Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
  • Contact

Saïd et Diana

Said-et-Diana-2.jpg

Recherche

Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

13 juin 2008 5 13 /06 /juin /2008 23:17

                       Familles ouvrières paysannes
                                              1850-1900 

























                                    La famille devant la petite maison ouvrière vers 1905

Epinay, dimanche, 8 juin 2008


      “ J’ai mal à la conscience des autres. ”
L-F Céline Lettre 139 Copenhague, le 19 novembre 1945 in Lettres à Marie Canavggia, 1936-1960 Ed.Gallimard, 2007

      La misère quand tu la regardes en face ça ne te fait rien ?
      C’est une question que je leur poserais si je pouvais les approcher les géants épouvantails avec leurs costards haute-couture leurs bagouzes leurs pompes et leurs parfums Champs-Elysées dressés frime et dominant le monde en plein milieu de nos champs de blé…
      Sûr que je n’aurai pas l’occasion de la poser ma question vu que ce monde-là des féodaux temps modernes j’en suis plus loin que mes ancêtres ouvriers paysans l’étaient des Comtes Rothschild sur leurs terres…
      Sur leurs terres comme tous les ouvriers paysans de cette époque-là ils rabattaient le gibier pour les chasses à courre…
      Et ils avaient bien de la chance…
      Ça se passait dans les années… c’était avant la Commune au début des plaines du Nord par delà Senlis ou Chantilly les cités seigneuriales… y’avait de grands domaines et des forêts si vastes si bourrées de gibier…
      Les plaines du Nord à l’époque c’est immense ça s’étend de Paris jusqu’à la frontière Belge à peine si j’exagère et dans les plaines du Nord si tu ne travailles pas à la mine ou aux hauts-fourneaux il y a les filatures avec leurs entrepôts qui en finissent pas et les usines de teintures où l’hiver il fait chaud…
      Parc’que dans les plaines du Nord si tu ne travailles pas et que tu es né dans une famille d’ouvriers paysans pauvres tu es mort…
      A l’époque il n’existe rien qui te protège de la misère ni contrat de travail ni chômage ni retraite et pas un sou pour celui ou celle qui tombe malade pas un sou pour toutes les blessures du travail pour l’usure précoce des corps pour la mort qui survient brutale…
      Il n’existe rien de ce pour quoi ces hommes et ces femmes durs au labeur vont se battre et pour quoi certains d’entre eux ont laissé leur peau face aux fusils de la maréchaussée… non il n’existe rien encore ou si peu vous comprenez ?
     

Dans les plaines du Nord donc y a les usines de teintures de fil à coudre à broder à canevas toutes les sortes de fils que vous voulez quoi c’est un univers haut en couleurs…
 
Mains d'ouvrier paysan    


       Drôle de coïncidence vu que mon histoire celle de ma famille maternelle d’ouvriers paysans elle commence avant la Commune de 1870 et qu’un siècle plus tard mon père qui n’a rien à voir là-dedans vu que de son côté à lui la famille c’était des Bretons de vrais Bretons généreux et solitaires… mon père me racontait…
      Mon père dans les années 1970 farfouillant parmi ses tubineaux ses bobines de fil ses canettes de machines à coudre et ses fermetures éclair et prenant le train à la Gare du Nord trois heures de route pour rejoindre la banlieue de Lille et aller faire je ne sais quoi dans les dernières usines de teintures de fil de la société DMC pour laquelle il bossait avant d’être éjecté Hop ! un peu avant la retraite… mon père dans les années 1970 à chaque fois qu’il me racontait il avait la honte…
      Quand tu rentres là-dedans il fait une chaleur une humidité… la mousson d’Afrique à côté c’est rien… et les gars qui triment ils sont tous Noirs… Y’a des cuves pleines de couleurs et de produits chimiques tu n’sais pas quoi à des températures que tu imagines pas… alors la vapeur monte monte sur les parois de tôle rouillées… elle grimpe grimpe le long des tubes de ferraille rouillés et elle retombe dégouline éclabousse le torse nu des ouvriers noirs…
      Mon père dans les années 1970 il me racontait… mais que je ne vous perde pas… un siècle avant même un peu plus y’avait pas encore d’ouvriers blacks dans les filatures du Nord et ceux qui y travaillaient marnaient trimaient étaient corvéables à merci… le boulot c’était à éclipses selon les besoins de la production et quand y en avait pas alors zouh ! vous comprenez ?

