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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 22:36

Carnets de route suite...hoboes

1976… Argentine… il existe dans tout le pays un minimum de 610 centres clandestins de détention les fameux CCD qui sont juste des camps de concentration à la mode des dictatures d’Amérique Latine. Il y en a 60 à Buenos‑Aires même. A quoi ils servent hein ?

Les groupes de patotas se chargent d’enlever les opposants et de les conduire au centre de détention dont ils dépendent. On les appelle alors des “ détenus‑disparus ”. Encapuchonnés et menottés nuit et jour ils sont torturés et interrogés durant au moins deux mois. Puis c’est le “ transport ” où le plus souvent on les balance dans le Rio de la Plata depuis un hélicoptère sinon ils sont abattus et jetés dans une fosse commune.

1976… 31 août j’aime pas cette date c’est celle de mes vingt piges et je me souviens que ça a été un des jours tristes de ma vie à l’époque je croyais un peu que ma life avait de l’importance… ça a pris une trentaine d’années pour que je sache que non c’est beaucoup… Après quinze piges de minotage papotage autour de la création algérienne et quelques rencontres fabuleuses pas lerche deux ou trois j’ai fini par capter ce que ça veut dire la solitude des hoboes la route au sens où n’a pas arrêté de le clamer Léo… Le dernier Hein Richard ! J’ai pigé pourquoi il faut toujours les fuir et s’en aller.

1976… hiver printemps été dans le Sud un petit bled à côté de Montpellier où se trouvent les chantiers de taille la vigne d’abord et puis les pommiers. Rien à dire on s’est sacrément bien dépatouillés de l’affaire. On crèche désormais dans deux petites piaules superposées qu’un agriculteur nous loue pour trois ronds et en plus il nous file le job de la taille de la vigne à notre arrivée dans le secteur c’est encore l’hiver un peu.

Ce vigneron ressemblait à un des paysans du Larzac que j’ai rencontrés furtivement déterminé généreux et silencieux. Il s’est douté qu’on était dans de la mauvaise embrouille au niveau des papiers de Markos et de Fil et il a souri gentil devant l’auto qui ne démarrait pas le matin à l’aube on la poussait dès six plombes il faisait encore nuit mais on fonçait sur les chantiers avec l’énergie de notre jeunesse éclatée qui croyait à la beauté du monde. On a vite fait pigé comment tailler les ceps et vu que c’était un job un peu dur pour les doigts gelés et les dos on a perdu Brigitt au démarrage et Fil l’a remplacée rapide par une fille du coin une Indigène extra qu’on a appelée Malou pour faire court et voilà !Village

Mars 1976… on a entamé la taille des pommiers il y a un petit mois c’est un gros job qui va rapporter ce qu’il faut pour nous aider à savoir ce qu’on veut faire et c’est Fil qui discute les prix avec le régisseur agricole de la place. Dans ce job comme ailleurs faut un chef et vu l’état préoccupant de Markos dont le pouce droit est enflammé avec un liquide jaune qui coule et que c’est pour sûr du pus on n’a pas le choix.

Faut dire pour être exact qu’avant de quitter nos vieux on a eu l’alerte qu’on n’a pas vue parce que c’était là maintenant et qu’on n’allait pas ralentir le mouvement c’était la route et Fil qui revenait du Portugal et des œillets de sang qui poussaient au milieu des containers d’oranges s’était imposé et qu’il la ramenait pas question de résister de tenir tête rien quoi ! Markos venait juste d’obtenir ses papiers de rechange qui faisaient de lui un autre quand le bout de son pouce droit a commencé à grossir comme une courge et à éclater la chair à vif qu’il enroulait dans un passement approximatif et qu’il lavait à l’eau de Javel pour ratatiner les microbes c’était de la médecine de campagne.

La douleur l’empêchait de dormir malgré la came arrosée de Gueuze et il était devenu pas trop fréquentable au moment où je l’ai accompagné aux urgences d’un hosto de cette banlieue où il n’y avait que des paumés dans notre genre c’était la queue des miracles là‑dedans avec l’odeur qu’on devine sur le gâteau sans sucre déjà et bien rassis.

