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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

11 janvier 2012 3 11 /01 /janvier /2012 01:11

Clair‑obscurcaravage2.small.jpg

 

En bas… La nuit… L’ombre bitume… Le métro… Les couloirs poisseux gras chauds… Des trous violets… Des ténèbres qui bouillent d’odeur de puits… Des stridences par endroits… Plein plein… C’est pas si noir que ça au fond… Des stridences… Des traînées… Comme de l’argent… 

Des comètes… Des loupiotes qu’on balance… Remonter… Les voûtes aux carreaux blancs comme de la glace… Remonter encore… Beaucoup… Sortir… Dehors… En haut… La rue… La lumière… Crapahuter des marches des marches et des marches… Ça y est… Toute la clarté d’un coup… Y en aura pour tout le monde… C’est ça qu’est bien alors !

A l’entrée du trou suffisait de s’asseoir… c’était pas compliqué… La bouche du métro… Sa goule qu’avale les gaziers les clebs les baluchons et le jour pareil et le soleil et la lune… Se poser là bien tranquille bien visible… Là où les passants balancent leurs mégots et les prospectus en confettis d’étoiles mortes qui scintillent encore un peu des belles galéjades qu’on leur a faites… Avec ses deux paluches il a balayé dégagé deux emplacements emmanchés l’un contre l’autre noirs et luisants comme du velours… Là‑dessus il a déposé déplié les bouts d’un carton qu’avait contenu de quoi s’en mettre plein le lampion et y restait les miettes… le boulanger les fourrait en tas devant la lourde de sa cagna à fuel… Et par‑dessus il a déroulé un plaid en lainage rouge un peu passé avec même des trous dedans mais ça pouvait aller… 

Il s’est redressé pour zyeuter l’installation… s’assurer que personne allait piétiner la crèche plantée qu’elle était juste là on y voyait pas lerche et le jour c’était tout comme la nuit ça tournait court… En fait il était plutôt veinard là en haut à cette saison d’hiver et ses grelots d’absence qu’on évite pas qu’il se mette pas à neiger ni à faire grand froid en plus… que ça ne le poisse pas d’un coup par-dessous ses frusques qui avaient des tournures qu’on imagine être celles d’un jardinier du printemps avant le printemps… Mais il était remonté et sa veste et son futale en velours avaient la couleur des brisures de marrons glacés qui attendaient les bourgeoises gourmandes le morlingue pas facile devant la vitrine de la boulange avec les grandes pièces solides aux coudes et aux genoux comme le brun brûlé des châtaignes sur les tôles percées des carrioles à braseros… Ses pieds nus glissaient à l’intérieur des godasses en toile dont il avait viré les lacets et ça faisait entrer des plaques de poussière brillantes et grises que la bas du pantalon déchiré La-chandelle.jpgn’arrivait pas à camoufler…

L’endroit lui a paru bien convenable et situé gentiment au bout de la place de la Nation un quartier populaire et même tout à fait ouvrier qui s’était embourgeoisé avec une mémoire de pauvreté exactement suffisante pour émoustiller les bonnes consciences prêtes à tout afin de ne pas y retourner jamais… laisser les autres y plonger à leur place dans le ragoût de la trouille et leur semer comme ça avec la monnaie un coup d’œil indifférent… et s’en aller loin vite fait… le plus vite qu’on peut aussi loin que le monde là‑bas endormi au creux de la clarté noire de l’aube…

C’était une place aussi bonne que toutes les autres entourée de boutiques pimpantes qui donnaient le change à faire croire que les affaires allaient leur bonhomme en chemin … des petits commerces qui faisaient sauter l’ardoise des prix sous le tarbouif des grands‑mères radinant tout juste du bureau de poste à côté la pension du trimestre fourrée au fond du keusse… des vitrines bourrées de colifichets brimborions factices qui clignotaient leurs guirlandes aux leds têtes d’aiguilles bleus et argent pour la fête qu’on préparait partout là en haut… C’était une place aussi honnête que possible et personne pas un caïd du secteur pas un manchot qui ait essayé de la lui faucher… Un strapontin à l’orchestre en face du canardier dans sa guérite de phare en carton barbouillée vert d’armée où la troupe des besogneux du jour dételle et se retourne les fouilles pour acheter les nouvelles de la vie et lui fait rouler les picaillons dans sa gamelle…

C’est vrai que c’était vraiment une bonne place et on pouvait descendre se nicher aux premières gouttes de lansquine sans crier gare comme les autres loustics qui s’enfonçaient maraudaient au‑dedans des couloirs en grognant et quand ça leur prenait ils ressortaient bondissaient au dehors en bandes sitôt éparpillées ce qui en jetait plein la musique à Baraka la chienne boxer la pelure en panache moitié café moitié chocolat qui couchait en joue le mouvement sur son morceau de carton et son territoire de couvrante rouge passé…

Ça n’avait jamais été dans ses cartons de s’encombrer d’un clébard vu que ça lui interdisait l’entrée des refuges à compter de sept plombes quand la nuit estourbit la moitié de la figure des passants de la ville qui refilent aux filendèches comme lui un pageot en fer avec dessus un matelas en mousse à la housse crasse et une berlanche de laine rêche et du même gris quasi noir que les boulets de poussier des poêles de son enfance comme y en a dans les pensionnats et les prisons et une douche à l’eau tiédasse plus une savonnette dans un carton où il est écrit en lettres majuscules : SS Services Sociaux et une serviette bleue de taille rikiki qu’on changeait à chaque fois…un-dortoir-chez-kye-4431374juqve.jpg

Non… c’était pas son affaire du tout et pourtant il avait récupéré Baraka tout juste à la belle d’un de ses passages au dortoir du refuge le plus proche de la place où il galvaudait à l’époque… C’était comme il roupillait en chien de fusil sur son sac et ses godasses pour ne pas se les faire faucher qu’il avait été sorti du pageot dans l’obscurité de la veilleuse violette au‑dessus de la porte au milieu des ronflements et des grognements humains par les aboiements rageurs emmêlés aux petits jappements étranglés et tenaces d’un clébard tout jeunot qu’il ne pouvait pas repérer et qui arrivaient de la rangée de puceux juste à côté de la sienne…

Après qu’il ait renfilé ses pompes et fourré le sac sous sa veste en velours il était allé à tâtons se rencarder du pataquès qui ne dérangeait pas un quidam dans la cagna et il est tombé sur l’ivrogne familier du refuge qui se frottait à la castagne avec tout le monde ce qui ne l’empêchait pas de rentrer en loucedé un litron de jaja qu’il partageait avec les potes… Tomate comme c’était son blaze que même le directeur du refuge le toubib et les cerbères lui refilaient était en train de bourrer de coups de pieds un jeune boxer qui avait pas six marques et qui se défendait accrochait donnait dedans reculait des quatre pattes la gueule au vent et refonçait dans le tas avec le courage de l’aventure de la vie… Ses quinquets noirs luisants dans la clarté verte changeante de la lune et le violet de la veilleuse l’ont maté sans caler quand il s’est ramené dans la bigorne…

‑ Eh dis Tomate ! ça va pas de tabasser un clebs qui t’arrive aux genoux hein… Allez arrête ça et va cuver ! Tu réveilles tout l’monde bâtard de Tomate !

La combure qui tombait d’en haut par de grandes lucarnes vu que le toit du refuge n’était pas séparé du dortoir faisait un damier de carreaux crème et les pieux aux couvrantes grises étaient les carreaux d’ombre… Y avait là un côté dramatique que l’éclairage qui ne laissait voir et apparaître avant de se faire dévorer par les ténèbres que la part la plus brute des êtres et des choses mettait à nu comme un réverbère à la bougie vacillante servant de projecteur à ce monde en folie et décadent… 

Tomate à moitié pris dans l’enchaînement des rebondissements de l’histoire qui lui échappaient depuis longtemps avait continué à envoyer de méchants coups de tatanes en direction de la chienne dont le museau ocre rose piqueté de tatouages gris étoilés bullait autant qu’une assiette d’eau savonneuse et qui s’était trouvée d’un coup réconfortée par l’intervention louche d’un inconnu humain mais c’était pas le moment de faire des manières et elle a commencé à gronder en remontant à l’assaut avec de petites chandelles de bave qui lui faisaient des stalactites rigolotes au  coin des babines…

‑ Saleté de clébard !… Je vas te crever moi !… Attends tu vas voir ma salope !…

Alors vu que c’était pas la peine et qu’y en avait assez il l’avait attrapé par le derrière de son futale de toile bleue qu’était toujours trop large et il l’avait fait basculer dessus le puceux où le Tomate noyé dans son jaja deux minutes plus tard ronflait déjà… Quant à la chienne qu’il avait probable fait passer en contrebande avec un ou deux litrons balancés aux cerbères du foyer elle attendait assise sur son cul des bulles scotchées au djamaa.jpgbout du museau qu’elle léchait d’un mouvement d’automate placide comme si tout avait été une bonne rigolade… Ses deux quinquets braqués sur lui n’avaient pas de reconnaissance mais une fraternité animale qui est la seule chose sur laquelle on peut compter dans ce monde.

A suivre...

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6 janvier 2012 5 06 /01 /janvier /2012 20:16

      Cet article qui a été publié sur le site : www.info-palestine.net m'a passionnée à sa première lecture parce qu'il est à la fois tellement bien écrit avec le coeur et toute la poésie que j'aime et parce qu'enfin une personne de culture judéo-arabe ou orientale comme on veut le revendique avec fierté et intelligence... avec l'intuition de ces êtres qui ont tout perdu d'eux-mêmes en devant " choisir " d'appartenir à un seul peuple alors que leur réalité comme celle de la plupart des êtres humains est multiple...

     Ce témoignage permet également de s'inscrire en faux contre la théorie mille fois utilisée qui consiste à dire que les populations juives des pays arabes ont été chassées de leur pays d'origine bien avant la création de l'état d'Israël... Il y a encore par exemple une importante communauté juive en Iran aujourd'hui qui tient à continuer à vivre sur le lieu de ses origines et que personne ne persécute... pour l'instant car si une guerre est fomentée par les pays occidentaux...

     

Réflexions d’une juive arabeBoycott Israel-copie-1

Lundi, 2 janvier 2012

 

Ella Habiba Shohat

BintJbeil

 

Dépouillés de notre histoire, nous avons été forcés par notre situation de huis clos de refréner notre nostalgie collective, au moins au sein de la sphère publique. La notion omniprésente d’“ un peuple unique ” réuni dans sa patrie antique n’autorise aucune mémoire attendrissante de la vie avant Israël.

 

Ella Habiba Shohat est professeur en Études culturelles et en Études des femmes à Cuny. Écrivaine, oratrice et militante, elle a écrit Israeli Cinema : East/West and the Politics of Representation (université du Texas - Press, 1989) et elle est co-auteur (avec Robert Stam) de Unthinking Eurocentrism : Multiculturalism and the Media (Routledge 1994). Shohat a également co-édité Dangerous Liaisons : Gender, Nation and Postcolonial Reflections (Université de Minnesota - Press 1997) et est la rédactrice de Talking Visions : Multicultural Feminism in a Transnational Age (MIT Press - The New Museum, 2000). Elle écrit souvent pour des journaux comme Social Text et le Journal for Palestine Studies. Son adresse : ella.shohat@nyu.edu

 

Quand les questions de discours racial et colonialiste sont débattues aux États-Unis, les personnes originaires du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord en sont souvent exclues. Cet article est écrit avec l’intention d’ouvrir un débat multiculturel, dépassant la catégorisation simpliste du recensement U.S. des peuples du Moyen-Orient en tant que “ Blancs ”.

Il est aussi écrit avec l’intention d’aborder les multicultures des notions américaines de la judaïté. Mon récit personnel remet en question l’opposition eurocentrique des Arabes et des juifs, particulièrement le déni des voix des Arabes juifs ( Séfarades ) tant dans le contexte moyen-oriental qu’américain.Ella-Habiba-Shohat.jpg

 

Je suis une juive arabe. Ou, pour être plus précise, une femme israélo-iraquienne vivant, écrivant et enseignant aux États-Unis. La plupart des membres de ma famille sont nés et ont grandi à Bagdad, et maintenant vivent en Iraq, en Israël, aux États-Unis, en Angleterre et en Hollande. Quand ma grand-mère a d’abord rencontré la société israélienne dans les années cinquante, elle a été convaincue que les gens qui regardaient, parlaient et mangeaient si différemment - les juifs européens - étaient en fait des chrétiens européens. La judaïté pour sa génération était inextricablement associée au Moyen-Orient.

Ma grand-mère, qui vit toujours en Israël et communique toujours largement en arabe, a dû apprendre à parler de “ nous ”, en tant que juifs, et d’“ eux ” en tant qu’Arabes. Pour les Moyen-Orientaux, la distinction s’est toujours opérée sur “ musulmans ”, “ juifs ” et “ chrétiens ”, pas sur Arabes par rapport à juifs. Il était supposé que l’“ arabité ” se référait à une culture et à une langue partagées en commun, quoique avec des différences religieuses.

Les Américains sont souvent étonnés de découvrir les possibilités existentiellement nauséabondes ou délicieusement exotiques d’une telle identité syncrétique. Je me souviens d’un collègue bien établi qui, malgré mes leçons élaborées sur l’histoire des juifs arabes, avait toujours du mal à comprendre que je n’étais pas une anomalie tragique - par exemple, la fille d’un Arabe ( palestinien ) et d’une Israélienne ( juive européenne ).

Vivre en Amérique du Nord fait qu’il est plus difficile encore de communiquer que nous sommes juifs et que nous avons toujours droit à notre différence moyen-orientale. Et que nous sommes arabes avec toujours le droit à notre différence religieuse, comme les chrétiens arabes et les musulmans arabes.

Ce fut précisément la police des frontières culturelles en Israël qui a conduit certains d’entre nous à nous échapper dans des métropoles d’identités syncrétiques. Pourtant, dans un contexte américain, nous sommes confrontés à nouveau à une hégémonie qui nous permet de raconter une mémoire juive unique, c’est-à-dire, une mémoire européenne. Pour tous ceux d’entre nous qui ne cachent pas leur moyen-orientalité sous un “ nous ” juif, il devient de plus en plus difficile d’exister dans un contexte américain hostile à la notion même d’orientalité.

En tant que juive arabe, je suis souvent obligée d’expliquer les “ mystères ” de cette entité oxymore. Que nous parlions arabe, pas yiddish ; que pendant des millénaires, notre créativité culturelle, laïque et religieuse, a été largement articulée en arabe ( les Maimonides étant de ces quelques intellectuels à “ la faire ” dans la conscience de l’Occident ) ; et que même les plus religieuses de nos communautés au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ne se sont jamais exprimées dans des prières hébraïques à fort accent yiddish, ni qu’elles n’aient mis en pratique les normes gestuelles de la liturgie et les codes vestimentaires favorisant les couleurs sombres de la Pologne d’il y a des siècles.