      Tous dans les grandes plaines du Nord ils venaient de familles où les hommes s’embauchaient comme ouvriers agricoles dans les grands domaines ils étaient saisonniers mais les hommes du peuple c’est comme les animaux s’pas ? Ça vit au rythme de la nature… des êtres primaires hein ?…
      Dans le meilleurs des cas ils devenaient métayers et ils rendaient des comptes sur les moissons sur les récoltes sur les cueillettes sur les troupeaux… ils rendaient des comptes et ils rendaient l’argent de leur travail des sortes de serfs modernes quoi…
      Et s’ils avaient de la chance s’ils tombaient sur des bons maîtres… leur salaire c’était une petite maison pour nicher leur famille et un bout de jardin comme y aura les maisons et les jardins ouvriers du Nord quelques années après…
      La misère quand tu la regardes en face… ça te fait quoi ?

Sylvain 

      C’était des paysans sans terres aux aussi à leur façon… Propriétaires ils savaient pas ce que ça voulait dire… Comment ils auraient pu acquérir quelques lopins quand le peu d’argent c’était juste pour survivre ? “ Le pain noir ” vous connaissez ?

Mes ancêtres c’était donc des ouvriers paysans qui sautaient de l’un à l’autre du champ à l’usine et au champ… bondissaient de ci de là quand on les appelait dociles et industrieux toujours en quête du pain qui permettait à la maisonnée de se remplir le ventre avec la soupe aux légumes du petit jardin…

Ce pain qu’ils respectaient plus que tout je vous raconterai… ce pain de l’ouvrier du paysan qui nous a permis durant des générations de ne pas crever de faim…

Sylvain vous vous souvenez ? Je lui ai dédié un poème… Le vieil homme au regard rêveur un regard de bonté et de lassitude… Sylvain assis avec son chien son fusil de chasse sous la treille…

Sylvain assis devant la petite maison l’été quand il faisait bon le soir il était né en… 1850 peut-être je ne sais pas… mon arrière grand-mère mémé sa fille ne connaissait pas la date ou alors elle l’avait oubliée… sur la photo j’imagine qu’il a 40 ans c’est un vieil homme… un vieil ouvrier paysan…

Le travail il n’avait connu que ça à partir de 7 ans… 8 ans… ce genre de travail qui te fait vieillir vite… Son goût à lui Sylvain après les heures d’usine depuis bien avant qu’il fasse jour c’était les longues marches dans la campagne solitaire avec son chien je le sais c’est de lui que je tiens ça… Nos ancêtres à nous qui sommes arrivés dans les banlieues vers les années 1950 c’était tous des paysans… la terre ça nous manque…

Sylvain il marnait dur pour nourrir sa famille et quand l’usine embauchait pas l’hiver alors il faisait le rabatteur avec son chien et son fusil sur les terres du Comte Rothschild il avait de la chance…

Beaucoup de terres et de vastes domaines du Nord appartenaient à la famille Rothschild dans ce coin-là et ils organisaient de fréquentes chasses à courre comme c’était la coutume chez les grands propriétaires terriens… et les paysans pauvres étaient utilisés comme rabatteurs…

Alors Sylvain et ses poteaux qui rabattaient avec lui ils avaient le droit d’embarquer les lièvres qu’ils piégeaient et faut vous dire que depuis que je me souviens on a jamais mangé de lapin chez nous vous comprenez ?

Les copains de Sylvain  ouvriers paysans rabatteurs de gibier     

      Mais à l’époque c’était un peu avant ou un peu après la Commune dans les forêts et les grandes plaines du Nord des lièvres y en avait plein et quand il revenait le soir à la petite maison avec une ou deux bestioles au fond de la musette et qu’il avait gelé encore… des légumes dans le jardin ça faisait un bail qu’y en avait plus… les lièvres c’était un miracle une fête… à manger pour toute la maisonnée !