‑ Un furoncle avec staphylocoques… tombé le verdict comme un coup de pied au derche. Finie la cavale et le départ pour le Sud avec tous les Road Moovies dans la tototte fini pour le coup avant d’avoir commencé !

Bouclé le Markos dans un pageot réglementaire avec trois voisins autour une semaine et puis le billard la perf sur une perche qu’il faut trimballer partout les antibios goutte à goutte glou glou glou finie la bibine au goulot le chichon et même la cloppe pas dans les couloirs hein ! La paluche emballée qui ressemble à un totem de la malchance et le pus qui s’en va de sa chair d’enfant mûr pour la débine au départ le fils prodige qu’est pas devenu larbin dans l’usine Métallo ou ailleurs qu’est rien devenu du tout et qui prend les fleurs de haine en plein milieu de son existence déjà foirée comme celle de tous les mômes d’ouvriers… “ Gentils enfants d’Aubervilliers Gentils enfants des prolétaires… ”

Fil à l’autre bout de l’histoire menace qu’il va partir se tirer sans nous qu’il les trouvera fastoche les remplaçants vu qu’on n’est que des glandeurs miteux et basta ! Une semaine après l’opération et les infirmières qui courent partout à peine débranché duEnfants d'Auber jus de vigueur Markos calte du pageot sans signer sa libération et il envoie promener les soins de la plaie qui purule à fond le poing au creux d’un gros cocon bien propre et vive la route !

Nunca màs ? Jamais plus ? Tu parles… 24 mars 1976… le coup d’Etat en Argentine… c’est le printemps 1976 qu’on se taille et qu’on croit laisser derrière nous les souvenirs aux bandages séchés d’amer le pus tout frais de notre misère adolescente.

Y aura entre dix et trente mille disparus et au moins dix mille prisonniers politiques dès 1976. La situation reste assez méconnue en Argentine même et à l’étranger jusqu’en 1978 du fait de la stratégie de discrétion adoptée par la junte. On apprendra après leur façon la plus raffinée qui consiste à faire accoucher les jeunes femmes enceintes rebelles dans les fameux centres de détention tels que l’Esma Ecole mécanique de la marine et à leur voler leurs bébés dès la naissance. Les militaires et leurs sbires ont ainsi retiré de leurs familles anarchistes communistes et à toutes celles qui refusaient la dictature cinq cents enfants et ils se les sont appropriés.

Printemps 1976… nous autres on haïssait les militaires et on ne voulait pas d’enfants. Les hippies des communautés installées partout où il y a de la terre des morceaux de maisons et quelques vagues chemins pour accéder sont photographiés entourés de tribus de gamins fous et hilares couverts de peintures indiennes de perles et de bouts de tissus multicolores. Parmi les néos‑­ruraux des Cévennes qui créchaient à l’intérieur des hameaux ruinés semblables au nôtre il y avait peu de gamins et ceux qui en ont eu ne venaient pas des grandes cités ouvrières. Nous autres nous n’avons pas guéri de notre enfance et des plaies incrustées de rubis il nous est resté la couleur rouge comme une marque de l’enfer.

Markos et Fil étaient insoumis au service militaire et dans notre façon d’être pas question de devenir objecteurs c’était un combat réel et quotidien contre l’armée contre la guerre contre la mort et contre les pères qui n’ont jamais rejeté ce monde de vieillards séniles prêts à tout pour maintenir par la force les privilèges d’un Occident vivant sur sa termitière géante d’esclaves. Entrer dans une sorte de clandestinité en changeant d’identité c’était ça l’héritage qui nous arrivait tout chaud de nos aînés embarqués enfants à 18 berges dans la Guerre d’Algérie et qui avaient connu les corvées de bois la torture le viol des petites mouquères et les éclaboussures écarlates des bombes de l’OAS dans les rues de la vieille Kasbah.7_15_alger4_H023821_L.jpg

Nous n’étions pas innocents et nous n’avons jamais eu de théories du combat ou de projet de société à venir parce que nous venions du monde ancien des ouvriers paysans qui n’ont pas cessé de refuser de partir à la guerre et c’est là que nous voulions retourner. Nous étions les enfants de la terre abandonnée par ceux qui avaient dû quitter les fermes et les troupeaux afin d’aller s’embaucher aux usines des Comtes de ci et des Maîtres de ça et qui demain n’auraient plus ni maison de paille ni boulot aux 3/8 ni même le tonneau de Diogène pour regarder se lever le soleil. Les militaires d’Agentine du Chili d’Uruguay ne se trompaient pas de cible car c’est dans la chair de l’enfance que poussent les plus belles des fleurs de haine.

