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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

8 mai 2007 2 08 /05 /mai /2007 12:32

Petite chronique de nos années de flammes

Une famille ouvrière

Légende : Une famille ouvrière et paysanne du Nord de la France dans les années 1906-07 un jour de fête où on a mis les beaux vêtements pour la photo... Mémé (cercle noir) a à peine 27 ans et déjà pas mal trimé dans sa vie.

      Il faut que je vous dise qu’il y a toujours eu beaucoup de femmes dans ma vie… y a toujours eu beaucoup de flammes aussi…

      Nos années de flammes… Elles ont précédé nos années de cendres qui ne sont qu’un feu couvant son œuf intrépide… Les femmes… celles qui comme moi sont nées dans les années 60 aux alentours vu que la chronologie ça nous enchante pas lerche… ces femmes-là elles savent comme leur adolescence a été bouleversée chatouillée embobinée dans ces moments du féminisme actif et joyeux des années 70-80… et de la révolte… la vraie la bonne… celle des farouches enchantements…

      Il faut que je vous dise que tout ça se passait par en dessous car pour ce qui est des femmes les choses essentielles elles ont fait leur chemin dans l’obscur… à l’envers du feu quoi… Du grand feu et des incendies rôdant sur notre black bitume d’alors… Raouf ! Et puis nous étions si jeunes vraiment… à peine adolescents… et cette époque-là qui était prodigieusement folle… démesurée créatrice bazardeuse du vieux monde ! Tellement vieux le bougre d’avare sur son or en tas en colline avec sa volumineuse baderne étalée… son crâne chauve de myope sourd-aveugle… ses humains fonctionnarisés dans chacun de leurs gestes de leurs mots de leurs regards mêmes…

      C’est un moment de mon existence ou plutôt des nôtres parce qu’alors on se disait « nous » où je n’avais pas idée qu’il fallait écrire des histoires… Qu’il fallait écrire… Ça non ! Raconter avec les mots qui nous venaient et leur houppelande neuve… les mots ils nous faisaient entrer nous encore des enfants dans l’univers de l’anarchosyndicalisme et de l’héritage tout vivant du « Front popu »… Les mots ils ont surgi des grèves ouvrières et de la solidarité de ce milieu du travail que j’allais retrouver plus tard en feuilletant des magazines comme Des femmes en mouvement Les mots rebelles qui nous grimpaient dessus c’étaient des ouistitis et ils nous haranguaient dans les cours de nos bahuts au perroquet mégaphone…

Légende : Elle était belle Mémé, belle dans sa tristesse butée et fière après avoir perdu son mari des suites de la guerre, la grande foutrerie de guerre 1914-18 comme tant d'autres femmes des milieux populaire...

 

      « Camarades !… Camarades !… » Qu’est-ce qu’on savait nous autres de l’Ukraine et de Makhno…  des républicains espagnols et de la CNT ou du POUM… ? Qu’est-ce qu’on savait ?… Ce que ce mot de camarades il trimbalait de dos aux murs et de fusils pointés pour mater les grèves et pour renvoyer les soldats insoumis à l’abattoir ?… Juste un petit bruit… une fine rafale… pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! et puis rien… Camarades !… tu parles… Mais déjà mon arrière-grand-mère me racontait dans sa langue du Nord la condition paysanne et ouvrière des années 1880… Eux l’anarchie vous pensez s’ils savaient ce que ça voulait dire… Ils savaient pas… c’était ce que les bons maîtres appelaient des braves gens… Mais ce mot-là Camarades ! alors ça oui !…

      Ecrire pour témoigner de nos émotions partagées encore dans ces années 60 avec les gens parce que vingt ans plus tard à peine il n’y aurait plus de partage et si peu d’émotions.

      Il faut que je vous dise qu’il y a toujours eu beaucoup de femmes dans ma vie… Comme souvent dans les milieux ouvriers les femmes elles racontent et on ne se soucie pas de savoir si c’est de l’authentique ou pas… La biographie mon pote qu’est-ce que ça nous faisait rigoler dans nos 12 berges d’alors ! Mémé on l’écoutait y avait intérêt… elle avait ses mains nues pour témoigner… ses mains cousues d’hiéroglyphes cicatrices reprisées ravaudées… et ça nous disait bien des choses sur son enfance à elle… Raouf !… C’est sans doute elle qui m’a donné l’envie des mots à répéter ronchonner recommencer du début encore et encore… elle et puis les femmes maghrébines de la cité après comme vous savez…

   Légende : Mémé à 98 piges, une vie de femme des milieux ouvriers pas mal remplie ! Tout ce qu'elle nous a refilé on en est fiers aujourd'hui car c'est notre mémoire ouvrière et solidaire !

A suivre...

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24 avril 2007 2 24 /04 /avril /2007 02:20

Epinay-Paris-Epinay

Dimanche 22 avril Lundi 23 avril 2007

Solitairement nôtre…

 

       Dimanche après-midi à Epinay il fait trop beau… rien envie de faire de précis et surtout pas d’aller se balader à Paris comme on aime Louis et moi et comme on l’a fait hier au milieu d’une surexcitation et d’un énervement pas croyable des gens… Jamais ressenti une tension comme ça un début de week-end parisien mais faut dire que celui-là n’va pas être triste ! Dehors c’est dur coupant brutal… voitures de flics partout dans les rues de la grande ville et une circulation d’enfer… Les parisiens qui n’peuvent pas partir comme d’hab le samedi ou qui reviennent obligés avant l’heure fatidique du dimanche soir par ce temps de désert du Ténéré avec ciel bleu extra sont en pétard et ça se sent à même la peau…

Donc pas envie de bouger de notre bled d’Epinay… notre « sweet banlieue pourrie » mais quand même prendre l’air fait si bon ! … Et pour prendre l’air par ici nous autres on a à proximité un truc pas trop ringard… C’est le Lac d’Enghein vu qu’notre cité elle est juchée à la limite du 9-5 et qu’ce coin bien rupin qui est pas prévu pour eux les gamins et les autres l’ont adopté depuis toujours… Le lac il s’étale joli au bas du Casino des riches mais lui il est à tout l’monde comme la nature qui appartient pas… enfin normalement elle appartient qu’aux p’tits piafs au ciel et à la terre la nature et donc aux humains elle appartient pas ça non ! Donc sur les pelouses étroites qui sont pas faites pour ça les gens s’installent dimanche en attendant…

Louis et moi on se vautre comme les autres à l’ombre à la fraîche dans les bonnes odeurs d’un buisson fleuri et un peu plus bas que nous y a un jeune d’origine sans doute maghrébine qui nous trouve sans doute pas trop nuls et qui se met vite fait à nous raconter sa vie gentil et pas ennuyeux du tout au contraire… Il en profite pour gueuler à tout l’monde pour qui il faut pas voter… pas besoin d’préciser tout l’monde sait qui c’est dans l’coin… De toute façon à Enghein tu peux dire c’que tu veux ça n’compte pas… et à Epinay non plus mais dans l’autre sens vu que tous on est d’avis que la vie serait si belle si on pouvait tranquilles avoir un lac comme ça au milieu d’notre cité avec de l’herbe à vaches autour et des pâquerettes dedans pour faire la sieste ! On n’demande pas grand-chose en ce dimanche de printemps et ceux d’lété non plus d’ailleurs… de l’eau fraîche… du soleil qui nous coule dessus à fond… de l’herbe qui sent bon et puis voilà c’est le grand bonheur que pas un n’pourrait nous râfler !

Ce jeune comme tous ceux que j’ai le plaisir de rencontrer dans la cité depuis trois ans que j’y suis drôlement souvent n’est pas du tout agressif même si un peu paumé largué mais nous autres à 20 piges on n’l’était pas sans doute ?… Sans compter que c’était les sixties et qu’c’était autrement sympath qu’aujourd’hui pour être jeune, ça ouais alors !

