées à la social-thérapie ” qu'il mettra plus tard en place à l'hôpital de Blida. Peau noire, masques blancs retravaillé en collaboration avec Francis Jeanson est publié aux Editions du Seuil en 1952.
        Dans ce premier ouvrage il s'agit de “ transmettre une expérience subjective d'homme noir plongé dans un monde blanc dominant et sûr de sa suprématie (… ) procéder à une analyse qui essaie de rendre compte de cette condition dans l'espoir de la dépasser, aussi bien pour l'homme noir que pour l'homme blanc. ” Il est donc question ici de parler de la situation non seulement de domination de l'autre sur soi mais du fait qu'il est l'unique “ référent ” sur tous les plans y compris et surtout sur celui du corps… de l'épiderme… et du sang lui-même - ce qui ne sera jamais anodin pour Fanon - ainsi que du langage intimement lié à l'expression de ce corps. Cette prise de conscience se double d'un refus de repli dans l'origine dont on sait qu'il est également générateur de violence réflexive et autodestructrice.
        “ Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de rechercher en quoi ma race est supérieure ou inférieure à une autre race. Je n'ai pas le droit, moi homme de couleur, de souhaiter la cristallisation chez le Blanc d'une culpabilité envers le passé de ma race. Il n'y a pas de mission nègre, il n'y a pas de fardeau blanc. Le nègre n'est pas, pas plus que le Blanc. Tous deux ont à s'écarter des voix inhumaines qui furent celles de leurs ancêtres respectifs afin que naisse une véritable communication. ”
Peau noire, masques blancs - Frantz Fanon Portrait
A suivre...

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16 juin 2008 1 16 /06 /juin /2008 23:15

SDF

SDF
Epinay, Lundi, 15 mai 2006 



















Voiture balai voiture poubelle
Trottoirs mazout une marée noire
Depuis dix ans que ça s’égoutte
Tendres humains vos trop grandes ailes
Collées au sol s’engluent là-dedans
Sous vos semelles c’est la déroute
Emouvant adorateurs d’océan
Votre soleil dort dans une passoire
Ses pétales neigent sur les ombrelles
Des marchands malins qui sont sans doute
Les chasseurs cruels des noirs oiseaux blancs

Voiture balais voiture poubelles
Les dunes tendent leurs draps sur la ville
Sable sombre éteint le jour réverbère
Depuis dix ans les peseurs d’or s’entêtent
Tamisent la terre avec nos gamelles
Aux dieux baobabs offrent nos enfants
Qui ont refusé leur corps fragile
Comme épis de blé C’est du pain que quêtent
Les gueux mais il n’y a plus de champs
Autour de nos villes houle rebelle
D’herbes folles moissons indociles

Voiture balai ramasse à la pelle
Vagues vendues aux dragueurs d’ouragans
Combien encore de porteurs d’eau
Sur les trottoirs mazout assis
De leur outre de peau goutte à goutte
On entend s’enfuir la rumeur des ailes
Et la langueur de blues du ghetto
Aux dieux baobabs nos enfants ont dit
Finis les foyers pour les oiseaux blancs
Clochards devenus coûte que coûte
Ivres comme soleil sur les ombrelles

Voiture poubelle au cœur du désert
Nomades leurs tentes sont une île
Brune comme le sang du soir
Qu’on leur a donnée contre un formulaire
Les cohortes bleues des voleurs de vent
Sur trottoir mazout inventent la ville
De cartons de toiles où leurs ailes
Depuis longtemps rognées sèment l’or clair
A poignées Tamis étoilent vos ciels
D’épis mûrs  De jeunes guerriers noirs
Voiture balai ce sont leurs enfants

Voiture balai voiture poubelle
Un costume de bal vert d’eau
Ça leur va à la peau comme un gant
Se sont déguisés pour danser sans doute
Jeunes guerriers noirs cueillent à la pelle
Jetés parmi goémons gluants
Journaux couches bébés boîtes de bière
Et les vieux guettent comme des géants
Morts sur trottoirs mazout la route
A prendre avec des cerfs-volants blancs
Soleil sèche la colle de leurs ailes
Qu’ils se tirent enfin de cet enfer
Voiture poubelle est remplie d’oiseaux.
 

