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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

30 mai 2008 5 30 /05 /mai /2008 23:31

Petites chroniques d'une cité de banlieue
Comme la rose et comme l’hirondelle
Epinay, dimanche, 11 mai 2008
   

 

Si tous les êtres humains avaient le cœur naturel et bon des vieilles femmes et des vieux hommes d’Algérie de mon enfance il se peut que ça m’arrive encore d’en croiser une ou un sur mon chemin d’errance de la banlieue à Paris sur Seine deux fois par semaine c’est de plus en plus rare et je me dis qu’un jour j’aurai perdu tout à fait cette possibilité qu’ils m’ont donnée de retirer ma peau d’apparence pour retrouver dessous l’être d’enfance le seul en fait qui m’intéresse…

Ouais si tous les êtres humains renouaient avec ce qu’y a dessous cette peau dedans ils se sont casés à l’étroit et puis ils s’y sont faits et puis ils ont oublié qu’ils ont eu tout l’espace du monde pour crever papillons la chrysalide sanguine de l’habitude à vieillir absents pour s’échapper de la prison-carapace de la muraille-corps qui est le manque d’émotions devenu non pas une façon d’être mais l’être… s’ils renouaient avec l’urgence de ressentir et d’improviser des réactions spontanées comme les roses qui sont l’intuition qu’a le rosier du printemps alors le bonheur nous reviendrait semblable à une hirondelle et il nicherait sa petite maison d’argile et de paille sous le toit de notre demeure ouverte à tous les hommes…

J’ai grandi comme je vous ai déjà raconté dans un de ces blocks à Aubervilliers tout proche de l’endroit où les cabanes de l’ancien bidonville avaient fini par crouler et muer décharges terrains vagues pour chiffonniers et ferrailleurs chantiers en rade au milieu des zimmigris qui à l’époque de ces années 60 nous venaient de l’Algérie ça se comprend bien… Ceux qui ont traversé le cocon de mon univers d’enfant étaient des vieux hommes et des vieilles femmes arabes ou kabyles que je trouvais vieux j’imagine parce qu’ils étaient loin de mon âge mais du coup le fait qu’ils soient si proches du monde sensible qui était le mien me les a rendus obligé tout de suite fraternels…

Aucun d’eux n’était allé à l’école ou si peu et ils n’avaient pas perdu leur rapport premier aux choses et aux êtres qui fait qu’avant d’acquérir un savoir raisonnable on est paré d’un savoir d’intuition comme le rosier et l’hirondelle… Pendant que je grandissais dans le giron des vieux zimmigris sans me faire à cette théâtralisation du quotidien où on ne doit plus que jouer son rôle bouffon qui n’réagit jamais avec ses tripes automate à la mécanique que la société lui a greffée à l’intérieur du trognon je résistais tant que je pouvais à la violence de l’éducation faut voir comment on nous traitait la plupart des maîtres ou des maîtresses étaient des brutes sans bonté qui devaient faire de nous des répliques d’eux-mêmes et une grande part de leur savoir s’écoulait dans les caniveaux des cités parce qu’ils ne savaient pas transmettre ni donner… Pas sûr que ça ait beaucoup changé aujourd’hui et que le pas envie d’apprendre des gamins n’soit pas le même que le nôtre…

Nos maîtres eux ils n’ont jamais eu l’intuition du printemps ou du bonheur et les vieux zimmigris qui ont évité de perdre la relation magique que les êtres simples partagent avec ce qui les entoure pareils à des artistes débarrassés de la conquête de la gloire étaient pour nous enfants de la zone les derniers survivants d’une Babylone où les roses et les hirondelles rendaient la maison des hommes meilleure à vivre…

      C’était il y a deux jours dans notre cité d’Orgemont à Epinay comme vous savez et j’étais très inquiète parc’que les hirondelles étaient pas encore de retour de leur hiver africain d’habitude dans la cité on les entend piailler crier se poursuivre avec leurs appels stridents leur vol très haut leur folie de pirouettes en bas en haut mais là rien et si elles allaient plus revenir qu’elles restent de l’autre côté qu’elles m’abandonnent…



