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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

27 octobre 2013 7 27 /10 /octobre /2013 20:32

Venice Orient Express suite...

 

Ecoute… écoute…Orient-Express_-Affiche2-.jpg

Venise ça puait si fort le jour quand ça commence et ses ordures qui suintent en tas aux angles des marches au moment où l’eau les étripe. Les croûtons de pain moisi les peaux d’oranges paillettes noires les moutons éventrés la laine en paquets mous qui bout et les cendres des bûchers de livres qui crament haut devant les portes du ghetto hein ? Des ghettos si on en a fréquentés Jessica et moi oh là là ! Ouaouf ! Ouaouf !

 

Ecoute… 

Et le ghetto de l’écriture où ils veulent les claquemurer les autres ceux qui ont passé les costumes de scène à étoiles tombées des fers à souder que les paluches des ouvriers métallos agitent dans les coulisses d’or là où leur petite histoire à elles bien ordinaire ne met jamais les pieds… Ouais eux ce sont les maîtres de la comédie majestueuse et leur ghetto d’écriture il vaut son pesant… je vous raconterai Ouaouf ! Les revues qui faisaient leur menu du jour avec les créateurs d’Algérie ceux qui avaient survécu à l’égorgement à l’incendie à l’embarquement au débarquement aux paplars en tourbillons de demande du droit d’asile et où ils étaient quelques‑uns prolétaires nocturnes à la pige à marner ne payaient pas c’était normal.

‑ Déjà qu’on vous publie et que vos papiers gribouillés comme ils sont y a tout à relire Hein ? 

C’était comme ça. Les naufragés les survivants de la formidable boucherie eux ils racontaient la peur sans regard les camarades assassinés les traquenards dans les cages d’escaliers le soleil tranché en deux. Et le fracas de leursCamus-Yacine-Alloula.jpg mots sur l’asphalte indigo qui pétillait le soir autour des tables des bistrots dans ces quartiers de la Babylone éclatante lavés au champagne et au gin balançait au nez des passants incrédules toutes les folies qu’elle avalait à pleins ciboires au Stalag Notre‑Dame des Anges déjà hein Jessica ? C’était des témoins enragés dérangeants leur masque de tragédie déposés à peine ils voulaient sitôt repartir à l’assaut de la forteresse d’épouvante qu’ils avaient abandonnée et dont ils portaient le linceul partout comme une gandourah écarlate.

Aux staffs des revues on avait l’habitude si elle se souvient alors… il leur en débarquait deux ou trois par soirée qui jetaient leurs paquets de feuillets incendiaires au milieu des chroniques quotidiennes et il ne leur  restait entre les paluches au bout de la nuit quand ils s’endormaient d’ivresse verte et de vomissures douceâtres qui écumaient rose leurs lèvres à mégots roussies que des cendres. Et au milieu de ce pataquès il arrivait aussi quelques bouffons aux mains blanches et aux visages scintillants d’innocence elle faisait partie du lot.

 Tiens mais d’où elle sort celle‑là ? avec Jessica elles ne sont pourtant pas des habituées de l’étonnement hein vous savez ? Si elles en ont croisé sur leurs chemins d’égarement des créatures frivoles inconscientes solaires et froides comme un tison de gel mais celle‑là avait quelque chose de ces êtres qui mettent en alerte les passants qui les frôlent.

‑ Tiens… elle a dit Jessica perchée comme elle fait à chaque fois qu’elles se retrouvent coincées prisonnées des heures dans le local tunnel une sorte de boyau avec la porte vitrée à l’extrémité lapant le ciel de la revue Jessica petite ouistiti en haut d’un tabouret du bistrot qui leur sert d’intendance où elle carbure à grands bols de cafés pour tenir la night… tiens…

Le bistrot qui faisait le coin avait peint sur sa Dinet.jpgdevanture en lettres noires sur fond rouge “ Au lapin sau… ” de sorte qu’on pouvait imaginer ce qu’on voulait à la place des trois points et justement une bande de rigolos en goguette avait barbouillé à la bombe aéro blanc fluo par‑dessus le fond rouge le mot “ SAUVAGE ” majuscule. Le patron de ce boui‑boui vaseux qui ramait à contre sens du temps convenu en abritant des revenants d’un pays bouffé par toutes les sortes d’Inquisitions prétendant au trône était un Pied‑noir de la Mitidja dont les ancêtres communards s’étaient trouvés bien dans ce pays de démesure et qui portait le nom de Mr Le Lièvre.