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13 juin 2008 5 13 /06 /juin /2008 23:17

                       Familles ouvrières paysannes
                                              1850-1900 

























                                    La famille devant la petite maison ouvrière vers 1905

Epinay, dimanche, 8 juin 2008


      “ J’ai mal à la conscience des autres. ”
L-F Céline Lettre 139 Copenhague, le 19 novembre 1945 in Lettres à Marie Canavggia, 1936-1960 Ed.Gallimard, 2007

      La misère quand tu la regardes en face ça ne te fait rien ?
      C’est une question que je leur poserais si je pouvais les approcher les géants épouvantails avec leurs costards haute-couture leurs bagouzes leurs pompes et leurs parfums Champs-Elysées dressés frime et dominant le monde en plein milieu de nos champs de blé…
      Sûr que je n’aurai pas l’occasion de la poser ma question vu que ce monde-là des féodaux temps modernes j’en suis plus loin que mes ancêtres ouvriers paysans l’étaient des Comtes Rothschild sur leurs terres…
      Sur leurs terres comme tous les ouvriers paysans de cette époque-là ils rabattaient le gibier pour les chasses à courre…
      Et ils avaient bien de la chance…
      Ça se passait dans les années… c’était avant la Commune au début des plaines du Nord par delà Senlis ou Chantilly les cités seigneuriales… y’avait de grands domaines et des forêts si vastes si bourrées de gibier…
      Les plaines du Nord à l’époque c’est immense ça s’étend de Paris jusqu’à la frontière Belge à peine si j’exagère et dans les plaines du Nord si tu ne travailles pas à la mine ou aux hauts-fourneaux il y a les filatures avec leurs entrepôts qui en finissent pas et les usines de teintures où l’hiver il fait chaud…
      Parc’que dans les plaines du Nord si tu ne travailles pas et que tu es né dans une famille d’ouvriers paysans pauvres tu es mort…
      A l’époque il n’existe rien qui te protège de la misère ni contrat de travail ni chômage ni retraite et pas un sou pour celui ou celle qui tombe malade pas un sou pour toutes les blessures du travail pour l’usure précoce des corps pour la mort qui survient brutale…
      Il n’existe rien de ce pour quoi ces hommes et ces femmes durs au labeur vont se battre et pour quoi certains d’entre eux ont laissé leur peau face aux fusils de la maréchaussée… non il n’existe rien encore ou si peu vous comprenez ?
     

Dans les plaines du Nord donc y a les usines de teintures de fil à coudre à broder à canevas toutes les sortes de fils que vous voulez quoi c’est un univers haut en couleurs…
 
Mains d'ouvrier paysan    


       Drôle de coïncidence vu que mon histoire celle de ma famille maternelle d’ouvriers paysans elle commence avant la Commune de 1870 et qu’un siècle plus tard mon père qui n’a rien à voir là-dedans vu que de son côté à lui la famille c’était des Bretons de vrais Bretons généreux et solitaires… mon père me racontait…
      Mon père dans les années 1970 farfouillant parmi ses tubineaux ses bobines de fil ses canettes de machines à coudre et ses fermetures éclair et prenant le train à la Gare du Nord trois heures de route pour rejoindre la banlieue de Lille et aller faire je ne sais quoi dans les dernières usines de teintures de fil de la société DMC pour laquelle il bossait avant d’être éjecté Hop ! un peu avant la retraite… mon père dans les années 1970 à chaque fois qu’il me racontait il avait la honte…
      Quand tu rentres là-dedans il fait une chaleur une humidité… la mousson d’Afrique à côté c’est rien… et les gars qui triment ils sont tous Noirs… Y’a des cuves pleines de couleurs et de produits chimiques tu n’sais pas quoi à des températures que tu imagines pas… alors la vapeur monte monte sur les parois de tôle rouillées… elle grimpe grimpe le long des tubes de ferraille rouillés et elle retombe dégouline éclabousse le torse nu des ouvriers noirs…
      Mon père dans les années 1970 il me racontait… mais que je ne vous perde pas… un siècle avant même un peu plus y’avait pas encore d’ouvriers blacks dans les filatures du Nord et ceux qui y travaillaient marnaient trimaient étaient corvéables à merci… le boulot c’était à éclipses selon les besoins de la production et quand y en avait pas alors zouh ! vous comprenez ?

