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  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
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Saïd et Diana

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Texte Libre

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Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 21:50

L'offensive des pauvres suite...

‑ Il était bien bon Monsieur le Comte… paysagefenetremadoudou-petit.jpg

‑ Et ben non qu’il était pas bien bon alors !… Quand il avait besoin y faisait trimer les t’chiot gars à ses usines et dévaler et pis quand y avait pu ben zouh !…

‑ Peut‑être mais ça on y peut rien c’est comme ça quand t’es patron et c’est des choses qu’on n’comprend pas nous autres… on est des p’tites gens…

‑ Et comment ça qu’on est des p’tites gens hein ? C’est ben nous autres au pays richou qu’on l’remontait l’charbon et qu’on y allait entre les machines à bobinages des fois !… On y faisait des 12 des 15 heures et après zouh !… qu’elle grondait mémé riboulant de tous ses calots gris acier délavés mais toujours durs et vifs pareils à des flèches de basalte et en levant son vieux poing à la peau qui faisait transparence dessus ses veines bleues comme des petits ruisseaux au matin.

‑ Ça alors comment tu peux… il laissait grand‑père Antonin courir les lapins le dimanche sur ses terres Monsieur le Comte et sans lui les hivers où y avait pas usine vous auriez eu que les truches… elle soufflait sa fille Mauricette qui avoisinait les 70 ans en resserrant son fichu noir sur ses cheveux qui n’arrêtait pas de glisser à chaque fois que la conversation avec sa mère faisait monter la vapeur entre elles et c’était régulier…

‑ Qu’est‑c’qu’tu racontes encore avec tes lapins !… qu’on s’en fiche bin des lapins et qu’on en a eu plus dans nos gamelles d’leurs os et dl’eurs têtes sans quinquins qu’de la viande !… Les riches y s’la gardaient la chasse que l’pauv pays d’Antonin et ses t’chiots pères y rabattaient pour eux ma fille !… C’était des chevreuils et des sangliers énormes comme ça qu’y s’avalaient et nous autres on fricotait la carne de lapins… que jamais j’veux en renifler l’odeur que ça sentait…

‑ Si c’est pas malheureux… si c’est pas malheureux d’entendre ça !… C’est bien grâce à ceux qu’ont d’la fortune qu’y a du travail pour les ouvriers… Je sais pas qui c’est qui t’a fourré ces idées‑là ma pauv’vieille… S’ils étaient pas là…

‑ S’y z’étaient point là on s’rait sûrement pas dans la misère qu’on a été toute notre vie parc’qu’on s’rait ben aise de pouvoir la toucher leur paie à vendre nous autres tout c’qu’y avait dans les wagons et à manger et pis à boire comme eux autres tiens donc !… et mémé ponctuait sa tirade en cognant trois ou quatre coups de sa canne sur la tomette rouge sang ce qui faisait sursauter Mauricette même si c’était toujours le même scénario…Main-d-tail-Dom.jpg

‑ Mais tu vas arrêter hein ? Tu vas arrêter de dire des mauvaises choses comme ça à ton âge… Si c’est pas honteux ! Ah la la la la… si c’est pas honteux mon Dieu mon Dieu… 

‑ Et qu’est‑c’qu’il a mon âge… à mon âge j’sais ben d’quoi que j’cause et c’est pas toi qui m’feras la leçon des fois que t’y saurais que’q’chose à tout ça ma fille !… C’est la politique comme du temps des Communeux et tes bondieuseries y z’ont ren à voir avec… et les affaires des t’chiots pères qui s’sont battus pour nous autres t’en sais ren de ren !…  Occupe‑t’en que d’ton bon dieu et d’tes pleurnicheries !… Et c’est tout juste mon âge qui t’empêche pas l’respect pour une vieuse ouvrière comme mé !

Quand elle s’y mettait mémé avec son patois richou elle était sacrément mauvaise et on sentait siffler dans l’air autour sa fureur contenue et sa révolte de petite ouvrière de huit carats à quatre pattes entre les grosses bobineuses des fileteries de ch’Nord qui n’avait pas oublié et y avait guère intérêt à insister même si elle n’était pas loin des 90 printemps… Au moment où sa colère commençait à faire bouillir le fricot elle attrapait sa canne en bois de noyer que lui avait taillé exprès Batiste un pays avec qui elle causait de cette sacrée histoire des Partageux et qui compensait sa guibole brisée au fémur et son boitillement qu’elle accentuait pour écarter les adversaires. Elle en menaçait Mauricette avec la frénésie que lui procurait le combat inégal et gagné d’avance contre sa fille qui battait déjà la campagne et ravalait ses imprécations… y avait pas moyen avec cette vieille folle…

Mémé et moi quand on a commencé à se fréquenter on avait 80 années à rattraper et toute une famille bien pensante et adepte en bondieuserie entre nous deux. C’est surtout du côté des femmes de la tribu maternelle qu’on cherchait à lui fermer son clapet depuis toujours afin qu’elle n’entraîne pas à cause de ses débordements populaires et libertaires la chute de l’ascension lente et obstinée du clan en direction de la classe moyenne tant convoitée. Mémé qui s’appelait Sylvie de son petit nom était née au mois d’août dans le furieux été incendié de l’année 1871 à la sortie des fusillades qui ont massacré des milliers de Communards et conduit les corps des pauvres gens hommes femmes vieillards enfants mêlés aux abattoirs de Versailles où se sont écoulés durant des semaines des ruisseaux écarlates au pied des pâquerettes. De ça et d’être la fille unique d’Antonin paysan ouvrier au service des riches propriétaires des domaines agricoles et des filatures du Nord elle tirait une fierté et une grande gueule que pas un contremaître ni un curé n’avait réussi à faire taire.Bonhomme-ogresse.jpg