La première fois qu’elle est entrée dans son rade Jessica sur les talons à moitié cachée par le corps volumineux de Francès la directrice de la revue entortillé dans une gandourah noire aux revers tatoués d’arabesques vert pomme et orange il les a repérées aussitôt et elles ont eu droit au coup qu’il fait à tous les nouveaux venus pour les mettre d’équerre sur ce qui les attend ici.

‑ Bien’enue au bistrot des éstrangers ! nous autres on est pas d’ici hein ! et oilà ! et la mort de leurs z’osses à ceux qu’ça plaît pas bessif ! il a envoyé avec la voix d’un corsaire malouin recyclée dans le pur parler pataouète de Bab‑el‑Oued.

Et vu qu’elles restaient silence mais juste Jessica se frottait énergique le bout du nez par signe de questionnement muet il a continué : moi c’est Le Lièv mon p’tit nom et à sa’oir qu’un lièv c’est un lapin sau’age hein ! et nous autr’ à la course on est les meilleurs bessif ! Jessica et moi on se l’est tenu pour dit… SAUVAGE vous comprenez ?

Donc au Lapin SHomk-Salim.jpgauvage ou plutôt chez Balthazar car le patron se prénommait Balthazar que tout le monde surnommait Baltha le roi des Arabes c’était un repère d’Algériens revenus du bled avant d’y terminer transpercés ou rôtis par les barbus que Balta pourchassait sans la moindre hésitation le lance‑pierres autour du cou qui ne le quittait jamais. Tout ça donnait au lieu l’allure hystérique d’une des scènes de Homk Selim d’Alloula ou du Roi de l’Ouest de Yacine au TNA à Alger dans les années 70.

Ce dont Balta ne causait pas c’est qu’il était le meilleur au lance‑pierres avec un des gars de Plogoff qui comme tous ses potos passait régulier au Lapin échanger des nouvelles d’Afrique. C’est au bled qu’il avait appris à les fabriquer en bois de grenadier vu que dans tous les pays sans armes les peuples ramassent des pierres pour se défendre. Mais celui qu’il avait au cou ce samedi‑là c’était une sculpture où on voyait une tête et un torse de femme sans aucune courbe juste des triangles comme on en trouve au Burkina-Faso et le bois était noir aux reflets d’ocre sanguine une sorte d’ébène d’Ethiopie… mais où il était allé la chercher ? Ouaouf ! 

Au‑dedans de ce rade des fous c’est vrai que celle qui leur déboulait là avait l’allure d’une créature lointaine prêtresse de l’Egypte ancienne couverte de bijoux d’argent empierrés de lapis‑lazulis de Sar-e-Sang tandis que ses vêtements semblaient sortis des meilleurs boutiques de fringues de la rive gauche du fleuve. Elle avançait entre les tables grimées de mousse ocre jaune hésitante à l’intérieur de la fumée qu’elle écartait de la main et de l’autre elle tenait son cartable en cuir serré contre elle. Dans le bistrot il y eu soudain un silence remarquable.

‑ Tiens… elle va nous changer des autres effarés qui se ruent nous hurler la mort à l’heure des petits pains au lait… elle va nous lécher notre peau écorchée d’un coup de langue sucrée tant mieux ça nous fera du bien… elle a dit Jessica en se frottant le nez encore et elle a poussé un petit grognement repu d’allégresse comme elle fait des fois… Jessica…

‑ C’est drôle… elle a continué Jessica qui la matait en douce… on dirait qu’elle vient direct d’une peinture de Dinet avec le costume les couleurs pastel les bijoux et tout ! Et pour ce qui est de la barbouille Jessica elle en connaît un bout on peut lui faire confiance. L’intuition elle l’avait eue une fois de plus ma petite ouistiti et c’était si tellement juste que cette beauté‑là était une image. Ouais c’est ça une image de livre bien sûr…

