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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

26 septembre 2007 3 26 /09 /septembre /2007 12:27

En cette période de non communication entre nous qui appartenons à la culrure métisse française cet entretien que j'ai réalisé avec Leïla Sebbar il y a quatre ans semble plus que jamais d'actualité... Le voici en plusieurs épisodes pour celles et ceux qui comme Leïla et moi n'oublient pas que nous sommes un peuple aux origines multiples et que c'est cela que nous aimons...

Je ne parle pas la langue de mon père  Entretien avec Leïla Sebbar à partir de son livre publié en 2003 aux Ed. Julliard

 

“Quelques dates utiles qui permettront de ne pas se perdre dans les méandres de la mémoire.

Mon père est né en 1913 à Ténès.

De 1932 à 1935, il étudie à l’école normale d’instituteurs de Bouzaréah, à Alger, où il rencontre Mouloud Feraoun, assassiné en 1962 par l’OAS.

Il sera instituteur et directeur d’école :

de 1935 à 1940, à El-Bjord

de 1940 0 1945, à Aflou

de 1945 à 1947, à Mascara

de 1947 0 1955, à Hennaya, près de Tlemcen

de 1955 à 1960, à Blida ( en 1957, il est incarcéré à Orléansville ; Maurice Audin est assassiné la même année, par l’armée française )

de 1960 à 1965, à Alger, au Clos-Salembier.

Il quitte l’Algérie pour Nice, avec ma mère, en 1968.

Il meurt en 1997.

 

Je ne parle pas la langue de mon père.”

 

Après avoir lu l’avant-texte du livre de Leïla Sebbar Je ne parle pas la langue de mon père, qui se compose de quelques repères biographiques et qui situe l’existence d’un homme dans son parcours d’instituteur sur le territoire de l’Algérie d’abord colonisée puis indépendante, je suis entrée à l’intérieur du livre sans précisément suivre l’ordre rigoureux des pages ou celui du récit. J’avais envie d’entrer dans la langue d’écriture qui n’est pas celle du père, sans m’entourer de points de repères justement.

La première phrase que j’ai rencontrée introduisait le chapitre 4 et en faisant défiler les mots sous mes yeux j’ai commis une erreur. Lors d’un échange téléphonique Leïla Sebbar m’avait dit que ce livre aurait pu s’intituler “ L’étranger bien-aimé ”. Cela m’éclairait sur le fait qu’il s’agissait de mettre à jour tout ce que l’écriture devait au père, tout ce que son silence avait enfanté dans le corps du verbe. J’entendais la résonance du mot “ étranger ” comme étant à l’origine du désir d’écrire.

Et pourtant je suis entrée dans ce livre en me trompant. Imaginais-je qu’il était question de la nostalgie d’une terre, d’un peuple ou bien d’une enfance heureuse ? Peut-être la lectrice critique que je suis aurait-elle aimé qu’il porte encore un autre titre comme celui-ci “ Je ne parle pas la langue de mon peuple ”. Car il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir dire “ mon peuple ” tant cette notion réclame de symboles d’appartenance et frôle le sacré au travers du langage lui-même.

Mais toutes les enfances algériennes des jeunes Français d’Algérie vécues durant la colonisation ont été, on le sait, en rupture avec la réalité que vivait le peuple algérien qui existait entre deux langues, deux terres, deux destins inconciliables.

Je suis donc entrée dans ce livre en me trompant parce que celle ou celui qui écrit ou qui crée n’appartient pas. Etrangère, étranger, ils inventent une autre demeure au seuil d’un autre monde où d’autres solitudes d’enfance gravitent comme des météores. D’où nous vient donc cette illusion ou ce désir d’un peuple au sein duquel nous nous sentirions solidaires ?

 

“ Mon père ne m’a pas appris la langue des femmes de son peuple.

Si je revenais, dans le village près de Tlemcen, je ne saurais parler ni aux vieilles, ni aux jeunes avec leurs mots, je serais l’étrangère indiscrète à qui on ne dit pas la vérité. ”

 

En lisant cette phrase qui est l’intitulé du 4ème chapitre de ton livre Je ne parle pas la langue de mon père, j’ai commis une erreur et j’ai lu : “ Mon père ne m’a pas appris la langue des femmes de mon peuple ”. N’aurais-tu pas pu écrire cela ?

 

Leïla Sebbar : Je n’ai jamais dit ça parce que si je peux parler des femmes du peuple de mon père, si je peux parler du peuple de mon père, je ne peux pas parler de mon peuple. L’Algérie n’est pas mon peuple et la France n’est pas mon peuple. Je ne peux pas dire que j’ai un peuple. Lorsque je dis les miens, il s’agit de ma famille, de mes proches, c’est tout. Et encore, je ne m’exprime jamais comme cela. On peut dire “ les miens ” lorsque l’on a une appartenance à une communauté, à une famille élargie, à un clan, à une tribu. Je n’appartiens pas.Et si tu n’appartiens pas, est-ce à cause de cette absence de langue, au moins en partie ?

