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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

14 février 2008 4 14 /02 /février /2008 15:42
                          De la part du chien indigène suite...

undefinedAssise au pied du Block trois l’Afrique Morgane entend les pattes de la nuit courir sur elle comme une bête qui cherche inquiète son terrier. Des lueurs fauves bondissent un peu partout sans que rien ne les arrête. Jungle… chantonne Morgane tout bas… jungle où des pieds dessinent des sentiers d’inconnu… Jungle où des corps de femmes et d’hommes esclaves indifférents frôlent le sien. Alors déjà la grand-mère Morgane avait un corps esclave… Un corps que le père n’approchait pas tout en le gardant captif vu qu’il lui était étrangement étranger. Un corps au sexe de terre rouge… Un corps ouvert qui se faufile lentement entre les reins des dunes… En quête de son soleil… Poisson pourri…

 

Ecoute… écoute…

- Eh Lakhdar !… je veux que mes chaises soient plus brillantes que le soleil… il a dit mon père. Plus que le soleil !… Je… vous montrerai comment on construit un pays.

Je ? Qu’est-ce qu’il a dit ? Il n’y a jamais eu d’homme à l’Hôtel-de-l’Europe qui puisse dire Je…

Face à moi il s’adresse à Lakhdar l’Arabe en riant avec le ton protecteur qui veut ton bien. A travers lui je sais que c'est de moi qu'il se moque. Moi Morgane… la djinia des Nuits qui s’en va chercher l’eau transparente des histoires parmi les formes des burnous couchés dans le ventre du sable de l’oasis. Un frisson d’air violet baigne leurs pieds de sang séché en dessous comme un baiser de marguerites. Des marguerites folles s’élancent parmi les troncs des palmiers semblables à un cheich blanc. Parmi les formes des burnous couchés les personnages des Nuits s’avancent un à un vers la scène du théâtre colonial de l’Hôtel-de-l’Europe-de-l’oasis-de-Biskra…

- Eh Lakhdar !… il a dit mon père… toi aussi tu vas faire le peintre maintenant. Tu vois c’est facile… Des chaises comme ça y’en a nulle part ailleurs dans ce foutu pays. Et c’est pas fini… Eh Lakhdar !… tu vas voir ça va être un joli pays à force…

Goutte à goutte la sueur marquait la place où il s’était arrêté.

 

Esclave noire fille de ma tribu. Je ne comprends pas pourquoi tu danses devant eux au milieu des sauterelles. Seule Djeda Fatima les écarte de moi de ses petits doigts courts. Elle tient la lampe qu’elle élève dans le crissement des ombres.

Vieilles accroupies sur leur nombril cicatrisé. Béante leur bouche en dessous. Au milieu d’elles je serai esclave à mon tour si je me laisse prendre au piège de la tribu… Djeda Fatima… ma vieille… Je suis Morgane la djinia… une fille de la terre. Simplement. De la terre et des eaux. Esclave noire tes mains m’ouvriront le chemin. Le chien indigène lèche doucement mes pieds de sang. Mes pieds qui ont marché sur cette terre-là comme sur tout autre…

 

Goutte à goutte la sueur tombait dans l’assiette de spaghettis rouges de mon père. Il mangeait lentement et on aurait dit qu'il mâchait le sable. Goutte à goutte le chien indigène couché à quelques pas de lui le regardait grave en baillant entre ses paupières. 

Lakhdar le serviteur il a peint jaunes les chaises pendant que les Arabes ils gardaient le silence. Il ne fallait surtout pas qu’il se taille lui aussi comme la lumière de la lampe. Y avait que lui dans les jarres de la planque au trésor. Sous les bijoux des femmes qu’on vend il y avait le silence des Arabes. Compatissant le chien indigène tirait la langue au soleil.

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Ecoute… écoute…

Quand on est arrivés j'ai été chercher les pinceaux à l’intérieur du coffre de tôle boulonné à l'arrière de la camionnette à plateau. Chauffée à blanc. Appuyé mon père buvait à même le jerricane. Il lapait. Grave le chien indigène le regardait. Moi j’avais honte pour lui. Achouma… Honte parce qu’il n’était pas un homme juste. Honte parce qu’il n’était pas un homme.

