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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

8 mai 2012 2 08 /05 /mai /2012 20:41

Le printemps des autres

Epinay, dimanche, 6 mai 2012bastille-6-mai-2012.jpg

           Commencé il y a deux jours ce texte il m’a fallu du temps pour le gribouiller d’une façon qui me plaise ou du moins qui corresponde avec ce que je voulais laisser de ces moments trop forts et trop vrais pour pouvoir les dire tout à fait… Sans doute parce que nous sommes nous autres les enfants des cités des banlieues de toutes les mégapoles du monde des êtres sans faux espoirs face à la réalité qui ne nous lâche pas les baskets nous croyons rarement à autre chose qu’à nos poings serrés sur des épluchures de rêves… Ouais c’est vrai… nos vieux ne nous ont pas appris à imaginer autre part autre ment autre temps autre vie ils ne nous ont rien appris d’ailleurs sauf à encaisser et à tenir bon phoenix de la solitude toujours cramée et toujours cendres…

C’était en mai 1981 sur le Plateau du Bougès au milieu des Cévennes sauvages et réservées alors à des néo‑ruraux Indiens débarqués des barres à misère des années 60 saoulés au désespoir à la came et à la mauvaise bière que les fils de prolos se paient sur le dos des pères aux reins cassés et des mères jouant le rôle de mauvaises servantes dans une pièce minable sans spectateurs… Mon inculture politique de sauvegarde et mon anarchisme d’enfance obscure pioché au fond du sac à impostures et à humiliations m’avaient soufflé aux esgourdes de ne pas me réjouir de la victoire du peuple noir et rouge qui n’est qu’un répit accordé par le divin hasard au statut immuable de l’esclave aux mains nues. Un autre Mai de 68 celui‑là m’avait fait franchir d’un bond au seuil de mes douze ans le pas de l’errance écartant la terreur de l’absence du lieu où on naît et où on  meurt transmise pour les mômes de ma génération par les parents issus des milieux paysans devenus ouvriers.  “ On the road ” a été et demeure notre singularité et ma conviction que le fleuve ne se soucie pas de ses rives m’ont fait assister à la fête de mai 1981 autour des grands feux qui déchiraient la nuit vert pomme des Cévennes sans y prendre part…

Il y a trente ans de ça et ma vie a coulé au‑delà des rives… Pourtant ce que m’ont offert ce 6 mai de printemps grave et fou les enfants des cités d’une banlieue où j’ai grandi comme eux mais au temps où on noyait des Algériens et toutes sortes d’Arabes dans les fleuves par ici et par là restera pour toujours l’unique petite lampe allumée au cœur de ma cabane à utopies calcinées… La fête chez les êtres qu’on a mis assez à l’écart quand ils n’avaient pas les outils pour défaire la cotte d’écailles de métal serrées aux alentours mais qu’on n’a pas armés des forces de la solitude transhumante et de ses libertés dépouilleuses des petites peurs ça reste toujours la fête des autres qu’on observe à travers des quinquets ravis et avides de tout boire de tout dévorer… La fête de ce printemps‑ci est de celle où j’ai mis toute ma peau et toute ma mémoire d’enfance sans fêtes prise dans les filets d’un destin absurde et vide qu’on pouvait encore fuir mais les enfants des cités aujourd’hui fils et filles d’une histoire métisse et traversière ne le peuvent pas je le sais ils le savent aussi…

C’est à 20 heures après tant de temps d’attente muette et endurcie comme on sait le faire ici au pied des barres et des tours au creux des halls et dans les trous des parkings éventés d’été comme d’hiver d’attente pour rien d’attente de rien que la cité a été prise d’un seul coup d’un seul tenant d’un bout à l’autre de son gros corps replié sur lui d’animal vautré au creux de ses anciens marécages pas très loin du fleuve d’un énorme et voluptueux cri de joie et d’un frémissement comme celui d’une naissance heureuse qui n’a pas cessé depuis de me faire du bien… Il y a eu soudain là devant mes mirettes ahuries quelque chose de puissant et d’immobile de lourd comme la pierre qui ferme la porte du tombeau des rois qui a cédé et tous les vents venus du Grand Sud ont emporté la lente litanie de nos désarrois de nos peines et de nos hontes accumulées fossilisées et retournées depuis une dizaines d’années en javelot d’acier contre nous…