Sylvain lui il aimait pas trop ces chasses à courre ces redoutables boucheries où les riches propriétaires et leurs invités qui n’avaient pourtant pas besoin de ça pour se nourrir partageaient les pièces de cerfs ou de chevreuils que lui et les autres paysans ouvriers dans les grandes fermes traquaient pour les seigneurs et maîtres mais il n’avait pas les moyens de refuser le petit gibier dont il remplissait sa besace…

C’est qu’il avait une famille à nourrir Sylvain sa femme Palmyre qui comme beaucoup de femmes d’ouvriers paysans dans cette fin du 19ème siècle travaillait à la maison cultivait le petit jardin faisait la lessive qui occupait une grande part du temps vu qu’il fallait rentrer les seaux d’eau du puits ou de la fontaine casser et fendre le petit bois de cheminée pour chauffer les profondes lessiveuses trop lourdes et faire bouillir durant des heures les bleus épaissis de sueur et de poussière les pantalons velours côtelé épais de terre sèche et de crasse les blouses…

 Sylvain avec son costume d'ouvier paysan et sa femme Palmyre    

      Ensuite fallait porter tout ça rincer au lavoir plus les draps les chemises… le blanc comme on disait et puis encore la corvée de bois pour préparer le dîner… Oui les femmes d’ouvriers paysans travaillaient à la maison vu qu’à l’usine y avait pas de place pour elles dans ces régions agricoles des plaines du Nord où la grande industrialisation avait pas encore fait son trou…

Palmyre la femme de Sylvain elle n’a pas souvent le sourire sur les photos et son air buté voire sévère c’est celui que je connais bien des femmes de ma famille qui en ont bavé de la misère ou tu dois faire à manger avec n’importe quoi de la maladie qui emporte les petits de la séparation des hommes qui s’en vont à la guerre et ne reviennent pas de la souffrance des accidents sur les machines et de la peur de ne plus avoir de maison où nicher la famille quand le travail manque trop vous comprenez ?

C’est vrai… les femmes de la famille elles sont comme Palmyre elles n’ont pas vraiment le temps ni l’envie de rigoler et les trois filles de Sylvain et de Palmyre font partie de celles qui n’ont pas eu l’existence heureuse et insouciante je vous raconterai… Bon d’abord pour finir ce premier petit tour d’horizon de notre famille d’ouvriers paysans faut que je vous dise au moins leur prénom…

D’abord il y a Sylvie Berthe l’aînée c’est mémé mon arrière-grand-mère je vous en ai déjà parlé mais là tout de suite vous dire juste que mémé et moi on avait pile poil 80 balais de différence à six jours près ça vous dit quelque chose ? Mémé est née en 1876 le 24 août et moi en 1956 le 31 août ce qui fait que si elle avait pas décidé d’un coup de mauvaise humeur de nous larguer à 98 piges on aurait eu elle 100 ans et moi 20 quasi en même temps ! Et faut vous dire aussi que mémé avec son caractère un peu hors normes je lui ressemble je crois comme à son père Sylvain pour la bougeotte…
                            
                                              Mémé Sylvie Berthe à 25 ans en 1901
      
     


      Ensuite la seconde fille de Sylvain et de Palmyre c’est Gabrielle que j’ai connue aussi quand elle était assez âgée et qu’elle avait un petit grain de fantaisie qui me plaisait drôlement mais ça c’est pareil c’est de famille…

Gabrielle à 22 ans



      Et puis la dernière c’est Mathilde qui pareillement est bien de chez nous les ouvriers paysans pas fortunés et les collectionneurs d’accidents du travail et autres calamités enfer de ces temps sans rien… Mathilde elle je l’ai pas fréquentée pour cause qu’elle est morte en couche à un peu plus de 20 ans…

 

                                                              Mathilde à 19 ans




      Mais la misère quand tu la regardes en face alors ça ne te fait rien ?…  

       Je vous avais prévenus que c'est pas franchement une famille de rigolos que j'ai pioché dans le jeu du hasard de la destinée mais j'ai pour ces gens simples et généreux tels que l'étaient ceux que j'ai connus qui m'ont donné malgré les souffrances du quotidien l'insouciance avec laquelle je me trimballe dans l'existence et le sentiment de la justice de la dignité humaine et de la bonté qui étaient les leurs plein de tendresse et une grande fieté d'être issue d'une histoire comme la leur : celle des ouvriers et ouvrières paysans et paysannes qui ont écrit avec leur vie le merveilleux roman de Georges-Emmanuel Clancier Le pain noir ...


Mémé à 90 ans en 1966


A suivre...
 

Partager cet article
Repost0

commentaires