Petites notes des cueilleurs de lune
A Ali
l’épicier magique de la cité de La Source
Epinay, Samedi, 28 juillet 2007 Quand j’ai commencé à écrire ces petites notes cet été Ali l’épicier magique le donneur de joie de la cité de La Source était bien vivant et ces gribouillis n’étaient pas destinés à être publiés… C’était des mots qui me venaient dans la vadrouille de l’été qui fait de nous dans les banlieues des abandonnés à la bonté solaire rien que ça… Et quand ça vient je n’refuse pas et je range les papiers noirs-blancs dans les cartons des oubliettes à histoires… Une nuit on ira voir peut-être peut-être pas… Et j’les oublie et c’est bien…
Et puis y a eu l’écrasement par la pierre énorme qui broie tout de la bêtise misérable et du désastre… la pierre sans pitié qu’on rencontre trop sur les p’tits chemins buissonniers de nos quartiers partout dans le monde… la pierre d’épouvante normale qui s’installe dans les maisons bidons où il y a de la sermi et de l’infâme au dîner chaque jour et où pourtant la bonté fait résistance…
Et puis y a eu la mort d’Ali et son regard de tendre bienvenue au monde des fous du malheur et de la vie vraie que je n’peux pas retirer de moi comme une traîne d’étincelles rouges qui durent… qui durent… Et ça fait mal trop mal ! Alors quoi faire ?… Quoi dire et à qui ?… A vous autres qui comprenez bien sûr vu qu’Ali vous le connaissiez et vous l’aimiez… Il était ce qui brille en chacun de nous qui vivons dans les cités d’banlieue le matin quand il fait froid quand il fait hard quand il fait de la peine et de la rage !…
Ecrire parce que c’est tout c’que je sais faire pour qu’il demeure présent dans notre maison bidons Ali sa petite lampe joyeuse allumée toujours… tout le jour toute la nuit toujours qu’il ne nous largue pas lui aussi à nos utopies dégoupillées… Ecrire et lui dédier mon prochain bouquin “ A Ali l’épicier magique de la cité de La Source qu’il garde bien l’âme farouche et tendre de nos banlieues… ” ça lui fera une belle jambe !…
Ecrire parce qu’on est trop tristes et que ça pèse sur le cœur sur le ventre sur la peau comme cette saleté d’énorme pierre d’âge et de mort qui habite dans nos maisons bidons et qu’il faut qu’on sorte de là qu’on vire qu’on balance de chacune des favela de chacun des quartier ghetto du monde… et qu’on retrouve enfin notre bonté humaine notre force et notre résistance…
“ Mais comment peut-on réussir sa vie dans un monde raté ? ”
Cette petite phrase qui m’a sauté dessus je l’ai extraite d’un texte de Michel Polac intitulé “ La mort aux trousses ” tiré du Charlie-Hebdo du 25 juillet 2007…
Cette petite phrase qui peut encore donner à penser pendant que la lune au-dessus de la table où j’écris est tout à fait ronde et claire comme un gros sou d’or pâle et qu’elle éclaire les deux hautes tours de la cité pareilles à des sculptures modernes sous le halo d’un projecteur me fait songer à l’angoisse qui me prend de plus en plus souvent de ne pas avoir “ réussi ma vie ”…
Tiens… c’est bien un truc de poète ça comme réflexion ! Les ouvriers eux… les laborieux qui en ont plein les pognes ils ne se posent pas ce genre de question pour sûr… Ah bon… tu crois ?…
A quoi peut bien être utile quelqu’un qui écrit des mots aussi insouciants que la fumée qui s’étire au-dessus des corps allongés des fumeurs d’opium qui ont la lune pour écritoire… quelqu’un qui écrit dans le métro au milieu des gens qui vont marner à l’intérieur d’un carnet gribouillis… à la table d’un bistrot et pas Le Sélect ni La Closerie des lilas aujourd’hui vous comprenez ?… non un bistrot comme ça de la rue d’ici ou d’ailleurs avec des habitués du p’tit rouge au comptoir et du p’tit noir tout l’temps vite fait sur le zinc et vas- y !…
Ouais… à quoi ça sert d’avoir envie d’inventer un chemin de clair de lune jusqu’à l’âme des gens et de donner l’alarme à ceux qui dorment déjà dans le petit val mouillé de lumière juste avant leur mort ?