6-mai-Bastille.jpg

C’est à l’été 2005 que j’ai débarqué dans la cité tout à fait à l’Ouest de l’Ouest du 9‑3 il y a sept ans et le désastre de novembre qui se préparait déjà nous a écrasés sous son épouvantable et impensable poids de mort nous les vieux enfants de la banlieue rouge impuissants et spectateurs du jeu méprisable des maîtres encerclés par leur haine effaçant de quelques mots la jeunesse des banlieues de son avenir… Le bruit ricanant de la porte claquée sur leurs rêves leurs envies d’ailleurs et d’ici mêlées leurs requêtes d’une vie meilleure que celle de leurs vieux exploités turbinés dépouillés leurs désirs d’appartenance qui étaient bien plus modestes et bien moins utopiques que les nôtres résonne encore chaque jour dans ma tête comme un des multiples règlements de comptes des vieux colonisateurs… Les fils et les filles des quartiers paieront sur mille et une générations pour les pères rebelles qui ont osé et que rien jamais ne lavera de la faute d’être devenus des hommes libres…

A 20 heures ce dimanche de printemps les enfants de la banlieue nés ici dans ce paysage béton asphalte et fumées ont cessé pour quelques instants d’être les figurants d’une tragédie dont leurs parents souvent analphabètes immigrés des ghettos de la périphérie des années 60 auraient dû être les héros mais on ne leur a offert qu’un suaire de boue et de vase… Depuis la fenêtre de notre quatrième étage qui donne au‑dessus de la rue principale de la cité grande ouverte sur la clameur qui nous vient des barres les plus éloignées et glissant entre les coursives contourne la plus haute des tours avant de remonter le corridor déjà sombre au bout duquel notre studio est perché j’assiste sans y croire à la première fantasia de la soirée… A la place de chevaux une vingtaine de voitures à l’intérieur desquelles cinq ou six jeunes accrochés aux portières et dressés comme sur des étriers pour un ballet infernal tous klaxons bloqués tambourinent dessus la tôle devenue bendir et derbouka et chantent à tue‑tête les mains tendues vers ceux qui du haut des blocks les acclament…

yannick-noah-bastille- 6 mai

D’un bout de la rue à l’autre des appels de voix rauques d’émotion ricochent et rebondissent au milieu du chant aigu des Youyous des rires et des cris et les mains battent des rythmes de danse que les pieds suivent contre les rambardes de fer des balcons dans une frénésie de fiançailles que rien ni personne ne saurait arrêter… Parvenus au rond point d’où s’écartèlent les rues de la cité le cortège des cavaliers aussi fiers à bord de leurs montures que s’il s’agissait des chars des guerriers Garamantes revient vers nous dans l’éclat des tourbillons de la poussière dorée qui éclabousse des nuages un peu à cette seconde retenue d’avant la nuit… Ils se dépassent ils se bousculent ils se doublent en se frappant du poing et de la paume du salut des faubourgs et leurs rires et leur joie rencontrent les miens dans ce lieu de nulle part où nous vivons ensemble et où ce soir aucun mot aucun geste ne nous sépare…

Arrimés à ces banlieues de l’absence et du mépris nous avons grandis mêlés les uns aux autres dans les escaliers dans les halls sur les bancs des écoles le long des rues au fond des caves et dans les bistrots nous avons bu l’histoire des peuples et de leurs exodes des campagnes et des pays d’outre Méditerranée vers les ghettos des mégapoles jusqu’à la lie… Ce qui vient de céder là soudain il y a quelques secondes quelques minutes ce sont les murs invisibles qu’ils ont montés autour de nous et que nous avons consolidés par notre impuissance à inventer une façon commune de rompre avec la honte avec la haine avec le chant morbide du désespoir et de la résignation… Ce qui vient de céder ce soir au cœur de toutes les citadelles géantes de ce pays c’est je le sais je le sens plus que jamais la muraille invincible d’un très vieux monde que nous avons cru fuir au cours des années 70 et qui a reconstruit à l’intérieur de nous sa forteresse d’ignorance…