         L’autobus des brousses notre 154 j’étais dedans direction Paris la rotonde au fond là où j’aime bien parc’qu’on se trouve au milieu des gens mais là des gens y’en avait pas lerche pour cause de vacances j’ai remarqué une femme sans doute maghrébine avec le foulard qui cachait vraiment tous les cheveux les lunettes noires et la grande robe sombre jusqu’aux pieds pas la djellaba ni le haïk mais quand même… elle avait le caddie pour aller faire les courses à Saint-Denis sans doute… Pas loin d’elle un jeune gamin maghrébin aussi tout seul genre 12 piges à peine vêtu comme les mômes pas friqués d’ici pantalon de survêt et polo ordinaires elle plutôt sévère et lui le regard doux rêveur des enfants qui sont aimés et aussi deux jeunes femmes blacks tout le monde moi avec bien occidentalisé dans les façon de faire et de n’pas se regarder et de n’pas se causer des automates remontés à point quoi…

Ils sont montés un ou deux arrêts après moi Lacépède je crois enfin vous connaissez… les Studios Eclair… lui je l’ai tout de suite repéré vu que le couple qu’ils formaient était pas ordinaire… Il avait une veste et un pantalon gris négligé sur une chemise ouverte des cheveux couleur café et des boucles pas très longs pas très courts je me suis dit tiens ! il ressemble à Gainsbourg c’est drôle il avait vraiment l’allure quand il l’a menée direction de notre recoin an fond du bus notre animal des brousses presque déserté ce jour et qu’elle est arrivée le petit sourire mutin l’expression enfantine sur les lèvres je me suis toujours fait la remarque que les vieilles femmes d’Algérie les vieilles Kabyles surtout ressemblent à des petites filles… Il la tenait par la main elle était intimidée mais on la sentait ravie elle ne voulait pas s’asseoir pas nous déranger il lui a dit d’une voix caressante :

- Mais si assied-toi il y a la place…

Elle a ri de plaisir et elle s’est assise au milieu de nous elle nous a tous regardés chacun notre tour elle a fait un geste de salut de la main et de la tête aussi…

- Bonjour tout le monde… sa voix était comme celle de son fils une caresse le parfum des fleurs des champs dans ce matin de printemps et elle avait l’air d’une fleur elle aussi avec son visage aux pommettes roses sa peau fine couleur mie de pain pas ridée du tout ses cheveux qui frisaient légers papillons au henné roux sur son front sous le foulard couvert de marguerites de tas de nuances des bleus des mauves des verts et des tatouages indigo insectes légers incrustés à son cou et à son front bijoux un peu pâlis par les années…
 

Ses yeux deux noisettes claires ont rencontré les miens et on s’est regardées un long moment elle a semblé me questionner : qui tu es toi ? et c’était toute mon enfance à Aubervilliers qui me revenait une grande goulée de bonheur léger qui se pointait comme les hirondelles d’Afrique elles avaient fait le grand voyage elles étaient là enfin…


Photo de jeune fille kabyle tirée du livre Femmes d'Afrique du Nord Cartes postales ( 1885-1930 )
Leïla Sebbar et Jean-Michel Belorgey
Ed. Bleu autour, 2002

      Il est revenu avec les tickets qu’il était allé acheter au conducteur de l’autobus des brousses et il s’est assis à côté d’elle il faisait attention il veillait sur elle il n’avait pas du tout les traits ni rien d’un homme du Sud il ne lui ressemblait pas pourtant ce qui passait entre eux frissonnait dans l’air c’est vrai qu’on aurait dit Gainsbourg quand elle lui a souri j’ai vu qu’elle n’avait presque plus de dents mais ça ne faisait rien vu que ses lèvres fines étaient rouges comme des cerises fraîches…