 

Adossée au bar Francès qui savait de suite repérer les bonnes affaires avertie ric‑rac de ce qui débarque d’Algérie par le réseau installé partout où on retrouve les encartés pour peu qu’on musarde le museau au vent du côté des terriers dressant pavillon de ça ou de ci ne la perdait pas d’un œil depuis le départ. De l’autre elle surveillait l’assistance pour savoir si quelqu’un était déjà au parfum qu’il fallait alors prendre de vitesse fissa… Ouaouf !

Pendant que Jessica qui persiste à se frotter le nez sa figure de jeune ouistiti agitée de mimiques et de grimaces qu’elle est la seule à remarquer elle se dit qu’y a intérêt à tenir bon si elle ne veut pas pouffer de rire… Oh et puis ça y est c’est râpé les chroniques de la semaine vont passer à la trappe… Zut et re zut ! N’y a qu’à voir le regard fasciné de Francès sur la nouvelle princesse du Lapin pour savoir que ça va durer la nuit et encore la journée de demain et le reste… 

Ce qu’elle en a marre ! ce qu’elle en a marre alors de ces soirées où elle sert autant de fille de courses à aller chercher les taxis quand il pleut à verse parce que ses pompes de marche ne craignent pas les flaques à porter les valises algériennes qui pèsent normal le triple des autres valoches de toute la terre et à… tout ce qu’on veut qu’à noter sur des bouts de papier déchirés le téléphone d’un peintre qui a fréquenté Sénac et Galiéro et qui n’arrive pas à obtenir son permis de séjour et de l’autre main à récupérer le rouleau de parchemin pelure papyrus du fax à moitié effacé avec dessus la bio d’une poète kabyle inconnue qui écrit  de la part de Nabile… 

‑ Nabile ?… Oui Nabile Farès quoi ! Vous connaissez hein ?… Nabile… bien sûr elle le connaît et même un peu plus… Ce qu’elle en a marre alors ! Mais dehors là‑bas au loin de l’autre côté de ce décor carton pâte quand elle traverse la scène et que la représentation est finie pour s’en retourner sur la route celle qu’on marquée avant 02-59192-abdelkader-alloula.jpgles lascars de son espèce d’une trace qu’on ne peut pas perdre il y a Bonnie la chienne furieuse qui fait le guet et Jessica… le rire fou de Jessica… Gare d’Austerlitz… le Venice Orient Express… elle veut savoir elle saura il faut tenir bon ! Ouaouf… Ouaouf !

Faut dire qu’à ce moment tout le monde en Algérie se cherchait une planque ou bien un moyen d’esquiver convenable le temps du grand sacrifice et ceux qui ne l’on pas fait sont les témoins cabrés et redressés de tort fières et pures momies à mémoire dans leur linceul de gel. Y avait donc bien du courage et un joyeux parti‑pris pour la vie à se mêler du micmac gluant des états major et de leurs communiqués morses par‑dessus l’étendue d’eau salée qui ne les a jamais séparés… Ta tac tac tac tac !… 

Ceux qui avaient traversé farouches oiseaux lunaires leur manteau emplumé qui dégoulinait un peu où s’était déposée la bave rose la même que celle d’ici sur les bords du fleuve et plus à l’Est encore aux écluses du canal marchent comme des vivants mais ils sont des fantômes chahutés par le souffle brûlant du désert de Libye et son gardien Anubis avec Thot le scribe es morts à ses côtés. On les reconnaissait à ça que la luisante forme noire les avait revomis parmi nous autres tout effarés et on les saluait bas… Ouaouf ! Ouaouf ! Mais pas elle.