      Tous dans les grandes plaines du Nord ils venaient de familles où les hommes s’embauchaient comme ouvriers agricoles dans les grands domaines ils étaient saisonniers mais les hommes du peuple c’est comme les animaux s’pas ? Ça vit au rythme de la nature… des êtres primaires hein ?…
      Dans le meilleurs des cas ils devenaient métayers et ils rendaient des comptes sur les moissons sur les récoltes sur les cueillettes sur les troupeaux… ils rendaient des comptes et ils rendaient l’argent de leur travail des sortes de serfs modernes quoi…
      Et s’ils avaient de la chance s’ils tombaient sur des bons maîtres… leur salaire c’était une petite maison pour nicher leur famille et un bout de jardin comme y aura les maisons et les jardins ouvriers du Nord quelques années après…
      La misère quand tu la regardes en face… ça te fait quoi ?

Sylvain 

      C’était des paysans sans terres aux aussi à leur façon… Propriétaires ils savaient pas ce que ça voulait dire… Comment ils auraient pu acquérir quelques lopins quand le peu d’argent c’était juste pour survivre ? “ Le pain noir ” vous connaissez ?

Mes ancêtres c’était donc des ouvriers paysans qui sautaient de l’un à l’autre du champ à l’usine et au champ… bondissaient de ci de là quand on les appelait dociles et industrieux toujours en quête du pain qui permettait à la maisonnée de se remplir le ventre avec la soupe aux légumes du petit jardin…

Ce pain qu’ils respectaient plus que tout je vous raconterai… ce pain de l’ouvrier du paysan qui nous a permis durant des générations de ne pas crever de faim…

Sylvain vous vous souvenez ? Je lui ai dédié un poème… Le vieil homme au regard rêveur un regard de bonté et de lassitude… Sylvain assis avec son chien son fusil de chasse sous la treille…

Sylvain assis devant la petite maison l’été quand il faisait bon le soir il était né en… 1850 peut-être je ne sais pas… mon arrière grand-mère mémé sa fille ne connaissait pas la date ou alors elle l’avait oubliée… sur la photo j’imagine qu’il a 40 ans c’est un vieil homme… un vieil ouvrier paysan…

Le travail il n’avait connu que ça à partir de 7 ans… 8 ans… ce genre de travail qui te fait vieillir vite… Son goût à lui Sylvain après les heures d’usine depuis bien avant qu’il fasse jour c’était les longues marches dans la campagne solitaire avec son chien je le sais c’est de lui que je tiens ça… Nos ancêtres à nous qui sommes arrivés dans les banlieues vers les années 1950 c’était tous des paysans… la terre ça nous manque…

Sylvain il marnait dur pour nourrir sa famille et quand l’usine embauchait pas l’hiver alors il faisait le rabatteur avec son chien et son fusil sur les terres du Comte Rothschild il avait de la chance…

Beaucoup de terres et de vastes domaines du Nord appartenaient à la famille Rothschild dans ce coin-là et ils organisaient de fréquentes chasses à courre comme c’était la coutume chez les grands propriétaires terriens… et les paysans pauvres étaient utilisés comme rabatteurs…

Alors Sylvain et ses poteaux qui rabattaient avec lui ils avaient le droit d’embarquer les lièvres qu’ils piégeaient et faut vous dire que depuis que je me souviens on a jamais mangé de lapin chez nous vous comprenez ?

Les copains de Sylvain  ouvriers paysans rabatteurs de gibier     

      Mais à l’époque c’était un peu avant ou un peu après la Commune dans les forêts et les grandes plaines du Nord des lièvres y en avait plein et quand il revenait le soir à la petite maison avec une ou deux bestioles au fond de la musette et qu’il avait gelé encore… des légumes dans le jardin ça faisait un bail qu’y en avait plus… les lièvres c’était un miracle une fête… à manger pour toute la maisonnée !

