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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 17:52

      Voilà ça y est c'est fait... le livre collectif Le pays natal écrit par 17 auteurs et auteures de la Méditerranée et animé par Leïla Sebbar vient de sortir au joli mois de mai 2013 publié par les Ed.Elyzad en Tunisie et en France.

        Cela m'a permis de raconter une histoire de cette enfance que vous connaissez un peu dont je garde d'autres bribes pour un bouquin de nouvelles déjà en route... La voici et que ça ne vous empêche pas de l'acheter et de découvrir les textes qui m'ont époustouflée par leur passion d'écriture et parce que nous sommes vraiment des voyageurs du monde...

La maison des autres

Le-pays-natal.jpeg

 ‑ En voiture !… Attention à la fermeture des portières !… 

C’est comme ça que je l’ai quittée deux longs mois la cité d’Auber tout près du fleuve. Les mêmes c’était les mêmes au retour du bled chaque année les mômes des Zimmigrés flocons d’amadou sur bitume black retombés et nous autres les moutards des ouvriers sans gloire lâcheurs de cambrousse paysans avant et maintenant quoi hein ? Eux mes poteaux d’errance mes frangins mes nomades et mézigue la farouche fille d’ici d’où ça ? Y a sept ans que je suis touillée comme mafé mouton et pâte d’arachide avec ceux qui ont traversé familles et baluchons et vu que nous on a pas d’histoire de voyages à se raconter avec bateaux bourrés d’oranges et de citrons qui sentent l’odeur des oasis et les dattes aussi alors j’ai pris l’habitude d’écouter les histoires des autres… de dévorer les parfums de la maison des autres… de répéter les mots de la langue des autres. C’est comme ça qu’après l’enfance longtemps qui s’étire dessus ma peau en costume de transhumance j’habite une Babel sauvage ultramarine faute d’avoir jamais pu causer ou aboyer la goualante des miens la langue populaire des paysans ouvriers qui n’existe pas.

‑ En voiture !… Attention au départ !…

Loco-bleue.jpg

Sur le quai de la Gare du Nord qui est ma khaïma avec ses relents de sueur ses appels de bestioles qui dévorent le pain dur au milieu du hululement des sifflets le chef de gare agite le feu follet violet de sa loupiote et en avant ! Conducteur des locomotives vapeur et puis des autorails et de toutes les motrices qu’il sait repérer rien qu’à un détail familier et au miaulement des rails jamais le même sur le réseau Nord Célestin a été un chevalier de fer  menant sa caravane d’ouvriers voyageurs aux mines et dans les fourneaux toute sa vie. Les ouvriers qui sont de la main d’œuvre comme on dit ont les paumes brûlées par l’incendie du soleil qui ruisselle rouge du haut des grandes cheminées empoussiérées de cendres mais lui Célestin ses mains elles ont aussi le don des roses et des fruits mûrs. D’ailleurs le petit jardin ouvrier fait verger par derrière avec ses pommiers reinettes acidulées ses pruniers reines‑claudes qui fondent de miel ses cerisiers et sa treille bourdonnante de mésanges nos petites charbonnières gourmandes.

Du côté de la barrière bleue ses rangées de glaïeuls rouge spahis ses lilas violets et ses marguerites en touffes épaisses où je me cache délimitent un patio que Célestin a carrelé de tomettes ocres. Ensuite on entre sous une nef de fers à béton qui forment un dédale de galeries et au‑dessus il y a des vitraux de ciel cernés de branches. C’est le repère d’une bande de rosiers arrivés là par l’intermédiaire des passagers du chemin de fer depuis tous les jardins de la terre. Ceux qui connaissent la passion du conducteur de locos pour les fleurs et surtout pour les rosiers lui ont rapporté de jeunes plants à chaque retour de leurs séjours au pays qu’il bouture dans le mystère de sa cabane atelier où il n’y a que moi qui ai accès.