Ça y est… Francès qui racontait volontiers comment elle s’était fait mettre une lame un soir à Alger sur le palier du petit logement qui abritait de plus en plus souvent des journalistes ou des mangeurs de papier traqués par l’éclair métallique des petits couteaux et que son hurlement de terreur ce chien du désespoir avait fait fuir la clique surprise sans doute a agité la main dans sa direction comme elle fait d’habitude pour une commission urgente ou pas et Jessica toujours perchée l’observe furieuse fourrer ses poings au fond des poches de son cuir et Zouh !Pergamonmuseum_Ishtartor_07.jpg

‑ Bon d’accord elle y va… ça n’est pas ça qu’elle veut faire Jessica non pas ça du tout ! Mais quand est‑ce qu’elle va lui dire d’aller se faire bouffer par les crocodiles apprivoisés de la mare de Gossi  là‑bas au Mali ou dans n’importe quel marigot les petits mômes blacks les nourrissent et les femmes avec des quartiers de buffle frais elle et toute le staff de sa revue… Ouais quand elle ne sait pas… est‑ce qu’elle aura la force de jeter au loin cette muselière qu’ils lui passent tous à leur tour et pourtant elle est une louve hein Jessica ! Jessica !… Aboyer c’est ça… elle ne fait que ça… Ouaouf ! Ouaouf ! mais les planter là se tirer pour de bon… Jessica ! Je voudrais que tu m’appelles Neij… Jessica !

‑ S’il te plaît tu vas à la boutique et tu prends la monnaie dans le tiroir du fond à gauche tu sais ? Tu descends chez l’épicier marocain acheter de quoi prendre l’apéro ce soir avant qu’on aille dîner chez le Turc… du gin deux bouteilles de vin rouge celui que j’achète d’habitude… du jus d’orange avec des pistaches et des chips aux oignons enfin tu vois…

Elle glisse faufile légère entre les tables pendant que la voyageuse qui ne la remarque pas s’approche du bar au moment où Balta qui rompt le silence flamboyant des autres questionne en forçant sur l’accent pataouète :Murs-de-Babylone.JPG

‑ Et la dame d’où c’est qu’elle nous tombe comme ça hein ?

Pour la première fois depuis qu’elle est entrée dans le bistrot elle semble réaliser où elle est et elle répond en se tournant du côté de Francès qui est la seule femme du gourbi dans sa ligne de mire :

‑ D’Oran… je suis venue d’Oran et… 

Quasi arrivée à la porte qu’elle a rejoint en deux bonds de ouistiti elle s’arrête net pour le coup… eh non alors elle ne va pas laisser passer ça… vous vous doutez un peu… 

‑ Oran… la ville de Jean Sénac… Yahya el Ouarani… c’est là qu’il est né vous savez ?

La voyageuse ne s’est pas retournée pour lui répondre. C’est normal vu que quand on prononce le nom de Sénac quelque part y a une moitié des lascars qui ne savent pas et l’autre moitié qui ne veulent pas savoir… elle se dit en ouvrant la porte du bistrot qu’elle aurait dû la fermer… une bonne occasion ouais… heureusement que Jessica est là en haut de son tabouret qui n’en perd pas une… elle lui racontera… Ouaouf !

La nuit dehors scintille d’iris phares écarquillés et des comètes citron des vitrines il ne fait pas encore froid et l’odeur sucrée d’amande amère des macarons devant la boutique de la pâtisserie chocolaterie lui chatouille les narines. Elle court saute d’un pied sur l’autre et Plaouf ! à pieds joints dans l’eau claire et frissonnante du caniveau qui remplit ses grôles des petits glaçons de menthe verte se ruent entre ses doigts de pieds c’est bon !Porte-d-Ishtar.jpg

Venise… La première fois… dans ce train de nuit Jessica… Jess… on allait se rejoindre là et ils ne pourront pas nous séparer… Non ! ni les autres ni elle malgré les allures de panthère qu’elle va prendre bientôt quand elle aura pigé par quels moyens les fasciner les éblouir les flatter les séduire avec de l’Orient plein ses gestes languissants piqués aux odalisques de Delacroix et sa culture passée au glacis d’Occident au cœur de notre Babylone Zéro… Ni elle ni les autres les sorcières et toute la tribu avides de nous ravir la trace ne déferont ce qui nous relie à notre Nommo le génie des eaux qui nous a ouvert la porte du grand baobab où veille la parole sacrée des jeli… Ouaouf !         

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