      Elle a repéré vite fait que sa voisine au foulard sombre et aux lunettes noires devait être d’un paysage comme le sien et elle s’est mise à bavarder en arabe après avoir dit que c’était bien parce qu’il faisait beau et son œil espiègle mine de rien a vite détaillé le vêtement austère et le foulard noir elle a demandé si elle n’avait pas chaud elle elle portait une robe bleue en tissu brillant et des babouches d’un bleu plus clair ses bras nus laissaient voir sa peau pain d’épice presque blanche…

La voisine elle a été d’abord un peu étonnée et elle a hésité et puis comme on n’pouvait pas résister à son sourire de petite fille et à ses mimiques pour cacher sa bouche de sa main quand elle parlait elle a répondu qu’elle était allée à la Mecque alors il ne fallait pas montrer ses cheveux ni ses bras c’était interdit et elles ont approuvé toutes les deux en arabe avec de grands gestes graves des mains et nous autres on formait l’agora autour d’elles on écoutait et on essayait de capter les mots arabes le jeune garçon maghrébin aussi il avait l’air très intéressé par la rencontre des deux femmes leur histoire qu’on devinait et la parole qui circulait vu que le fils s’en est mêlé même si lui non plus il ne parlait pas un mot d’arabe…

- Moi aussi je voudrais y aller… elle a dit en regardant l’autre avec de l’admiration et de la bienveillance… mais je peux pas… toute seule je peux pas… c’est loin…

- Oui c’est loin c’est vrai… non toute seule c’est pas possible… c’est dangereux…

- Moi je n’veux pas qu’elle y aille sans moi… il a réagi en posant sa main sur le bras de la vieille femme qui a hoché la tête… non non ! pas sans moi j’ai pas confiance… il a continué et l’autre a approuvé pareil pendant qu’elle le regardait et qu’il répétait non pas sans moi… c’était un bon fils même s’il ne parlait pas un mot d’arabe et elles ont papoté toutes les deux et nous autres autour on écoutait et lui aussi…

Quand elle s’est arrêtée il a voulu lui mettre son ticket dans la main et j’ai vu qu’elle avait des mains fines et potelées malgré l’usure du temps et la peau qui faisait comme celle des fruits à la fin de l’été avec les poignets tatoués de tifinaghs ces signes de l’écriture kabyle pareils à ceux des femmes algériennes de mon enfance au marché d’Auber je m’débrouillais j’échappais à ma grand-mère qui causait des plombes au marchand de gâteaux je les suivais elles avaient des djellaba aux tissus légers couleurs pastels roses bleu turquoise jaune citron lilas pailletées d’or et d’argent et leurs cheveux longs au roux sombre et lumineux épais sous les foulards en fleurs répandaient l’odeur forte du henné autour d’elles on les repérait facile au milieu du marché elles riaient et parlaient toutes à la fois…

Je les trouvais belles c’était des princesses des contes je voulais toucher leurs robes les tissus étincelants leurs corps généreux à la peau crémeuse elles allaient acheter des poules vivantes que le marchand gardait dans de grandes cages et qui piaillaient c’était une cérémonie je vous raconterai…

   Photo de jeune fille kabyle tirée du livre Femmes d'Afrique du Nord Cartes postales ( 1885-1930 )
Leïla Sebbar et Jean-Michel Belorgey
Ed. Bleu autour, 2002
   


      Pour le ticket elle a dit non qu’elle avait peur de le perdre… garde-le toi… et elle a penché la tête du côté de sa voisine pour poser une question en français l’autre a fait répéter plusieurs fois elle ne comprenait pas alors elle lui a demandé toujours avec la malice : tu ne comprends pas le français ?