 

Lundi matin dans les transports en commun qui me rapportent direction la grande ville où j’ai moyen envie de retourner aujourd’hui… 11 heures 30 à peu près…

D’abord le bus le 154 le nôtre… notre bétaillère des banlieues que vous connaissez bien maintenant, notre autobus des brousses… Il est quasi vide contrairement à d’habitude et même les gamins qui vont au collège et qui descendent d’habitude aux Béatus y sont pas… C’est pas l’heure… ils sont déjà rentrés manger pas encore sortis ou quoi ?… Bon… comme je fais toujours mais encore plus ce matin après ce que j’ai vu de la carte bleue et rose de ce paysage et qui m’affole… je regarde autour de moi et je prends l’air de ma banlieue qui est silence et visage fermé buté de ses jours de grogne et ça je sais que je n’y pourrai rien… Et comme je comprends…

Au fond du bus où j’aime bien m’asseoir y a deux jeunes garçons blacks chacun dans son coin qui n’se parlent pas et qui ont l’air ailleurs déphasés cassés comme moi mais pour eux c’est sans doute plus grave… Moi et mes 50 berges on en a vu d’autres et des pas tendres dans cette affaire de lendemain d’un grand espoir auquel malgré tout ce que tu sais ou que tu crois savoir tu as encore cru et tu te dis mais heureusement car si on n’croyait plus à rien là on serait vraiment foutus pour de vrai ! La vie la douce la bonne la copine c’est de croire à la poésie à la révolte fraternelle et aux rêves pas vrai ?

Je m’assois dans mon coin à gauche et je jette un coup d’œil au jeune garçon qui a un sweet à capuche trop sympath mais le regard vide comme le mien sans doute au réveil ce matin vu que j’ai presque pas dormi et écouté les jeunes dehors en bas qui discutaient… j’aurais bien aimé être avec eux… Il n’a pas encore l’âge de voter et sans doute il rentre chez lui après le collège mais il doit en avoir plein la tête de ce qu’ont pas arrêté de raconter les « grands » hier tard dans la nuit… Ils ont été voter nombreux et par petits groupes ensemble dans la cité et dans toute la banlieue du 9-3 et aussi les autres pour sûr… Ils ont fait confiance à ceux qui ne le leur font pas depuis des années et qui les jugent et qui les regardent du haut d’un certain jugement moral… le même qu’il portaient sur nous il y a trente ans… mais eux ils ont fait confiance quand même… pas nous… je les trouve formidables et ils n’ont pas dormi de la nuit… moi non plus…

En face de moi presque l’autre garçon a le regard léger ou presque un sourire qui se forme par moment sur ses lèvres… c’est un « grand » lui et comme ceux de la cité que j’ai croisé hier dimanche matin en revenant des courses il sait que quelque chose s’est passé pour eux et que même si le résultat c’est pas ça ils ont été au bout de leur espoir dans les autres et en eux-mêmes… Ils ont dit avec les moyens dont on leur rebat ( ou rabat ? ) les oreilles depuis des mois qu’ils voulaient pas d’un monde de vieux peureux hargneux haineux envieux et pas avec des cailloux… ils l’ont dit cette fois avec des mots et là même si les cailloux c’est beau les mots maintenant ils sont à eux aussi comme ceux du rapp… du slam… ils les ont balancés à la face d’un destin crasseux les mots… leurs mots…

Son regard et le mien se croisent… se disent des choses malgré un monde qui nous sépare et que je sais bien mais dont j’ai appris à rigoler car franchement moi je m’en fous… Aujourd’hui… ce matin… malgré tout… malgré ma hantise de nos jours demain bradés à l’insensé et à la bêtise crasse par d’autres… malgré mes 50 berges je me sens sacrément proche de lui de vous de nous qui avez mis tout l’espoir et la passion de vos 20 berges dans un acte auquel vous avez comme moi… comme tant d’autres libertaires aussi tellement de mal à vous reconnaître… Son regard… le mien…

 

       Dimanche… nuit…

Je ne dors pas… couchée contre Louis qui dort car demain c’est lever à 5heures 30 et ouais… j’écoute les bruits de la nuit dans la cité en bas… les bruits de la nuit dans la cité ne me font pas peur…

Je ne dors pas… les jeunes en bas sont réunis comme toujours quand il fait beau et doux sur l’espace de la palabre en rond autour de la cabine téléphonique… cet endroit-là on l’a fait exprès pour ça ma parole !… Je les entends par moments leurs mots pas aussi joyeux et insouciants que d’habitude… Aujourd’hui pas de merguez party pour se faire quelques sous non… aujourd’hui c’était pas un jour ordinaire… et ce soir ils ont attendu avec une impatience terrible et sans fausses illusions ce qui allait sortir de ça… et voilà…

Nous aussi on a attendu Louis et moi… pareil et avec tant d’espoir quand même… Quand c’est la fête dans la cité y a des coups de klaxons formidables et des casseroles qu’on tape comme des tams-tams… là on a su tout de suite car y avait rien… Dans la soirée avant quelqu’un a crié « on va gagner ! »… Après ils sont sortis prendre l’air en donnant un coup de pied par ci par là dans une boîte de coca abandonnée…

Je ne dors pas… Il fait bon et la nuit de printemps est du bleu que j’aime dans nos banlieues… je me lève tout doux pour ne pas réveiller Louis et je regarde la nuit dehors les lumières des blocks sont toutes allumées pourtant demain on se lève tôt ici… et ouais… En bas ça cause mais je n’entends pas tout… un mot ou deux… le reste j’imagine…

- Tu crois qu’c’est râpé…

- Non !… on va gagner… on va gagner j’te dis !…

… Au fond ils savent… comme nous… au fond là dans la nuit de la cité on est ensemble… plus séparés du tout… ensemble par ce qu’on est seuls à savoir… ici au creux de cette nuit bleue de la banlieue… qu’on a retrouvé notre dignité… seuls… seuls parmi tant d’autres qui ne sont pas forcément loin et pas forcément différents… Mais qui n’ont jamais partagé une certaine forme d’humiliation… voilà… Solitairement nôtre…

 

Lundi matin dans le métro ligne 13…

Je regarde les gens qui sur cette ligne métisse ont l’habitude de se croiser et presque toujours une allure amicale même si un peu grognon… y’a si peu de métros sur cette ligne on attend on attend… et on s’entasse on s’entasse…

Ils ont le visage fermé que je connais et contre ça rien à faire… Plusieurs lisent Le Parisien pour être sûrs sans doute… la plupart sont pas là… ailleurs loin… moi aussi…

Sur une page s’étale la carte du paysage en bleu et rouge en bleu surtout une coulée de bleu sur toute la banlieue qu’on n’y croit pas et puis soudain au milieu du bleu un p’tit point rouge minuscule comme un mégot de clope après une nuit d’usine… un p’tit point rouge comme une goutte de sang frais au printemps… un p’tit point rouge au beau milieu d’la banlieue rouge où les mains ouvrières ont monté leurs bicoques y’a un bout d’temps déjà…

Un p’tit point rouge superbe comme un gros soleil renaissant sur notre jeunesse de banlieue… Solitairement nôtre…

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1 septembre 2006 5 01 /09 /septembre /2006 01:32

Jeudi, 31 août 2006

Lettre à une amie

Aujourd’hui c’était vraiment un très beau jour d’été… Un jour avec de ces ciels bleu turquoise aux rebords indigo comme ils étaient encore purs et légers dans mon enfance… Les ciels de banlieue de mon enfance je m’en souviens avaient de ces nuances-là et ce sont eux qui m’ont donné le goût pour les couleurs après…
Aujourd’hui j’ai eu 50 berges et j’aurais aimé que ça ne m’arrive pas, que ça se passe ailleurs et que ça soit l’affaire de quelqu’un d’autre mais pas moi… L’été ça a toujours été une grande fête des couleurs et de la lumière insensées et le peintre Vincent qui les peignait tellement bien alors qu’il venait d’un monde d’obscur n’était pas un être solaire… La nuit étoilée c’est lui tout entier et c’est moi aussi en train de regarder mon ciel de banlieue d’enfance le premier et des tas d’autres ensuite… et celui d’aujourd’hui encore…
Aujourd’hui j’ai 50 berges et j’aurais aimé que ça ne m’arrive pas… pas dans cet été de feu et de cendres… pas dans cette année d’incendies et de menottes passées aux poignets des enfants… pas dans ces années aussi lourdes que des poings de plomb écrasant nos rêves… nos rêves des années 75-76 alors j’en avais 20 et ils étaient taillés dans de petites statuettes de turquoise aux facettes indigo que nous offrions aux gens contre un peu de monnaie sur les marchés du Sud… nous étions des enfants solaires nous qui venions de banlieues obscures…
Aujourd’hui j’ai 50 berges et j’aurais aimé que ça ne m’arrive pas… qu’il y ait toujours devant nos pas les traces des pinceaux de Vincent au cœur de la lumière atroce de l’été dans le Sud à midi et ses soleils qui éclatent comme nos rêves à cette époque où nous tâtonnions entre l’ombre et la lumière… qu’il y ait toujours loin devant nous des champs entiers de jaune que nous barbouillions de bleu turquoise et d’indigo pour inventer des nuits lumineuses aux jours laborieux et brûlants des femmes et des hommes de peine…
Aujourd’hui j’ai 50 berges et c’était vraiment un très beau jour d’été… avec autant de lumière bleu turquoise aux rebords indigo que dans les ciels de banlieue de mon enfance et je me suis dit que peut-être demain nous retrouverions l’insouciance de nos rêves bafoués par les maîtres du vieux monde et que d’un geste léger nous ferions basculer leurs pesantes statues par la fenêtres de nos nuits étoilées… Alors pour tous les enfants solaires des cités de banlieue ça sera vraiment un très beau jour d’été…

