D’ordinaire j’aime pas parler de choses persos quand j’écris des poèmes et quand j’emploie le “ je ” c’est pour que ceux qui lisent puissent entrer dans les mots plus facilement… mais là s’agit comme je fais parfois de donner la parole à mon grand-père aux yeux bleus à qui je dois probable mon envie d’écrire…
Il a jamais rien écrit lui et je n’suis pas sûre qu’il aimerait mes histoires mais ce sont les gros livres aux dos rouges carton de son armoire très haut que je le regardais aller chercher pour me les lire quand la nuit nous tombait dessus à côté de la cuisinière à bois en fonte qui ronchonnait gentil auxquels je songe à chaque fois que je commence à écrire quelques mots…
Il a jamais rien écrit mais il savait le goût léger acide et réglisse de la vie… me l’a refilé avec les glaïeuls rouges les oiseaux du ciel la lumière crépuscule qui se tire de l’autre côté le cri des hiboux aux géants quinquets dorés… A tous ceux des miens et tant d’autres ouvriers paysans artisans gens du labeur que la cruauté des heures obscures du jour ont enfoncé dans le silence je dis que c’est pour vous que j’écris et pour vous je continuerai…
Le tant aimer
Mardi, 30 mars 2004
A Célestin mon grand-père aux yeux bleus
J’ai aimé le feu que tu m’as donné
J’ai aimé l’arbre et sa forêt
J’ai aimé un matin neuf sans peur et sans honte
J’ai aimé un à un chaque matin du monde
J’ai aimé l’instant mouillé où tout se tait
J’ai aimé ton regard heureux posé sur moi
Frais comme une guirlande de petites lunes
J’ai aimé guetter l’heure de la veillée
Pendant que les vieilles femmes filaient des contes
Et démêlaient les écheveaux de nos émois
Toi et moi nous désirions caresser le monde
Comme un arbre le ciel avec ses doigts
J’ai aimé les mots que tu m’as donnés
J’ai aimé l’arbre et son secret
J’ai aimé sous nos pieds sentir danser la dune
J’ai aimé son ventre couvert d’étincelles
Que nous n’avions pas peur d’éteindre en marchant
J’ai aimé le désert son silence son cri
Pendant que les outres vidées sur les margelles
De nos puits rêveurs buvaient le vent
Les couleurs des fruits que tu as apportés
Mieux qu’un grand festin m’ont ravie
J’ai aimé cet instant où tout était
J’ai aimé entre nous les portes du monde
J’ai aimé leur lourd montant de bois s’ouvrant
Le seuil que nous franchissions si léger
J’ai aimé les cailloux que tu m’as donnés
J’ai aimé l’arbre que tu aimais
J’ai aimé la forêt d’anciens livres posés
Comme de vieilles mains sur les tables claires
De ton atelier J’ai aimé les pages
Des lettres de cet écrivain volage
Qu’avec des gestes tendres tu recollais
Pendant que les gens de bien brûlaient ses livres
J’ai aimé ta présence comme une clairière
Où un instant se serait arrêté le monde
La forêt le désert le temps une seconde
Tout ce que j’ai aimé ne vieillira jamais.