Entretien avec Mili suite...
Et l’Egypte, quelle place occupe-t-elle dans ta vie ?
Mili Presman : Ça c’est une belle histoire d’amour et d’amitié. Et on a construit beaucoup de choses ensemble avec mon ami. Lui il a un bateau et moi je l’ai peint… Il est très sociable aussi, on aime bien faire des choses avec les gens tous les deux. J’ai vécu à Louxor pendant un an et à ce moment-là j’ai peint là-bas. Mais maintenant quand j’y vais je fais des photos et puis je reviens et je peins ici. On s’est séparés par amour aussi. Moi je ne pouvais pas avoir d’enfants, et pour lui les enfants c’est essentiel. Et lui il sentait que ma peinture n’allait pas évoluer si je restais là… Donc il s’est marié et il a eu des enfants. Et comme en Egypte la polygamie existe, moi je suis la première et sa femme la deuxième. Et ça se passe très bien, on est tous en famille…
Et lorsque tu y vas ça ne pose pas de problèmes ?
M P : Au début, j’ai hésité. Je lui ai dit : « Ce n’est pas dans ma culture » et il m’a répondu quelque chose de vrai qui m’a fait beaucoup rire : « Mais tu n’as pas de culture… » Et c’est bien parce que grâce au fait que je ne peux pas dire : ça c’est mon pays, ça c’est ma religion, je m’adapte partout. Moi quand on s’est rencontrés je n’étais pas trop au courant du problème entre l’Egypte et Israël et de la guerre du Sinaï. Alors quand il m’a demandé de quelle religion j’étais, j’ai répondu juive sans hésiter. Et ça a été une catastrophe ! Il m’a regardée et il m’a dit : « Je hais les Juifs… » Et il est parti. Ensuite c’est grâce à notre relation qu’il a complètement changé d’avis. Aujourd’hui il ne peut plus dire ça. Et ça a complètement bouleversé sa vie.
Et comment pourrais-tu parler de ton rapport à l’exil au milieu de toutes ces relations et de toutes ces histoires qui te relient avec des gens et des paysages si différents et pourtant si proches ?
M P : Quand tu t’en vas de quelque part tu n’es jamais plus chez toi nulle part. Au début je vivais ça comme un fardeau mais maintenant je le sens comme une richesse. En fait tu es toujours étrangère pour quelqu’un à cause de ton physique, de ta langue, ou ce que tu veux… Moi en Argentine on me traitait de Gringa parce que j’ai les yeux bleus et la peau claire. Et je me sens presque plus chez moi ici qu’en Argentine. Tu veux appartenir à quelque chose, et puis… Au début ça a été douloureux parce que je voulais être une vraie Argentine. Et ça n’est pas par hasard que j’ai toujours été avec des hommes de tradition très forte. Mohamed est un vrai Egyptien de l’époque des Pharaons. Et je suis fière d’appartenir à sa famille parce qu’ils ont une dignité familiale. A part ça ils n’ont rien, pas d’argent, pas de possessions, mais ils ont un nom de famille. Ils ont des traditions et ils te racontent des histoires sur la vie quotidienne… comment on fait si… comment on fait ça… Moi j’ai besoin de cette base-là.
L’exil c’est la solitude aussi non ?
M P : Oui… c’est la solitude mais aujourd’hui je ne me sens pas seule, j’ai mes amis. On a créé une vraie chaîne d’amitiés très fortes, une vraie famille. Leur amour est là dans les bons et les mauvais moments. Mon problème d’avoir de gens que j’aime dans des lieux lointains est que j’aimerais bien que tout le monde soit là à la fois. Et il y a toujours quelqu’un qui manque…
Lorsqu’on s’est rencontrées pour la première fois lors de ton expo à L’écume du jour à Beauvais, tu m’as dit que tu aimais beaucoup la poésie et que tu avais un rapport important avec l’écriture ?
M P : J’aime beaucoup la poésie, mais je n’en écris pas. Je crois que ma peinture raconte des histoires, et les livres m’ont apporté des idées de peintures. J’aimerais bien travailler avec un écrivain pour mettre mon travail avec un texte qui l’accompagne. J’adore Christian Bobin par exemple, je me sens bien dans cet univers un peu comme le mien. Moi ce qui me plaît ce sont les sonorités des mots, même si je ne comprends pas tout. C’est musical, et moi j’aime le Jazz, et j’aime les phrases comme j’aime le Jazz. Les titres de mes toiles c’est mon ami Santiago Funes qui les a trouvés. Et la fille qui est en rouge dans cette toile, c’est Nathalie Ouakratis qui m’a aussi écrit beaucoup des petits textes qui accompagnent les photos.
Et Pessoa ?
M P : Quand je reviens du travail et que je pense à mes tableaux, je regarde aussi les gens qui marchent et je les vois comme Pessoa. Il y a des phrases de lui qui pourraient être de moi. Toutes ces sensations qu’il a dans la ville, je les ressens aussi. Il avait un côté très triste et très dur, mais c’est la beauté de ses mots que j’aime. Et ça me touche les écrivains qui ont le même regard que j’aurais pour faire un tableau.
Vous n’êtes aujourd’hui,
vous n’êtes moi que parce que je vous vois,
et je vous aime,
voyageur penché sur le bastingage,
comme un navire en mer croise un autre navire,
laissant sur son passage des regrets inconnus
Fernando Pessoa
A suivre...