Printemps 1976… Markos avait tenu un mois et demi avec son pouce emmailloté mais l’odeur qui s’en dégageait quand on retirait le pansement hurlait à faire peur. Jo la mère de Malou une femme jeune et pleine d’enthousiasme et de gaîté était infirmière et Malou qui n’appréciait pas plus que moi les dîners de kacha brûlé et de fèves bouillies était devenue mon alliée au‑dedans des gourbis où on mangeait ensemble le soir après les heures de taille. Markos et Fil s’empoignaient de plus en plus souvent au sujet des cadences que sa main blessée ralentissait et j’avais beau trimer pour deux le combat était devenu trop inégal. C’est Malou qui a décidé un jour où la douleur qui tambourinait au creux du poignet de Markos était remontée jusqu’au coude en voyant mes yeux hagards qu’on aille demander secours chez elle dans un grand deux pièces sous les toits au cœur des petites rues bourgeoises du vieux quartier de Montpellier.

Pour la première fois depuis je ne sais quand on m’a accueilli quelque part où je n’étais personne avec des paroles bienveillantes et deux bols de chocolat à ras bord plus une grande quantité de petits pains au lait qui nous attendaient posés sur une vieille table en bois repeinte couleur bleu indigo dans un lieu qui sentait bon les petits bouquets d’herbes en train de sécher suspendus au plafond. Alors quand est venu le moment de parler de cette peur terrible des cristaux salés ont coupé mes mots en petits fragments de désastre et c’est Malou qui a raconté la plaie que je saupoudrais d’argile chaque jour parce que c’est tout ce que je savais et puis l’odeur le pus la stridence des coups dans les nerfs.

‑ Ecoute Marion… pas de panique mais vous allez demain aux urgences de l’hôpital sans faute hein ? Malou connais bien elle vous emmènera et pas question de retourner dans la brousse sur vos arbres entendu ? 

Ce jour‑là je ne l’ai pas oublié et il m’est revenu tout frais tout clair quand une quarantaine de piges plus tard je me suis pointée aux urgences d’un autre hôpital avec mon épaule droite qui stridulait de la même chanson incessante et qui résonnait du tam‑tam d’une violence dont on met des fois toute la vie à se débarrasser. Le type des urgences nous a pris après qu’on ait poireauté quatre heures au creux de la moiteur bouillonnant dans la marmite énorme de ce lieu à maladies où déjà on s’était pointés le plus tard possible après avoir été faire notre matinée de taille jusqu’à trois heures pour que Fil nous lâche un peu. Il avait autant d’humanité dans sa voix indifférente et dans ses yeux qui ne regardaient rien qu’un préposé aux abattoirs. Il a défait le bandage de Markos qui a gémi et la phrase qu’il a prononcée après avoir tourné le poignet avec une moue ordinaire d’un côté et de l’autre c’était exactement ça :

‑ Eh bien vous devez être content de venir si tard hein ? On va sans doute vous couper le doigt maintenant…Hotel-Dieu-medecins650.jpg

Je voyais le regard de Markos cherchant à s’agripper à quelque chose de solide derrière la brume mauve de mes yeux. C’est Malou qui nous a aidée à remplir les papiers à trouver la salle commune de dix lits où la téloche carillonnait un feuilleton au milieu des grognements et des ronflements et où ça puait énorme et à aider Markos à enfiler le pyjama rayé pendant qu’une femme en uniforme bleu pâle accrochait au pied du lit la pancarte à laquelle durant trois mois j’allais m’habituer. Dessus c’était écrit en haut d’un grand papier blanc : ostéite aggravée pouce droit puis deux mots illisibles puis un traitement aux termes compliqués et la date de l’opération et c’est tout.