Peu à peu à mesure que la fête est devenue générale les gens sont descendus dans la rue et de mon poste d’observation j’ai entendu à plusieurs reprises des voix qui reprenaient en cœur ces mots tellement étranges que je n’ai pour ma part jamais prononcés ni même jamais songé pouvoir dire un jour quelle que soit la situation : “ Vive la France ! ”… Ces mots qui n’évoquent pour moi que guerre patrie colonisation frontières je les ai déjà souvent entendus dans la bouche des jeunes des cités à chaque fois que l’équipe de foot française a remporté un de ces matchs qui m’indiffèrent et leur fierté et leur passion me surprenaient tout autant que les drapeaux qu’ils agitaient de ce pays où ils sont nés dont ils affirment à chaque occasion qu’il est le leur… Et c’était bien la première fois que moi vieille anarchiste antimilitariste et rebelle à toute forme de patrie et aux démesures qui l’accompagnent je ressentais une émotion heureuse à entendre ces mots que se sont appropriés mes petits frangins qui venaient cette fois d’écarter d’un geste décidé tous nos échecs passés et tant de défaites et de meurtrissures…

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Grâce à eux enfants métisses fils et filles de tous ceux qui comme les hobboes de l’Ouest américain ont voyagé aux quatre coins de la terre j’ai réalisé le soir de ce 6 mai 2012 que moi aussi je pouvais être fière d’appartenir à ce peuple qui est celui de mes ancêtres paysans ouvriers… Celui des Communards de 1871 celui des mineurs grévistes de Carmaux et des ouvriers révoltés de Fourmies celui des insoumis de 1917 de Jaurès et de Roger Salengro celui de Camus soutenant les anarchistes espagnols et de Louis Lecoin celui des jeunes français refusant de partir à la guerre d’Algérie… Celui des vieux ouvriers des bidonvilles au retour de la guerre à Aubervilliers celui des mécaniciens auto algériens et marocains chez Renault sur l’Ile Seguin devenus des chibanis celui des femmes de mineurs vieillissant seules dans les camus du Nord…  Celui des paysans du Larzac des paludiers de Guérande et des rebelles de Plogoff le lance‑pierres autour du cou… celui des LIP de Besançon des travailleurs des fonderies du Poitou d’Ingrandes de la raffinerie de Grandpuits des Contis de l’usine de Clairvoix…

Oui c’est bien ça… ce soir inimaginable du 6 mai 2012 notre cité à l’Ouest de l’Ouest du 9‑3 a retrouvé la légèreté d’un gros animal tranquille enfin débarrassé de la malédiction du racisme et de la haine pour son histoire métisse que faisait peser sur elle et sur nous un mauvais djinn et après la fête qui a duré longtemps elle s’est endormie bercée d’insouciance enroulée dans son costume d’espoir tout neuf qu’elle n’a pas quitté… J’ai écouté le silence étrange résonnant au creux de l’ombre complice que je ne connaissais pas redoutant un geste qui viendrait renouer avec nos façons de nous faire du mal un incendie de voitures une sirène de police tardive réveillant nos hantises mais seul le parfum du muguet qui avait fleuri au matin du 1er mai m’a tenue réveillée encore jusqu’aux premiers grésillements de l’aube…

C’était le dimanche 6 mai 2012 dans une de ces cités de banlieue où j’ai grandi il y a quarante ans de ça que la jeunesse généreuse et libre de ce pays a repris à pleines mains la faux que nous avions abandonnée à flanc de plateau sur la montagne du Bougès en 1981 et je suis sûre que jamais plus elle ne laissera personne lui ravir les brassées de coquelicots couleur de sang de nos terrains vagues avec lesquels nous tisserons les grands linges rouges de nos lendemains partagés.

6-mai-2012.jpg 

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