Les femmes du Moyen-Orient n’ont pareillement jamais porté de perruques ; pour se couvrir les cheveux, si elles les couvraient, cela dépendait des vêtements régionaux ( dans le sillage de l’impérialisme britannique et français, beaucoup portaient des vêtements de style occidental ). Si vous allez dans nos synagogues, même à New York, Montréal, Paris ou Londres, vous serez étonnés d’entendre les quarts de ton modulés de notre musique que les non-initiés pourraient penser venir d’une mosquée.

Maintenant que les trois topographies culturelles qui composent mon histoire éclatée et disloquée - Iraq, Israël et États-Unis - ont été impliquées dans une guerre, il est crucial de dire que nous existons. Certains d’entre nous refusent de se dissoudre comme pour encourager des divisions nationales et ethniques “ nettes ”. Mon anxiété et ma peine durant les attaques de Scud sur Israël, où vivent certains membres de ma famille, n’ont pas étouffé ma peur et mon angoisse pour les victimes des bombardements sur l’Iraq, où j’ai aussi des parents.

La guerre, cependant, est l’amie des binarités, laissant peu de place aux identités complexes. La Guerre du Golfe, par exemple, a intensifié une pression déjà familière sur la diaspora arabe-juive dans le prolongement du conflit israélo-arabe : une pression pour choisir entre, être juif ou être arabe. Pour nos familles qui vivaient en Mésopotamie au moins depuis l’exil babylonien, qui ont été arabisées pendant des millénaires, et qui ont été brutalement dégagées en Israël il y a 45 ans, d’être soudain contraintes d’assumer une identité juive européenne homogène, basée sur des vécus en Russie, en Pologne et en Allemagne, fut un exercice d’auto-dévastation.

Etre juif et européen ou américain n’a guère été perçu comme une contradiction, mais être juif arabe a été vu comme une sorte de paradoxe logique, même une subversion ontologique. Cette binarité a entraîné de nombreux juifs orientaux ( notre nom en Israël, en se référant à nos pays asiatiques et africains communs d’origine, est mizrahi ou mizrachi ) vers une schizophrénie profonde et viscérale, puisque pour la première fois dans notre histoire, arabité et judaïté étaient imposés comme des antonymes.1_IRAQ_461.jpg

 

Le discours intellectuel en Occident met en lumière une tradition judéo-chrétienne, mais reconnaît rarement la culture judéo-musulmane du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord, ou de l’Espagne antérieure à l’expulsion (1492) comme des parties européennes de l’Empire ottoman. Le vécu juif dans le monde musulman a souvent été dépeint comme un cauchemar sans fin d’oppressions et d’humiliations.

Même si je ne veux en aucune manière idéaliser ce vécu - il y avait des tensions, des discriminations occasionnellement, voire de la violence -, dans l’ensemble, nous vivions très facilement avec les sociétés musulmanes.

Notre histoire ne peut pas simplement être débattue en terminologie juive européenne. En tant que juifs iraquiens, tout en conservant une identité commune, nous étions généralement bien intégrés et considérés comme des autochtones dans le pays, formant un élément indissociable de sa vie sociale et culturelle. Bien qu’arabisés, nous utilisions l’arabe même dans les hymnes et nos cérémonies religieuses. Les tendances libérales et laïques du 20e siècle ont engendré une association encore plus solide des juifs iraquiens et de la culture arabe, qui a mené les juifs dans une arène extrêmement active dans la vie publique et culturelle. D’éminents écrivains, poètes et universitaires juifs ont joué un rôle vital dans la culture arabe, se distinguant dans le théâtre, la musique de langue arabe, comme chanteurs, compositeurs et joueurs d’instruments traditionnels.

En Égypte, au Maroc, en Syrie, au Liban, en Iraq et Tunisie, des juifs sont devenus membres des assemblées législatives, de conseils municipaux, de l’institution judiciaire, et même ont occupé des postes importants dans l’économie. ( Le ministre des Finances d’Iraq dans les années quarante était Ishak Sasson, et en Égypte, Jamas Sanua - des postes plus élevés, comble d’ironie, que ceux que notre communauté obtenait généralement au sein de l’État juif jusque dans les années quatre-vingt-dix ! ).

Le même processus historique qui a dépossédé les Palestiniens de leurs biens, terres et droits politiques nationaux, est lié à la dépossession des juifs du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de leurs biens, terres, et racines dans les pays musulmans. En tant que réfugiés, ou immigrants de masse ( selon le point de vue politique auquel on se place ), nous avons été forcés de tout quitter et d’abandonner nos passeports iraquiens. Le même processus a aussi touché notre déracinement ou notre positionnement ambigu en Israël même, où nous avons été systématiquement discriminés par les institutions qui déployaient toute leur énergie et leur matériel pour que les avantages aillent constamment aux juifs européens et les désavantages aux juifs orientaux.

Même notre physionomie nous trahissait, allant jusqu’à une perception colonialiste ou physique internalisée. Les femmes séfarades orientales teignaient souvent leurs cheveux noirs en blond, tandis que les hommes ont été plus d’une fois arrêtés ou frappés alors qu’on les prenait pour des Palestiniens. Si pour les immigrants ashkénazes venant de Russie et de Pologne c’était une aliya sociale ( littéralement, une “ montée ” ), pour les juifs sépharades d’Orient, c’était une yerida ( une “ descente ” ).I_am_Iraq.jpg

Dépouillés de notre histoire, nous avons été forcés par notre situation de huis clos de refréner notre nostalgie collective, au moins au sein de la sphère publique. La notion omniprésente d’“ un peuple unique ” réuni dans sa patrie antique n’autorise aucune mémoire attendrissante de la vie avant Israël. Nous n’avons jamais été autorisés à pleurer un traumatisme que les images de destructions en Iraq n’ont fait qu’amplifier et cristalliser pour certains d’entre nous. Notre créativité culturelle en arabe, hébreu et araméen n’est guère étudiée dans les écoles israéliennes, et il devient difficile de convaincre nos enfants que nous avons vraiment existé là-bas, et que certains d’entre nous sont toujours en Iraq, au Maroc, au Yémen et en Iran.

Les médias occidentaux préfèrent de beaucoup le spectacle de la marche triomphale de la technologie occidentale à celui de la survie des peuples et cultures du Moyen-Orient. Le cas des juifs arabes n’est qu’une de ces nombreuses élisions. De l’extérieur, il y a peu de peu de perception de notre communauté, et encore moins de la diversité de nos opinions politiques. Les mouvements pacifiques séfarades orientaux, des Panthères Noires des années soixante-dix à la nouvelle Keshet ( une coalition “ Arc-en-Ciel ” [ “ Rainbow ” ] de groupes mizrahim en Israël ), non seulement appellent à une paix juste pour les Israéliens et les Palestiniens, mais aussi à une intégration culturelle, politique et économique d’Israël/Palestine au Moyen-Orient. Et ainsi, à mettre fin aux binarités de guerre, et à une cartographie simpliste des identités moyen-orientales.

 

Du même auteur :

-  Juifs séfarades en Israël - avec Michel Warschawski - Le Monde diplomatiquearton2017-2.jpg

14 décembre 2011 - BintJbeil - Irvi Nasawi - Cultures séfarades et moyen-orientales - Traduction : Info-Palestine.net JPP

 

Qui sommes-nous ?

Solidaires de la Palestine

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1 janvier 2012 7 01 /01 /janvier /2012 17:56

C’est Beyrouth ici !

Il a combattu jusqu'au bout 1

Epinay, dimanche, 1erjanvier 2011

Que faire quand on habite à Beyrouth

Qui sait l’enfer de notre décadence

Rouge vif l’impuissance de la violence

C’est comme un piège de neige refermé

Qui fond sur nous et muet nous envoûte

Du présent il nous reste lasse cramée

Sur le parking la carcasse rouillée

Un temps cassé toute la vie verrouillée

C’est un monde entier parqué au fond des soutes

Qui n’en finit pas de faire naissance

 Ça va faire pas loin de deux piges que je n’écris plus sur ce qui a fait au départ le sujet des Petites Chroniques des Diables Bleus et ne plus écrire pour quelqu’un qui bricole dans les plumes et les bouts de paplars comme d’autres font cuire le pain du petit matin c’est quelque chose qui a de la gravité… En reprenant rien que pour comprendre mon silence vu que du silence c’est de ça dont y va être question ici quelques‑unes des Chroniques d’une chienne de vie j’ai constaté comme ça que la dernière date du 27 août 2010 et que son sujet c’est ce qui venait juste de m’arriver… me fracasser l’épaule droite il y a juste un an et demi et la douleur qui s’en est suivie… bref ! je n’écris plus parce que je ne peux plus écrire c’est mon corps qui en a décidé et voilà…

Y a bien plus longtemps que ça que je ne donne plus de nouvelles de l’existence des gens des cités de banlieue à tous ceux qui vivent ailleurs et qui n’ont pas la moindre mais pas la moindre petite intuition de ce que ça peut être de crécher à l’intérieur d’une tess’ qui est comme un grand village rassemblé là mais sans rien des institutions ni des liens sociaux qui vont avec… Ouais… y a sans doute à peu près cinq piges que je me suis renfermée peu à peu avec la conscience de ne pas avoir le choix ou peut‑être pas envie de l’affronter ce choix dans le silence mortel le même ou peut‑être pas tout à fait que celui qui me fait bondir dehors du trou à mémoire ce matin tout soudain et Hop ! Les infos formatées au quotidien par les graveux de la presse ça fait longtemps qu’elles ont été cadrées exact aux mesures du cerveau de l’humain d’aujourd’hui qui les accepte et les engloutit et la bande de ceux qui refusent l’abrutissage collectif écrivent eux ailleurs autrement… 

Ouais… c’est vrai mais voilà que concernant les cités de banlieue et leur micro monde tellement pas ordinaire et casé dans la case : “ Y a rien à dire et pas de mots pour le dire… ” qu’il a failli faire sa petite révolution tout seul dans l’hiver 2005 que pas un d’entre nous autres les mutants des faubourgs n’a mis au rancart il n’y a pas de parole vraie et venue de l’intérieur du ghetto parce qu’il faut bien l’appeler par son nom qui circule respectant du coup l’ordre mortifère du silence alors même que le bruit le barouf le hurlement est ici plus puissant et plus désespéré que jamais… “ Mais c’est Beyrouth ici !… ” cette expression‑là c’est en 2005 novembre pour être précis que je l’ai entendue la première fois pendant que la plupart des quartiers étaient chaque nuit en pleine guérilla et que les incendies nous tenaient debout parce que nous autres les habitants on savait que d’un instant l’autre ça pouvait devenir autre chose que ce qu’ils ont appelé une émeute des jeunes des quartiers…

 Beyrouth-2.JPG

Et puis ce matin il se trouve que ça suffit ! Ouais c’est ça le silence qu’on s’impose qu’on s’implose qu’on se fait péter à l’intérieur chaque nuit un peu plus profond parce que c’est convenu c’est entendu qu’il ne faut pas dire que c’est sans doute des quartiers que nous montera nous enchantera la plus belle la plus éblouissante des fins de ce monde taré toxique à plus en pouvoir la fin de ce monde de morts vivants qu’aucune jeunesse pas plus celle des papillons que celle des petits humains ne peut supporter… ce silence de ceux qui savent qu’y a longtemps déjà que “ C’est Beyrouth ici ! ” et que ça empêche de dormir il vient lui aussi de voler en éclats de cris… Vous tous qui ne vivez pas à Beyrouth ou qui le croyez vu que la séparation en tribus hostiles en clans opposés par la haine et la peur en voisins qui planquent la kalach sous le matelas ça fait pas mal de petits matins qu’elle a démarré sa reptation mine de rien pépère en silence pour sûr vous l’avez avalé comme mézigue ce matin l’info la nouvelle la bonne l’année Hein ? A moins d’être sourdingues vous l’avez bien entendu : “ Il ne s’est rien passé cette nuit nulle part… nouvel an dans la sérénité… ”

Eh bien non ! Ouaouf ! Ouaouf ! Moi je peux vous le hurler vous l’aboyer vous le gratter dans la plaie à vif et rouge de notre nuit sans sommeil encore une encore dix encore cent mille !… Au nom des explosions et des incendies répétés qui crèchent encore à l’intérieur de mes esgourdes bien profond et au nom de cette jeunesse qui n’en veut pas plus qu’on en voulait nous autres y a de ça quarante piges au bas mot mais on a pas changé on est toujours là avec nos rêves formidables et nos enchantements avec notre idéal au bout de nos nuits… au nom de cette vie qui n’en peut plus de l’énorme du géant ghetto des marchandises avariées et dégueulasses dessous lesquelles on l’étouffe on l’enterre on la trépasse je peux vous raconter qu’il s’en passe des choses ici à Beyrouth et que le printemps que nous vous avons laissé enfermer dessous les neiges de l’hiver ne ressemble pas mais pas du tout à ce que vous avez jusqu’ici réussi à propagander partout parce que le printemps c’est nous tous le peuple tout simplement qui allons décider de quand il sera temps de le mettre au goût du jour !