Un à un j'ai brisé les pinceaux et ils se sont répandus sur le sable. Comme les gouttes de sueur de mon père. Lakhdar a eu un geste qui venait de ses reins. Une danse rompue. Un craquement de branche. Ses yeux étaient tristes pareils à ceux du chien indigène lorsqu’il a su que les chaises jaunes resteraient vides. Tristes et aussi résignés.

Alors il a dit :

- Ma fille... les murs à nouveaux ils sont blancs comme avant… Avec toi Sinbad tu l’emportes et tous les autres… Ma fille tu nous habites…

On savait très bien Lakhdar l’Arabe et moi que juste après mon départ il le forcerait à repeindre les murs de la maison de Touggourt… Il le forcerait parce qu’il était le malem…

- C’est pas vrai… quel foutu… Fatima viens voir un peu…

 C’est la melma ma grand-mère qui palpe millimètre par millimètre les couches superposées de tissus comme les ailes du papillon qui arrondissent encore le ventre de la vieille femme. Fatima la servante se tape en chantonnant et mâchouillant je ne sais quoi - tout le temps elle mâchouille encore de la nourriture qui disparaît - le travail des épluchures. Elle supporte aussi l’odeur de la sueur insecticide de la melma qui la palpe chaque jour avant qu'elle quitte l'Hôtel-de-l'Europe pour retourner chez elle à Touggourt.

- Même les mouches il faut qu’elles nous volent quelque chose ici alors… Mais Fatima rigole en soulevant ses bras qui tintinnabulent. Poignets qui rient.

- Y’a rien melma… tu vois bien…

Tatouages demain. Mise à feu de la mèche planquée sous le frigidaire. Tatouage signe des tribus tu crois ? Mais demain Fatima djeda… ma vieille… femme de ma tribu à qui je peignais l’histoire d’un palais de poudre. Ton histoire. Ton palais. Fatima ma vieille… tu posais un doigt sur tes lèvres. Tu me regardais. Demain l'esclave noire te prendra la main pour que tu la conduises vers la terrasse en haut de ta maison. C'est toi qui lui ôteras ses chaînes.

- Ma fille tu es la djinia de l’oasis…

Fatima djeda… ma vieille… Tu m’attrapais au bout de tes petits doigts rouges de henné et nous dansions la ronde des femmes tatouées. Sur la peau du cœur.

- Qu’est-ce que tu as encore volé vieille folle… qu’elle crie la melma. Tu crois que je ne vois pas comment ton ventre a doublé de volume quand tu repars d’ici… Y a de quoi nourrir toute ta tribu…  ta famille de… Qu’est-ce qu’elle a dit ?

- La melma elle crie tout le temps… y’a rien melma… y’a rien… tu vois bien…

Le chien indigène regarde les deux femmes comme les toupies rouges qui tournent l’une autour de l’autre. Djeda Fatima devient lentement le papillon géant qui se superpose au voile du soleil. Rouge son voile qui se couche sur les formes blanches allongées dans le sable de l’oasis. Il disparaît sous le souffle du sable. Ouvert son voile. Qu’est-ce que tu as volé ?

Et nous… Nous on a volé le silence des Arabes. Les jarres de silence et d’huile répandues sur la couche de poussière et de sel. Sésame… ouvre-toi… Fille de ma tribu. Aucun mot de passe n’ouvrira ce chemin vers mon centre. Mon sexe de terre rouge. Je resterai fermée au chant des consonnes qui scandent leurs marches militaires. Ils n’apprendront rien de moi et de mes Nuits interminables à l’intérieur des palais de nacre. Rien… Je ne parlerai que par conteries et brûlures qu’ils ne pourront retenir sur leur langue. Mes mots se coucheront sous la peau de l’huile et du silence. undefined
A suivre...

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