A quoi bon les réveiller si on a pas la sagesse des magiciens qui dissimulent une lune de papier sous leur manteau et des épiciers qui se lèvent tôt le matin dans les cités de banlieue avec le café tout prêt pour la bienvenue ? Ou si comme Hélicon à Caligula on est pas capable de promettre à la foule des gens venus de la rue avec des mensonges au parfum de miel qu’on va aller lui chercher la lune ?
J’ai cru longtemps en suivant le modèle des vieux ouvriers qu’il suffisait de se mettre à l’ouvrage pour qu’elle soit belle et qu’elle ait un sens et du coup qu’elle donne du sens à ma vie…
Les compagnons que j’ai eu la chance de rencontrer étaient des êtres généreux et vrais pour qui la belle ouvrage demeurait une manière de s’accomplir que j’imagine semblable à celle du peintre Vincent dans son obstination créatrice et sa quête de la liberté sur le chemin qui l’a mené de la traversée du Borinage où il fréquentait mineurs et paysans jusqu’à la Maison jaune d’Arles…
Sortir de l’insensé où la nuit de mon enfance de banlieue n’avait aucun croissant de lune d’or ni aucune petite lampe pour l’éclairer et au moyen de l’écriture et de mon envie de raconter des histoires ce qui exige un labeur de joaillier des mots tout en légèreté devenir un modeste allumeur de réverbères voilà qui me semblait un destin fabuleux…
Mais nous voici à nouveau sur ne scène travestis du costume de l’insensé. Chacun des rôles que nous acceptons de jouer nous emprisonne un peu plus dans le regard des autres et dans le halo éblouissant des projecteurs et nous sépare de nous-mêmes derrière le fard blanc de notre indifférence…
Les mouvements grotesques des bouffons qui ont envahi notre territoire d’utopies n’ont plus rien à voir avec l’authentique et magistrale pantomime du formidable bouffon Fançouille de Baudelaire dont l’art était d’une telle perfection de l’âme et des sens qu’il en oubliait la mort… Tout comme les ouvriers avaient au fond noir des galeries ou au centre rouge des fournaises d’acier l’intuition d’une force incroyable et vitale… ils étaient loin au-delà de leur destinée humaine !
Dans les années 70 qui sont celles de notre jeunesse rebelle nous croyions vraiment que nous allions imaginer un monde solidaire et neuf et nous n’avions pas assez de couleurs d’images et de mots pour en tracer l’esquisse sur les papiers chiffons vendus très cher que nous allions voler dans un des magasins pour artistes par des nuits de pleine lune…
Aujourd’hui tout ce qu’il nous reste de nos utopies que nous n’osons même plus offrir aux jeunes des quartiers après que la banlieue rouge et noire ait été désertée par l’âme des vieux ouvriers et des maires bâtisseurs de cités-jardins comme Henri Sellier dont les combats fraternels étaient ceux des hommes justes contre la misère du monde ce sont nos dessins et nos histoires sur les papiers chiffons que le lait clair de la lune comme un gros sou d’or pâle noie pendant que l’orpailleur de rêves tamise le rivière de notre mémoire…
Mais… vous allez me dire… quel rapport tout ça avec notre ami Ali l’épicier magique de la cité de La Source qui nous a laissé nous dépatouiller avec ce monde pas drôle à la fin de l’été ?… Eh bien Ali il l’avait lui la réponse à la question du départ… Ouais… Ali il l’a réussie sa vie dans un monde raté… il nous a redonné de l’espoir en l’homme… ce mot qui ne veut plus rien dire… et ça n’est pas rien !…
Quant à moi faute d’avoir réussi ma vie peut-être que je finirai avec mes p’tites histoires par savoir faire entrer un peu de la lueur lunaire entre les fibres du papier chiffons pour la rendre aux gens des rues qui ne la voient jamais vu qu’ils dorment de fatigue avant qu’elle se lève trop tard et que quand ils se lèvent trop tôt pour aller marner son corps a rejoint les iris d’or des chats qui rêvent encore à d’extraordinaires métamorphoses…