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 La Cité d’Orgemont à Epinay‑sur‑Seine… vous savez je vous en ai déjà causé… c’est un quartier à elle toute seule d’ailleurs on l’appelle le quartier d’Orgemont tellement elle est vaste et étendue aussi bien sa surface son territoire que le nombre des blocks des barres des tours… elle a ses commerces sa poste son annexe de la gendarmerie sa bibliothèque ses sept écoles ses dizaines de rues d’impasses de recoins de couloirs ses centaines de halls d’escaliers et ses milliers de familles d’habitants de passants… Une cité comme toutes les grandes cités de toutes les banlieues qui vit exactement les mêmes bouleversements depuis plus de 50 piges qu’elles existent… les mêmes migrations mouvements déplacements les mêmes révoltes car la population qui y vit est toujours la plus déclassée déconsidérée la plus pauvre… une population qui se retrouve quoi qu’il arrive depuis 50 ans mise au ban de la société dans son ghetto à misères à galères à petites ou grosses magouilles pour s’en sortir et sortir la famille de la faim de la honte du mépris et croyez‑moi je sais de quoi je cause vu que dans de genre de lieu j’y suis née j’y ai grandi et désormais j’y vis une partie de ma vie…

Donc la cité… ce soir c’est la fin de l’année et tout le monde a envie de faire la teuf comme partout comme toujours bon… Nous on est là chaque fin d’année depuis que comme les favorisés qui se font des p’tites vacances l’été on a plus du tout de quoi partir le reste de l’année mais on ne va pas se plaindre vu qu’on s’est préparé un petit repas agréable et qu’on a l’intention de passer une soirée tranquille et de faire notre teuf à nous avec musique Jazz and co c’est notre blot notre bonheur et voilà… Ni plus ni moins que tout le monde on a envie de se prendre la tototte de s’angoisser et d’avoir le lampion serré par les carambouilles des empêcheurs de vivre et leurs conséquences toujours néfastes… Mais hier soir pour tout dire on était plutôt optimistes Louis et mézigue vu que ça fait plus d’un an qu’il ne s’est rien passé de hard dont on a pris l’habitude à force pas le choix là non plus… Aucune voiture cramée pas de combats de rues avec la BAC depuis les descentes de ces messieurs cet été tous les soirs à l’heure de la rupture du jeûne durant Ramadan ramdam comme on l’appelle nous autres… Là ça avait été la grosse provocation et le Monsieur marocain notre voisin nous a raconté à notre retour des vacances que les gros bras de la BAC s’en étaient pris comme c’est le cas à chaque fois qu’ils déboulent dans la tess’ à tout le monde et à n’importe qui les gens très nombreux sur les trottoirs en cette période de fête tirant avec leurs balles de caoutchouc là où jouent les p’tits et provocant la réaction des jeunes à coups de canettes de bière…

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Mais ce soir c’est drôle on a à la fois l’espoir que ça va bien se passer et à la fois l’intuition que le calme étrange presque bizarre et disproportionné pour un quartier d’ordinaire vivant et animé à ces moments‑là ne va pas durer… Sur le coup d’un peu avant minuit par la fenêtre grande ouverte grâce à la tiédeur de l’air on voit débouler trois camionnettes et voitures des poulagas qui viennent probable nous souhaiter la bonne année on les connaît… Nous comme on est rue de Marseille une des rues chaudes du quartier tout au début de l’entrée de la tess’ côté Enghein et Argenteuil on est toujours aux premières loges pour ce qui est de la baston on est vernis… A peine les premiers cris de “ Bonne Année ” et le tam‑tam des casseroles avec deux ou trois pétards mouillés de feu d’artifice parce qu’il pleut ont commencé à retentir et les habitants qui sont là pas sortis à Paris faire la teuf à se mettre à la fenêtre pour exprimer leur joie et échanger leur enthousiasme que les gaziers descendent de leurs voitures et appellent à rentrer chez soi et à la boucler… 

C’est drôle ça alors l’année dernière ils nous ont pareil interdit de nous souhaiter la bonne année et de manifester notre plaisir d’exister ensemble dans notre quartier en criant de la fermer en envoyant des insultes et des quolibets… Ce sont encore une fois les maîtres du monde qui ne fichent jamais les pieds là où on vit qui décident qui a le droit de faire la teuf aux Champs‑Elisées à Neuilly à Juan‑les‑Pins ou à Nice Promenade des Anglais et pas dans le quartier d’Orgemont ou à La Source hein ? Bon on s’en tape… on continue à crier à chanter à mettre la zik à donf et à s’embrasser dans la rue pendant que la petite pluie fine recouvre la cité de son voile léger et protecteur… Ce qui nous inquiète vraiment c’est qu’à part les poulagas qui font le tour avec voitures au ralenti et une dizaine de gaziers à pieds roulant des mécaniques en plein milieu de la rue de Marseille il n’y a carrément pas un chat dehors une nuit de fin de l’année à minuit dans une cité surpeuplée… Oui c’est ça il n’y a précisément pas un chat… La pluie ? La résignation ? Ou bien les chats ils sont ailleurs en train de préparer une fête à leur façon à tous ceux qui ne se doutent pas que leur règne est bien près d’être achevé ?

Tranquilles on se couche sur le coup de une heure du mat après avoir éteint les bougies de la fête de la lumière et vérifié que rien ne risque de fiche le feu au gourbi car ça crame énormément ces derniers temps par ici entre les apparts pas restaurés depuis 1956 la création de la tess’ qui sont dans un état que vous maginez facile et les boutiques de la rue de Marseille qui sont victimes d’embrasement spontané les unes après les autres… Toujours pas un bruit en bas et on s’endort vite fait et d’un coup brutal je me réveille en sursaut avec dans les oreilles un bruit pourtant familier mais que j’avais un peu oublié celui d’une explosion… C’est tout près pas loin du tout de notre block peut-être le parking en face ou l’autre juste derrière… Boum ! Re boum !… Louis est déjà debout à la fenêtre moi j’hésite entre un cauchemar et remettre les panards dans le réel qui en pleine nuit est soudain plein de bruits… Louis me rassure c’est rien une voiture qui crame sur le parking de l’autre côté on ne voit pas les flammes mais une grande lueur blafarde qui monte au‑dessus de l’immeuble d’en face… une fumée noire et puis blanche et puis des éclats de voix et Boum ! Boum ! Boum !… 

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C’est pas un cauchemar mais il y a une série d’explosions les unes après les autres très rapprochées comme si tout le parking prenait feu et je me dis dans mon demi réveil que c’est drôle d’habitude ça ne pète pas comme ça et ça pue tout de suite le caoutchouc fondu et l’essence… Là ça ne sent pas et ça éclaire d’enfer le ciel les arbres la rue les façades tout autour comme si c’était du phosphore en fusion comme si c’était… Beyrouth ! Boum ! Pan ! Boum ! “ Mais ils vont foutre le feu à la cité c’est Beyrouth !… ” Louis qui en a vu d’autres reste accroché à la fenêtre pendant que dans les blocks autour du nôtre les fenêtres s’allument et que dehors les gens descendent enlever leurs voitures les sortir des parkings les autres reviennent de la fête à Paris ils se croisent et l’incendie crépite comme un fou de joie et les pompiers qui n’arrivent pas… Je suis debout devant l’autre fenêtre pour voir qu’il y a un nouveau départ de feu plus loin de l’autre côté de la cité sans doute un grand panache noir et de petites lueurs orange et blanches et Boum ! Boum !… 

Des explosions encore et encore… on ne sait plus combien et toujours cette immense violente redoutable lueur blafarde qui éclaire les blocks de béton en contre jour et les fait scintiller d’une ombre noire inquiétante… On n’arrive pas à retourner se coucher même après que les pompiers aient commencé à arroser le désastre et que la ronde des voitures de police avec klaxon ou sans traverse notre rue d’un sens et de l’autre dans un tourniquet effaré et incessant… Pour finir on se blottit l’un contre l’autre angoissés par le crépitement qui ne cesse pas et cette vision de guerre qui nous rappelle celle de l’hiver 2005 à chaque fois une guerre qui ne dit pas son nom et qui débouche sur un peu plus de misère et de désarroi… Je me rendors avec bien du mal et sans avoir la moindre notion du temps qui a pu s’écouler je me réveille à nouveau en sursaut même scénario c’est un remake !… Louis à la fenêtre Boum ! et Boum ! cette fois‑ci c’est en face de notre immeuble sur le parking une voiture qui explose et réexplose de notre quatrième on a le feu grandeur nature devant les yeux…

Le bazar recommence il est cinq heures du mat nuit noire flammes rouges orange jaunes lueur blanche Boum ! à répétition comme s’il y avait des dizaines de bâtons de dynamite dans la carcasse incendiée fumée noire épaisse lumières qui s’allument les pompiers enfin ils ont mis du temps ils sont débordés sans doute on a eu peur que ça se communique aux autos d’à côté il y a un monde fou en bas les gens commentent crient enlèvent leur voiture courent partout s’appellent rient les camionnettes de police reprennent leur va‑et‑vient… Boum ! Boum !… je reste à la fenêtre jusqu’à ce que tout soit éteint Louis s’est rendormi épuisé résigné… on n’en parle pas entre nous pas la peine… comment en parler aux autres… ce qu’ils vont dire ce qu’ils vont croire… mais au fond ce que je m’en fous !… Des phrases sans suite se forment dans ma tête et je ne cherche pas à les arrêter… 

Que faire quand on habite à Beyrouth

Quand le présent à toute allure reculeclichy-sous-bois.jpg

Ne nous laissant que la carcasse cramée

D’un temps mort au matin et notre déroute

Que faire quand c’est tout un monde qui brûle

Eparpillant les cendres de notre histoire

La mémoire d’un peuple désarmé

Adorant les dieux qui de lui le séparent

De ses combats et de sa destinée

Que faire quand on habite à Beyrouth       

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29 décembre 2011 4 29 /12 /décembre /2011 23:12

Les tables de sable suite...

Syrte avant la guerre

A 634 kilomètres de là au Nord‑Ouest il y a un homme qui écrit dans un cahier qu’il emporte avec lui au milieu de la ville en feu… 

Journal du jour d’après Nuit du 8 octobre 2011

Syrte ma ville une fois encore tout à l’heure je t’ai regardée… avant que le soleil ne se déchire au‑dessus de tes derniers quartiers qu’ils n’ont pas encore réduits à de funestes brasiers blancs je t’ai regardée… je sais que cette nuit sera celle de ton linceul de cendres et de poussières d’acier violettes… Ma ville je le sais et je cherche en vain au creux de tes entrailles bouillonnantes un homme avec qui partager le sort de ceux qui vont perdre pour toujours l’image de ta jeunesse et de la nôtre.

 Syrte ma ville… Ne surtout pas courir… les dernières paroles d’Hamou mon presque frère de sang et sa main par la fenêtre qui s’agite en même temps que l’auto s’éloigne prenant la file des autres véhicules. Des centaines une queue de bête épuisée picorée de débris de plâtras et de bois éparpillés une queue de ces gens qui vivaient là et qui ne vivraient plus nulle part… Hommes errant de campements en campements poussés bousculés traînés… Hommes porteurs de discorde aux tables du festin… qu’on ne voudra pas voir parce qu’ils portent le malheur sur eux partout où ils vont s’échouer éternels passagers voyageurs éternels.

Ce qui me surprenait depuis trois heures de l’après‑midi à peu près le temps de ma fuite sous la blancheur des aigles ils revenaient sans cesse et leur vision était plus juste que celle de l’oracle malgré l’épaisseur des traînes de fumées étouffantes masquant toute la lueur du soleil d’un halo de plomb…ils s’amusaient jouaient avec mes innombrables zigzags pour éviter de manière absurde leurs frappes celles des chars et les balles des tireurs venant toutes d’un lieu céleste invisible… c’est que je n’avais pas trouvé sur mon chemin hésitant et ses mille détours ces hommes blessés au‑dedans des ruines qui ne dissimulent rien pas plus que je n’avais buté dans des cadavres de jeunes charognes avec encore des grumeaux de vie bien que les explosions se fassent de plus en plus fréquentes et précises…

 Syrte ma ville à la chair sucrée comme celle des dattes de l’oasis les vagues de la Méditerranéedéposent sur toi le sel de toutes nos larmes… Nous sommes d’un pays qui n’a jamais eu besoin de demander la charité à personne. Les nôtres ont appris qu’il n’y a pas de joie ni de grandeur à se promener librement au‑dedans des murailles de béton où les hautes façades de verre luisantes des supermarchés ruissellent sans nous offrir la soif et que librement nous n’avons pas besoin d’emballages dorés pour les selles de nos chameaux. Les nôtres ont appris que la liberté de l’eau dans nos imaginaires n’existe pas sans la liberté de la soif. Les nôtres ont appris parce qu’ils se déplacent… La liberté des hommes est de pouvoir se déplacer avec le ruisseau de leur désir sur l’étendue du monde que ne recouvrira jamais leur désir. Nous sommes un peuple qui connaît le bonheur de la soif et qui n’a pas besoin de supplier qu’on lui donne à boire…

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Syrte ma ville j’ai espéré tout à l’heure… il faisait encore jour et les palmiers au feuillage épais bleuté qui bordaient chaque côté de la rue donnaient au désastre en train de s’accomplir une douceur déjà perdue… aller à la rencontre d’autres égarés cherchant à rejoindre la plage et son grognement monstrueux en dépit du danger qui doit survenir de ce côté… le port est occupé par les navires de guerre je le sais… Je le sais mais il y a une image qui ne cesse pas de s’échouer portée par l’été qui ne meurt pas derrière mes paupières si je ferme les yeux malgré la présence de la peur envoûtante… il y a des grosses tortues qui viennent pondre leur œufs… des tribus encore et encore… innombrables des quantités des centaines des milliers… la lune les graisse d’un glacis couleur de mousse… elles grattent elles creusent et elles les recouvrent d’une couche de sable clair avant de retourner à la mer reformant la tribu et se mêlant aux profondeurs sans lumière jusqu’à la prochaine nuit lunaire.

 Syrte ma cité immortelle tu es redevenue sable et argile tu es redevenue pierres… La vie renouvelle ses manifestations et ses cérémonies que même les plus âgés des nôtres ne peuvent plus nommer… Ils ont oublié de nous transmettre le récit de nos exils mais je sais par mon enfance farouche entre la Hamada et les grands ergs du Sud que rien ne pourra arrêter leur accomplissement… Syrte ma cité engloutie tu retournes toi aussi au cœur des eaux libérant notre soif à mesure que tu enfouis à l’intérieur du sable de tes déserts les trésors qui seront les fruits de notre quête future…

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Avant de monter en voiture Hamou a profité que Baya s’occupait des petits pour sortir  de la poche de sa veste un pistolet de taille bien plus petite que ceux qui nous servaient aux exercices de tir pendant notre service militaire… on nous confie chaque arme personnellement ainsi qu’un fusil mitrailleur avec plusieurs chargeurs déjà je n’aimais pas la guerre qui rend les hommes fous qui leur met dans la bouche le goût du sang et de la chair. Que personne ne se moque de nos ancêtres guerriers fiers dresseurs de montures… que personne ne se moque des cavaliers des Ziaras les plus grands debout chevauchant dans leur takakat de tous les bleus de l’azur…

Je me souviens de la takouba de Medur le frère de mon père marquée sur sa lame aux flancs froids du double croissant lunaire avec sa poignée en peau et sa garde en cuivre gravée de motifs géométriques qu’il tirait du fourreau de cuir rouge aux plaques d’argent poinçonnées de petits triangles afin de m’éblouir et de mesurer mon courage de jeune targui…

‑ Aw… fils… aw targa… fils de targui… ne montre jamais ta peur !

Il prononçait ces mots en riant après avoir roulé le tagelmout autour de ma tête… il faisait siffler l’acier de la takouba au ras de mes oreilles…

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Heureusement pour lui oncle Medur avait des fils vifs et habiles comme le faucon et ses fils ont été nombreux à poursuivre la grande tradition touarègue de la transhumance… Heureusement oncle Medur avait des fils faucons à l’œil aiguisé de cette lignée d’hommes prodigues des traces et des pistes pour accompagner la marche de nos troupeaux. D’Al Jufrah à Mourzouk de Ghât à Tamanrasset ils ont monté les kaïmas de peaux brunes et de laines blanches et jusqu’au marché de Gossi dans le désert de Gourma ils ont rejoint les fils des tribus qui partagent le désir  de la soif et le chant des tobols… C’est l’aîné de ses fils Abarug le renard aux yeux fendus de la couleur laiteuse du fruit de l’amandier qui a reçu la tabouka des mains les meilleures pour cueillir le lait du trayon fin des chamelles de son père Medur le vivant et ni lui ni ses frères n’ont trahi l’âme creusée dans le soleil des peuples des oasis…

Au creux du ventre d’Al Jufrah je suis retourné chaque été poussant mon errance entre les écheveaux de coton crème des dunes aux sentinelles palmiers bleus j’ai mesuré la force de mon corps adolescent… Je suis retourné me pencher au‑dessus des puits d’eau verte de Soknah à l’intérieur de la forteresse trop étroite sur notre terre que je n’ai pas connue hier je me suis assoiffé au miel des dattes du marché de Waddan mesurant mon ivresse à la source d’El‑Bhalill… Avec pour monture Azenzêr le rayon de lumière d’oncle Medur la narine droite percée du tigemt l’anneau solaire j’ai retenu dans mes poings les akala tressés rouge vif et leurs pompons verts et violets… La terik de bois d’acacia et de cuir roux m’a tailladé les cuisses et j’étais cavalier et j’étais roi et j’étais vent… Yaouah ! Yaouh !