C’est sûr contrairement à la plupart des femmes et des hommes de son époque et de sa condition Mémé ignorait la peur. Elle pratiquait en revanche la ruse et la finesse d’esprit vis‑à‑vis de l’ennemi de classe réuni dans le personnage du riche noble ou bourgeois et du curé et son intelligence et son intuition de femme du peuple lui suggéraient qu’il n’y a pas la moindre bonté ni la moindre justice à attendre de ces gens‑là. Le fait qu’elle soit entrée en piste dans ce cirque des gueux comme une petite acrobate avide de la lumière dorée courant sur le fil où elle avait décidé de danser juste un peu au‑dessus du monde de misère qui l’entourait l’année même de la Commune me fascinait et m’enthousiasmait. Mémé était le seul personnage féminin de cette famille où tous subissaient sans broncher l’aliénation et la soumission aux conditions pénibles et cruelles de la main d’œuvre ouvrière qui jonglait avec le désordre et l’inconvenance comme avec des balles de couleurs vives.

De son côté le clan femelle qui n’avait pas cessé de maudire la grand‑mère iconoclaste s’était prémuni d’un possible héritage à mon égard en me claquemurant dans une institution religieuse où je croupissais encore à la veille de mes dix‑sept ans. Je survivais avide du vent et des rêves dans ce bagne moderne en chipant aux libraires à chacune de mes sorties un recueil de poèmes de Villon ou de Rimbaud à la résignation du désespoir et à la haine de mon corps de fille déjà honteusement accusé de se situer à mi‑chemin entre l’objet d’une coupable tentation et la proie de tous les vices. Mémé dressée face au soleil telle une vieille squaw tenait bon en dépit des sévices que la tribu lui faisait subir afin qu’elle s’installe enfin dans un hospice pour les gâteux mal pensants. Elle s’incrustait à l’intérieur de la maison familiale dans la banlieue blafarde de Creil qu’on avait fini par payer au bout de toutes ces années de galères prolétaires avec sa canne en bois de noyer qui tambourinait rebelle sur la tomette rouge sang. Les conversations d’insurgés que Baptiste le compagnon menuisier et elle partageaient chaque soir remplissaient Mauricette ainsi que les deux tantes toutes des bigotes aux fichus noirs à pois blancs noués sous le menton et ma mère d’incompréhension et de dégoût. Mais Mémé tenait bon. Elle m’attendait.

A chacun de mes voyages de retour à la maison familiale qui tenait du gynécée vu qu’il n’y avait là‑dedans que des créatures femelles sur trois générations et après avoir balancé en vrac dans l’entrée mon vieux sac de toile grise bourré de linge sale je me précipitais dans la chambre de Mémé qui me guettait en sentinelle depuis des heures derrière le carreau brumeux. Dès le bout de la rue déjà je devinais son visage de veilleuse immobile avec sa peau tissée d’un réseau de fils volés à la toile d’araignée des jours semblable à une eau forte illustrant la première page d’un vieux bouquin où était écrite l’histoire des pauvres gens dont je ne savais rien et pourtant c’était aussi la mienne. Mémé m’attendait farouche et plus jeune que jamais guerrière fragile et déterminée à en découdre jusqu’à la fin au milieu d’une armée de souvenirs portant le brassard rouge sang des Fédérés qui montaient la garde entre elle et les pieuses figurines que les femmes de la tribu avaient semées dans tous les recoins.

‑ Ah ma t’chiotte te v’la ! Jeune-fille-lisant-1978.jpg

Sur la table à côté d’elle il y avait le gros volume de la première publication intégrale de Mes Cahiers rouges parue en 1908 que le journaliste Maxime Vuillaume créateur du Père Duchène avait rédigés au jour le jour pendant l’année terrible où elle était née et que grand père Antonin lui racontait à sa façon tous les soirs à la veillée après ses heures de turbin. C’était le genre de bouquin avec les Mémoires de Louise Michel que Mémé ne sortait qu’avec mille précautions et qu’elle planquait habituellement au‑dedans d’une cachette qu’on avait bricolée elle et moi en creusant un trou dessous les tomettes qu’elle replaçait ensuite minutieusement. Les femelles de la tribu étaient aux aguets et leur hargne ne nous lâchait que quand elles partaient en troupe silencieuse et sévère alignées l’une derrière l’autre pour les offices qui avaient lieu juste après l’angélus du soir et nous laissaient ainsi toute une heure de frondeuse liberté. Sitôt que le portail en bois du petit jardin sauvage rempli d’églantiers avait grincé et regrincé Mémé commençait sa lecture en ponctuant le récit d’expressions en patois et de commentaires qui nous provoquaient des fous rires énormes.

A dix‑sept ans je connaissais par cœur toute l’histoire de la Commune et l’épopée fabuleuse du peuple rebelle de Paris ainsi que la vie de Louise Michel l’indomptable vierge rouge. Et c’est à cet âge‑là sans savoir ce qui m’attendait à la sortie du pensionnat qui tombait par un joli coup de dés du sort dans l’année 1968 qu’à cause de Mémé j’ai écrit à la dernière page de mon journal de bord de prisonnière : c’est décidé aujourd’hui en quittant ce lieu où toute mon enfance et mon adolescence ont pourri de tristesse et d’ennui je sais que je serai anarchiste… Et Mémé à qui j’avais annoncé ça fièrement folle de joie à la perspective de mon retour définitif à bord de notre galère commune m’avait observée de ses calots perçants où clignotait de la malice en répétant :

‑ Ah ma t’chiotte si tu savais… si tu savais…  Jean-Baptiste-Cl-ment-copie.jpg

A suivre...

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