- Si je comprends le français… elle a répondu d’un ton très sérieux et on a ri et son fils qui suivait comme il pouvait a ri et il a dit gentil…

- C’est toi qui ne parles pas bien le français… et il a ajouté pour l’excuser… elle n’est jamais allée à l’école c’est pas de sa faute… à l’époque hein ! c’était comme ça en Algérie c’était la colonisation…

- Oui elle a répété c’était comme ça… et elle a fait un signe des mains qu’on y peut rien c’est la vie…

- C’est vrai que beaucoup d’enfants algériens y sont pas allés à l’école… on était colonisés mais nos enfants eux maintenant ils ont des bons métiers… médecins… ingénieurs… elle a repris sa voisine et j’ai pigé parce qu’elle s’animait d’un coup elle sortait de sa réserve à cause de l’injustice de tout ça et le jeune garçon maghrébin écoutait… j’ai pigé qu’elle venait d’Algérie elle aussi…

La vieille femme a bien capté et elle a demandé : tu es algérienne alors ?… oui je suis de l’Ouest… d’Oran… elle a répondu et pour la première fois elle a souri et moi aussi j’ai souri parce que de tous les Français de souche comme on dit dans notre autobus d’Afrique j’étais pour sûr la seule à connaître la carte de l’Algérie par le cœur et la ville d’Oran vu que mes amis écrivains d’Algérie m’avaient raconté… je lui ai souri en pensant à Jean Sénac le poète assassiné Yahya el Ouarani Jean l’Oranais à Hélène Cixous et à tant d’amis perdus pour toujours dans les replis de ma mémoire…

- Ah ! Oran… elle a dit songeuse… moi je suis de Kabylie… de Bejaïa… et j’ai ri à l’intérieur de moi je n’m’étais pas trompée je ne pouvais pas me tromper… les vieilles femmes les princesses kabyles de mon enfance lui ressemblaient trop…


 Photo de femme kabyle tirée du livre Femmes d'Afrique du Nord Cartes postales ( 1885-1930 )
Leïla Sebbar et Jean-Michel Belorgey
Ed. Bleu autour, 2002
       


      Elles étaient heureuses elles s’étaient retrouvées et elles se sont mises à parler en arabe et à rire ensemble et elle s’est excusée elle mêlait souvent des mots kabyles à l’arabe… l’autre a dit qu’elle aussi elle avait des ancêtres kabyles mais elle n’avait pas appris à parler c’était dommage… et nous tout autour qui ne parlions que le français on écoutait l’histoire de la vie de ces deux femmes qui nous arrivait comme un conte dans l’autobus des brousses et qui donnait à ce printemps un peu lointain une magie pas croyable…

C’était elle toute parée de son innocence de sa légèreté et de son enfance qui nous avait permis pendant ce trajet qui a duré à peine un quart d’heure de retirer nos défroques de passants étrangers pour partager nos vies d’êtres humains ordinaires c’était elle qui venait de me faire piger après toutes ces années ce que les vieux hommes et les vieilles femmes d’Algérie de mon enfance m’avaient légué cette façon simple et fraternelle de voir el monde et les gens autour d’eux dont je me demandais de qui je la tenais qui est celle des poètes et des enfants…

Quand ils sont arrivés à leur station un peu avant la mienne Saint-Denis Porte de Paris vous savez… il a posé sa main sur son épaule et il a dit avec la douceur pareil… tu viens maman c’est là… elle s’est levée et elle nous a fait signe de la main… au revoir la compagnie et bonne journée à tous… à bientôt alors… elle s’était arrêtée et elle nous regardait chacun notre tour elle avait pas envie de s’en aller il l’a appelée encore le bus allait repartir alors vite elle est descendue mais sa présence est restée là au milieu de nous où elle avait fleuri comme les roses du jardin sont l’intuition que le rosier a de l’arrivée prochaine du printemps…

Quand je suis descendue de l’autobus des brousses la première chose que j’ai remarquée ce sont les cris aigus et vifs des hirondelles qui volaient en rase-mottes au-dessus du canal elles étaient là elles étaient revenues de leur hiver africain je le savais et à nouveau le bonheur simple allait nicher sa petite maison d’argile et de paille sous le toit de notre demeure ouverte à tous les hommes…
 

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