Avec Azenzêr la chamelle de lumière j’ai couru jusqu’aux pierres noires du Jabal Es‑Sôda et jusqu’aux flancs secs du Jabal Waddan sans parvenir à me rassasier de la présence des lourdes mamelles ocre ni de la chaleur des jours… Yaouah ! Yaouh !

Au creux du ventre d’Al Jufrah oncle Medur avait élevé Idjih la seule fille de toute sa tribu avec les qualités du meilleur cavalier et les touffes des plantes sauvages au parfum le plus pur ne lui arrivent pas à la cheville. Car c’est vrai que je n’ai que des cousins qui seront meneurs de troupeaux et chameliers vertueux respectant les lois et l’honneur du clan… Et si l’un d’eux Awinagh qui a les yeux bleus mais pas du bleu de lait de ceux d’Idjih ma cousine devient forgeron maître des lames tranchantes des tabouka et des telek trempés dans la clarté lunaire je le saurai…Eux ils sauront trouver l’emplacement des puits aux branches d’étoiles désenchantées sur les pistes du Fezzan entre les milliers de replis grondant de la tôle ondulée du sable et les têtes des serpents roses sacrés… ils sauront et je ne saurai rien d’autre que ma soif…

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Idjih ma cousine qui repoussait en riant son alacho indigo chevauchait au creux de l’ombre de ses frères à nos côtés et nous étions Hamou et moi ses chevaliers et nous n’appartenions déjà plus à la tribu et nous étions déjà étrangers au peuple nomade de l’oasis et à ses fogarras dont l’eau avait le goût acidulé des feuilles des citronniers. Idjih était ma cousine et une alliance entre nous aurait été le sceau de sang de mon retour sur la terre propice aux cavaliers bondissant la tabouka et l’allarh au poing et se mesurant aux Ziaras dans le tourbillon salé des écumes de sable et de la sueur… Idjih était ma cousine et l’ébène de ma peau m’a délivré d’une alliance qu’ancien fils d’esclave ayant accompli pieds nus aux chaînes la marche des quarante jours sans la soif d’aucun peuple ni d’aucun rêve qui l’accompagne je ne pouvais désirer… En me tendant le pistolet Hamou avait fixé sur moi le même regard que celui d’oncle Medur à notre départ de l’oasis qui mêlait à la gravité de l’instant la nostalgie d’un temps déjà lointain et presque oublié.

A suivre... 41_Touaregs_1.jpg

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28 décembre 2011 3 28 /12 /décembre /2011 11:56

Jean-Marc Rouillan suite

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Auteur de Je hais les matins, Denoël, Paris, 2001. Lettre à Jules, Agone, Marseille, février 2004 ; Le capital humain, L'Arganier, Paris, janvier 2007 ; De Mémoire T1, les jours du début, Agone, Marseille, mars 2007.

“ Dans la nuit, lorsque nous fûmes enchaînés et bâillonnés, de grands responsables des ministères nous visitèrent. Des dizaines d’encravatés, directeurs, hauts gradés et procureurs généraux dansèrent une ronde de joie dans notre salle à manger. Certains emportaient des souvenirs, d’autres se faisaient photographier avec les bêtes. Sous les crépitements des flashs, ils jouaient des coudes. ” 

“ À l'époque, l'auxi d'étage était un Arabe grand et maigre. Gentil. Une ombre appuyée avec nonchalance sur un balai. Il arrivait directement du bled. De la France, il ne connaissait pas grand-chose à part le pays carcéral. On l'avait surnommé ‘ Cent millions ’. Il expliquait que chez lui on lui avait dit :

‘ Va en France, tu braques une banque, tu demandes cent millions et tu rentres. ’

Il l'avait fait, et bien évidemment l'affaire tourna mal. Il en prit pour quinze ans.

..… Dans ce petit monde, où les fringues de marque et le dernier modèle de pompes de sport brillent davantage que l'or des vieux voyous, ‘ Cent millions’ faisait peine avec de vieilles espadrilles. Un riche donateur lui offrit une belle paire de Nike Air. Neuve. Au moins 1 000 balles.

Le lendemain, au bout de la coursive, ‘ Cent millions ’ arborait un sourire de fierté. À la stupeur de deux ou trois gars qui passèrent à ses côtés, je compris. Il avait entrepris les Nike au couteau pour en faire des babouches. Et il avait pris grand soin de crever les bulles d'air.

Bien sûr, les bulles percées se remplissaient d'eau savonneuse quand il nettoyait le couloir. Et toute la journée s'en échappaient des bulles et une mélopée sifflotante.

 Je hais les matins

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De mémoire (3)

La courte saison des GARI : Toulouse 1974

Jean-Marc Rouillan

avec un cahier photo de 16 pages

Ed. Agone

Parution : 14/10/2011

ISBN : 978-2-7489-0141-2

352 pages

12 x 21 cm

22.00 euros

Extraits

 " Les Gari sur Toulouse accumulaient une véritable expérience armée.

On ne prenait plus de risque sans pour autant éviter les mésaventures. Lors des braquages, la consigne absolue était de n’user d’aucune violence – même verbale – contre les clients et les employés. Ni coups de crosse, ni gifles, rien.

Cela exigeait des commandos plus de maîtrise et de contrôle de la situation. Un jour, j’assurai la protection d’un groupe attaquant la poste d’une petite ville de la banlieue toulousaine. Une affaire sans risque du moins du côté policier. Assis à l’avant du véhicule garé à une cinquantaine de mètres de l’entrée des bureaux, je profitai du soleil matinal, la Sten sur les genoux. Le Loulou m’imitait et avait dégrafé deux boutons de sa belle chemise satinée. Les rues étaient calmes. À la terrasse des cafés, les consommateurs sommeillaient sous les parasols multicolores. Un cri suraigu extirpa le voisinage de sa torpeur. Les hurlements d’une femme mettaient en émoi les alentours. Déjà sous les parasols, des ombres s’agitaient. Des hommes se redressaient. Des clients sortaient des boutiques.

À l’angle de la placette, le premier camarade est apparu, il galopait la perruque blonde de traviole et le pistolet à la main. Puis le second tout aussi affolé et le troisième qui se protégeait la tête de son bras. Et immédiatement derrière, courrait une baleine armée d’un balai ! Maintenant les clients des bars jetaient tout ce qui leur tombait sous la main, les canettes, les bouteilles, les cendriers… Une pluie de verre se brisait sur la chaussée. Les insultes fusaient. Et la grosse femme hurlait de plus belle : “ Au voleur ! Au voleur ! ”

Le Loulou releva son foulard sur le nez et passa la première. Moi j’étais paralysé par le fou rire. Les trois camarades ont embarqué en désordre et nous avons démarré sur les chapeaux de roue. Je riais toujours de cette fuite peu glorieuse. Le plus jeune m’engueula : “ Eh Sebas ça te fait marrer ! ” Et finalement il rit aussi comme bientôt tous nos compagnons. Le troisième se frottait le sommet du crâne en gémissant : “ Putain elle m’a refilé un coup de balai par derrière ! ” Et nous, on rigolait plus fort. Le Loulou m’interpella en se moquant :

“ Eh Sebas, tu ne devais pas assurer la protection ? ”…

— Moi j’assure la couverture contre les poulets mais pas contre les femmes de ménage ! "

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" On était à Amsterdam quand à Bruxelles la Fiat explosa. Les deux autres détonateurs firent long feu. On enragea contre les fabrications artisanales, mais bien vite, à l’écoute des radios, on changea d’avis. Les artères des centres d’Anvers et de Liège étaient bloquées, des zones entières évacuées. Des équipes de démineurs décortiquaient nos Citroëns. La Deudeuchapparu à la télévision. Une star ! Elle en rougissait de plaisir ! Le Premier Ministre parla en direct. Le Roi visita le lieu de l’explosion. Jusqu’à midi, la Belgique semblait plongée dans la plus grande confusion. De Paris, les fausses alertes se multipliaient. Les bâtiments étaient vidés. Les avions détournés. Les principaux axes déviés. Une grue tira la DSau milieu du boulevard. Un démineur ancien de la guerre coloniale du Congo fit un topo sur un tableau noir devant une centaine de caméras et d’appareils photo. Il expliqua preuve à l’appui que les terroristes avaient préparé la charge de manière que le moteur de la Fiat retombe avec fracas au quatrième étage sur le balcon du directeur de la Compagnie Iberia. Des champions ces terroristes ! Les hommes de cour rappelèrent que si les deux familles royales étaient liées, le brave cul béni de Baudoin se prononçait hypocritement contre la dictature de Franco et l’interrègne de son petit neveu Juan Carlos. "

 Pour qui n’a pas caressé amoureusement la Sten résistante du grand-père dénichée au grenier avant de l’offrir au compagnon catalan chargé de lui faire franchir les Pyrénées, n’a pas pleuré de rage en apprenant le supplice de Salvador Puig-Antich, ne s’est pas saoulé avec les anciens de la CNT, pourtant si abstinents d’habitude, en apprenant la mort du tyran, n’a pas refait le monde autour d’un cassoulet mal cuit dans de vielles fermes en ruine et néanmoins communautaires ou connu l’amour dans des galetas poussiéreux ouverts sur le ciel toulousain, n’a pas éprouvé la trouille dans la 404 qui chauffe en grimpant le Somosierra, le dernier livre de Jann-Marc Rouillan édité chez Agone est à classer sur l’étagère consacrée aux œuvres des nostalgiques des lendemains qui auraient du chanter, aux anciens combattants combattus et vaincus de la guerre sociale. Pourtant à y regarder de plus près et en conservant un minimum d’objectivité, ce que j’ai du mal à faire ayant croisé jadis et souvent apprécié les personnages décrits, le lecteur y trouvera la description d’une époque où l’engagement radical se confondait avec la joie de vivre d’une jeunesse pour qui la solidarité avait du sens et pour laquelle elle n’hésitait pas à prendre des risques énormes. Quelle qu’est été la suite de l’histoire des gens des GARI, que l’on adhère ou non à leurs pratiques, l’honnêteté révolutionnaire veut qu’on leur reconnaisse au moins le mérité de nous avoir fait rêver et bien souvent grandir. Pour ces nuits passées à coller les affiches demandant votre libération, pour la chaleur du meeting de la Mutu, pour les copains morts ou blessés, pour n’avoir jamais capitulé, je vous salue compagnons …

Henri Cazale

 

Sous le silence, la mémoire vive de Rouillan

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 Privé de parole, Jean-Marc Rouillan continue néanmoins d’écrire. L’ex-membre fondateur du groupe Action Directe condamné en 1989 à la réclusion à perpétuité assortie d’une période de sureté de dix-huit ans pour les assassinats du PDG de Renault Georges Besse et du Général Audran, aura finalement passé plus de 23 ans en prison.

En effet, après avoir bénéficié d’un régime de semi-liberté le 17 décembre 2007, Jean‑Marc Rouillan était à nouveau incarcéré le 2 octobre 2008 pour des propos tenus lors d’une interview au journal L’Express. La libération conditionnelle dont il bénéficie depuis le 19 mai 2011 est assortie de règles encore plus strictes que la précédente. Outre l’obligation de ne pas s’exprimer sur les faits pour lesquels il a été condamné en 1989, il lui est formellement interdit de s’exprimer en public et de parler aux journalistes.

Dans ces conditions, vient de sortir le dernier tome de la trilogie “ De Mémoire ” publié aux éditions Agone. Le précédent volume nous avait laissé en septembre 1973, le jour où le militant anarchiste Salvador Puig Antich était arrêté à Barcelone au cours d’une fusillade avec la police de Franco.

“ La courte saison des Gari ” ( Groupe d’actions révolutionnaires internationaliste ) revient sur l’année 1974. L’objectif de la bande de copains est d’obtenir la libération des anti‑franquistes condamnés à mort en Espagne. Braquages, attentats, enlèvement : les actions de “ propagande armée ” en France et Belgique se multiplient contre “ tout ce qui touche de près ou de loin à l’Espagne Franquiste ”.

La mémoire vive de l’écrivain Jean Marc Rouillan n’a rien oublié de cette histoire. Son récit raconte de l’intérieur la trajectoire de Pierre, alias “ Tonton ”, Michel “ Rata Pinhade ”, Christian “ le Loulou ”, Aurore, Mario, Cricri. Le choix de la lutte armée n’empêche pas les délires sous influence du Velvet Underground et des bd des Freaks Brothers.

Les actions des Gari ne firent aucun mort, sinon quelques blessés. Elles n’empêchèrent pas non plus l’exécution de Salvador Puig Antich, garrotté le 2 mars 1974 dans la prison de la Modeloà Barcelone. Face à l’impressionnante vague d’attentats, le gouvernement de Franco annonça cependant le rétablissement de la loi sur la libération des prisonniers politiques arrivés aux trois quarts de leur peine.

Arrêtés et incarcérés à la Prisonde la Santé à Paris, les membres du groupe obtinrent le statut de prisonniers politique. Ils seront libérés après la mort de Franco.

Libé Toulouse a rencontré Michel, l’un des membres des Gari. “ Notre engagement dans la lutte armée n’avait rien de mortifère ”, raconte-t-il. Entretien

 Libé Toulouse : Pourquoi avez-vous choisi la lutte armée ?

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 Michel : 37 ans après, faut-il rappeler qu’en 1974 l’Espagne de Franco vivait sous une dictature militaire? Pour moi, il s’agissait plus de propagande armée. L’objectif de nos actions ( attentats, enlèvements, braquages ) n’était pas de faire des victimes, mais d’attirer l’attention sur la situation des prisonniers politique condamnés à mort en Espagne par le régime de Franco. Nous savions que le cadre légal ne les empêcherait pas. A ce moment-là, l’urgence des condamnations à mort de camarades emprisonnés en Espagne, l’imposait.

La lutte armée est un moyen d’arriver à un résultat. Ce n’est pas un but. Les armes et les explosifs étaient les outils. Nous n’avons jamais fantasmé là-dessus.

La forte mobilisation partout en Europe n’avait pas empêché l’exécution de Salvador Puig-Antich militant du Mouvement Ibérique de libération ( MIL ) exécuté le 2 mars 1974. En janvier 1974, 4 membres d’un groupe qui préparait des attentats contre des avions au sol et sans passagers de la compagnie espagnole Iberia étaient arrêtés à Paris. Cette opération aurait-elle pu empêcher l’exécution de Salvador? Je n’en sais rien. En tout cas après cet échec et l’exécution de Puig Antich il était évident d’intensifier nos actions.