Célestin se nourrit autant des parfums du jardin que de celui des mots et ça c’est ma baraka. Il profite que je lui passe les outils pour les greffes de se plants les plus rares afin de me faire voyager sur la route de la soie et traverser la cité d’Antioche la Couronne de l’Orient syrienne. Ou bien c’est la route des épices et de l’encens qui transitaient par Aden avant d’être chargés sur les caravanes en partance pour Petra et Damas et aussi par Bérénice la citadelle des éléphants sacrés.

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Comme tous les voyageurs grand‑père Célestin n’a pas peur des gens et quand il sort la tête de son oreiller de silence qui est la façon des conducteurs de locos c’est pour me répéter qu’on aime la terre notre nourrice généreuse en la partageant avec les nomades de l’exil qui poussent leurs troupeaux de souvenirs d’un pays à l’autre. J’imagine que s’il avait pu il serait parti à la recherche des paysages incroyables qui ont donné leur nom à ses rosiers de Damas les plus fous. Il aurait débarqué sur l’Île grecque de Samos et marché jusqu’au temple d’Aphrodite et dans la ville iranienne d’Ispahan il se serait accroupi au milieu des milliers de petites têtes ébouriffées aux pétales rose nacre autour de la tombe du poète Omar Khayyam.

Mais pour Célestin la bourlingue s’arrête aux aller‑retour des locos du réseau Nord et aux récits d’aventures des poseurs de traverses et de rails qui sont les héros populaires de l’histoire des Chemins de Fer. Du transsibérien parti de Samara sur la Volga avant de relier Moscou au Lac Baïkal et à Vladivostok… de l’Orient‑Express qui trace la route entre Paris Vienne et Istanbul avec sa traversée du Danube à bord d’un bac à l’extraordinaire épopée du Chemin de Fer de Bagdad j’ai découvert le monde par les yeux de Célestin qui partage sans jamais l’avouer les rêves et les errances des hoboes américains ces resquilleurs des trains de marchandises du Far Ouest. 

Berenice.png.jpg

      ‑ En voiture !… Attention à la fermeture des portières !… 

Ce matin je pars à l’assaut du monde pour ma première vraie transhumance avec Célestin à bord du wagon des Africains qui nous tiennent la bonne compagnie. On a embarqué au milieu des ouvriers qui remontent aux baraques des mines après être allé voir la famille ou plus loin direction des usines aux tours de feu où ils prennent la suite des autres étrangers. Nous on s’arrête bien avant la bande des Africains qui remplissent le premier wagon à chaque fois qu’ils retournent tous ensemble pour ne pas se perdre. C’est pas nouveau qu’on baroude Célestin et moi vu que quand vous héritez d’un grand‑père conducteur de locos c’est forcé la bougeotte vous l’avez dans le sang. Mais là du coup à cause de mon caractère têtu à fouiner dedans la maison des Arabes et à renifler du côté des cabanes où crèchent les grands chasseurs d’Afrique on a décidé de me séparer du clan.

A l’intérieur du wagon on retrouve Kader un immigré de la même tribu que M’mâ Ouarda qui a sa maison au rez‑de‑chaussée de notre escalier avec sa famille Marïma ma jumelle d’ébène Kaki Tassadit Zohra Nabile et Dassine. Lakhdar son mari c’est le grutier des terrains vagues d’à côté le tarbouif rafraîchi aux embruns champagne des étoiles. M’mâ Ouarda fréquente les légendes et les contes de la Kabylie et des tribus touarègues Ajjer et elle se fait jamais prier pour entamer en épluchant les légumes du couscous ou en préparant le matloh l’histoire de la grotte de nacre qu’elle ne raconte qu’à nous vu qu’on ne dit pas les récits des djnoun devant les hommes. M’mâ Ouarda mélange comme la semoule à l’eau les paroles d’Arabie et les paroles d’ici le langage des quartiers qu’elle entend et qu’elle accommode avec de grands rires pareils à ceux des tobols les génies des sables. Elle commence toujours comme ça :

Et maintenant écoute moi…

Avant de descendre de notre wagon je demande à Kader s’il a une maison là‑bas au bled et il me répond par les mots de la langue que je redis dans ma tête souvent pour ne pas oublier comme ceux de Mémé mon arrière grand‑mère et son parler richou du Nord :