Chère Cécile,

Merci beaucoup pour ta très belle carte que j’ai reçue hier et qui m’a touchée infiniment comme tu t’en doutes. Tu sais que j’ai beaucoup d’amitié pour toi et d’estime pour ton écriture, et je crois que nous tentons, toi comme moi, de mettre un peu de lumière, ainsi que tu le dis dans ta lettre, à ce qui trop souvent n’est qu’obscur et désarroi. Tu te doutes bien que ce qui s’est passé cet été au Liban m’a, tout comme toi, mise dans une terrible colère et un grand désir d’action toujours porté par la poésie et la création, car en dehors de cela que faire qui n’ajoute pas de la mort à la mort ?
J’ai, tu le sais horreur des mots morts avant d’exister sur le papier blanc, ces mots tracés à l’encre rouge qui tachent les doigts des enfants palestiniens et libanais d’une mémoire indélébile de violence et de haine. Pour eux, pour ce peuple une fois de plus devenu le jouet des généraux séniles et déments qui s’amusent à expérimenter leurs armes nouvelles et toujours plus compétitives pour leurs économies, sur ces gens exploités depuis toujours par un Occident colonial qui n’a pas cessé d’exister avec la fin apparente de la colonisation, j’aurais aimé inventer des mots légers comme ces cerfs-volants, des mots qui donnent aux gravats de leurs maisons détruites des ailes de papillons aux couleurs vives et fabuleuses…
J’ai écrit un poème intitulé « Camion blanc », que je t’envoie en pièce jointe, à l’instigation de l’Association des poètes français dont tu connais certainement le responsable Vital Heurtebize. Ils préparaient un recueil de poèmes pour la paix et demandaient notre participation à tous. Je suis arrivée un peu trop tard, le livre est sous presse mais il reste le poème…
Tu sais comme moi, chère Cécile, puisque tu connais bien le monde arabe et que tu te rends souvent en Tunisie où tu peux rencontrer les gens sur place et apprendre d’eux tout ce que nous ne devinons à peine ici, et que tu es familiarisée avec ce qui se joue depuis des années au Moyen-Orient, que ce pour quoi nous tentons chaque jour d’écrire et de lutter par nos moyens qui sont ceux de la création, plus de bonté et de justice humaine dans ce chaos, peut sembler bien illusoire…
Cet univers où l’on renverse pour se faire une bonne conscience les responsabilités de l’un à l’autre, et où la culpabilité rend de fiers services aux directeurs d’âme qui prétendent nous apprendre à discerner le mal du bien et à trier parmi les gens selon leur morale à eux, eux qui sont les êtres les plus immoraux et barbares qui soient, nous a laissés sans autres armes qu’un peu d’encre ou de couleurs pour répondre et pour témoigner.
Notre sensibilité créatrice qui nous a souvent rapprochées depuis que nous nous connaissons est certainement bien malmenée par ces temps où l’on voit partout et près de nous dans ce pays même, les vieilles pratiques racistes et colonialistes se remettre en route et où je me demande souvent que sont nos amis devenus qui disaient croire à la fraternité et dont aucune voix ne s’élève pour dire non !
Non ! nous n’acceptons pas d’être les habitants d’un territoire qui ne sera plus que le reflet d’une civilisation, d’une culture, d’une langue, d’un seul visage d’homme et de femme, si nous laissons faire tout cela !
Tu as vu que le réalisateur anglais Ken Loach a pris le parti des réalisateurs et acteurs de cinéma et de théâtre palestiniens qui demandaient à tous de boycotter les festivals qui auront lieu cette année en Israël en soutien à ce que leur peuple est en train de subir et à l’obscurité mortelle dans laquelle il est plongé lentement depuis les élections qui ont porté le Hamas au pouvoir, mais en réalité depuis que sa terre d’origine lui a été ravie.
Pourquoi aucune voix d’écrivain, de poète, de philosophe, d’artiste, ne s’élève-t-elle pour dire notre refus, notre révolte et notre dégoût profond d’un monde où on tue des enfants à l’aide de missiles qui contiennent de l’uranium appauvri et qui sont le résultat des progrès scientifiques en armement après Nagasaki et Hiroshima ?
Qui fera demain des châteaux de sable dans notre imaginaire si nous continuons à regarder muets l’encre rouge tâcher le bout des doigts des enfants ?

Comme j’aimerais chère Cécile n’avoir rien d’autre à faire que de raconter des histoires… mais voilà c’est la rentrée des artistes… alors…


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30 mars 2006 4 30 /03 /mars /2006 16:51

      C'est mardi 28 mars, jour de grande colère des gens et de révolte joyeuse et rondement menée, que j'ai tenté de faire passer la fin provisoire du récit "Une fille qui écrit sans papiers", l'histoire de Marion et du chien Sentinelle...
      Mais impossible de faire ce petit clin d'oeil à celles et à ceux qui croient qu'on peut encore se battre contre les cinglés qui nous cernent et qui mènent notre jolie planète bleue à la dérive d'un égoût crasseux de pollutions, de consomation à outrance, et d'exploitation des êtres humains qui n'ont pas choisi eux, une mondialisation qui ne profite qu'aux déjà super-nantis !
      Impossible donc mardi et les jours suivants d'entrer mots et images sur le blog, et ce mois du printemps qui est plutôt sympathique s'achève avec bien peu de nouvelles des Diables bleus qui pourtant depuis le Salon du Maghreb des Livres se portent sacrément bien !
      Ceci est donc le dernier texte concernant l'histoire de Marion et du chien Sentinelle, vous pourrez en lire la suite si cela vous chante dans le bouquin qui paraîtra un jour ou l'autre, question de finances et autres... qui sait...
      Alors voici les derniers mots de l'histoire de Marion et de son camarade Sentinelle...

      Ça n’faisait pas très longtemps que le sable formait partout et jusqu’au bas des escaliers au cœur des nuits opaques que les réverbères éclairaient plus qu’avec des halos effarés à cause de tout ce sable tourbillonnant des dunes mouvantes qui se figeaient soudain comme vitrifiées par des incendies intenses à l’intérieur où ça bouillonnait de lave folle.
      Ça n’faisait pas très longtemps qu’il s’était mis à nous submerger tout doux tout doux le sable… à la manière d’un désert qui viendrait faire sa place par ici… le sable ocre rose…
      Imaginez… ce sable où on s’enfonçait les talons d’abord et puis les chevilles et alors on avait bien du mal à marcher pour rentrer chez nous…
      Imaginez… de grandes pelletées de sable qui saupoudraient les rues des cités les trottoirs macadam black les parkings aux lueurs violettes où les capots des voitures en étaient au matin givrés d’une croûte épaisse…
      Ça n’faisait pas très longtemps qu’on avait remarqué comme c’était difficile de se déplacer simplement et qu’il fallait faire des efforts que les vieux et les enfants n’pouvaient pas. Hop ! Hop !