Sylvain lui il aimait pas trop ces chasses à courre ces redoutables boucheries où les riches propriétaires et leurs invités qui n’avaient pourtant pas besoin de ça pour se nourrir partageaient les pièces de cerfs ou de chevreuils que lui et les autres paysans ouvriers dans les grandes fermes traquaient pour les seigneurs et maîtres mais il n’avait pas les moyens de refuser le petit gibier dont il remplissait sa besace…

C’est qu’il avait une famille à nourrir Sylvain sa femme Palmyre qui comme beaucoup de femmes d’ouvriers paysans dans cette fin du 19ème siècle travaillait à la maison cultivait le petit jardin faisait la lessive qui occupait une grande part du temps vu qu’il fallait rentrer les seaux d’eau du puits ou de la fontaine casser et fendre le petit bois de cheminée pour chauffer les profondes lessiveuses trop lourdes et faire bouillir durant des heures les bleus épaissis de sueur et de poussière les pantalons velours côtelé épais de terre sèche et de crasse les blouses…

 Sylvain avec son costume d'ouvier paysan et sa femme Palmyre    

      Ensuite fallait porter tout ça rincer au lavoir plus les draps les chemises… le blanc comme on disait et puis encore la corvée de bois pour préparer le dîner… Oui les femmes d’ouvriers paysans travaillaient à la maison vu qu’à l’usine y avait pas de place pour elles dans ces régions agricoles des plaines du Nord où la grande industrialisation avait pas encore fait son trou…

Palmyre la femme de Sylvain elle n’a pas souvent le sourire sur les photos et son air buté voire sévère c’est celui que je connais bien des femmes de ma famille qui en ont bavé de la misère ou tu dois faire à manger avec n’importe quoi de la maladie qui emporte les petits de la séparation des hommes qui s’en vont à la guerre et ne reviennent pas de la souffrance des accidents sur les machines et de la peur de ne plus avoir de maison où nicher la famille quand le travail manque trop vous comprenez ?

C’est vrai… les femmes de la famille elles sont comme Palmyre elles n’ont pas vraiment le temps ni l’envie de rigoler et les trois filles de Sylvain et de Palmyre font partie de celles qui n’ont pas eu l’existence heureuse et insouciante je vous raconterai… Bon d’abord pour finir ce premier petit tour d’horizon de notre famille d’ouvriers paysans faut que je vous dise au moins leur prénom…

D’abord il y a Sylvie Berthe l’aînée c’est mémé mon arrière-grand-mère je vous en ai déjà parlé mais là tout de suite vous dire juste que mémé et moi on avait pile poil 80 balais de différence à six jours près ça vous dit quelque chose ? Mémé est née en 1876 le 24 août et moi en 1956 le 31 août ce qui fait que si elle avait pas décidé d’un coup de mauvaise humeur de nous larguer à 98 piges on aurait eu elle 100 ans et moi 20 quasi en même temps ! Et faut vous dire aussi que mémé avec son caractère un peu hors normes je lui ressemble je crois comme à son père Sylvain pour la bougeotte…
                            
                                              Mémé Sylvie Berthe à 25 ans en 1901
      
     


      Ensuite la seconde fille de Sylvain et de Palmyre c’est Gabrielle que j’ai connue aussi quand elle était assez âgée et qu’elle avait un petit grain de fantaisie qui me plaisait drôlement mais ça c’est pareil c’est de famille…

Gabrielle à 22 ans



      Et puis la dernière c’est Mathilde qui pareillement est bien de chez nous les ouvriers paysans pas fortunés et les collectionneurs d’accidents du travail et autres calamités enfer de ces temps sans rien… Mathilde elle je l’ai pas fréquentée pour cause qu’elle est morte en couche à un peu plus de 20 ans…

 

                                                              Mathilde à 19 ans




      Mais la misère quand tu la regardes en face alors ça ne te fait rien ?…  

       Je vous avais prévenus que c'est pas franchement une famille de rigolos que j'ai pioché dans le jeu du hasard de la destinée mais j'ai pour ces gens simples et généreux tels que l'étaient ceux que j'ai connus qui m'ont donné malgré les souffrances du quotidien l'insouciance avec laquelle je me trimballe dans l'existence et le sentiment de la justice de la dignité humaine et de la bonté qui étaient les leurs plein de tendresse et une grande fieté d'être issue d'une histoire comme la leur : celle des ouvriers et ouvrières paysans et paysannes qui ont écrit avec leur vie le merveilleux roman de Georges-Emmanuel Clancier Le pain noir ...


Mémé à 90 ans en 1966


A suivre...
 

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12 juin 2008 4 12 /06 /juin /2008 19:10
                 La part du pauvre 

 

                Ecoute… Khaled l’aveugle… écoute…
                Ce soir Khaled l’aveugle… c’est la première fois depuis que je marche sur l’asphalte comme sur des corps d’hommes fatigués qui grattent sa croûte rugueuse tels les cinq doigts des étoiles de mer… Ce soir c’est la première fois que clapote en moi un élixir de joie pure.