‑ Ceux qui marchent ils ont pas de maison ma fille… la zeriba avec l’azafou et la khaïma en peaux de chèvres c’est ce qui est bon pour nous…

Dans la petite maison ouvrière que Célestin et Mémé mon arrière grand‑mère qui a été couturière à façon après avoir commencé son enfance à bosser aux filatures dans les années 1880 louent aux Chemins de Fer j’habite parmi les bouquins et les revues de La vie du rail aussi précieux que la lumière des lampes qui comburent rien qu’à la nuit quand on commence à raconter. Célestin me lit les récits qu’il choisit dans les gros livres cartonnés Robinson suisse Robinson Crusoé Les Aventures de Huckleberry Finn Moby-Dick et surtout Les mille et une Nuits qui nous embarquent au plus loin d’ici mais il ne me parle jamais de la banlieue rouge où la cité d’Auber notre tess’ dressée parmi ses frangines métal et béton avec ses tourelles ses pontons ses miradors ses coursives et ses milliers de portes qui ouvrent sur nulle part est un bateau fou à la dérive ni des combats des ouvriers métallos fraiseurs tourneurs soudeurs qui ont quitté une petite campagne un jour où ils ne retourneront pas.

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Mémé est la seule qui pourrait me refiler les tuyaux sur cette famille de paysans ouvriers venue du pays de ch’Nord après avoir largué pour de bon les grands domaines où les hommes servaient de rabatteurs pour les chasses à courre des maîtres… les corons et leurs camus… les fourneaux et leurs incendies de laitier. Si elle en connaît un bout Mémé de l’existence des t’chiots gars louant leurs bras aux propriétaires terriens qui possédaient les filatures et les sucreries où ils les embauchaient quand y avait besoin… Mémé est une conteuse qui a engrangé les tribulations de plusieurs générations de gens du pays et pas moyen de flairer quand elle fait causer sa mémoire et quand elle invente. Mézigue qui me cherche des racines profondes comme celles des palétuviers des bolongs je tape du pied je l’interromps je la questionne je l’harcèle et Mémé qui me matte de l’autre côté de ses lunettes l’œil amusé et sérieux à la fois s’accroche à sa litanie :

‑ Eh ma t’chiotte… j’y vas tout duch'mint ma j’y vas…

Mémé… Célestin et moi on l’écoute y a intérêt… Elle a ses mains pour témoigner ses mains cousues d’hiéroglyphes cicatrices reprisées ravaudées et ça nous dit bien des choses sur son enfance à elle. J’ai beau les mettre bout à bout les fils de couleur qu’elle dévide en mâchouillant de ses lèvres qui rient sur des gencives où pas un chicot a tenu la rampe jamais j’ai pu reconstituer la longue transhumance des miens égarés un à un entre labours terrils usines tranchées fricots couture à domicile dont les rejetons qui ne connaissent plus rien de l’épopée des paysans ouvriers du Nord ont fini par s’échouer à Babylone City au bord du fleuve. 

Et quand mes quinquets refouillent encore l’image de carton sépia une très vieille photo de 1900 avec toute la famille assise endimanchée dessous la treille et les chiens aussi la première petite maison ouvrière je sais que la goualante des hommes et des femmes aux mains nues résonne en moi de la même émotion farouche que celle des vieux immigrés dont la silhouette recroquevillée au creux du burnous de laine au passage de l’aube me donne envie de pleurer.