Alors il y a eu le retour jusqu’à la maison de Jo qui nous attendait il y a eu les larmes qui me griffaient de leurs petits couteaux de sel le récit de Malou et tout ce qu’on ne dirait pas à ce type des urgences qui est venu là s’étaler avec la marée d’autres désespoirs qui avaient déjà rempli nos vies à déborder. Que Markos s’était tiré de l’hosto pour ne pas payer l’addition et qu’il n’avait pas plus de papiers de sécu aujourd’hui qu’hier et que si on lui coupait le pouce droit alors Fil pour le chantier il ne me ferait pas de cadeau et le relent du kacha cramé me déboulait dans la gorge et me donnait une épouvantable envie de vomir. Alors il y a eu le bras de Jo autour de mon épaule et la fumée de la soupe qui brûlait au bout de ma langue et les mots qui rassurent dans la chambre où nous avons dormi ensemble Malou et moi comme si l’enfance avait le doit soudain de nager dans ses eaux douces avant les coups de lance aiguisés de mes cauchemars.

Eté 1976… il n’y a pas eu de drame et pas de surprise non plus… le pouce de Markos a diminué d’un tiers seulement avec trois mois d’hosto perfusion d’antibios et pansement matin et soir on s’en tirait bien… Son pouce il ne ressemblait plus à rien raclé jusqu’au cœur on y voyait les tendons les muscles la bidoche et tout le toutim mais le liquide jaunâtre continuait à s’écouler continuait continuait… Et moi je continuais le chantier seule sur mon échelle les doigts de pied crispés accrochés aux barreaux les poings refermés sur les manches du sécateur même la nuit même en rêve. Fil avait repris le contrôle de Malou qui me faisait des petits signes au passage et je mangeais à l’écart une gamelle que je bricolais la veille avec tout ce que j’aimais et surtout un bon claquos coulant à point sur de la baguette fraîche un régal !

Ça me faisait deux journées vu que sitôt quitté le chantier à la nuit qui tombait tard en avril je larguais le carrosse Ami8 où j’avais logique ma place à l’arrière au premier arrêt de bus direction l’hosto et là Markos m’attendait avec un double plateau que les dames de salle bonnes filles nous refilaient à force de me voir débraillée hirsute et de couleur de peau quasi black de crTaille-des-pommiers.jpgasse et de bronzage à cette fin de l’hiver rapporter chaque soir les journaux et les magazines récoltés sur mon passage aux trois kiosques qui me passaient les invendus pour celui qui trépignait râlait tambourinait et n’en finissait pas de guérir. Mais il y avait tant de pus dans la plaie de l’enfance que ça ne pouvait pas en finir et ça continuait continuait continuait…

Non il n’y a pas eu de surprise et la bonté nous est venue comme à chaque fois des êtres qui ont l’habitude de pétrir avec leurs mains nues les souffrances du monde et la chair vive de la terre. C’étaient des gens qui causaient peu juste quand y avait besoin comme Jo et comme l’agriculteur qui nous logeait et qui en voyant Markos revenir un de ces incroyables jours lumineux d’été le bras bandé jusqu’au coude nous a fait cadeau des trois derniers mois de loyer sans poser de question.

Non il n’y a pas eu de surprise avec Fil non plus et quand le chantier de taille a été terminé je n’ai eu droit qu’aux deux tiers de la paie et c’est là que j’ai pigé que quelques soient les opinions auxquelles ils adhèrent ce genre d’êtres humains n’évoluent qu’à travers leur image et leur spectacle personnel. Il a trouvé moyen de parler en plus puisque forcément Markos n’avait pas assuré et tant pis si j’avais trimé double vu que sans lui on n’aurait rien eu de toutes façons… Et le pus a continué de s’écouler tout doux jour après jour mais à chaque pansement il y en avait moins et puis un matin et puis un soir le pansement était sec et l’infirmière nous a annoncé que la cicatrisation venait de commencer. Une partie de la douleur avait trouvé le moyen de sortir de là où on nous l’avait mise d’enfance et sans nous demander notre avis et maintenant on allait pouvoir reprendre la route.

A suivre...on-the-road-again_940x705.jpg

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