 

Leïla Sebbar : Je ne crois pas que ce soit simplement à cause de cette absence de langue, parce que si j’avais été bilingue, je n’aurais pas été davantage d’un peuple ou d’un autre. Je peux dire que la France est mon pays, et que l’Algérie est mon pays. Pour des raisons probablement différentes. La France est mon pays de vie, l’Algérie est mon pays d’enfance, c’est le croisement des deux qui fait mon inspiration. S’il n’y avait pas de Maghreb en France je n’écrirais pas, et si je vivais en Algérie sans les étrangers je n’écrirais pas.

C’est parce que je ne parle pas la langue de mon père que je suis dans l’écriture. Mon exil est l’exil de la langue du père. J’écris parce que je suis en exil de la langue du père. Est-ce que je peux dire que je suis aussi en exil géographique d’un pays, puisque lorsque j’ai quitté l’Algérie elle était la France politiquement, et que je suis venue vivre en France qui est le pays de ma mère et qui est un pays que je connais ? Je travaille dans ma langue, j’ai des enfants dans ma langue, et si j’ai pu écrire ce livre maintenant c’est parce que j’ai compris qu’il s’agit de l’exil de la langue du père, et que cet exil est premier, fondamental et irrémédiable.

 

            Oui, irrémédiable dans le sens où ton père ne t’a pas transmis sa langue. Il ne s’agit pas pour toi d’apprendre l’arabe évidemment ?

 

           Leïla Sebbar : Non bien sûr qu’il ne s’agit pas de cela. Je suis fille d’instituteur et je sais que tout s’apprend. Je n’ai jamais voulu apprendre l’arabe parce que c’est le fait que la langue soit inconnue qui fait que j’écris. Utiliser la langue arabe comme un instrument de communication ordinaire me demanderait vingt ans d’apprentissage pour arriver à lire des livres que je peux lire en traduction. Cela ne réparerait rien de toute façon, et cela serait une instrumentalisation de la langue du père, de l’arabe de mon père qui est sa langue à lui, la langue de ses femmes.           Le fait que la langue qui n’a pas été donnée soit la langue du père, rend effectivement cette séparation d’avec cette langue-là, d’avec la langue de cette terre-là, définitive et irrémédiable. C’est parce que c’est “ la langue des hommes ” d’abord, ou du moins que c’est ainsi que la fillette l’identifie, qu’elle a été un instrument de rupture, et donc de mise à l’écart de l’univers patriarcal qui régit le peuple algérien colonisé. “ Mon père riait en arabe avec des hommes inconnus. Ce qu’ils racontaient les faisait rire, je ne savais pas, je ne saurai pas ce qu’ils se disaient alors… ”

Mais c’est aussi la langue de la résistance, de la révolte et du désir. Ce que les hommes pressentent en eux d’irréductible lui appartient. C’est la langue de leur identité encore inconnue. Ses sonorités auxquelles certains colonisateurs se familiariseront par amour de cette langue ou bien afin de mieux approcher une population qui ne se soumet pas, sortent du ventre, de la gorge de ces corps que l’on voudrait bien encerclés, colonisés. A travers elle ils demeureront inviolés.

 

“ Dans sa langue, il aurait dit ce qu’il ne dit pas dans la langue étrangère, il aurait parlé à ses enfants de ce qu’il tait, il aurait raconté ce qu’il n’a pas raconté, non pas de sa vie à lui, un père ne parle pas de sa propre vie à ses enfants, il respecte la pudeur, l’honneur, la dignité, et eux aussi, il le sait, ils le savent, non, de sa vie il n’aurait pas parlé, mais les histoires de la vieille ville marine, les légendes, les anecdotes du petit homme rusé qui se moque des puissants et ça fait rire les faibles, les pauvres, il aurait raconté les ancêtres, le quartier, vérité et mensonge, il aurait ri avec ses enfants dans sa langue et ils auraient appris les mots de gorge, les sonorités, répétés, articulés encore et encore, maître d’école, dans sa maison, ensemble ils auraient déchiffré, récité, inscrit sur l’ardoise noire les lettres qu’ils ne savent pas tracer. ”

 

Peux-tu reprendre pour toi l’expression “ langue maternelle ” puisqu’en ce qui te concerne il s’agit de la langue paternelle et ensuite aussi de la langue des femmes ?

 

Leïla Sebbar : Cette expression de langue maternelle n’est peut-être pas juste, mais si l’on pense aux couples mixtes par exemple, l’enfant apprend la langue de sa mère d’abord. C’est toujours d’abord la langue de la mère qu’on apprend, on la possède avec le lait. Quand ce n’est pas la langue du père, il a à transmettre de son côté une langue, comme une mère, et il ne la transmet pas car il n’est pas la mère justement. Et lorsque l’on est dans une situation coloniale, c’est-à-dire de rapport de dominant à dominé, c’est encore plus compliqué. Une langue qui n’a pas été transmise dès la petite enfance, ne peut pas se transmettre. Elle ne peut plus se transmettre.

A suivre...
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