Ce soir Khaled l’aveugle… je sais quel est ton nom. Et je me dépêche de le mâcher avant qu’il n’échappe à toutes les sonorités familières qui donnent à ma bouche un goût de mandarines pas encore mûres et de petits citrons verts.

Hier ça n’aurait pas été pensable. Entre deux verres de thé vert à l’étroite terrasse du Tanagra sur le Boulevard où les tables sont des plateaux de cuivre soleils renversés… ça n’aurait pas été.

Hier. Soleils posés sur des tréteaux de bois ouverts et des tabourets courts sur pattes au siège de cuir bleu. Est-ce qu’on demande son nom à un type qui fait la manche avec une canne blanche qui dépasse du bas de son manteau tourné un peu contre le mur pour se protéger ?

 

Hier… Il pleuvait des gouttes grosses comme des pièces jaunes quand j’ai remarqué ses jambes qui sortaient du porche d’un immeuble dont le seuil surélevé d’un rien sépare de la chaussée les pieds. La main tendue avec de la monnaie au fond… c’était un aveugle comme les autres. Chez les Arabes quand on mendie on n’est pas méprisé comme ici sur les Boulevards. Ici désormais les mendiants on ne les voit pas. Voit pas… On les renvoie au macadam des rues comme des tapis de mains. Demain… on joue à cache-cache avec eux les mendiants. Leurs mais posées devant nos yeux.

C’est en allant acheter le lait du petit déjeuner au magasin juste à côté que j’ai failli butter dans ses pieds qui dépassaient avec des chaussures trop grandes comme celles d’un clown. Sur ce trottoir-là du Boulevard il y a beaucoup de gens qui réclament un peu de monnaie pour manger ou pour n’importe quoi mais ils n’ont pas des chaussures de clown ni ce drôle de bonnet en laine brune à longs poils et ce grand manteau comme de la chèvre. Sur laquelle la pluie ne tient pas. Elle roule ses perles qui s’égouttent telles des larmes au bord des cils.

 

Khaled l’aveugle… malgré tes chaussures trop grandes comme celles d’un clown je suis sûre maintenant que tu n’es pas tout à fait aveugle. Un lézard de lumière dorée traverse furtif tes yeux noirs. Tes yeux puits d’ombre où se noient les gestes méprisants des passants. J’en suis sûre parce que je t’ai observé depuis la terrasse du Tanagra où je bois un thé chaque soir au milieu des tagines aux odeurs de pruneaux et de citronnelle. Je t’ai regardé poser tes yeux lézards comme ça sur les passants qui râlaient parce qu’on n’a pas idée d’avoir de si grands pieds. Et les envelopper d’une douceur inconnue.

Hier… En buvant mon thé juste amer comme il convient où traîne un arrière goût de sucre revenant dans la bouche furtif je me disais que tu étais vraiment un innocent. Et les passants jetaient quelques pièces dans ta main mais sans toucher tes doigts bruns pour rester loin de ce trottoir où seulement les pieds marchent. Où seulement les aveugles jouent à cache-cache avec les gens en posant leurs mains devant leurs yeux.


               Ecoute…

Est-ce que tu crois que je pourrais faire ce geste moi qui m’installe chaque soir à quelques pas de toi à la terrasse des trottoirs crasse sans savoir ton nom ?

Attablée devant mon soleil je bois de petites gorgées d’enfance envolée assise en tailleur sur le tabouret de cuir bleu. Une enfance à laquelle appartiennent ceux qui savaient faire le thé à la menthe comme toi Khaled l’aveugle… tu saurais le faire aussi sur ton désert trottoir pourtant. Toi sous ton manteau en poils de chèvre qui est ta maison. Chaque soir je pense que toi Khaled l’aveugle tu as mal à ta maison.

