Petite chronique de nos années de flammes
Une famille ouvrière
Légende : Une famille ouvrière et paysanne du Nord de la France dans les années 1906-07 un jour de fête où on a mis les beaux vêtements pour la photo... Mémé (cercle noir) a à peine 27 ans et déjà pas mal trimé dans sa vie.
Il faut que je vous dise qu’il y a toujours eu beaucoup de femmes dans ma vie… y a toujours eu beaucoup de flammes aussi…
Nos années de flammes… Elles ont précédé nos années de cendres qui ne sont qu’un feu couvant son œuf intrépide… Les femmes… celles qui comme moi sont nées dans les années 60 aux alentours vu que la chronologie ça nous enchante pas lerche… ces femmes-là elles savent comme leur adolescence a été bouleversée chatouillée embobinée dans ces moments du féminisme actif et joyeux des années 70-80… et de la révolte… la vraie la bonne… celle des farouches enchantements…
Il faut que je vous dise que tout ça se passait par en dessous car pour ce qui est des femmes les choses essentielles elles ont fait leur chemin dans l’obscur… à l’envers du feu quoi… Du grand feu et des incendies rôdant sur notre black bitume d’alors… Raouf ! Et puis nous étions si jeunes vraiment… à peine adolescents… et cette époque-là qui était prodigieusement folle… démesurée créatrice bazardeuse du vieux monde ! Tellement vieux le bougre d’avare sur son or en tas en colline avec sa volumineuse baderne étalée… son crâne chauve de myope sourd-aveugle… ses humains fonctionnarisés dans chacun de leurs gestes de leurs mots de leurs regards mêmes…
C’est un moment de mon existence ou plutôt des nôtres parce qu’alors on se disait « nous » où je n’avais pas idée qu’il fallait écrire des histoires… Qu’il fallait écrire… Ça non ! Raconter avec les mots qui nous venaient et leur houppelande neuve… les mots ils nous faisaient entrer nous encore des enfants dans l’univers de l’anarchosyndicalisme et de l’héritage tout vivant du « Front popu »… Les mots ils ont surgi des grèves ouvrières et de la solidarité de ce milieu du travail que j’allais retrouver plus tard en feuilletant des magazines comme Des femmes en mouvement… Les mots rebelles qui nous grimpaient dessus c’étaient des ouistitis et ils nous haranguaient dans les cours de nos bahuts au perroquet mégaphone…
Légende : Elle était belle Mémé, belle dans sa tristesse butée et fière après avoir perdu son mari des suites de la guerre, la grande foutrerie de guerre 1914-18 comme tant d'autres femmes des milieux populaire...
« Camarades !… Camarades !… » Qu’est-ce qu’on savait nous autres de l’Ukraine et de Makhno… des républicains espagnols et de la CNT ou du POUM… ? Qu’est-ce qu’on savait ?… Ce que ce mot de camarades il trimbalait de dos aux murs et de fusils pointés pour mater les grèves et pour renvoyer les soldats insoumis à l’abattoir ?… Juste un petit bruit… une fine rafale… pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! pouf ! et puis rien… Camarades !… tu parles… Mais déjà mon arrière-grand-mère me racontait dans sa langue du Nord la condition paysanne et ouvrière des années 1880… Eux l’anarchie vous pensez s’ils savaient ce que ça voulait dire… Ils savaient pas… c’était ce que les bons maîtres appelaient des braves gens… Mais ce mot-là Camarades ! alors ça oui !…
Ecrire pour témoigner de nos émotions partagées encore dans ces années 60 avec les gens parce que vingt ans plus tard à peine il n’y aurait plus de partage et si peu d’émotions.
Il faut que je vous dise qu’il y a toujours eu beaucoup de femmes dans ma vie… Comme souvent dans les milieux ouvriers les femmes elles racontent et on ne se soucie pas de savoir si c’est de l’authentique ou pas… La biographie mon pote qu’est-ce que ça nous faisait rigoler dans nos 12 berges d’alors ! Mémé on l’écoutait y avait intérêt… elle avait ses mains nues pour témoigner… ses mains cousues d’hiéroglyphes cicatrices reprisées ravaudées… et ça nous disait bien des choses sur son enfance à elle… Raouf !… C’est sans doute elle qui m’a donné l’envie des mots à répéter ronchonner recommencer du début encore et encore… elle et puis les femmes maghrébines de la cité après comme vous savez… Légende : Mémé à 98 piges, une vie de femme des milieux ouvriers pas mal remplie ! Tout ce qu'elle nous a refilé on en est fiers aujourd'hui car c'est notre mémoire ouvrière et solidaire ! A suivre...