A mains nues
Mardi, 1er mai 2012
Aujourd’hui plus que tout autre jour plus que jamais je tiens à dédier ce poème “ A mains nues ”que j’ai écrit il y a longtemps déjà et jamais publié en entier sur notre blog mais qui est paru dans le seul recueil du genre que j’aie pu faire sortir en 2003 Blues Bunker aux ouvriers et aux ouvrières… anciens et toujours paysans et paysannes… immigrés “ en quête d’une vie meilleure ”… pauvres et fiers travailleuses et travailleurs du monde nos compagnons nos camarades nos amis sur la terre…
“ A mains nues ” je l’ai écrit pour Sylvain que vous connaissez bien désormais et pour mémé Sylvie sa fille mon arrière grand‑mère qui a commencé à marner dans les filatures du Nord à 7 piges sans sécurité de quoi ou qu’est‑ce sans maladie sans retraite et qui aurait terminé sa jolie vie dans un hospice misérable sans un sou si la famille ne l’avait pas protégée et accompagnée sa vieillesse durant jusqu’à ses 98 ans…
Mémé ma rebelle ma petite ma grande qui me racontait la pauvreté sans honte et l’exploitation du peuple ouvrier paysan solidaire… Mémé c’est par elle et par tous ceux qui comme elle ont connu la terre la mine l’usine les hauts‑fourneaux les ateliers toute une vie de labeur et de peine et qui n’ont jamais baissé la tête ni les yeux devant les sonneurs de morts et les semeurs de mépris que j’ai appris qui sont les miens et qui je suis…
Merci... vous êtes notre grandeur et notre délivrance.
A mains nues
Mains d’ouvriers
Sentinelles des fonderies
Mains orgues de barbarie
Dépouillées de la danse des petits singes
Et des sous de cuivre
Qui roulent dans la poussière bleue
Par les rigoles de lave cerise
Ouvertes comme une plaie
A l’intérieur des paumes
Mains sillons de terre rose
Mains crevasses langées d’oripeaux
De moissons et d’abeilles sauvages
Labours de doigts livrés
A la houle des crinières
Mains caresses qui roulent
Sur les hanches des meules
Et mettent en boule les mésanges
Mains charbonnières
Fabriquant des nids de paille rousse
Pour les hommes blessés
Et les chevaux qui marchent sous la terre
Mains de femmes penchées
Qui glanent des escarbilles de verre
Afin de nous garder de l’hiver
Et de l’ennui
Mains farandoles et rondes folles
Sur le tambour creux des ruches troncs
Reines aux poignets d’écume
Battant le sable comme le cœur vert des vagues
Au‑dessus de nous
Mains de terre ocre‑rouge et de grand feu
Amantes éphémères des genêts
Couchant les outres crues
Comme des ventres où le pain lève
Dans le brasier de nos désirs enfouis
Mains de rebelles
Cousant la toile des drapeaux
Aux bambous des cerfs‑volants
Sentinelles des printemps écervelés
Montant aux branches des cerisiers
Légères comme des rouges‑gorges
Mains cueillant les épis‑bayonettes
Et les bombes de peinture‑sang
Dans la même nuit claire
Mains de sorciers sur les deux grands tambours
Tournent la ronde des enfants
Qui n’iront plus en guerre
Les œillets sont coupés
Mains ouvertes comme les pages d’un livre
Ecrit pour nous
Doigts d’encre et de poudre mêlés
Comment pourrais‑je oublier ce mur de pierres
Où vous êtes scellés ?
Mains de gueux
Mains de poètes
Pas un instant les plombs n’ont cessé de cribler
Les linges blancs
Des signes de reconnaissance
Que vous nous repassiez
Comme des phares
Entre les barreaux des caves
Mains d’écriture et de conterie
Oiseaux‑labeur échappés
Des poches de l’oiseleur
Paumes rongées par l’eau‑forte et le sel
Mains veilleuses allumées dessous la terre
Où les taupes aveugles dépouillent
Les châteaux gravés à l’intérieur
Des douilles de cuivre
De leur manteau de brume verte
Mains d’ouvriers
Mains d’immigrés
Mains d’aubes brûlantes comme une plaie
A l’intérieur des paumes
Mains coupées négligemment
Par les fabriquants d’orgue de barbarie
Mains‑guitares s’abattant à un certain stade
De l’oubli
Qui ne s’appelle plus torture
Mais machine‑outil
C’est fou ce que ces gens‑là aiment la musique !
Doigts flocons de neige envolés un à un
Tournent les pages
Comment pourrais‑je oublier mes livres d’images
Où un sang d’encre clair
Tache le bout de mes ongles
De l’empreinte de vos cœurs scellés dans la pierre
A en crier.
Mercredi, 25 août 1999