Atlantide… suite…
Epinay, samedi, 2 mai 2009
“ Nous n’avons l’accès que d’un être humain – nous‑même – et il est impossible d’inventorier les autres, si ce n’est par rapport à cet inventaire premier que nous ne pouvons trouver qu’en nous. Si l’on ne se connaît pas soi‑même, on ne connaîtra jamais personne. Et oserai‑je dire qu’on ne se connaît qu’à l’usage ? Un usage de nous‑même, il est vrai, qui remonte à notre naissance, et qui peut, à cause de cela ressembler à l’intuition pour les êtres rares que chaque expérience instruit. ”
Fragments de vie Germaine Tillion, in Le Monde Diplomatique avril 2009,p.3
Ouaouf ! Ouaouf ! On n’connaîtra personne si on n’se connaît pas soi‑même… Ouais mais alors léger léger la connaissance de cézigues hein ? Parc’qu’à cette heure pour ce qui est de se connaître les héros du grand cirque de la mise en avant en relief en éclat fluo debout devant et tout le monde qui suit son p’tit ego en drapeau levé agité… redoutable hein ? L’humilité des gens qui sont de simples humains comme l’était Germaine Tillion elle s’est tirée où alors ?…
Le dégoût et l’horreur que j’ai quand je me balade dans les super marchés à bouquins c’est une sensation à l’intérieur qui monte et qui me déborde… c’est à dégueuler tout à fait… cette prétention à se prendre… à en tartiner l’endroit et l’envers… et pas un brin d’humour ça n’risque pas…
Ce qu’il faudrait c’est si peu de mots aujourd’hui… une langue essoufflée… qui se tient au‑dessus comme un moineau… vous savez l’aventure… qui évite surtout de se faire ligoter capturer par le fil à pêche… Une langue en plein vol Hop ! et qui revient juste sur la terre pour la pétrir… la saisir à pleines paluches… lui faire toucher son centre et éclater Hop !
Mais tout ça… tout ça… ce vide-ordures d’évidences vides où la vulgarité revient… des grands rouleaux de papiers mazoutés qui rendent leur jus puant et poissent le tout petit espace sable blanc et frais avec deux trois goémons étoilés de mer où on marche nous… les gens… quelques‑uns… oh ! pas beaucoup… et aussi des peuples entiers… qui ont jamais écrit qui ont jamais causé… qui ont jamais… prétendu… osé… où on marche pieds nus avec à l’intérieur juste un minuscule aboiement… grave joyeux très loin énorme et muet… Ouaouf !…
Attention je vous mets au parfum tout de suite… pour c’qui est de l’Atlantide enfin la nôtre… celle que mézigue le clébard et moi on a déterrée en creusant hardi petit la glaise bitume fondante des parkings de la cité… là qu’on l’a retrouvée pas du tout rancie par les années qu’elle a attendu sa renaissance fraîche comme les premiers narcisses qui maquillaient les collines du printemps nous on en avait 20 et on ne savait pas que c’était elle… Et qu’elle nous avait choisis mis sa paluche aux bracelets bleu jade d’algues dessus nous autres les mômes des quartiers… tous on en était d’origine d’Auber de Saint‑Denis de Montfermeil de Clichy pour resurgir de son engloutissement profond à l’intérieur des eaux d’oubli…
Ecoutez un peu… ce que mézigue le clébard et moi on vous dit là y a sans doute pas beaucoup de personnes qui vous l’ont dit… Vous imaginez pas la rareté que c’est d’avoir sa petite histoire à soi puceron microscope pas d’envergure rataplan rase pâquerettes convié à rechausser les pompes percées de ses vieux devenue d’un coup celle des gens… sa jeunesse qui rencontre la jeunesse du monde qui vient de virer là tout juste sa vieille pelure d’acier mitée à rouille… Ouaouf ! Ouaouf !
Le hasard poétique que c’est alors vous voyez ?… On n’peut pas dire qu’on était destinés nous les gamins des cornichons de la zone… le lieu qui se prête pas… et puis l’époque qu’était plutôt drôlement mariolle… On est les enfants d’après la grande tuerie et nos vieux comme rigolos on fait mieux… Les ouvriers z’avaient des quantités et des quantités de désespoir en stock à écouler… à c’moment‑là ils faisaient pas dans la fantaisie… enfin pas tous mais ceux que j’ai connus… ce qu’ils se fadaient comme famille les poteaux… Celles des prolétaires qu’avaient jamais mis un pied au syndicat ou à la politique y en avait plein et eux ils étaient tombés là‑dedans les ouistitis…
Pas s’étonner si ça a donné des êtres avec tout l’intérieur en vrac et la révolte à ras de la peau comme les mômes des cités aujourd’hui… je vous raconterai… Donc la voilà notre Atlantide qui se pointe et nous on ignorait tout de ce qui se passait… 1970 on était encore très mômes… 15 berges à peine c’est tôt pour plonger ric‑rac au fond de l’inconnu de la vie…
Ce qui se passait… y’a personne qui a calculé que c’était juste un siècle après la Commune de Paris… 1870… les Partageux ça n’vous dit rien ? Moi non plus ça n’me disait pas en ce temps et pourtant elle n’avait pas mis longtemps l’Atlantide… un siècle les colibris c’est rien du tout dans un monde de géants… une faribole… une plaisanterie… Un siècle de tueries aux grands abattoirs que les fabricants d’armes arrêtaient pas de remplir… un siècle de vieillards aigris et prêts à s’engraisser sur le tas…
Et voilà qu’elle nous choisissait nous … notre génération de p’tits loustics éberlués pas du tout formatés révolutionnaires qu’on était je vous assure… rien de rien… nous on allait s’ébahir devant les films d’Easy Rider et de la vie de Janis Joplin au Déjazet… ce temps il était déjà passé pour nous… Et peut‑être c’est pour ça qu’on a foncé en plein dans l’aventure innocents ribouldingues avec pas de projets en tête ni d’avenir au cordeau… Devant nous la piste pas autrement… la piste jusqu’au bout de la terre qui s’ouvre… s’ouvre pour nos pas d’enfants du béton… Ouaouf ! Ouaouf !
“ Le vieux monde est derrière nous ” voilà un des slogans de ces moments nomades qu’on préférait et ça voulait dire qu’il fallait y aller en laissant ce qui avait rassuré nos vieux… leur société de dominants blancs colonialistes basta Hop ! par‑dessus bord… On n’avait pas peur… on était généreux de nos vies… ça valait la peine… fallait être à la hauteur de notre Atlantide… Ouaouf !
A suivre....