 Que répondez-vous à ceux qui considéraient que votre engagement était mortifère ?

 Michel : A eux, rien du tout ! Les GARI n’ont tué personne. Ils se sont battus contre un régime qui, lui, était mortifère. Nous ne sommes pas entrés en religion pour devenir des moines soldats. Beaucoup d’entre nous avaient à peine plus de 20 ans. Notre lutte était faite de partage, d’amitiés et de rire. Il y avait des moments de tension. Mais il y avait aussi des moments de rigolade. Comme la vie, c’était une aventure de tous les instants. Il ne s’agit pas seulement de ceux qui un jour ont fait le choix des armes. Les grandes grèves, les manifestations servent aussi à se réapproprier sa propre vie. Je me méfie tout autant de ceux qui idéalisent la lutte armée. Il y avait dans notre entourage de l’époque des gens qui en parlaient beaucoup plus qu’ils n’y participaient.

 “ La courte saison des Gari ” s’est déroulée pendant l’année 1974. En quoi cette époque a‑t‑elle influencé votre engagement politique ?

 Michel : Toulouse en 1970 est une grande métropole et ce qu’on y vivait ressemblait à ce qui se passait ailleurs. Il y avait de nombreuses luttes sociales, des grèves lycéennes, une grande richesse militante. L’ensemble de la société était plus politisé qu’aujourd’hui. La consommation à outrance n’avait pas encore lessivé les esprits. Nous n’avions pas des centaines “ d’amis ” sur Facebook mais de nombreux copains que l’on côtoyait dans les manifs et les concerts.

Beaucoup de choses se passaient sur le mode de l’anti-conformisme et de la rigolade. Je ne sais pas si nous étions raisonnables mais nous étions vivants. Nous étions les enfants d’une époque qui n’était ni triste ni morose. Nous avions aussi en tête les récits de nos aînés résistants. C’était aussi le moment de la guerre du Vietnam. Aux Etats-Unis, c’était aussi l’époque des luttes des Black Panters et des Weathermen. L’épopée cubaine était encore toute proche.

La particularité de Toulouse était aussi d’être la deuxième capitale de l’Espagne. Celle des exilés opposés au régime de Franco. On baignait là-dedans. Alors, pour beaucoup d’entre nous l’engagement était une évidence.

 Paradoxalement, certains exilés républicains espagnols étaient opposés à vos actions…

 Michel : Je me souviens surtout du large soutien et des témoignages de sympathie. Mais plus tard, après la mort de Franco et notre sortie de prison, pendant la période dite de “transition” en Espagne, au nom de la négociation en cours, certains parmi les exilés espagnols, ont estimé que ce n’était plus le moment de recourir à la violence. Pour ces derniers, nous sommes peut-être devenus gênants. Nous dérangions leur confort d’opposants institutionnalisés.

 Pour la police et l’Etat vous étiez des terroristes…

 Michel : Pour la police, nous étions d’abord un gibier qu’il fallait arrêter très vite. L’État nous présentait comme des terroristes professionnels. Les autorités avaient tout intérêt à dire cela. Il faut bien que le pouvoir désigne la révolte de façon négative. Aujourd’hui, la régression est telle que l’on entend même parler de prises d’otages lors de certaines grèves.

Le mot terrorisme évoque bien évidement des attentats sanglants. Pour ma part je n’ai pas le sentiment d’avoir été un terroriste. Nous prenions beaucoup de précautions et de risques pour nous mêmes dans la préparation et les repérages pour éviter qu’il y ait des victimes. Il y a pourtant eu des blessés. Cela ne nous a pas réjouis, mais nous savions que cela pouvait arriver.

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A suivre…

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26 décembre 2011 1 26 /12 /décembre /2011 12:12

 

Vous savez que c'est difficile pour moi de vous causer ici de nos années d'utopies et de lutte pour un monde solidaire et autre dans le joyeux pays cévenol au coeur des villages communautaires devenus pour la plupart aujourd'hui des résidences pour retraités gâteux... Ces évocations des années 75 et la suite par Jean-Marc Rouillan le font pour l'instant mieux que moi.... Je continue d'écrire l'histoire commencée de " l'offensive des pauvres "... Un jour peut-être...

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" Comme bon nombre de participants à la révolte de Mai 68, j’en ai marre d’entendre les “ anciens combattants ” psalmodier l’historiette factice. Non ! Mai ne s’est pas pitoyablement terminé lorsqu’ils sont rentrés de vacances à la fin de l’été 68. Dans les usines, dans les facs et dans la rue, la rébellion anti-autoritaire s’est prolongée des années durant. Et Mai 68 ne se résume aucunement à un phénomène sociétal né d’un problème de dortoir à la fac de Nanterre.

L’insurrection de la jeunesse était dirigée contre l’agression impérialiste du peuple vietnamien, contre le quotidien mortifère du “ métro, boulot, dodo ”, celui de la consommation de masse et contre la vie perdue à la gagner… Mai 68 dans ce pays doit être impérativement resitué dans le vaste soulèvement des exploités et des opprimés au niveau international. "

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Jean‑Marc Rouillant entretien à Libération 19/02/2008 “ L'Après-68 à Toulouse: les années de braises de Jean-Marc Rouillan ”

 

De mémoire (3)

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La courte saison des GARI : Toulouse 1974

Jean-Marc Rouillan

avec un cahier photo de 16 pages

Ed. Agone

Parution : 14/10/2011

ISBN : 978-2-7489-0141-2

352 pages

12 x 21 cm

22.00 euros

      On expérimentait de nouvelles formes de lutte. Mais on ne partait pas de rien : nos racines venaient du vieux “ guérillerisme ” ibérique. On diffusait l’expérience acquise à Barcelone dans la lutte du MIL. Et en France, pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, des militants révolutionnaires entraient dans la clandestinité les armes à la main. Ça n’était plus des théories sans pratiques véritables. La guérilla devenait l’arme de la lutte quotidienne. Faction incessante du sabotage et de la subversion. Sans aucun regret, on avait coupé les ponts avec la connivence et les bienséances bourgeoises.

 Ce troisième volume des mémoires du prisonnier politique Jean-Marc Rouillan revient sur le quotidien du groupe toulousain des GARI ( Groupes d’action révolutionnaire internationalistes ) en lutte contre la dictature de Franco. Au-delà d’un récit d’aventures picaresques et insouciantes qui s’étendent sur tout le territoire européen, on voit se dessiner le point de non-retour vers l’engagement dans la lutte armée.

 Les mémoires de Jann-Marc Rouillan :

De mémoire (1). Les jours du début : un automne 1970 à Toulouse ( 2007 )

De mémoire (2). Le deuil de l’innocence : un jour de septembre 1973 à Barcelone ( 2009 )

De mémoire (3). La courte saison des GARI : Toulouse 1974 ( 2011 )

 Né en 1952 à Auch, Jann-Marc Rouillan a été incarcéré de 1987 à 2011 pour ses activités au sein du groupe Action directe. Placé en liberté surveillée depuis mai 2011, il travaille comme rédacteur aux éditions Agone.

Il a notamment publié Je hais les matins ( Denoël, 2001 ), Le Roman du Gluck ( L’Esprit frappeur, 2003 ), Le Capital humain ( L’Arganier, 2007 ) et, aux éditions Agone, Lettre à Jules ( 2004 ), La Part des loups ( 2005 ), Chroniques carcérales ( 2008 ) et Paul des épinettes et moi ( 2010 ).

 

 Jean-Marc Rouillan, une mémoire à vif

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 Le second tome de “ De mémoire ” nous amenait jusqu’en septembre 1973, le crépuscule du MIL ( Mouvement Ibérique de Libération ). Tombé dans un piège, le militant anarchiste Salvador Puig Antich fut gravement blessé pendant une fusillade avec la guardia civil espagnole dans les rues de Barcelone. Le 2 mars 1974, il sera le dernier supplicié à subir le garrot. Si ce drame marquait le “ deuil de l’innocence ”, il annonçait aussi une nouvelle étape dans la radicalisation d’un réseau de jeunes militants, parmi lesquels Jean-Marc Rouillan, alias Sebas pour les amis ou Dominique Moran pour les flics.

 Le dernier tome de la trilogie, écrit entre janvier et octobre 2010 au centre de détention de Muret, revient sur l’année 1974. Sebas avait alors moins de 22 ans, mais, fort de son expérience clandestine en Espagne, il était déjà un “ ancien ”. De vrais anciens, des Espagnols, prêtaient une vive attention à la relève. Teofilo, militant de la FAI, ancien de la colonne Durruti et membre de l’état major de la 26ème division. Maria, survivante de la révolution, de la Retirada et des camps de la mort nazis. Un ancien chef maquisard qui avait été pris en photo avec de Gaulle dans la cour du Capitole. L’appui des “ terroristes espagnols ” avait en effet été décisif pour libérer Toulouse en 1944… Toulouse que l’on nommait alors “ la capitale de la seconde Espagne ”. “ On participait à une guerre qui commençait sur les barricades de juillet 1936 ”, note Rouillan qui avait eu pour arme un colt 45 de Quico Sabaté, combattant de la CNT-FAI qui a poursuivi la lutte armée antifranquiste jusqu’à son exécution sommaire en 1960.

 “ Dans le MIL, les positions radicales communistes de gauche et anarcho‑communistes se conjuguaient sans sectarisme notable, même lors des crises organisationnelles inhérentes au fonctionnement d’une guérilla ”, se souvient Rouillan. Les militant-e-s des GARI de Toulouse avaient gardé la même fibre unitaire. “ Qu’on soit anarchiste ou communiste, on appartenait à la gauche asambleista. Une gauche reposant sur les comités de base et les groupes de résistance. ” Dans ce tome 3, nous vivons de l’intérieur les multiples péripéties ( braquages, attentats, courses poursuites… ) qui ont marqué des mois d’agitation orchestrés notamment par les anciens du groupe autonome libertaire Vive la Commune !, rejoints par des Espagnols, des Parisiens de l’Organisation révolutionnaire anarchiste ( ORA ) et quelques autres, pour exiger la libération des prisonniers torturés dans les geôles de Franco.

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 Le slogan de ces ex-soixante-huitards incontrôlables pourrait être : L’imagination contre le pouvoir. “ Tout ce qui touchait de près ou de loin à l’Espagne franquiste se convertit en cible. ” Rouillan se concentre sur les opérations que le groupe toulousain a mené en France et au-delà. “ Pour la première fois depuis la guerre d’Algérie, des militants révolutionnaires entraient dans la clandestinité les armes à la main. ” Les pages sont pour le moins explosives. La gravité des événements n’excluait pas des moments de franches rigolades. Les lascars ont un humour détonnant en plus d’être des as de la réappropriation et du feu d’artifice.

 

À leur copieux palmarès, notons par exemple l’attentat contre un pylône en Andorre ( le jour de la mort de Pauline Carton… ) qui déclencha la mobilisation générale des forces armées. Un trio de gamins roulant en R8 attaqua la caravane du sacro-saint Tour de France et mit en émoi tous les médias. Les petits chimistes étaient rarement à cours de poudre. Ils en fabriquaient des kilos en mélangeant les ingrédients dans de pleines baignoires. Les objectifs étaient nombreux et symboliques. Le but : rappeler sans cesse la réalité de l’Espagne franquiste et porter atteinte à l’économie espagnole nourrie par le tourisme. Tous les salauds allaient en vacances sur la Costa Brava, comme le disait un célèbre dessin de Cabu. “ Les alertes se multipliaient. Dans les trains, les avions, contre les établissements bancaires, les représentations du gouvernement de Madrid, en France, mais bientôt dans l’Europe entière… ”, précise Rouillan.

 

Pour les GARI de Toulouse, le consulat espagnol était évidemment une cible centrale. “ Gangrénant le cœur de la capitale des rouges, cette verrue dressait le drapeau des ennemis nacionalistas dans le ciel toulousain. Combien d’attentats manqués depuis la fin de la guerre ? Combien de camarades arrêtés avant de passer à l’action ? Le fief des fascistes narguait le petit peuple de la Retirada depuis trop longtemps. ” Après plusieurs tentatives acrobatiques, la partie semblait perdue. Puis, “ une explosion sourde, pareille au passage d’un avion à réaction, secoua l’atmosphère ”. Quatre pompiers furent malheureusement blessés légèrement. Les GARI téléphonèrent à la caserne pour présenter leurs excuses… et donner l’emplacement d’une caisse de champagne que les flics démineurs firent exploser. Une autre caisse fut envoyée.

 Les actions des GARI étaient applaudies par de nombreux vieux espagnols. “ Un commandante nous prévint qu’il suffirait désormais de presque rien pour que le gouvernement de Madrid cède sur la libération des prisonniers ayant accompli les trois quarts de leur peine. Vous poubez sortir tous ces compagnons. Ne lâchez surtout pas maintenant ! ” Sur les murs de Toulouse, un nouveau slogan était apparu : “ J’aime les GARI et la saucisse ”. Ce qui n’est pas rien dans le royaume du cassoulet. “ Si on avait eu des structures adaptées, on aurait pu intégrer deux cents jeunes fils et filles de rouges en une journée ”, estime Rouillan. Même les gauchistes légaux qui n’estimaient pas trop les incontrolados étaient forcés de saluer certains exploits.

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 Après Barcelone, la “ bande des Sten ” s’est implantée à Toulouse. Pour financer la clandestinité, banques et agences postales étaient mises à contribution. “ On repérait. On frappait. Jusqu’à plusieurs banques par semaine. ” Tout se passait bien en général. Sebas, Ratapignade ( fils de gendarme ), Mario ( fils d’une famille d’anarchistes catalans ), Loulou et les autres connaissaient bien leur affaire. “ La consigne absolue était de n’user d’aucune violence – même verbale – contre les clients et les employés. Cela exigeait des commandos plus de maîtrise et de contrôle de la situation. ” Exception qui confirme la règle, un accroc survint dans un bureau de poste près de Toulouse. Une femme de ménage munie d’un simple manche à balai mit en déroute un trio de Pieds Nickelés surarmés.

 Dans le genre burlesque, signalons encore une virée à Amsterdam dans le cadre d’actions prévues en Belgique pour appuyer l’enlèvement, à Paris, du PDG de la banque de Bilbao. Ne résistant pas à l’envie de goûter à un buvard imbibé de LSD représentant un “ Mister Natural ” de Crumb, Sebas, Ratapignade, Loulou et Tonton s’offrirent un décollage maousse. L’un d’eux était persuadé qu’ils avaient réussi à pénétrer dans la photo de la pochette d’Atom Heart Mother, le disque des Pink Floyd. Après douze heures de trip, six heures d’errances dans les polders et cinq heures de sommeil, les Freak Brothers retrouvèrent leurs esprits. Quoi qu’il en soit, au bout du compte, face à l’impressionnante vague d’attentats, le gouvernement de Franco annonça le rétablissement de la loi sur la libération des prisonniers politiques arrivés aux trois quarts de leur peine.