Hier… A petites gorgées je bois des mots dont ma bouche se ressouvient qu’ils avaient l’odeur des rats crevés sur ce trottoir-là où on ne posait les pieds qu’avec nos très grandes chaussures de clowns bien entendu. Les cadavres des mots nous crevaient les yeux mais avec ces chaussures-là on pouvait les écraser de rire. Et on ne s’en privait pas. On les tuait avant qu’ils ne nous tuent. Nous… Khaled l’aveugle… on préférait offrir des ballets de jonglerie à ceux dont la vie est un sortilège : rouge… rouge… bleu… rouge… une poignée de mésanges… une poignée de pavots. Rouge…

Mais ça n’est pas facile pour tout le monde de donner avec nonchalance. Moi j’appartiens à la tribu qui tortille derrière elle son impuissance et sa maladresse comme une queue de lézard. Qui repousse obstinément. Comment faire lorsqu’on est le dernier rejeton d’une famille de clowns aux pieds trop grands et qu’on sort de sa mère avec le goût sucré furtif des montgolfières rouges ? Rouge… rouge… bleue… rouge…

 

Chaque soir après le parfum du thé juste amer il me reste le temps de rentrer préparer la musette avec le casse-croûte où je fourre en plus de la salade et des œufs plusieurs tranches de jambon pour Sarah. Et des violettes achetées à une marchande des quatre saisons s’il y en a…

A la terrasse du Tanagra pendant que tu agites mélancolique ta main avec un peu de monnaie au fond je grignote l’odeur des tajines mijotant sans regrets. Je préfère garder ma faim pour la partager avec Sarah à l’heure de la pause et la regarder dévorer lentement le jambon et les cornichons comme une gamine des tartines de confiture épaisse. Comme toi Khaled l’aveugle… Sarah me rend ma faim précieuse. Elle me la pare sans fin d’un goût de pluie sur une croûte de terre.

Elle fourre les violettes dans une boîte de conserve coupée en deux qui nous sert de vase modern style avec rouille authentique dans le recoin où on a nos placards et la table fichée au mur au-dessus de laquelle Benjamin le vieux militant a punaisé une photo de ses camarades pendant la guerre d’Espagne. Rouge… rouge… noire et rouge… On a des violettes espagnoles qui ne nous font pas violence pourtant.

Pour franchir les quelques mètres en courant jusqu’à mon petit cagibi et entasser à l’intérieur de la musette kaki volée dans un surplus de l’armée et travestie de bouts de tissus guérilla multicolores le casse-croûte avec le thermos de café fort sans sucre coincé contre la salopette de bleu il faut que je repasse devant toi… Khaled l’aveugle. En pensant à faire le détour afin d’éviter tes trop grandes chaussures de clown. Faut pas que j’oublie non plus le paquet de tabac à rouler qui sent tellement le miel et les feuilles de papier ni le briquet offert par Benjamin le vieux militant qui transporte les palettes de papier sur le chariot grinçant comme les articulations des genoux d’un automate usé depuis les camions jusqu’aux quais.

Benjamin qui est tout près de la retraite a rempli le placard de notre casemate de bouquins révolutionnaires parce que maintenant pour lui ça n’a plus d’importance s’ils le mettent au pilon. Sarah et moi on se plonge dedans entre deux arrivées des grosses remorques tortues géantes bourrées de papier et si on ne comprend pas on lui demande. On lui demande hier… Benjamin appelle le papier des remorques tortues “ du papier journaux cul ”… Comme Benjamin est plutôt un bonhomme silencieux dans l’ensemble chacun de ses mots nous fracasse sec en dépit des décibels rampants qui se redressent soudain à l’assaut de nos tympans lointains coquillages.

Oui… Benjamin qui est plutôt un bonhomme silencieux dans l’ensemble nous raconte volontiers les histoires de la guerre d’Espagne comme un conte mais là ce sont les salauds qui ont gagné. Ce qui prouve qu’y a pas de justice réplique Sarah et qu’il vaut mieux écrire des livres que faire la guerre


Guernica
Picasso


car on est libre
d’y fabriquer un monde que personne ne
peut effacer.
Un monde rouge… rouge... bleu et rouge… Un monde mésanges et  pavots… Mais ça sûrement toi tu le sais… Khaled l’aveugle…
A suivre...

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11 juin 2008 3 11 /06 /juin /2008 15:18

Dans mon pays... Anouar Benmalek

Après vous avoir parlé des poèmes d'un grand ami Patrick Navaï voici un autre grand ami et dont j'aime mieux vous tchatcher quelques mots des écritures poétiques que de ses romans aujourd'hui... Les romans sont à venir pour dans un jour ou deux... Et de toute façon l'écriture d'Anouar est un désir de poèmes donc... à suivre...