      Marion elle s’était endormie enroulée à l’intérieur de la couverture orange aux losanges vert pomme au fond du sous-sol avec le chien Sentinelle pour garder et le chat totem noir dont le nez était fendu d’un croissant de lune pâle.
      Ce qui s’est passé après c’est elle qui l’a raconté à Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges en s’acharnant à croire que c’était un mauvais rêve qu’on fait avant de se réveiller quand on a dormi trop longtemps.
      Ce qui s’est passé après… dans le rai de lumière bleu indigo des photophores Marion qui s’était réveillée juste un peu pour voir que sur sa scène de théâtre improvisée le chat totem se frottait énergique les oreilles pour finir par se secouer à plusieurs reprises en s’étirant à l’intérieur d’une sorte de halo qui prenait la couleur pourpre d’une savane juste avant la nuit…
      Ce qui s’est passé après… c’est que le totem de chat qui lui avait paru jusque là irréel a sauté soudain de son piédestal et qu’il s’est faufilé le long du trait bleu des photophores avant de se fondre au creux de l’obscurité le chien Sentinelle à sa suite comme ça ne pouvait arriver qu’en cas d’extrême urgence.
      - Eh ! attendez-moi… attendez-moi… elle a crié Marion en enfilant la veste de kapok militaire rembourrée et la cagoule de laine noire et aussi les baskets rouges vite fait sans attacher les lacets…
      Et elle s’est retrouvée dehors Marion sans avoir à tâtonner au creux de l’obscur ou à chercher son chemin et il y avait une lueur trouble comme celle des fins d’après-midi d’hiver dans la banlieue tandis que partout autour d’elle d’énormes tourbillons de sable ocre rose se mêlaient se confondaient s’enchevêtraient pareils à des créatures fantomales et Marion a senti aussitôt qu’au sable dont les écailles coupantes faisaient mal jusqu’au bout des doigts se mêlait de la neige.
      Déjà tout autour d’elle Marion le paysage n’existait plus et seules des dunes géantes occupaient le terrain devant des silhouettes verticales comme de grands navires qui vacillaient et aux bouffées de sable se mélangeaient des odeurs acides qui brûlaient la gorge faisaient pleurer les yeux et déchiraient la peau fragile des paupières et des narines.
      Déjà tout autour d’elle Marion le paysage était un désert au silence mat qui donnait l’impression d’être privé de tous ses sens et on n’avançait plus qu’en retirant un à un difficile ses pieds de l’épaisseur du sable qui les dévorait… Hop ! Hop !
      - Eh ! attendez-moi… attendez-moi… elle a crié encore Marion soulevant un peu les mains de devant ses yeux pour retrouver la trace du chat totem noir et blanc et du chien Sentinelle…
      Alors elle a entendu au milieu du silence mat du désert qui envahissait ses oreilles le hululement pas très loin des voitures de police qui s’approchaient en chassant devant elles d’énormes troupeaux d’éléphants blancs effrayés qui s’évanouissaient au creux de la brume ocre rose comme celle des grands fleuves d’Afrique quand il a plu… pfuitt… pfuitt…


      Oui… les voitures de police elles arrivaient en projetant devant elles des monticules qui ensevelissaient tout à la façon d’énormes termitières à l’intérieur desquelles on aurait été engloutis et digérés comme dans un linceul.
      Pour Marion l’angoisse c’était que le chien Sentinelle était plus visible radical qu’il avait comme fondu disparu happé par les tourbillons d’opaque qui mangeaient les choses et que les voitures de police envoyaient partout des giclées de phares blancs éblouissantes semblables à dix mille soleils.
      C’est en plein milieu de cette lueur blafarde et rose à la fois que Marion a distingué soudain deux silhouettes noires qui se balançaient maladroites comme ivres et semblant venir à sa rencontre…
      - Neij karbonik… neij karbonik… elle a murmuré Marion d’une voix perdue au creux de l’enfance…

      La première des silhouettes elle l’a reconnue facile vu sa taille qui dépassait toutes les autres Marion… on n’pouvait pas se tromper… et d’ailleurs plus il s’approchait guignol démantibulé sur une scène de théâtre dramatique et dérisoire plus on voyait la musette où y avait mes bombes qui s’balançait avec lui… c’était Banou…
      C’était Banou et son camarade que Marion n’connaissait pas mais ils n’se quittaient guère vu qu’ils avaient grandi à l’intérieur du même block tous les deux et le hall l’escalier le paillasson la famille tout pareil… presque des frères qu’elle songeait Marion… ils avaient drôl’ment de la chance que ça ait pas tourné mal comme elle !…
      C’était Banou et son camarade deux jeunes Blacks qui zigzaguaient pas loin d’elle silhouettes ébène de totems dansant au centre de cent mille soleils d’artifice…
      Ça a pris quelques secondes pour que les voitures de police les entourent de leur hululement aigu en poussant devant elles d’immenses quantités de sable givré de neige qui les ont cernés d’une muraille ocre rose de plus en plus haute…
      Ça a pris quelques secondes et Marion qui s’est dit qu’il fallait empêcher ça a voulu courir avec ses baskets rouges mais c’était impossible… c’était impossible…
      - Eh ! vous êtes fous !… arrêtez !… arrêtez !…
      Malgré l’épaisseur matte et amère du silence Marion n’entendait pas sa voix et pourtant les sirènes s’étaient tues. Tout ce qu’il lui a semblé lorsque la haute termitière de sable et de neige ocre rose s’est refermée sur les deux silhouettes noires et qu’elle s’est mise à hurler de toutes ses forces pendant que le hululement des sirènes reprenait dans un terrible chant de mort c’est qu’un chien aboyait quelque part…

      Gare du Nord… vous connaissez ?

      Ce qui s’est passé ensuite c’est Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges qui me l’a raconté peu de temps après que Marion soit partie en direction du Sud avec le chien Sentinelle sur ses talons…

      Ecoute… écoute…

      Elle avait jamais saisi Marion si ces choses s’étaient vraiment passées ou si elle avait rêvé mais quand elle s’était réveillée enroulée à l’intérieur de la couverture orange aux losanges vert pomme avec le chien Sentinelle qui gardait tout le fourbi elle ne savait pour de vrai pas où elle était… 
       Juste que c’était une cave au milieu d’une cité de banlieue qui ressemblait sacrément à celle de ses vieux d’où elle s’était tirée clic-clac quelques mois auparavant et que dehors malgré l’épaisseur obscure de la nuit on voyait qu’y avait plus rien du sable ni des énormes troupeaux d’éléphants blancs s’enfonçant effrayés dans l’opaque poussière ocre rose…
      Dehors quand elle est sortie Marion le chien Sentinelle sur ses talons ça sentait juste un peu le feu de bois peut-être comme en font les jeunes au milieu des terrains vagues pour s’amuser et perché au sommet d’une poubelle de plastique verte y avait le chat totem au croissant de lune qui les attendait.
      Dehors quand elle est sortie Marion il faisait un froid d’acier bleu et elle a remonté la cagoule avec seulement la fente pour son regard de lin…
      C’est le chat qui les a guidés direction les rails qui étaient vraiment pas loin et comme Marion elle n’avait plus envie d’aller nulle part ils se sont perdus tous les trois au creux mou de la nuit indigo…

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24 février 2006 5 24 /02 /février /2006 01:10

 

Gare du Nord vous connaissez ?

 

 

Elle s’en était allée Marion en suivant les rails d’acier bleu le long du ballast vers le Nord… de plus en plus vers le Nord en suivant sur les entrepôts taggés de noms que maintenant elle connaissait bien un chemin qui s’enfonçait dans la banlieue où brûlait la colère de cet automne-là avec les châtaignes au-dessus des bidons remplis de braises sur un couvercle troué à l’envers.  
           La colère craquait sa bogue où elle était enfermée trop longtemps et c’était un langage dont on n’voulait pas. Nord… toujours vers le Nord… elle courait Marion… Hop ! Hop ! et le chien Sentinelle à ses côtés avec au fond de la musette les bombes de couleur que Banou lui donnait quand il arrivait derrière elle la nuit toujours sans qu’elle entende rien et le chien Sentinelle non plus… Hop ! Hop !
           Souvent c’étaient des bombes entamées qu’il voulait plus com’il disait parc’ qu’elles lui poissaient les doigts et qu’avec les neuves t’as la pression !… Mais pour celles de couleur blanche c’étaient toujours des neuves vu qu’le totem de Marion s’appelait « Neij Carbonik » et que Banou trouvait ça trop bien l’idée de se servir des extincteurs pour rendre la fureur du monde impuissante.
          Nord… toujours vers le Nord… c’est vrai qu’Marion elle les connaîssait bien les noms des taggeurs de cette banlieue-là surtout « Venin » et « Grav » et puis aussi y avait « Mor » et « Apel » dont les signatures l’emportaient à nouveau d’un coup d’aile coupant et d’un jet de comète sur ses baskets rouges vers ce monde d’où elle était partie. Elle avait pas su comme il signait Banou vu qu’il lui avait pas dit et que dans les banlieues c’est des questions qu’ n’pose pas.

          Gare du Nord vous connaissez ?