Burnous.jpg

      Et maintenant écoute moi…

Mes premiers mots je me souviens comme tous les enfants des cités de ces temps‑là ils avaient le goût des grenades et des mangues qui éclaboussaient de sucré acide nos gorges avec leurs sonorités rauques et leurs incendies de miel…

Ecoute… Chouïa… chouïa… djnoun… ksour… melma… djida… falfla… kaouah… M’mâ Ouarda chante ou raconte les histoires de son pays d’Arabie et des djnoun qui planquent à l’intérieur des cavernes des montagnes où elle a son douar de naissance et sitôt que je rentre de l’école maternelle où on m’a claquemurée déjà je cours rejoindre Marïama de l’autre côté de la porte qui n’est jamais fermée. Nos canines de jeunes fennecs dévorent le morceau de matloh encore chaud et je reste là à écouter entre les cuisses généreuses enfouie dans les jupes de tissu rose et bleu qui crisse sous mes doigts et ses paillettes dorées M’mâ Ouarda jusqu’à trop tard et la langue qui roule avec les pierres blanches d’as‑Sahara… Chouïa chouïa je suis les caravanes de chameaux chargés du sel de l’azalaï qui reviennent des mines de Taoudeni dans le désert du Tanezrouft jusqu’à Tombouctou sur les bords du fleuve Niger… 

Mes premiers mots je me souviens… écoute… c’était une langue aux couleurs brutales et aux parfums d’ambre gris de bois de santal et de cardamome… écoute… abiad… azrak… guelta… hamada… oued… sebka… djamal… khaïma…

Ils ont réussi ils nous ont séparés… mais la langue de M’mâ Ouarda est enroulée autour de la mienne comme les branches du rosier de Bagdad qui ont crapahuté jusqu’aux ardoises de la petite maison ouvrière et ont planté leurs pattes griffues dans les chevrons du toit… La langue de M’mâ Ouarda personne jamais ne pourra la retirer du lieu de l’écriture où je l’accueille au cœur du patio déserté ma princesse d’Orient ma solitaire comme jadis elle m’a accueillie elle l’étrangère dans la maison de l’exil et j’étais la bienvenue…     

Célestin choisit dans la pile des magazines La vie du rail qu’il garde précieux depuis le premier jour de son premier turbin aux locos posés à côté du poste radio à lampes sous la carte du monde étalé punaisée au mur entre tous les récits de la construction des Chemins de Fer celui où on part en quête de l’univers mystérieux de l’Arabie avec l’épopée du chemin de fer de Bagdad. En voiture ! On embarque à Berlin direction Constantinople et le golfe Persique on rejoint les réseaux syriens d’Alep et de Damas et de l’autre côté en route pour la Mésopotamie Mossoul et Basrah ! La carte elle nous sert à déplacer de petites locos imaginaires sur la surface d’un monde bien réel où je ne sais pas séparer les morceaux du temps. Célestin s’obstine à me persuader que Babylone et Damas ne font pas partie du même paysage et que c’est impossible d’aller des jardins suspendus de l’une aux collines “ délicatement sucrées de roses ” de l’autre. 

Parmi les rosiers de Célestin le seul à n’avoir pas de nom c’est celui dont les roses au ventre mandarine et aux pétales café crème éclaboussent de leur parfum de loukoum et d’ambre notre rue quand on allume les lampes des histoires pour faire venir les djnoun. A force d’obstination j’ai fini par me dire que Célestin y était allé lui à Bagdad ou à Damas et puis à Babylone ravir l’un des rosiers de la reine Sémiramis tout en haut de la dernière terrasse de son palais. 

Un jour Célestin est parti pour de bon en emportant avec lui le secret du rosier et souvent quand je pense à lui me revient cette phrase étrange : 

‑ Qui sait si tu pourras encore marcher libre sur la terre ma petite voyageuse…

Est‑ce qu’il se doutait qu’à cause de la misère de la guerre et de la peur je verrai s’en aller peu à peu ceux qui m’ont accueillie dans la demeure africaine d’Auber de Montfermeil ou d’Epinay rejoignant les caravanes fantômes qui cherchent la piste perdue de Syrte ou d’Abidjan  au creux de leurs mémoires…

‑ Tu nous a bien manqué ma fille… disait M’mâ Ouarda à chacun de mes retours d’errance…

               Vous aussi vous allez tellement me manquer à moi qui n’ai jamais eu d’autre maison que la maison des autres et d’autres rêves que le parfum insolent des rosiers d’or de Bagdad. mosquee_damas_03.jpg 

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