 Les GARI ne mobilisaient pas que des hommes. Des femmes adhéraient aussi au mouvement. Parmi elles, Aurore, la compagne de Rouillan qui faisait parfois des exercices d’accouchement sans douleur pendant que des copains posaient des charges explosives dans la campagne. Bientôt, après la naissance de son fils à l’hôpital de Clamart, Rouillan ajoutera la pose de couches à l’éventail de ses tâches. Quelques années plus tard, un commissaire tenta de coincer Rouillan sur sa fibre familiale. Voici le deal proposé au téléphone : “ Tu te livres au commissariat central et je libère ta femme et ton fils. ” Depuis six heures du matin, Aurore, enceinte jusqu’aux yeux de sa fille, et son fils âgé déjà de quatre ans étaient dans une cellule de garde à vue. Réponse de Rouillan : “ Eh patate, bien sûr que je vais venir au commissariat, on est vendredi, et je dois pointer à dix-sept heures ! ” La maison poulaga avait encore engagé un fin limier…

 Au fil des chapitres, avec un impressionnant sens du détail et de l’épique, Jean-Marc Rouillan revient également sur des actions avortées ( comme l’attaque contre le navire école de la marine espagnole en escale à Brest ), sur les dissensions politiques et stratégiques, sur la morale révolutionnaire, sur la ligne de partage entre les discours et les pratiques anti-autoritaires, sur les arrestations. Rouillan raconte la sienne, le 5 décembre 1974, pendant le déménagement d’une planque parisienne qui stockait des centaines de litres d’acide sulfurique, des archives et la malle ayant servi à l’enlèvement du banquier. “ Nous avons eu la fâcheuse idée de passer par la place du Colonel-Fabien. Nous ne savions pas que ce soir-là, de passage à Paris, le  ‘camarade ’ Brejnev donnait une soirée au siège du parti communiste. A peine étions nous entrés sur la place qu’une Simca de condés nous a bloqués le long du trottoir et en deux coups de cuillères à pot on était menottés et emballés. ” Direction le 26, quai des Orfèvres avec tentative d’évasion et bonne avoinée à la clef.

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 La Cour de sûreté de l’Etat condamna Rouillan pour dix-neuf attentats et cinq attaques à main armée. La justice française ne prenait pas en compte les faits survenus à l’étranger. L’addition était tout de même salée. En vertu des articles du code militaire, la sanction encourue était la peine de mort. “ Ne t’inquiète pas trop, lui souffla le commissaire Ottavioli. Avec ton dossier, la lutte contre Franco. Et puis il n’y a pas mort d’homme. Par contre, si tu avais tué deux ou trois collègues… ” Rouillan avait déjà été condamné à mort. En Espagne. Et il était toujours vivant.

À la Santé, Rouillan se retrouva dans la cellule de Roger Bontemps, l’un des deux derniers condamnés exécutés dans la cour de la prison. Pour obtenir un statut de prisonniers politiques, les GARI ( Mario et Ratapignade étaient coffrés aussi ) entamèrent une grève de la faim. Comme voisins, ils eurent l’ex-ennemi public n°1 Jean-Charles Willoquet, Jubin et Segard, Jacques Mesrine, le poète Tristan Cabral, mais aussi des espions des pays de l’Est, des militants Bretons, Corses, Palestiniens, des comités de soldats, des maoïstes… Les Quartiers de Haute Sécurité ( QHS ) allaient faire parler d’eux. Rouillan était bien sûr au rendez-vous. “ Au hasard de mes détentions, j’ai ainsi participé à la première lutte des prisonniers contre les QHS et à la dernière en mai 1981 quand une trentaine de QHS de Fresnes ont lancé le mouvement pour la fermeture immédiate des quartiers spéciaux. Une lutte qui allait aboutir quelques mois plus tard à leur fermeture effective. ”

 Les dernières pages du livre brossent rapidement ce qui suivra en 1975, chaude année pour la lutte armée en Europe de l’Ouest. En Allemagne avec la Fraction Armée Rouge ( RAF ) et le Mouvement du 2 Juin. En Italie avec les Brigades rouges. En France avec les NAPAP qui abattirent Tramoni, le vigile de Renault assassin du militant maoïste Pierre Overney. Les Brigades internationales descendirent encore un tortionnaire fasciste uruguayen qui réprimait les Tupamaros. Un commando Che Guevara liquida un général Bolivien impliqué dans la mort du commandante… En Espagne, Franco cassait enfin sa pipe, dans son lit, le 20 novembre. “ Bien qu’on ne soit pas particulièrement pratiquants de ce genre de cérémonies militantes, on s’est lentement redressés et on a levé le poing serré. La tête basse. Sans un mot. Sans un chant. Une solennité simplement pour nous. Entre nous. Intime d’un même souffle. Au plus profond d’un cachot parisien à mille kilomètres de la frontière. ” En 2011, Rouillan est toujours persona non grata en Espagne où il est toujours considéré comme terroriste.

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 Enrichis par les expériences de leurs grands devanciers ( Makhno, Victor Serge, Pancho Villa, Durruti, Ascaso, Marighella ou même le “ prêtre rouge ” Camilo Torres ) et par leurs premiers pas franco-espagnols, les jeunes enragés avaient conscience d’appartenir au mouvement qui optait pour une lutte armée anticapitaliste et anti-impérialiste en Europe. À peine libérés provisoires, surveillés par la DST, ils remirent le couvert. Paris, Barcelone, Milan, Gênes, Naples… Braquages, attentats, discussions avec des intellectuels ( Negri, Deleuze, Gattari… ). Une vie riche et risquée qui laissait place à la farce. Durant l’hiver 1977‑78, Sebas, Mario, Ratapignade et un autonome ont dévalisé une agence d’intérim très proche du bureau des libertés surveillés. Présents aussitôt au commissariat pour pointer, ils croisèrent la brigade antigang qui dévalait l’escalier. “ Qu’est-ce qu’ils foutent encore là, ceux‑là ?, brailla un inspecteur. Vous avez signé, alors barrez-vous ! ”

 “ Lorsqu’elle est vraiment vivante, la mémoire ne contemple pas l’histoire, mais elle incite à la faire. (…) La mémoire vivante n’est pas née pour servir d’ancre. Elle a plutôt vocation à être une catapulte. ” Cette citation d’Eduardo Galeano, écrivain uruguayen, ouvre “ De Mémoire (3) ”. Elle aide à comprendre quelques-uns des ressorts qui conduiront à la création d’Action Directe. Jann-Marc Rouillan, ce “ rouge vif ” qui, en 1977, aurait pu devenir permanent de la CNT en Espagne et qui milite à présent au NPA, nous livre une nouvelle fois un témoignage essentiel sur un pan d’histoire contemporaine bien malmené par les médias-flics et les discours officiels. Un glossaire et une chronologie donnent des repères utiles au lecteur. Un cahier de seize pages dévoile les trombines des principaux combattants toulousains des GARI et les affiches d’époque produites par l’Atelier 34.

 En ces temps amorphes englués dans les résignations et les capitulations, cette ardente mémoire des vaincus apporte paradoxalement une belle cure d’adrénaline.

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Le Post, 10/10/11

 

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22 décembre 2011 4 22 /12 /décembre /2011 19:41

      Décidément c'est une bonne période pour la recherche de textes et d'articles de fond concernant l'Afrique on dirait... Après le blog de Sylvie Nony qui parle de l'Egypte et de sa réalité au quotidien voici celui de la J.U.D.A que j'ai découvert ce soir et la façon de parler de l'Afrique dans son rapport au colonialisme occidental de Komla Kpogli m'a fait aussitôt penser à Frantz Fanon et à un des artisans du panafricanisme...

      Voici la première partie de cet entretien publié par La Nouvelle République journal algérien. J'ai coupé cet article en deux parties car il est assez long mais passionnant à lire et il confirme tout à fait ce que j'ai pensé depuis l'agression contre la Libye et l'assassinat de Mouamar Kadhafi commandité par le gouvernement français... A lire donc car c'est percutant et Komla Kpogli a une vision des choses sans complaisance qui est la seule permettant aux peuples du monde de s'en sortir par un comportement révolutionnaire et solidaire...


http://lajuda.blogspot.com/

Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique ( J.U.D.A )

Une organisation de jeunesse créée au Togo en 2003 pour promouvoir les droits humains et le panafricanisme.Kpogli-1.jpg

 

La France est le pays qui a le plus oeuvré contre l’unité continentale africaine.

Komla KPOGLI

22 décembre 2011

 

“ Révolutions arabes ” : enjeux et répercussions sur le continent africain. L’Afrique entre guerres “ humanitaires ” et droits de l’homme avec une CPI clientéliste. L’Afrique entre ses paradoxes et son union “ sabotée ” avec à la clé une AFRICOM et ses visées stratégiques. Des questions complexes que la nouvelle république a abordées dans cet entretien avec Komla Kpogli, secrétaire général de la Jeunesse Unie pour la Démocratie en Afrique ( J.U.D.A. )

 

Un mot sur les “ révolutions arabes ”. Pour vous, ce sont des “ révolutions inabouties et sous contrôle ”. Pouvez-vous expliciter ?

 

Komla Kpogli : On ne peut dire que l’intention véritablement révolutionnaire soit totalement absente des rangs de ces marées humaines dans les rues des pays en question. Les régimes politiques kleptocrates soutenus dans ces pays sous le fallacieux prétexte qu’ils constituaient des remparts anti-islamistes avaient non seulement immobilisé le peuple par la répression mais surtout ils l’avaient immensément paupérisé au profit de deux entités absolument parasitaires : une “ élite indigène ” corrompue pour qui le patriotisme est le premier des péchés à commettre et des économies capitalistes prédatrices. Cette situation ne peut que conduire tôt ou tard à des insurrections populaires. La bonne foi révolutionnaire de beaucoup de manifestants est donc à présumer. Mais, laisser les choses se faire par le peuple équivaudrait à lui accorder la force de prendre sa destinée en main. Autrement dit, c’est amoindrir la mainmise occidentale sur les richesses de ces pays, c’est perdre le rôle géopolitique attribué à ces pays dans ce qui est dénommé la scène politique moyen-orientale, c’est donner la possibilité à ces peuples de désigner des interlocuteurs valables face au lieutenant de la région qu’est Israël.

Dans ces conditions, les pays occidentaux, même si certains comme la France ont eu du retard à l’allumage, ont compris qu’il fallait prendre le contrôle de ces bouillonnements populaires et leur donner une direction. Canaliser ces révoltes voire les organiser pour qu’elles servent au mieux les intérêts jusque là défendus par les satrapes au bord du précipice. Pour obtenir ces changements dans la continuité, les parrains de ces tyrans vont les sommer de quitter le pouvoir et ils iront, pour certains, jusqu’à former des “ jeunes révolutionnaires ” à l’école des mouvements que la CIA via la National Endowment for Democracy ( NED ) avait actionnés dans les Balkans dans les années 2000. D’autres encore leur offriront des facilités médiatiques et communicationnelles au travers des réseaux sociaux.

Ces “ exigences ” en apparence en conformité avec le vœu des masses révoltées résultent en réalité d’un calcul rigoureux. Demander et obtenir, avec la rue, le départ des tyrans pour pouvoir mieux maîtriser la suite des évènements et conserver leur système et leurs régimes. C’est ainsi qu’après le départ du pouvoir de Ben Ali et Hosni Moubarak, deux joyaux présentés pendant longtemps par leurs parrains comme “ les meilleurs élèves de la région ”, le système n’a pas fondamentalement bougé. “ Les rois étaient tombés, mais vive les rois ”. C’est en cela que ces révolutions sont inabouties et maîtrisées. Mais visiblement, les peuples ont compris le jeu notamment en Egypte où ils n’ont jamais cessé de manifester en vue d’obtenir la fin d’un système et pas seulement le départ d’un homme et de son clan.

 

Certains pensent que la guerre de Libye est une guerre contre l’Afrique. Etes-vous de cet avis ?Kadhafi-2.jpg

 

Komla Kpogli : Bien évidemment elle l’est. Plusieurs projets et réalisations de la Jamahiriya arabe libyenne dans nombre de territoires africains confirment cette lecture. La Libye a investi dans beaucoup de ces territoires. Ces investissements mettaient directement en danger ceux des pays occidentaux qui considèrent ces espaces comme les leurs. Il en est ainsi du financement en partie du satellite Rascom 1. Le fait que ce soit la Jamahiriya qui parle le plus d’une Union Africaine tournée essentiellement vers les besoins africains, le fait que ce soit elle la première contributrice intérieure au budget de l’UA actuelle et qui par ce biais tentait de limiter la dépendance de l’Afrique entrent dans ce schéma.

Il y a en outre les projets de création du dinar-or qui serait une monnaie africaine, d’une nouvelle politique de redistribution des recettes pétrolières et de la constitution d’un gouvernement fédéral africain avec des attributions énumérées par Kadhafi en 2009 avec tous les pays africains ou à défaut un nombre restreint selon ses propres termes l’ont exposé à la haine occidentale renforcée à la fois par des vérités que, côté africain, seuls Kadhafi et quelques rarissimes dirigeants puissent dire du haut de la tribune de l’ONU et par des investissements des fonds souverains libyens investis dans des pays occidentaux. Ces investissements notamment dans l’agro-alimentaire, dans le pétrole, les banques et assurances et dans l’immobilier rapportaient pas mal de profits à ce pays qui finançait ainsi son développement en toute autonomie. Ce qui l’avait mis aussi à l’abri du piège de la dette que recommandent le FMI et la Banque mondiale.

En outre Kadhafi vient régulièrement en aide aux pays en indélicatesse avec les occidentaux, alias la communauté internationale. En assassinant un homme de cet acabit, il est évident que c’est toute l’Afrique qu’on vise. Au-delà de tout ceci, il faut dire que l’un des objectifs les plus importants de cette guerre c’est de priver les africains de modèle de gouvernement endogène. Les empêcher d’avoir des référents sur le plan local ‑ nonobstant leurs imperfections ou erreurs ‑ qui puissent les inspirer de sorte qu’ils aient toujours le regard tourné vers le modèle capitaliste occidental qui les pille et les endette tout en ayant un discours sur l’aide et la coopération en bandoulière.

 

Quelles seraient les répercussions de ces “ révolutions arabes ” sur le continent africain ?

 

Komla Kpogli : Leur effet sera d’une moindre importance aussi longtemps que les tyrans africains seront de “ bons élèves ” du FMI, de la Banque Mondiale… Au fond, la crise étant chronique en Afrique, il existe des contestations quotidiennes plus ou moins organisées contre les tyrans en place. Mais ces contestations noyées dans le bain des répressions sanglantes ne suscitent aucune attention si elles ne sont considérées que comme la manifestation patente des “ conflits ethniques ” qui seraient la mesure de toute chose en Afrique noire selon les spécialistes autoproclamés de l’Afrique. Toutefois, certains peuvent être tentés de s’inspirer des mouvements maghrébins suscités ou non. A notre avis, ces tentatives seront vaines. Car, il leur manquera le soutien des occidentaux comblés dans leurs multitudes d’attentes par l’état actuel de la gouvernance en Afrique noire.