          Elle était à peine arrivée avec le chien Sentinelle sur ses talons au bord de cette cité qu’elle ne fréquentait pas et qui ressemblait à un de ces espaces de la périféerie où c’est encore possible de semer des graines de rêves qui poussent parfois de drôles de fleurs turquoise parmi les coquelicots qui sont la colère fragile des terrains vagues…
          Elle était à peine arrivée quand l’aube sur la savane ocre rouge fait craquer les herbes sous leur carapace d’étincelles froides aux rives du terrain vague qui entourait la cité que des tourbillons de sable portés par les vents géants de l’hiver qui s’étaient remis soudain à souffler comme s’ils jaillissaient hors des grandes orgues de glace avaient distribué partout des poignées de silice et de quartz qui taillaient les lèvres et la peau du visage de petites gerçures aux fines traces de sang.
          Aussitôt elle a remonté sa cagoule de laine noire que lui avait refilé Banou jusqu’à la ligne bleu de lin de ses yeux et elle a enfoncé ses poings profonds dans les poches de la veste rembourrée de kapok qui ne protégeait pas assez en se disant qu’elle aurait pas dû venir pendant que le chien Sentinelle secouait frénétique sa tête et ses oreilles pour en faire sortir les éphémères de sable.
          Même elle a pensé sur le coup repartir direction la Gare du Nord malgré le jour qui allait rappliquer avec le danger des vigiles des gares bleu-noir et de leurs chiens noir-noir d’ennui… Oui… elle a pensé repartir mais elle l’a pas fait sans doute à cause de la fatigue qu’elle avait déjà qui lui faisait les pieds comme des pierres trop lourdes et aussi y avait cette chose au creux du ventre qui lui disait qu’ici c’était un peu chez elle… C’était au moins autant chez elle alors qu’ces mots-là y z’avaient pas de sens… que chez les rats au museau rose fendu assis sur leur queue au milieu des sacs poubelle de plastique bleu éventrés.

          Comment elle était arrivée jusque là Marion avec le chien Sentinelle dans ses talons elle ne savait pas… en fait c’était pas si important… Hop ! Hop ! Ils avaient sauté tous les deux la glissière bleue transparente des rails où ça givrait dur déjà… trouvé un endroit du grillage qu’on avait sectionné à la pince et qu’y avait qu’à soulever avec les doigts gelés qui font mal pour sortir et se retrouver entre deux palissades taggées à fond de couleurs terribles sur les rebords de la cité.
          Hop ! Hop ! Encore un bond au creux de l’herbe aux étincelles verglacées qui craquent vu qu’ici le terrain vague et le bitume des parkings se mélangent facile et ça y est… Ils se retrouvent le chien Sentinelle et elle au pied des tours où Banou lui a dit une nuit en passant comme un diable à travers le bleu outremer de la banlieue pfuitt… pfuitt… et qu’il faisait déjà trop froid qu’il créchait chez ses vieux et qu’elle pourrait trouver dans les caves un endroit pour dormir enroulée à l’intérieur de la couverture orange aux losanges vert pomme et personne le saurait.
          C’est à ce moment-là qu’elle a senti sur les petits espaces fragiles de sa peau au bout des doigts et sur les paupières les insectes du sable qui la frôlaient dansant virevoltant et en pagaille se posant et qu’elle a vu le chien Sentinelle qui secouait ses oreilles pareilles aux ailes d’un moulin que le vent engouffre.
          Imaginez une grande quantité de sable se déversant entre les hautes tours où s’entassent les populations de fourmis qui dorment encore pas pour longtemps… Imaginez…
          Imaginez ce sable tout autour de grands troupeaux d’éléphants blancs qui venaient prendre des bains gigantesques à l’aube dans les petits lagons où ils s’arrosaient de boue ocre rose…
          Imaginez ce sable d’un rouge très doux et ses reflets turquoise où elle s’enfonçait Marion… les talons d’abord à peine et c’était frais comme la neige et puis un peu plus haut que les chevilles alors elle avait bien du mal à marcher et il était coupant comme des écailles de verre…

                         Gare du Nord… vous connaissez ?


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14 janvier 2006 6 14 /01 /janvier /2006 02:46

      Gare du Nord vous connaissez ?


      Lorsqu’on s’était vues pour la dernière fois avec Marion et le chien Sentinelle dans le bistrot juste à côté de la Gare du Nord la nuit où je lui avais donné les baskets rouges elle m’avait causé un peu de ce monde vers lequel elle retournait d’où elle s’était tirée avec joie quand le strapontin s’était refermé clic-clac juste derrière elle et qu’elle était partie au moment où les vents géants s’étaient mis à souffler de partout.
      Moi je pouvais bien visualiser ce qu’elle disait Marion vu que dans la banlieue j’y étais embarquée chaque jour depuis que j’y étais née y a un peu de temps déjà et qu’après avoir bourlingué raide j’y étais revenue moi aussi parce que c’était parmi ces gens-là que j’avais envie de continuer le voyage de l’autre côté des palissades de chantier et tout au bout des terrains vagues de l’enfance.
      Et tout comme elle le disait Marion ça faisait pas très longtemps que les vents géants s’étaient mis à souffler de partout sur nous et que le sable ocre rose fin aux cristaux coupants et glacés comme des écailles de mercure s’était amassé sur les parkings des cités au pied des blocks… Qu’il avait crapahuté par les fentes des palissades de ferraille écartelées… Qu’il s’était glissé faufilé ramené sur les chantiers où les engins abandonnés semblables à de gros éléphants d’Afrique fossiles… les poutrelles d’acier jetées sur les collines de gravats et les tas d’ordures en étaient lentement recouverts mangés dévorés…
      Non… ça faisait pas très longtemps qu’il formait partout et jusqu’au bas des escaliers au cœur des nuits opaques que les réverbères éclairaient plus qu’avec des halos effarés à cause de tout ce sable tourbillonnant des dunes mouvantes qui se figeaient soudain comme vitrifiées par des incendies intenses à l’intérieur où ça bouillonnait de lave folle.
      Ça faisait pas très longtemps qu’il s’était mis à nous submerger tout doux tout doux à la manière d’un désert qui viendrait faire sa place par ici… le sable ocre rose.

      Gare du Nord vous connaissez ?

      Imaginez… ce sable où on s’enfonçait les talons d’abord et puis les chevilles et alors on avait bien du mal à marcher pour rentrer chez nous…
      Imaginez… de grandes pelletées de sable qui saupoudraient les rues des cités les trottoirs macadam black les parkings aux lueurs violettes où les capots des voitures en étaient au matin givrés d’une croûte épaisse…
      Ça faisait pas très longtemps qu’on avait remarqué comme c’était difficile de se déplacer simplement et qu’il fallait faire des efforts que les vieux et les enfants n’pouvaient pas. Et seulement les voitures de police elles qui avaient bizarre changé d’allure et s’étaient équipées d’énormes pneus avec des châssis très hauts quadrillaient les rues de nos cités de plus en plus vite en chassant devant elles d’énormes troupeaux d’éléphants blancs effrayés qui s’évanouissaient au creux de la brume quand elle montait du fleuve amical comme les grands fleuves d’Afrique quand il a plu.
      Oui… les voitures de police elles s’étaient vite adaptées à tout ce sable et ça nous arrivait de devoir sauter vite fait de l’autre bout du trottoir quand elles passaient en hurlant de leur sirène gyrophare car les gerbes de sable ocre qu’elles projetaient sur nous formaient aussitôt des monticules épais qui nous ensevelissaient à la façon d’énormes termitières à l’intérieur desquelles on aurait été engloutis et digérés comme dans un linceul.
      Imaginez… Mais ça n’était pas encore tout à fait le temps où ainsi qu’ils le feraient quelques jours plus tard et que Marion le raconterait à Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges… ils s’éloigneraient Silence glaçant leurs sirènes après avoir enfermé des jeunes gamins en train de jouer au ballon sur les trottoirs de Macadam city blues sous une carapace de sable pétrifié auquel se mêlait la neige qui les effaçait de nos regards.
      Non… pas encore tout à fait vous comprenez ?

      Ce qui s’est passé ensuite j’aurais pas pu l’imaginer malgré tout c’que je voyais déjà depuis des temps de misère et de folie… des temps sorciers que les jeunes des blocks s’acharnaient à couvrir de couleurs cloués sur les murs béton de nos cités rageuses qui n’pouvaient plus résister aux dunes de sable ocre rose marchant vers elles comme vers les villages d’Afrique à grands pas le géant aux talons secs crevassés de sel.
      Y’avait plusieurs mois depuis que je n’savais pas où elle était passée Marion avec le chien Sentinelle juste à côté…y’avait plusieurs mois que les choses terribles s’étaient jouées sur Macadam City Blues où de fabuleux incendies avaient redonné à nos territoires d’errance et d’infortune le chatoiement singulier de la savane rouge sang sous son pelage d’herbes craquantes avec tout au bout… au loin là-bas… la tribu des éléphants blancs solitaires et prêts pour des noces de neige et de feu.
      Y’avait plusieurs mois que les choses mauvaises avaient commencé mais ce qui s’est passé ensuite personne ne l’avait écrit sur nos murs de papier…
      Non… c’qui s’est passé ensuite dans l’histoire de Marion sa frimousse au rire de lin bleu ses baskets rouges et le chien Sentinelle qui n’la quittait pas comme s’il avait pressenti avant les rats au museau rose fendu assis sur leur queue… oh ! mais juste un peu avant qu’il allait neiger trop fort sur nos murs de papier… personne aurait pu l’imaginer…

      Gare du Nord vous connaissez ?