Ma planète me monte à la tête, Historiettes à hue et à dia pour briser le cœur humain, Anouar Benmalek, Ed. Fayard, 2005.

 Quelques mots pour l’ami Anouar...


 
“ Dans mon pays
les oranges sont citrons
et les citrons sont oranges
les labyrinthes sont simples
et les fruits font beaucoup de bruit en naissant ”

      Quelques vers d’un poème d’Anouar Benmalek, intitulé “ dans mon pays ” ça peut paraître étrange à celles et ceux qui ne connaissent ni Anouar qui nous surprend toujours avec les thèmes de ses romans lui qui né en Algérie prend pour espace de ses livre des territoires toujours lointains et différents à la façon des voyageurs vrais de l’obscur d’écrire ni son goût d’une écriture poétique qui d’un coup se tire de l’ours à peine commencé pour faire un recueil de poèmes et voilà !
      On peut être en exil à l’intérieur de sa cité parmi l’exil de ceux avec lesquels on vit chaque jour comme le p’tit renard sur sa planète étrange lui qui ne manque pas les roses mais heureusement qu’y a les couchers de soleil ! Exil des habitants ouvrières et ouvriers renards de la cité d’urgence qu’ils ne cessent de raconter et qui devient de plus en plus mythique à mesure que le pays d’origine s’éloigne mais qui nourrit le présent de rêves et d’une sensualité faite de parfums de couleurs et de sonorités qui sont aussi les nôtres…
      Et on peut faire sa maison de cette étrangeté venue à nous comme une offrande d’ailleurs que tant de peintres de poètes et de simples voyageurs ont été chercher dans ces lointains lumineux. Nos paysages de banlieues et de périphéries sont oranges et citrons offerts par les mains de l’étranger l’ami étranger venues de ces contrées chères à Rimbaud qui est allé y chercher une autre maison que celle des mots…
      Embarqué pour Gênes et Alexandrie surveillant d’une carrière au désert dans l’île de Chypre puis surveillant au palais du Mont-Troodos le dieu Rimbe cherche du travail dans tous les ports de la Mer rouge… Djeddah… Souakim… Massaouah… Hodeidah… avant d’arriver en Abyssinie qui est l’Ethiopie magnifique d’aujourd’hui et de prendre le premier bateau ivre direction l’Arabie heureuse et Aden pour finir… ce “ roc affreux, sans un seul brin d’herbe ni une goutte d’eau bonne… ”
         Rimbaud et son éternelle fuite vers le désir d’étrangeté et d’inconnu qui le mène à Harar vendre le café les peaux l’ivoire et puis… Combien sont-ils ceux qui parmi les jeunes garçons et filles des cités les fils de la troisième génération d’immigrés songent peut-être à une destinée aussi incroyable vers l’Arabie lointaine de leur histoire extraordinaire mais qui pris au piège ne savent plus où se joue leur destinée… Voyageurs immobiles il ne leur reste plus sans doute à l’inverse de ce qu’avait décidé Rimbaud qu’à inventer leur histoire en la taggant sur les murs qui sont leur unique carnet de bord tel un Journal de voyage imaginaire…