C’est ce que nous voyons actuellement avec le vol à main armée du suffrage populaire par Joseph Kabila au Congo. Malgré les cris de détresse de Tshisekedi, vainqueur spolié de son dû, personne ne volera à son secours. Mieux, toutes les déclarations que ce soit celles émanant du secrétariat général de l’ONU, des ONG et des chancelleries occidentales consistent à culpabiliser les victimes pour blanchir les coupables. C’est une vieille méthode que ces institutions ont inventé pour maintenir immobilisé de tout temps notre peuple, pour assassiner des millions d’africains, surtout des plus illustres et ainsi garder les intérêts coloniaux en l’état. Toutefois, pour éviter que cette perspective fasse dire à vos lecteurs que nous somDr.KwameNkrumah.jpgmes d’un pessimisme sans égal, nous disons que les africains doivent faire leur révolution en s’inspirant d’eux-mêmes, c’est-à-dire en partant d’eux-mêmes pour revenir à eux-mêmes. L’histoire montrant que les noirs n’ayant pas d’alliés dans le monde, ils ne doivent que compter sur eux-mêmes en toute chose.

 

Les Occidentaux prétextent mener ces guerres au nom des droits de l’homme ( guerre humanitaire ), à considérer ce qui se passe en Palestine, au Bahreïn, au Yémen, en Afghanistan et sur les bases militaires de Guantanamo et d’Abou Ghraïb, peut-on encore parler de droits de l’homme ?

 

Komla Kpogli : Il n’y a pas de guerre humanitaire. C’est un mythe. Ces guerres sont du business. Non seulement la dépendance politique du pays agressé s’implante mais encore ses richesses sont drainées vers les pays agresseurs et leurs multinationales. Les “ soldats humanitaires ” de l’Occident accompagnés de quelques ravitailleurs locaux africains ou arabo-musulmans de pacotilles et de décor détruisent l’aviation et le matériel militaire, mais le gouvernement fantoche et obséquieux à venir devra acquérir de nouveaux matériels de guerre. Les “ guerriers et les bombardiers humanitaires ” détruisent les infrastructures dont s’est dotée le pays agressé au prix d’énormes sacrifices, mais les préfets locaux à venir devront en reconstruire. Et qui sont ceux qui vont avoir les contrats pour la prétendue reconstruction ? Les multinationales des pays envahisseurs. Comme en Irak et partout ailleurs.

Ainsi, le profit sera double voire triple : détruire ce qu’on avait vendu, faire payer le reste de la facture si tout n’avait pas été réglé par l’ancien régime et “ reconstruire ” ce qu’on avait détruit. On a vu clairement ces pratiques aux lendemains immédiats de la chute de Tripoli. Après Sarkozy et Cameron, une bande dite d’hommes d’affaires conduite par le secrétaire d’Etat français au commerce extérieur, Pierre Lellouche a débarqué en Libye. Les déclarations faites par des membres de ce cortège et surtout celles de Pierre Lellouche étaient très décomplexées. Ils étaient venus, déclaraient-ils, prendre leur part, car il n’y avait qu’eux ( les français ) et les anglais à combattre aux côtés du fameux CNT.

En ce qui concerne les droits de l’homme, il serait grand temps de se demander, au vu de l’histoire et de la politique internationale, qui est cet homme qui a des droits, quels sont ces droits et pourquoi ce sont seulement les occidentaux et leurs officines ainsi que leurs ailes marchantes locales agréées et affublées du titre d’organisation de protection ou de défense des droits de l’homme qui en parlent en direction d’autres pays notamment ceux qui ne leur sont pas totalement soumis. Au demeurant, lorsque des pays qui se livrent à des actes inhumains ou les cautionnent dans des pays que vous venez de citer et qui malgré leur cv d’exterminateurs de peuples entiers aussi bien ailleurs qu’en Europe où ils ont tenté d’exterminer les juifs, d’esclavagistes, de colonialistes, de pillards, de voleurs récidivistes les armes au point, viennent vous parler des droits de l’homme, vous devez savoir qu’il y a escroquerie.

 

Vous considérez les droits de l’homme, la liberté et la démocratie venant de l’Occident, comme une arnaque que les africains ne comprennent pas pour le moment ; entendez-vous par là, les gouvernants ou les peuples?

 

Komla Kpogli : C’est une arnaque pour deux raisons.

 

Tout d’abord, l’Occident intrinsèquement individualiste, conquérant et dominateur ne peut œuvrer pour le bien d’autres peuples. Il suffit de faire un bon dans l’histoire mondiale ancienne et contemporaine pour s’apercevoir que l’Occident ne s’est jamais soucié que de son propre bien-être. Les rares moments où il a eu à partager ses réussites avec les autres se sont déroulés dans un rapport de force qui lui est défavorable ou marqué par un équilibre. C’est le cas par exemple de ses relations avec la Chine aujourd’hui.

Ensuite, en s’octroyant la paternité de ces concepts, l’Occident s’autorise le pouvoir de s’immiscer directement dans les affaires intérieures des pays qui ne lui sont pas soumis. De ce fait, les occidentaux s’accordent le monopole de l’exportation de ces notions par des injonctions, des pressions de toute sorte et des guerres. Ces concepts sont des outils que l’Occident puise dans de sa boîte à outils pour abattre des régimes insoumis. Dans cette boîte à outils, aux côtés de ces concepts, on trouve pêle-mêle : le droit international, le discours humaniste, l’aide humanitaire, les ONG, les médias, la justice internationale, l’ONU, les organisations militaires telles que l’OTAN...Les fameux réseaux sociaux à géométrie variable entrent également dans cette boîte à outils.

Ces concepts dont nous parlions sont des alibis, des prétextes qui servent à l’occident de niveler le monde à sa mesure, de s’offrir de nouveaux marchés, de briser toute tentative d’émancipation qui ne veut pas s’inspirer du modèle occidental, de détruire toute réflexion autonome au sein d’un pays, d’étrangler toute idée de répartition juste et équitable des biens au sein d’un pays et de contraindre des sociétés à abandonner leur culture. Au nom de la liberté, des droits de l’homme et de la démocratie, l’occident tue la liberté, les droits et le choix des peuples. Tous ceux qui luttaient pour une Afrique autonome ont été chargés par la propagande occidentale d’être des communistes, ennemis de la “ liberté ” qui n’est que la liberté pour l’Occident de s’emparer des richesses de l’Afrique et donc des tyrans pour qui l’assassinat physique est l’issue. Patrice-Lumumba-prison.jpg

Dans les pays latino-américains, tous les régimes issus de la volonté populaire étaient et sont considérés comme des dictatures les plus féroces traquées et matraquées à longueur de journée par un occident pour qui le tyran est celui qui veut que les richesses de son pays servent prioritairement à répondre aux besoins de ses habitants. Le tyran qui viole les droits de l’homme, la liberté et la démocratie c’est celui qui veut renégocier les contrats miniers de son pays avec les multinationales, c’est celui qui essaie de limiter la casse du libéralisme orchestré par l’OMC, le FMI, la Banque mondiale... Lorsque le vote d’un peuple ne correspond pas au vœu de l’occident, il est antidémocratique ou alors c’est la fraude. Des exemples existent à profusion : Gaza avec le Hamas, l’Afrique avec des élections ici et là.

Lorsque le vote est fraudé et entaché de violences les plus sanglantes en faveur du poulain de l’Occident, il est, selon la formule consacrée : “ malgré quelques légers incidents qui n’entament pas son issue, libre, démocratique et transparente ”. On “ prend acte des résultats ” au nom du principe de la souveraineté qu’on nie aux autres et les diplomates et autres commentateurs occidentaux disent “ pourquoi voulez-vous qu’on intervienne dans leurs affaires intérieures ? ” ou “ si on intervient on critique l’interventionnisme occidental, si on n’intervient pas on nous accuse d’inaction ” ou encore “ on ne peut leur demander d’accomplir en quelques dizaines d’années ce que nous avons, nous occidentaux mis des siècles à construire ”.

Dans leur sphère immédiate, les occidentaux refusent aux peuples ce qu’ils prétendent apporter à ceux qui sont à des milliers de kilomètres. On vient de le voir en Grèce où l’ex‑premier ministre Papandreou a commis selon les deux premières puissances de l’Union Européenne le crime de vouloir demander l’avis de son peuple sur un accord qui prescrivait un traitement de choc à cette économie en faillite. De la même façon, les gouvernants qui livrent des guerres à d’autres pour soi-disant leur faire écouter la voix du peuple, étaient ceux‑là mêmes qui avaient contourné la vox populi concernant l’adoption du traité de Maastricht. Donc, aussi bien par omission que par commission, aussi bien dans son espace qu’ailleurs, l’occident n’agite ces notions que pour répondre à ses intérêts et ceux de ses classes dirigeantes toutes tendances confondues.

Partout où l’occident est intervenu au nom de ces notions, que les sceptiques ressassent l’histoire, le chaos total s’installe à l’intérieur avec un tyran qui organise parfaitement la canalisation des ri chesses du pays vers l’extérieur. Ce sont donc les peuples qui ne comprennent pas encore cet attrape-nigaud.

C’est pour cela que des organisations dites de défense des droits de l’homme et de promotion de la démocratie fleurissent en Afrique avec le financement des Etats occidentaux, des multinationales, des fondations et des organisations dites internationales. Et en bénissant ces concepts que les occidentaux portent à la bouche, les peuples attirent le loup dans la bColonisation.jpgergerie africaine. Sans doute leur restera t-il la liberté et la démocratie ainsi que le droit de compter les cadavres. Lorsque les peuples auront  compris, ils chercheront des solutions endogènes aux problèmes auxquels ils sont confrontés au lieu d’appeler les loups surnommés “ la communauté internationale ” au secours.

 

 

A suivre...

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21 décembre 2011 3 21 /12 /décembre /2011 21:21

 

      Il y a quelques jours j'ai découvert ce blog de Sylvie Nony une jeune enseignante française partie au Caire et qui nous fait bénéficier de reportages concernant la situation actuelle Place Tahrir avec une précision et une émotion dans ses reportages vécus chaque jour sur place absolument formidables...

      Quelque soit mon refus total de l'islamisme politique et de la violence des barbus qu'on a pu mesurer avec le FIS en Algérie je continue à croire dans les révolutions arabes et à faire confiance à ces peuples rebelles qui comme on l'a vu en Libye et à Syrte en particuliers ne seront jamais les serviteurs de l'Occident en dépit de toute la désinformation qu'on nous assène et des forces qui agissent aujourd'hui pour détruire la Syrie à son tour...

      Les manifestations de ces femmes pour refuser la brutalité qui leur est faite au quotidien par les militaires et par certains hommes nous donnent un espoir nouveau en l'évolution future de ces sotiétés. Les hommes qui les soutiennent et les protègent ont compris je crois qu'on ne peut construire un monde libre qu'en instaurant l'égalité des êtres et la solidarité de toutes et de tous...

      Un très beau reportage que je voulais vous faire partager car il m'a redonné confiance... Et surtout allez sur son blog car il y a bien d'autres articles de ce niveau. Les photos qui accompagnent l'article sont également de Sylvie Nony

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http://blogs.mediapart.fr/blog/sylvie-nony

Femmes d'Égypte : la ligne rouge !

 20 Décembre 2011 Par Sylvie Nony

“ Benât, masr, khat ahmar ” : mot à mot “ filles d'Egypte, la ligne rouge ! ”

           L'après midi avait commencé par un rassemblement devant le syndicat des journalistes, là où cette nuit déjà, des manifestants appelaient à se soulever contre les violences de l'armée.

Pendant ce temps, sur la place Tahrir, partiellement ouverte au trafic, des groupes se rassemblaient pour discuter, échanger les récits des derniers événements.

Les jeunes, qui ont conscience que tout le monde ne lit pas Facebook et Twitter, ont fabriqué des affiches faisant le récit des derniers événements pour informer à la fois les passants et les automobilistes qui, patiemment, se frayent un passage

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Quelques responsables politiques, certains fraîchement élus, ont fait le déplacement. Faciles à reconnaître : la cinquantaine dépassée, quand la plupart de leurs interlocuteurs ont moins de 25 ans. C'est une des contradictions du processus électoral en cours. Les jeunes ont fait la révolution, et les “ vieux ” se font élire sur la base des idéaux de celle-ci.

Et puis, vers 15h30, la place s'est remplie de groupes de femmes. Très vite, des hommes ont formé un cordon de protection autour d'elles, comme l'annonçait l'appel lancé sur Facebook cette nuit. Main dans la main, ceux-ci laissaient rentrer une à une toutes les femmes qui se glissaient à l'intérieur, et protégeaient de toute agression venant de l'extérieur. Durant toute l'après midi, ils ont encadré et accompagné cette manifestation grandiose, multicolore, multiconfessionnelle, multinationale.

La ligne rouge, c'est celle qu'ont franchie les militaires, en tabassant ces derniers jours des militants/tes, des passants/tes, des femmes de tous âges, sans la moindre stratégie de “ communication ” dirait-on aujourd'hui. En fait ils ont fait comme ils font depuis des années. Mais ils sont tellement sûrs de leur pouvoir éternel qu'ils n'ont rien anticipé des conséquences de leurs actes. Tout juste ont-ils pensé - par réflexe identitaire - à intimider des journalistes et à casser quelques caméras.

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 La ligne rouge c'est celle du tabassage de cette femme au soutien-gorge bleu que le monde entier a vu ( merci aux reporters de Reuters ) se faire massacrer par plusieurs soldats qui lui sautent sur le corps à coups de rangers et la frappent de façon ahurissante tout en lui arrachant ses vêtements. Elle semble avoir survécu et plusieurs femmes m'ont assurée que, cet après midi elle est sur la place, en abaya... donc difficile à reconnaître.

Un des slogans les plus repris tout au long de ce cortège qui n'a cessé de grossir ( au fur et à mesure, je pense, où les femmes ont été rassurées par la présence du service d'ordre ) était : “ les images sont plus crédibles que les discours ”, faisant allusion à la conférence du Scaf qui, hier soir, a déclaré ne pas avoir abusé de violences envers les protestants. “ Ils mentent ” dit la Unedu journal brandi par de nombreuses manifestantes ( ci-dessus, al‑Tahrir ).