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6 janvier 2006 5 06 /01 /janvier /2006 00:30

      Gare du Nord vous connaissez ?

      … Je voudrais vous entretenir ici de cette histoire dont le museau grogne en soufflant avec des vobrations de partout comme une grosse locomotive à vapeur…
      Ce qui s’est passé ensuite après qu’on se soit quittées ce jour-là Marion le chien Sentinelle et moi c’était déjà une histoire avant que je me mette à l’écrire vu que c’est Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges planquée au milieu de la rue Saint-Benoît dans un quartier que j’nai pas l’habitude de fréquenter autrement que pour aller au journal porter mes articles… ce qui s’est passé ensuite c’est Célestin qui me l’a raconté.
      Comment elle s’était enfoncée de plus en plus Marion sa frimousse au rire de lin bleu ses baskets rouges et le chien Sentinelle à ses côtés le long du ballast qui se recouvrait de sable fin ocre rouge et durant ce terrible mois de Novembre de neige de verre transparente et froide… de plus en plus à l’intérieur de la banlieue et jusque là où les choses se sont passées personne pourrait le dire sauf elle peut-être avant qu’elle disparaisse au milieu des tourbillons de sable portés par les vents géants de l’hiver qui finiraient un jour par recouvrir les quais macadam black de la Gare du Nord sans qu’on s’en doute… pfuitt… pfuitt…
      Personne sauf les rats qui n’diront rien évidemment … les rats au museau rose fendu dressés assis sur leur queue qui sont déjà prêts à se faire là-dedans des terriers de silice et de quartz vitrifiés comme des pains de sucre gelés et à continuer leur besogne opiniâtre autour des sacs poubelle en plastique bleu et du croûton du soir. Vous comprenez ?…

      Ce qui s’est passé ensuite j’aurais pas pu l’imaginer moi qui écris des chroniques pour un journal où s’alignent les faits d’hiver grinçant de leurs pattes aux griffes affûtées sur les tables lisses des salles de rédaction pendant que les larmes gèlent au coin des yeux des gens tels des cristaux vivants.
      Non… j’n’aurais pas pu l’imaginer malgré les heures passées à creuser Macadam city blues dans toutes les banlieues où j’erre depuis vingt berges et à lui faire rendre sin jus d’histoires amères que personne ici ne raconte et à le sucrer de rêveries.

      Gare du Nord vous connaissez ?
      Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges je suis tombée sur lui et sur sa librairie qui ressemble à un rafiot qui ne prendra plus jamais l’océan dans ses filets et qui tangue éperdu amarré à n’importe quel port de passage… je suis tombée sur lui par hasard ou plutôt c’est Julius le garçon qui fait la nuit aux Deux Magots qu’on appelle chez nous dans la banlieue les deux mégots où j’ai pris l’habitude de boire le chocolat chaud… après les heures passées au journal le soir c’est mon repas favori… qui m’a refilé le contact.
      Julius le garçon de nuit des deux mégots je le connais bien vu que c’est lui qui m’apporte à chaque fois le chocolat mousseux et dessus y a comme de l’écume de mer tiède où je plonge ma langue et mon nez avec le plaisir des mômes à quatre heures quand on a d’la chance…
On s’est jamais causé auparavant et j’avais pas plus remarqué dans la lueur cuivrée chic des deux mégots la présence parfois de Célestin et d’un des chats qui l’accompagne ainsi que je l’ai su par la suite.
      Faut dire qu’aux deux mégots je n’y traînais pas et une fois léché mes doigts couverts de chocolat je partais vite de ce lieu où les humains dans l’ensemble ont l’air de porter sur le dos des pardessus en peau de billets de banque retournée. Je m’y arrêtais sur le point de rentrer au cœur de ma banlieue aux paupières mauves parce que c’était sur mon chemin en sortant du journal et que le chocolat y avait un goût de cannelle diabolique et sacrément bon.
      Je m’y arrêtais et puis… pfuitt… pfuitt… je filais en douce en piquant les semelles de vent laissées par Rimbaud au coin de la rue dont personne se souciait direction la Gare du Nord. 


      Gare du Nord vous connaissez ?

      Célestin le libraire de l’Impasse des Deux Anges je suis tombée sur lui et sur sa librairie le soir où Julius a vu à côté de la tasse de chocolat à moitié vide le livre des correspondances que Céline avait envoyées chaque jour depuis sa prison de Vestre Faengsel au Danemark à son avocat et à Lili sa femme ou plutôt Lucette dans la vie… des lettres comme y a pas grand monde qui peut en écrire sauf un type allumé comme lui et qu’il y avait là-dedans toute sa peur et tout son désarroi.
      Et pourtant c’était pas un bonhomme trouillard faut le dire. Partout dans ses voyages au bout des nuits il avait fait face mais là y pouvait plus…
      - Ah ! vous cherchez peut-être des livres sur Céline Mad’moiselle ?…ça doit vous intéresser vu c’que vous avez là…
      J’ai levé la tête de ma songerie le nez égratigné de mousse ocre et douce et j’ai vu un grand bonhomme qui me fixait derrière les loupes de ses lunettes avec un nez de tape à repérer de loin des tas de choses.
      - Oui… surtout des bouquins interdits… j’ai répondu en lui clignant de l’œil pour la provocation et pour voir s’il était vraiment aussi myope que ça.
      - Ah ! pas de soucis Mad’moiselle… y’a un libraire ici pas loin qui a tous les manuscrits interdits et même des choses qu’on n’trouve nulle part… J’vais vous indiquer Mad’moiselle… Venez voir… venez par ici c’est tout près…
      Il avait chuchoté ça comme s’il me connaissait de bonne amitié en me regardant derrière ses vitres énormes et il m’a pris le bras sans façons et m’a emmenée jusqu’au comptoir qui étincelait pareil qu’un pont de bateau juste astiqué pour m’indiquer avec des gestes de gardien de phare qui juraient un peu dans ce lieu si délicat l’emplacement exact de la librairie de Célestin. Célestin dont les yeux de lavande bleus lavés m’avaient aussitôt serré le cœur.

      Y’avait plusieurs mois que je n’savais plus du tout où elle était Marion et où ses baskets rouges l’avaient emportée avec le chien Sentinelle sur les talons… y’avait plusieurs mois que les choses terribles s’étaient passées sur Macadam city blues… ou qu’elles avaient commencé à devenir mauvaises à l’égard des enfants des cités et ça c’était bien le signe d’une société qui se coule à l’intérieur du costume de lave glacé de la mort…
      Y’avait plusieurs mois que les choses mauvaises avaient commencé à donner des signes que ça allait partout se couvrir de neige carbonique et nous étouffer et nous tuer… Y’avait plusieurs mois… et c’était l’hiver alors…

      Gare du Nord vous connaissez ?


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26 décembre 2005 1 26 /12 /décembre /2005 23:58

 

Une fille qui écrit sans papier

Suite

        Gare du Nord vous connaissez ?

      Donc j’avais eu du retard au journal où je travaillais ce soir-là et je reprenais le chemin de ma banlieue qui ressemblait de plus en plus par ces temps où les réverbères orange vif qui nous empêchaient de dormir explosaient en comètes incendiaires sans qu’on devine pourquoi à une planète perdue naviguant au large de son océan d’émeraude et d’oubli.

      C’est d’un coup que j’ai entendu derrière moi alors que je n’croyais plus ça possible sa voix que je connaissais bien qui m’a ouvert toutes les portes du rire à la volée. Sa voix et son rire bleu de lin toujours ils me font remettre mes pieds sur les chemins d’enfance perdus où on saute à pieds joints les cases des marelles pour arriver plus vite au ciel.