      Celles et ceux qui connaissent ont entendu l’ami Anouar au moins une fois raconter des histoires avec pour prétexte de parler de ses livres savent qu’il est avant tout un sacré conteur et un manieur de mots pour qui les premiers textes écrits ont été des poèmes. Mais Anouar ayant décidé qu’on écrit sagement de la poésie publie avec modestie un recueil de ses “ historiettes ” tous les dix ans. Après Cortèges d’impatience paru aux Ed. Naaman Quebeck en 1984 voici publié en 2005 des petites histoires “ pour briser le cœur humain ” sortes de contes de légendes de… poèmes qui commencent bien sûr par : “ Cela s’est passé/il y a longtemps/il y a tellement longtemps… ” et qui nous parlent de la vie tout simplement.
      Parler d’un poème c’est naviguer à contre-sens de la poésie. Un poème ça se lit et puis c’est tout. Et pourtant… Comment ne pas dire l’histoire du “ chien abandonné ” qui “ chemine tristement dans la rue ” et répond à l’enquêteur sur la peine de mort “ Ah oui wouah wouah…afin d’éviter “ tous les désordres ” et pour finir se fait embarquer “ quelques minutes plus tard ” par un camion de la “ Fourrière municipale ”… Et nous voilà parmi les animaux, chats qui “ en été/sèchent ” et “ reverdissent/quand ils boivent/de l’eau ” “ hirondelle qui tousse ” “ Moula-moula/petit oiseau noir et blanc/du Tassili ” “ pinson éperdu ” “ un petit amour chaud dans un océan polaireou bien encore “ le vieil oiseau ” “ aux plumes dépareillées/lavées à l’eau de Javel du temps ”. 
      Et puis ce sont et pourquoi pas “ ver de pomme ” insectes “ cheval cassé ” “ hareng et héron ” venus culbuter contre des créatures humaines cette fois éparpillées telles les plumes du vieil oiseau au gré de “ notre planète ” qui “ a la nausée ” “ surtout les soirs de pleine lune ”. C’est “ une femme à Dehli ” un “ petit soldat courageux ”d’Iran ou d’Irak qui rêve à “ une aile de papillon ” “ une Chinoise à Singapour ” ” la petite catin brune/du quartier réservé de Constantine ” “ qui se voit déjà corde de cithare ” et un jeune garçon du camp de Sabra nommé Dallal. “ Et Dallal me raconta son pays ”
      Et puis après ce sont toutes ces choses de la vie qu’on croise sans trop s’y arrêter et qui elles nous regardent pourtant, comme “ la réalité se repose/à l’ombre du désir ”. Il y a du “ verre pilé ” où “ poser son cœur ” “ un bouquet de fleurs ” qui ne trouve pas les hommes beaux, et puis encore “ la pluie ”… “ Mon amie la pluie ” offerte dans une paume ouverte comme un “ clin d’œil à Jean suicidé ” “ Jean-poète ” “ trop frêle contre train ”…
      Et il y a “ la neige et le soleil ”… “ Tu ne fonds pas ? /Comment le pourrais-je répliqua la neige/puisque je brûle aussi ”… Il y a “ coco câline/douce opaline ” “ avec bouts d’obstination et escarbilles de cœur ” “ et cette odeur ” “ curieusement mêlée à des souvenirs de siestes chaudes/au goût sucré des oranges de Constantine ” et comme je l’imagine ce goût‑là aussi sucré que les mots qui lui ressemblent aussi sucrées les oranges de Constantine que la mémoire d’un désir perdu. Pendant que demeure dans son exil un jeune garçon du camp de Sabra nommé Dallal. “ Et Dallal me raconta son pays ”…
      Et enfin il y a l’amour car comment écrire des poèmes sans amour ? “ Le délicieux tam-tam d’un baiser ” qui répète répète à l’infini “ ne me mange pas/mon amour/je t’en prie ” “ goûte-moi/seulement ”… L’amour comme “ ce temps jamais calmé ” qui nous revient toujours, l’amour “ mauve ” “ plein rêve ”cet oiseau vert qui se moque de tout ” celui à qui seul on peut dire “ ma jarre d’eau nécessaireet qui rafraîchit l’herbe entre nos doigts. “ Le somptueux voyage d’ébèneoù “ nous faisons des gestes bien ordinairesavec au creux des paumes “ un fanal une ardoise un jour à Tanger ” et peut-être même Anouar pourrais-tu signer tes poèmes : “ Poisson ébloui ”.

“ Et Dallal me raconta son pays ”

Dans mon pays
les oiseaux se posent sur les têtes
ils mangent du soleil
qu’ils découpent en tranches
et te donnent en échange des miettes d’étoiles

Dans mon pays
ne t’étonne pas
si la lune verte
aux ruses de fennec
s’essayant à chaque montagne
chapeau pointu et hilare
ne t’étonne pas
si à l’improviste
elle te croque soudain le cœur
en battant les mains de joie

Dans mon pays
la mer n’est pas la mer
c’est une griffe
bleue ou violette c’est selon
qui se pavane sur ses vagues
et se tait parfois
dans une grotte
pour écouter le souffle des plantes qui respirent

Dans mon pays
les oranges sont citrons
et les citrons sont oranges
les labyrinthes sont simples
et les fruits font beaucoup de bruit en naissant

Dans mon pays
les pierres sont dures
les pierres t’écorchent
mais dans mon pays
les pierres ouvrent la main
et les musiciens rient toujours après la Mort

Et Dallal comme eux partit d’un grand éclat de rire
 

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