Les femmes du cortège sont de tous les milieux sociaux, de tous les âges, certaines portent le voile, d'autres pas. Quelques unes sont venues avec les enfants dans les bras. D'autres ont le bras en écharpe, comme Aya que j'avais déjà rencontrée dans d'autres manifestations. Elle me raconte qu'elle a été arrêtée vendredi soir, devant le Conseil des Ministres. Elle a été amenée à l'intérieur, dans les salles de torture dont un journaliste du Point a fait une description si saisissante il y a deux jours. Mais elle a eu moins de chance que Samuel Forey : passée à tabac ( un bras cassé, une jambe très abîmée ), elle a aussi subi la torture à l'électricité qui donne ce spectaculaire maquillage dont j'ai parlé dans un  post de février. Les cernes violacés, claudiquant tout au long du défilé, et grimaçant chaque fois qu'un passant lui frôle le bras, Aya a tenu à rester jusqu'au bout, débordante d'énergie et relançant les slogans à tue-tête

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Lorsque le cortège remonte la rue Talaat Harb, tout le monde sort aux balcons. La plupart des gens comme ces employés d'assurance, montrent des signes évidents de soutien et félicitent les femmes.

“ Enzil, enzil ” ( descends ! descends ! ) se mettent à crier les manifestantes. Un mot d'ordre que je n'avais plus entendu depuis le 25 janvier, et qui avait fait provoqué alors une augmentation exponentielle du nombre de manifestants. Le cortège remplit à ce moment là la rue Talaat Harb, de la place du même nom jusqu'à la place Tahrir. Le soutien de la population autour est spectaculaire. Les cœurs se gonflent, après tant de jours et de nuits d'horreurs. C'est comme ça en Égypte depuis la révolution : des semaines d'horreurs, et, parfois, des minutes de bonheur.

Les femmes enchaînent “ Dis : n'aies pas peur ( au féminin, ma tkhrafîch ), les militaires partiront ”.

Femmes d'Egypte 3

Un autre slogan surgit : “ Hommes d'Egypte vous êtes où ? Ces filles ce sont vos filles ( femmes ) ”. Surprise je me le fais répéter par ma voisine : le possessif me défrise un peu, pas elle. Ni les hommes qui nous servent de cordon de sécurité qui le reprennent à perdre haleine.

Sur la rue Ramsès, ils repoussent quelques individus apparemment énervés. L'incident s'apaise vite et le cortège se retrouve devant le syndicat des journalistes, où d'autres manifestants attendent.

La joie des organisatrices est évidente. Il n'était pas gagné de faire sortir tant de monde dans la rue après les violences des jours passés. Les égyptiens/nes n'ont plus peur, c'est un détail qui a échappé aux généraux. Les manifestantes/ts sont maintenant plusieurs milliers et décident de repartir vers la place Tahrir.

Je pense à cette décevante manifestation du 8 mars dernier et je me dis que, parfois, l'histoire fait de sympathiques pieds de nez.

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 Il serait bien déroutant, pour toutes les fées Carabosse qui se penchent actuellement sur le berceau de la révolution égyptienne, que celle‑ci trouve une deuxième jeunesse grâce aux femmes... Comment intégrer cette affaire dans les schémas d'analyse ? 

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20 décembre 2011 2 20 /12 /décembre /2011 00:49

Voilà deux ans que Leïla Sebbar et moi avons entrepris un livre qui sera un dialogue basé sur un va-et-vient de questions et de réponses à partir de son oeuvre et de son histoire de femme traversière...

Ce travail est maintenant achevé et j'en entame un autre qui consiste à lui trouver un éditeur improbable...

En attendant que le Père Noël me permette de le rencontrer voici le prologue que j'ai écrit pour ce récit à deux voix...

Les photos qui accompagnent cet article sont de Jacques Du Mont


Correspondances sensiblesLeïla 4

 

Qu’est‑ce qui peut transformer la rencontre de deux femmes qui écrivent à partir d’un rêve d’Orient et de l’histoire des peuples d’Afrique toujours errants d’un continent l’autre, en une quête réciproque des scènes primordiales d’où est issu le rituel d’écriture ?

En 1997 Leïla Sebbar vient de publier le livre collectif Une enfance algérienne auquel participent seize écrivains qui sont nés et ont vécu leur enfance dans l’Algérie coloniale quand nos routes se croisent au moment où sort mon premier récit Par la queue des diables. Les personnages de ce conte sont bien réels puisqu’il s’agit des immigrés algériens des années 70 perdus au-dedans du décor désenchanté des chantiers et des terrains vagues de la périphérie qui cerne les grandes cités de la métropole. Je me souviens être allé aborder Leïla pour lui parler de ce que  moi qui ne connaissais à l’époque le Maghreb et une partie de l’Afrique de l’Ouest qu’au travers de la parole des femmes et des hommes venus ici servir de main d’œuvre dans l’exubérance industrielle de l’après‑guerre, j’aurais pu appeler mon enfance africaine.

  Je suis née et j’ai grandi à Aubervilliers, à l’époque petite bourgade de l’Île de France où on cultive des choux fleurs et où on élève des cochons. En 1961 Aubervilliers de mon enfance est parsemé des morceaux de son bidonville qu’on appelle entre nous les cabanes. 1961 c’est l’année où Leïla quitte Alger et la maison d’école proche du Clos‑Salembier un des quartiers nègres de la ville où s’étend le bidonville de la femme sauvage. A Aubervilliers de nombreux ouvriers algériens et maliens partagent les cabanes en bois et en tôle dispersées au milieu des décharges picorant les friches boueuses qui entourent notre ghetto. A l’intérieur des cités montées à la hâte parpaing sur parpaing s’entassent les familles pauvres en provenance de la province française et des anciennes colonies dans un feu d’artifice de sonorités, de musiques, de rythmes et de cris qui scandent la fête recommencée chaque jour, le bonheur d’avoir enfin une maison à soi.

Il va falloir un peu de temps pour que chacun réalise que de l’autre côté des murs qui enferment nos enfances dans des appartements déjà trop étroits il y a des êtres venus d’ailleurs et de bien plus loin que nous les immigrés de l’intérieur, et que tous ensemble nous peuplons désormais la citadelle sans frontières d’une cité qui est par la force des choses la grande maison commune. En dehors d’elle sur ses marges au‑delà de ses palissades qui ajoutent à notre territoire de gamins nomades prêts à l’échappée et à la fugue les terrains vagues des chantiers de construction il n’y a rien. Le rien de ce monde qui nous a casés à l’écart parce que nous sommes tous plus ou moins des “ fils du pauvre ” comme un des personnages de Mouloud Ferraoun l’écrivain kabyle qui a été avec le père de Leïla formé au métier d’instituteur à l’école de la Bouzaréa.Leïla 22

Ce rien c’est notre propre histoire d’arrières petits enfants des générations laborieuses que personne ne nous a transmise. Ce sont les siècles de culture populaire orale paysanne et ouvrière abandonnés à l’oubli. C’est ce rien qui fait de nous des transhumants qui ne repartiront pas car il n’y a nulle part où retourner. Des indigènes tout aussi étrangers à notre paysage quotidien que les étrangers surgis eux des étendues désertiques du Sud algérien, des villages maliens éparpillés sur les rives du fleuve Niger ou des bolongs de la Casamance. Ce rien d’un non‑héritage fait écho mais je ne le sais pas encore à celui que Leïla emporte avec elle vers la métropole concernant l’Arabie heureuse, cette terre où plongent les racines de sa famille paternelle originaire de Ténès au bord de la Méditerranée. Et c’est le corps de l’enfance tout entier refusant un néant qui rend fou qui va m’ouvrir les portes de la grande Babel des langues et des histoires. C’est lui qui me conduit mektoub ! à la rencontre de ceux qui ont emporté dans leur regard, leurs costumes, leurs gestes et leurs langages un monde à investir et à conquérir avec leur malicieuse complicité.

A l’intérieur de la grande maison commune de notre cité de banlieue vont grandir côte à côte toutes les Shérazade, les Dalila, Safia, Djamila, Baya, Louisa, Malika et les Mustaphapha, Mohammed, Kadour, Ali, Mouloud du premier récit de Leïla Fatima ou les Algériennes au square publié en 1981, entre la cité des 4000 de La Courneuve et les blocks d’Aubervilliers ou d’Aulnay‑sous‑Bois. C’est auprès d’eux que vingt ans auparavant, de la bouche de leurs mères dans la langue populaire brodée d’expressions de l’arabe parlé qui joue pour moi la musique envoûtante d’un jazz d’Orient, j’entends les légendes de la terre abandonnée. Blottie au creux maternel de la demeure d’outremer je reçois avec jubilation et gourmandise les parfums, les couleurs et les rituels comblants le désarroi de l’absence. Ce non dit de l’histoire familiale et sociale des miens, paysans ouvriers devenus comme les immigrés maghrébins et africains la main d’œuvre sans visage et sans corps des années 60, cette population laborieuse qui ne fera pas mémoire. Par la confrontation avec l’altérité je reconnais l’étrangère qui se dissimule sous ma peau et je deviens sans pouvoir encore le dire la fille de la tribu nomade, la voyageuse, la traversière…

En 1981 après une vingtaine d’années d’écritures et de quête des mots cachés derrière le mutisme du père bien‑aimé qui ont suivi son travail de doctorat Le mythe du bon nègre dans la littérature française coloniale au 18e siècle, texte publié aux Temps Modernes, Leïla peut enfin entendre à nouveau la langue de la tribu du paternelle par l’intermédiaire des femmes algériennes immigrées conteuses improvisées des squares parisiens. Celles qui font resurgir le pays natal habitent une des banlieues où personne parmi les gens d’écriture à l’époque ne se soucie d’aller voir. C’est là par l’intermédiaire de ces femmes que commence le chemin du retour vers la mémoire algérienne longtemps enfouie et ignorée. Dans la position du scribe Leïla transcrit les paroles de la langue étrangère qu’elle ne comprend pas mais qui fait revenir vers elle les émotions et les images forcloses.Leïla 7

Paris sur Seine dans ces années‑là c’est vraiment la Babel moderne où se croisent les peuples de l’Afrique qui ont combattu pour leur indépendance. Mais ils vont vite découvrir l’amertume et la cruauté de l’exil qui en les frappant de mutisme rend tout témoignage et tout récit impossibles. Avec Fatima, la trilogie des Shérazade, Mô le Chinois vert d’Afrique, et les nouvelles de L’habit vert, Leïla détricote page à page le silence des hommes et des femmes d’Algérie. Dans cette langue française d’outremer viennent murmurer comme un chant secret l’Arabe de Ténès, celui des femmes de la famille paternelle et celui d’Aïcha et de Fatima à l’intérieur de la maison d’école, mêlés à celui des femmes immigrées de la banlieue. C’est ainsi qu’elle écrit désormais et depuis une trentaine d’années l’épopée amoureuse et transgressive de celles et de ceux qui comme ses parents ont rompu le pacte de la tribu d’origine pour aller à la rencontre du monde de l’autre inquiétant et désirable.

Notre projet de dialogue est né après de nombreux échanges littéraires entre nous au moment de la publication des Femmes au bain en 2006 et de L’Arabe comme un chant secret en 2007. Après avoir traversé les cités de la banlieue d’où je ne suis jamais vraiment partie, Leïla retourne vers l’Algérie de l’enfance et la langue bien‑aimée et j’ai eu envie de savoir par quels détours de l’exil elle avait pu enfin les faire siennes. De deux absences de paroles des pères et mères, de ce silence qui sur chacune des rives avait fait de nous des adolescentes curieuses et avides du récit qui n’existe pas, résulte une trajectoire jumelle qui nous relie à l’errance des nomades par l’écriture. Avec Mes Algéries en France paru en 2004 et Journal de mes Al géries en France publié en 2005 que je lis au cours de mes pérégrinations entre Paris et banlieue, je reconnais mes propres transgressions au rythme d’une histoire qui une fois encore n’est pas la mieLeïla 8nne. Une histoire qui me parle depuis un pays natal qui ressemble à mon Afrique imaginée, qui me raco nte la perte et les retrouvailles sans cesse différées d’un Orient rêvé.

Et si Leïla et moi au cours des deux années qu’a duré notre échange qui compose ce livre, n’avions cessé comme les voyageurs du désert refaisant d’un puits à l’autre mille fois la même transhumance toujours différente, de traquer la piste singulière qui d’un livre l’autre nous permette d’approcher au plus près la petite musique des langues populaires enfouies voire interdites ? Celles d’un François Villon, d’un Aristide Bruant, d’un Gaston Coûté, d’un Jehan‑Rictus, celles des conteuses des Hauts‑Plateaux algériens et du griot malien Amadou Hampâté Bâ né en pays Dogon, là où d’après la mythologie de son peuple le dieu Amma a donné au monde la parole. La petite musique envoûtante d’une langue métisse qui est désormais farouchement la nôtre. 

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17 décembre 2011 6 17 /12 /décembre /2011 22:31

Histoire sans paroles

En-ballon.jpg

 

Oh ! Etre qui rebondit au rebord des nues

Que fais‑tu là sur cet asphalte de papier

De ce désert ta forme survenue

Oh ! Etre tellement inconnu que je crois

Jeune marionnette par des doigts agités

Encore l’avoir inventée mais c’est toi

Qui redessine ma vie à volonté

 

Oh ! Etre de brume chaude et de pain

Que tu partages fol avec les oiseaux

Scotchés nous parlions dans le bitume à l’étroit

Les clochards et les rats passent la porte enfin

De la citadelle enchantée où le château

N’est rien que le secret du dessinateur

Sur le désert parking de ses cartons en tas

 

Oh ! Etre de feuilles et de poussière

Ricoche à chaque image ton rire moqueur

Comment es-tu monté dans ce train où

Je t’ai rencontré tu n’existes qu’à travers

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Mes mots qui sautent les tourniquets des gares

Dans les escalators s’assoient sur les genoux

Des personnages fatigués de leurs histoires

Et parmi les calques jetés sur le trottoir

 

Oh ! Etre mirage à l’eau du pinceau

Se mêlent tes désirs d’habiter un empire

Se frottent les couleurs de tes oripeaux

A bord de mes bulles nacelles tu te tires

De la citadelle où l’encre a le dernier mot

Oh ! Tu enjambes comme on sort d’une marelle

Le trait noir qui te cerne ainsi qu’un faire part

Nous dormons ensemble dans des nids d’hirondelles

 

Oh ! Etre qui jaillit là dehors de la ville

Dont je ne connaissais rien encore ou si peu

Petite créature bien plus grande que

Les héros les vainqueurs les sauveurs et les dieux

Tu traverses le hall de la gare hostile

Page2.jpg

Et viens changer ma vie d’un tourbillon de feu

En posant sur ma peau le froissement fragile

De ta peau tatouée par mes mots à musique

 

Oh ! Etre qui prend de mes mains la plume

Le papier l’encrier la règle le buvard

Et les jette très loin sur les trottoirs d’écume

Tu pousses toutes les portes des grimoires

Tu chevauches sans peur des destriers de paille

Plus légers qu’une feuille perdant la mémoire

Pour venir me rejoindre Oh ! Mon amant canaille

Toi et moi déchirant tous les livres des gares

Pour venir me vêtir de tes bulles silence

Visage-d-tail.jpg

Toi et moi effaçant des tableaux noirs d’enfance

Les mots de craie si lourds qu’ils ont tué l’histoire

Oh ! Ami retrouvons notre incroyable errance !

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