      - Hé ! ma jolie… t’aurait pas un peu d’monnaie pour un café des fois ?…
      Je la regardais Marion… comme la première fois où je l’avais vue accompagnée du chien Sentinelle… et ça me remontait de là-bas… Là-bas où je n’irais plus farfouiller aujourd’hui sans elle… Là-bas où les graffiti n’existaient pas quand j’avais son âge…
      Je la regardais… sa frimousse au rire de lin bleu… son rire qui me revenait de très loin… de notre enfance macadam qui ignorait qu’un jour nos terrains vagues seraient claquemurés et gardés par des miradors des policiers armés de guns et des chiens… et qu’on ferait de nous les habitants d’un ghetto…

      Ecoute… écoute…

      Assise sur les tabourets hauts du bar à l’extérieur de la gare où je l’avais emmenée parce qu’il faisait vraiment trop froid je la regardais… Marion qui trempait sa langue et son nez aussi dans la mousse rouquine et sucrée du chocolat l’air très appliquée pendant que le chien Sentinelle à nos pieds dévorait en couinant de satisfaction un vieux bout de sandwich jambon beurre que le patron du bistrot m’avait refilé sans commentaires sur notre allure bizarre.
      - Doit pas avoir l’habitude des gens dans notre style le patron… j’ai dit en reniflant l’odeur adorable du café et les sucres là aussi ils étaient comptés…
      - Tant qu’il appelle pas les flics ma jolie… elle a ajouté Marion avec un clin d’œil… J’pourrais pas m’tirer vite fait avec ces godasses-là pas d’d’anger… elles z’ont plus d’semelles…

      Gare du Nord vous connaissez ?

      - Eh Marion ! j’ai dit… j’ai un cadeau pour toi… et je me suis penchée afin d’attraper le sac à dos dans lequel la paire de baskets rouges que je trimballais depuis deux mois pas plus pas moins ne ferait pas ce soir le chemin du retour direction la banlieue une fois de plus.
      Si on veut qu’ça soit un cadeau il faut qu’y ait un vrai paquet et du joli papier autour… alors j’avais fait pour finir un vrai paquet mais il s’était un peu fripé froissé bouchonné et il avait plus trop l’air de rien… Mais il y avait l’intention du cadeau et ça comptait pas qu’un peu entre nous…
      Elle a écarquillé ses yeux bleus de lin et elle a fourré ses doigts dans sa tignasse hérissée qui cette nuit était d’un rose indien très étonnant en signe de perplexité. Elle fixait le sac à dos comme un enfant la hotte du Père Noël et dans ses pupilles il y avait toute la joie de cet instant encore neuf qui semait ses paillettes argentées.
      - Tiens… avec ça tu seras une vraie taggueuse de banlieue !…
Je lui ai mis le cadeau chiffonné malmené dans les mains et j’ai vu sur son visage passer d’étranges courants marins venus des océans très loin au fond de sa mémoire. C’était de l’outremer foncé et du lapis-lazuli avec des étoiles d’émeraude presque noires qui avaient pris la place des champs de lin et de la lavande claire.
      C’était comme si elle cherchait à se souvenir depuis combien de temps elle n’avait plus eu de cadeau Marion…
      - Ah toi alors ma jolie t’es drôl’ment chouette !…
      Et puis aussitôt elle s’est mise à déchirer le papier qui n’tenait pas vraiment et elle a poussé un cri d’enthousiasme et de plaisir qui a fait sursauter le type derrière le bar et aboyer frénétique le chien Sentinelle qui voulait pour sûr participer à la fête.
      - Des baskets rouges ! Des baskets rouges ! C’est tout juste celles que j’voulais… ça alors !
      Et elle a envoyé aux quatre coins du bistrot les vieilles godasses qui avaient trépassé y a longtemps sous le regard hargneux du patron qui nous voyait nous installer là pour la nuit alors que le chien Sentinelle bondissait à leur suite comme si c’était pour jouer.
      Vraiment les baskets rouges dans lesquelles elle avait fourré de force son Jean déchiré en bas lui allaient comme à une reine des banlieues à Marion… personne pouvait rivaliser avec sa classe c’était sûr… Non personne…
      Elle a fait le tour du bistrot en courant et le chien Sentinelle en bondissant sur ses talons qui aboyait toujours et elle m’a mis une grande claque sur l’épaule avant de sauter sur le tabouret du bar et de taper du poing à trois ou quatre reprises sur le comptoir de cuivre semblable à un habitué qui réclamerait son petit rouge.
      - Hé ma jolie !… sur c’t’affaire c’est moi qui t’paie un coup… faut qu’on s’fête les baskets rouges !
      Et on a bu nos deux verres de rouge pour faire passer le froid qui givrait les trottoirs de Macadam city blues de pétales transparents saupoudrés blancs de neige carbonique. 

 Gare du Nord vous connaissez ?

 

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16 décembre 2005 5 16 /12 /décembre /2005 02:22
Une fille qui écrit sans papier
Suite
 
       Gare du Nord vous connaissez ?
 
      … Je voudrais vous entretenir ici de cette histoire dont le museau grogne en soufflant avec des vibrations de partout comme une grosse locomotive à vapeur…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Comment elle s’était enfoncée peu à peu Marion sa frimousse au rire de lin bleu et le chien Sentinelle à ses côtés le long du ballast qui se couvrait de sable fin ocre rouge ses pieds que les godasses drôlement usées du temps où elle créchait chez ses vieux ne protégeaient pas à l’intérieur de la tiédeur épaisse et légère qui se refermait sur ses chevilles pareil à un bracelet de danse elle aurait été bien incapable de s’en souvenir pour le raconter à la fille journaliste.
      Ouais… pour sûr qu’elle n’ savait pas comment cette féerie avait démarré vu qu’au début les premières nuits elle n’ l’avait pas remarqué tout ce sable qui formait même par endroits des dunes géantes quand l’aube se pointait comme une gazelle dans un crissement rouge qui ressemblait à l’herbe sèche de la savane froissée et qu’elle n’ pouvait pas les gravir vu qu’elle était trop fatiguée d’avoir tel’ment marché et le chien Sentinelle aussi.
 
      Imaginez… Imaginez ce sable et ces grosses mamelles moelleuses qui s’étiraient du côté d’ la banlieue là-bas où personne ne s’ promène à cette heure… Et l’envie qu’elle avait Marion d’ savoir c’ qui s’ passerait si elle pénétrait pour de bon là où la peur de se perdre lui avait interdit jusqu’ici…
      Faut dire qu’ ça ressemblait drôl’ ment à l’endroit où ils croupissaient ses vieux et où elle était morte d’ennui toute son enfance avant que l’ chien Sentinelle il vienne lui tenir compagnie sur le strapontin et qu’ils s’en aillent de là pour finir… pfuitt… pfuitt… Imaginez…
      C’était déjà un autre monde que c’ ui du jour qu’elle avait rencontré alors depuis qu’elle s’était mise à suivre les rails d’acier bleu-gris givrés Marion et ça s’était fait com’ ça sous ses pieds qui marchaient sur quelqu’ chose com’ le ventre d’une bête… un’ bête de nuit p’ t’ être bien…
 
      Ouais… c’ t’ait un autr’ monde et elle avait trouvé d’abord sur ce ch’ min‑là l’ veilleur des entrepôts qui lui avait parlé gentil et puis ce grand Black de Banou et ses bombes dans l’ sac à dos… Au fond maint’ nant c’était ça la vie d’ Marion et du chien Sentinelle et pas autr’ chose… Alors le sable… les dunes au bout d’ la nuit quand t’ es trop fatiguée et qu’ tes pieds y peuvent plus… Alors ça s’ rait la suite normal’ de l’histoire non ?…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Elle s’enfonçait Marion… ses vêtements si légers sur le dos… dans la neige carbonique de la nuit… Elle s’enfonçait de plus en plus loin du côté d’ la banlieue avec le chien Sentinelle sur ses talons et le museau rose fendu des rats qui les accompagne.
 
      Gare du Nord… Gare du Nord…
 
      Pour se rencontrer à nouveau avec Marion sous le halo rose-gris de la verrière quand la nuit d’hiver vient de retirer ses derniers sous-vêtements de soie rouge crissant comme l’herbe desséchée de la savane qui a pas bu depuis plusieurs mois ça a été le fait du hasard…
      Ouais… pour rencontrer son regard de lin bleu suivi par le chien Sentinelle Hop ! Hop ! bondissant jappant de joie parc’ qu’on a d’ l’amitié les uns pour les autres et qu’on rit devant le visage hargneux du type dans sa petite cambuse où l’odeur si bonne l’odeur café nous attire par force et des poignées de sucre que je jette au fond d’ la musette militaire ça a été un tour de magie que vous imaginez pas…
      C’était juste avant qu’il survienne le dernier train de nuit et ses voyageurs pressés lassés cassés qui descendent sur les quais d’ Macadam black comme s’ils sortaient pour de bon de leur histoire… Les voyageurs venus d’une citadelle claire-obscure qui secouent leurs godasses lourdes pour les décoller du goudron de Macadam black qui n’ veut rien savoir et cherche à les rendre captifs de sa nuit où seule la neige carbonique est blanche et douce à toucher.
      J’avais eu du retard au journal où je travaillais justement ce soir-là et c’était l’hiver déjà l’hiver avec des flocons gros comme des oiseaux en boule contre le froid qui s’étaient posés n’importe où malgré le début de Novembre et ils avaient recouvert le corps des clochards d’une carapace rigide de sucre glace.
      C’était un temps d’effroi qui s’approchait sur ses pieds insouciants et rapides mais on ne le savait pas encore… Un temps qui allait prendre l’enfance pour cible et lui planter ses dents de froidure dans le cou. Mais on ne le savait pas encore…
      Seuls peut-être les rats anthracite poil hirsute collé hérissé sur le dos petits yeux clignotant jaune et museau fendu gras rigolards s’étaient doutés de quelque chose vu qu’ils semblaient se mettre plutôt à l’abri à l’intérieur de leurs terriers d’acier sous le ballast et au fond des trous de Macadam city blues et les ordures et les sacs poubelles de plastique bleu débordant s’en ressentaient énormément.
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
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29 novembre 2005 2 29 /11 /novembre /2005 01:24
Une fille qui écrit sans papier suite
Une paire de baskets rouges
             Gare du Nord vous connaissez ?
 
      … Je voudrais vous entretenir ici de cette histoire dont le museau grogne en soufflant avec des vibrations de partout comme une grosse locomotive…
 
      Gare du Nord Vous connaissez ?
 
      C’est juste après avoir rencontré Marion et le chien Sentinelle sous la verrière de la Gare du Nord qui crachotait sa lumière bleu-mauve la nuit sur nous pendant que les vigiles blacks au visage bleu-noir avec leurs chiens noir-noir d’ennui nous regardaient comme si on venait de braquer le distributeur de petites pièces de monnaie que j’ai commencé à rêver du sable dans ma baignoire faïencée blanc quand j’écrivais après les dernières heures du jour encore un peu rouge.
      Imaginez une grande quantité de sable se déversant la nuit entre les hautes tours où s’entassent les populations de fourmis desquelles on attend rien d’autre que la fluorescence indigo des lampes qui divaguent autant que des buveurs d’alcool figés aux tables des bistrots… Imaginez…
      Imaginez ce sable tout autour de la baignoire qui resplendissait et peut-être aussi dedans un peu alors que déjà il me semblait que j’avais dû à plusieurs reprises empêcher de grands troupeaux d’éléphants blancs de venir y prendre des bains gigantesques à l’aube à l’instant où le sommeil qui pesait sur moi en dansant de ses pieds d’arbre me séparait de l’écriture du papier et de mes stylos…
      Imaginez ce sable d’un ocre doux et ses reflets turquoise où je m’enfonçais… les talons d’abord à peine et c’était frais comme la neige et puis un peu plus haut que les chevilles alors j’avais bien du mal à marcher…
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
      Je vous disais que j’avais bien du mal à marcher et pourtant je savais que quelque part de l’autre côté des portes vitrées de la Gare du Nord où les trains comme des jouets à l’intérieur d’une vitrine semblaient attendre qu’on les prenne dans la main… je savais que Marion bien plus loin que le dernier wagon les pieds glissant sur le rebord givré bleu des rails s’enfonçait au creux de l’épaisseur de neige carbonique incrustée de coquillages coupants des bombes de peinture au fond de sa musette.
 
      Elle s’enfonçait Marion ses vêtements trop légers sur le dos… sa chemise velours fine de chez Emmaüs et la veste treillis des surplus par-dessus avec heureusement le rembourrage capok à l’intérieur et la capuche mais quand même…
      Elle s’enfonçait Marion dans la neige carbonique de la nuit aux étoiles paillettes orange et or sombre et ses pieds couraient sans peser du tout grâce aux baskets rouges que j’avais apportées pour elle y a peu pour pas qu’elle se fasse prendre par les vigiles blacks au visage bleu-noir avec leurs chiens noir-noir d’ennui que les types armés de flingues et de matraques lançaient à la poursuite des gamins qui taggaient les murs de papier des entrepôts maussades.
      Elle s’enfonçait Marion sa frimousse au rire de lin bleu sous de grandes rasades de neige carbonique qui déshabillaient la ville de leurs pans de brume bleuâtre et ces deux mots qu’elle aimait elle les taggait sur les briques plâtrières au dos couleur de terre et d’ocre des gigantesques animaux d’Afrique.
 
      Gare du Nord Vous connaissez ?
 
      Comme attirée par le sortilège de trop vastes étendues de lin bleu qui n’tenaient ni entre les palissades rouille et griffures de mes terrains vagues de mémoire ni entre les murailles gris béton de la cité que je rejoignais après mes heures d’entretien avec des gens qui croyaient écrire sentant sur ma peau frissonner claquer les voiles du retour à un port familier et solidaire de mes sauvageries j’étais revenue plusieurs fois avant le dernier train de nuit me frotter aux odeurs amères de la Gare du Nord vous comprenez ?
      Urine d’hommes ou de rats qui sait… café refroidi et vieux marc stagnant au fond des sacs poubelles bleus pleins à ras bord… grésil et produits nettoyant verglaçant les dalles plastiques mouillées léchées brossées dépossédées de la chaleur moite de mégot rose encore fumant des braseros aux mains multiples…
      Deux fois… trois fois peut-être… et toujours le regard de lin bleu de Marion qui me faisait traverser la grande halle de verre avec lenteur… pfuitt… pfuitt… et fouiner dans ses recoins l’espoir au fond des tripes de la voix du chien Sentinelle qui m’ferait la fête bondissant chien à ressort qu’il était de dessous la couverture orange aux losange vert pomme qu’il gardait sacrément et tout le fourbi aussi… hop ! hop !
      Deux fois… trois fois vous comprenez ?
 
 
      Presque jamais je les trouvais Marion et le chien Sentinelle vu que Marion avait écouté l’idée mauvaise que j’avais eue d’lui dire d’écrire son histoire partout… et que les bombes ça giclait comme ça pour rien… et qu’elle l’avait fait le long des rails gris-bleu où s’envolaient les trains de nuit… alors les vigiles blacks au visage bleu-noir avec leurs chiens noir-noir d’ennui la laissaient plus tranquille.
 
      Neige carbonique… vous comprenez ? A moi aussi ils me parlaient ces deux mots-là… Tout effacer et puis recommencer autrement…
Ce que je m’disais en traînant mes pieds lourds de sable dans cet espace de la Gare du Nord juste au moment où le cœur de la nuit en faisait un désert ocre jaune sous l’éclatement violet de la verrière c’était que c’que j’avais conseillé à Marion comme si j’pouvais mettre des milliers de grains de sel magique dans sa vie c’était c’que moi j’avais pas fait lorsqu’on m’avait virée de l’Ecole des Beaux-Arts…
       Ouais… moi j’étais partie avec de la rage outremer et émeraude plein ma musette et j’avais voulu à tout prix vivre ailleurs que dans c’monde-là…
      Ouais… je m’en étais tirée des études de la famille de l’avenir qui l’allure qu’on sait et qu’j’en voulais pas de cet av’nir-là non plus vous comprenez ?
      Si j’avais su alors qu’c’était possible… prendre des bombes aérosol et couvrir les murs gris béton laideur et ennui d’la vie de couleurs et de mots com’ des oiseaux… Si j’l’avais su ouais… ça aurait tout changé sûr’ment…
      Ouais… si j’avais su hop ! hop !…
 
      Et en attendant Marion elle était nulle part et moi ça faisait bien trois fois ce soir-là que je traversais le hall où le sable me rendait la marche de plus en plus difficile avec la lueur rouge de la savane au loin qui flambait dans la nuit et la course des troupeaux d’éléphants blancs pour arriver au bord des lagons avant l’aube.
      Non… elle était nulle part Marion… pourtant il fallait absolument que je la trouve à cause de la paire de baskets rouges que j’avais achetée à son intention. Hop ! Hop ! vous comprenez ?
       Fallait que je la trouve Marion… car comme ça elle pourrait échapper à la clique de celles et de ceux qui la poursuivait depuis toujours et qu’elle larguait d’une pirouette leur laissant rien que son rire pailleté bleu comme une traînée de neige carbonique… Hop ! Hop !
 
      Gare du Nord vous connaissez ?
 
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