Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Présentation

  • : Les cahiers des diables bleus
  • : Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie, d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.
  • Contact

Saïd et Diana

Said-et-Diana-2.jpg

Recherche

Texte Libre

Texte Libre

Image de Dominique par Louis

  Ecrits et dessinés à partir de nos banlieues insoumises toujours en devenir

      Les Cahiers des Diables bleus sont un espace de rêverie d'écriture et d'imaginaire qui vous est offert à toutes et à tous depuis votre demeure douce si vous avez envie de nous en ouvrir la porte.

      Bienvenue à vos p'tits messages tendre ou fous à vos quelques mots grognons du matin écrits vite fait sur le dos d'un ticket de métro à vos histoires tracées sur la vitre buée d'un bistrot, à vos murmures endormis au creux de vos draps complices des poussières de soleil passant par la fenêtre entrouverte...

      Bienvenue à vos fleurs des chantiers coquelicots et myosotis à vos bonds joyeux d'écureuils marquant d'une légère empreinte rousse nos chemins à toutes et à tous. Bienvenue à vos poèmes à vos dessins à vos photos à vos signes familiers que vous confierez à l'aventure très artisanale et marginale des Cahiers diablotins.

      Alors écrivez-nous, écrivez-moi, écrivez-moi, suivez-nous sur le chemin des diables et vous en saurez plus...

 

                                          d.le-boucher@sfr.fr


Notre blog est en lien avec celui
de notiloufoublog 2re illustrateur préféré que vous connaissez et on vous invite à faire un détour pour zyeuter ses images vous en prendrez plein les mirettes ! Alors ne loupez pas cette occase d'être émerveillés c'est pas si courant...

Les aquarelles du blog d'Iloufou l'artiste sans art  sont à déguster à son adresse                   www.iloufou.com  

11 septembre 2013 3 11 /09 /septembre /2013 21:03

      Au temps des guitaresjara.jpg

      Septembre 1973... 17 piges au compteur je viens juste de les avoir et du côté de la jeunesse en révolte qui tire ses combats dans l'antre ogresse d'un lycée de banlieue celle qui a bu le lait rouge et noir de 68 j'ai un sacré retard faut le dire... C'est que je sors tout juste y a deux piges de ça de ce que j'appelle pour jongler avec mon horreur de l'époque Le stalag Nore-Dame des Anges une pension minable située en pleine forêt des Vosges moi qui n'ai jamais pu piffrer le froid la neige les courants-d'air et les hurlements des loups fugaces la nuit quand la lune vert pomme et citron givré me réveillent dedans mon pieux au dortoir les arpions semi-congelés dessous l'édredon pas à la hauteur...

      1971... c'est ça c'est le départ Gare de l'Est on le sait avec les trains de bidasses qui sont déjà toujours des monstres moches et vampires minables mais bien tueurs quand y faut... le départ direction deux années de gel de ma vie chez les soeurs souris grises matonnes parfaites de nos adolescences à la traîne qui ne savent rien du corps qu'on a et c'est là que je vais commencer à déchirer les papelars qui me font appartenir à une famille un clan une patrie une tradition une histoire tout ça quoi après le joli mai bien entendu...

      1971... 15 piges au compteur du sang qui s'est arrêté de battre le rappel au-dedans de mon tambour avec la première année passée au milieu de nulle part et la conscience politique de quoi de qui j'en ai pas je suis comme mes vieux une feuille blanche où y a rien d'écrit moi qui vais devenir d'ici cinq piges de ça la vieille anar et Bonnie la chienne furieuse qui m'accompagne... Donc la conscience des choses du monde qui assassine tranquille ceux qui ont des idées et qui les ramènent de l'autre côté de la frontière espagnole avec Barcelone en haut du chiffon noir elle est congelée glacifiée au fond des soutes de l'absence durant ces mois d'exil dans la tronche et dans le corps mais les copines que j'ai rencontrées avant le stalag étaient toutes des filles de réfugiés espagnols...

      1969... Maria Christina Louisa... de leurs prénoms et leur nom aussi je me souviens ça fait un bail pourtant mais avec elles j'ai commencé à être au parfum qu'il s'en passait des choses par-delà notre petit tram-tram famillial bien nase et décadent... l'Algérie tu parles... et Octobre 1961 on créchait à Auber à cette époque alors le canal qui chariait ses paquets de basanés ligottés noyés dvictor-jara.jpgescendus au petit plomb les phares des autobus dans les mirettes on causait pas on causait rien...

       16 septembre 1973... le chanteur chilien Victor Jara meurt à l'Estadio National de Santiago massacré par la junte et ses petits tortionnaires les mains ouvertes sur les poignées de paroles rebelles et rubis qui rebondissent encore aujourd'hui dans les paumes des gamins qui jouent aux billes avec nos rêves assassinés...

      Septembre 1973... un lycée bourge dans une banlieue toute pareille mes vieux ont réussi à se sortir des misères d'Auber et des gentils enfants d'Aubervilliers avec lesquels j'ai traversé en trombe l'enfance dans les tas de chiffons et les porcs hurlant avant la mise à mort pour aller retrouver les têtes de choux coupées sur les glissières des fabriques de boîtes toutes prêtes à becter... Je viens de resurgir de mon trou à vieillesse scotchée même les week-ends entre réfectoire et dortoir sur les parquets interminables que des soeurs sans âge cirent pendant que les autres s'empiffrent et que nous autres on se bat à coups de chaises pour les restes de patates sautées... les filles ne me font pas de cadeaux elles ne m'en feront jamais et comme je ne m_ne pas l'offensive je regarde mon assiette plastique vide et je me bourre de pain ça va... Le Stalag est un lieu de vidage de soi bien au point et très correct dans sa violence ordinaire mais c'est là que je découvre " C'est extra ! " de Léo par la voix et le piano d'un prof de musique égarée comme une drôle de chouette de jour au Stalag des Anges ça arrive toujours...

      Septembre 1973... au bahut les orgas comme on les nomme y en a plein des marxistes des maos des anars des trotks nos pires ennemies à nous enfin je dis nous mais moi je n'ai pas d'opinion je matte avec gourmandise toutes ces formes du corps qui crie qui danse qui joue qui se mêle aux autres se frotte se débat se sépare et je sens profond au-dedans que c'est ça qu'on m'a retiré là-bas au Stalag et ça va mettre des années avant que ça se guérisse cette souffrance-là... et aujourd'hui encore la solitude du corps je la connais elle ne m'a pas quittée...

      4 septembre 1970-11 septembre 1973... Salvador Allende et l'Unité Populaire qui font du Chili la terre des travailleurs et cet espoir qui nous arrive nous tombe comme une lampe dans notre caverne nocturne d'enfants de 68 où les lucioles des utopies de nos aînés sont à portée de main je n'en sais rien mais Maria Christina Louisa racontent je les écoute c'est le début de ma conscience poétique rebelle... demain aujourd'hui déjà la mort le sang je ne veux pas le savoir mon corps est déjà exsangue...

     

      Demain aujourd'hui Salvador Allende dans sa bouche les miens paysans ouvriers humiliés ignorés crevés au turbin ont enfin un visage et un nom... je n'oublie pas...


 

Dernier discours de Salvador Allende prononcé quelques instants avant de mourir et retransmis par Radio MagallanesAllende-11-septembre.jpg

“ Je paierai de ma vie la défense des principes qui sont chers à cette patrie. La honte tombera sur ceux qui ont trahi leurs convictions, manqué à leur propre parole et se sont tournés vers la doctrine des forces armées. Le Peuple doit être vigilant, il ne doit pas se laisser provoquer, ni massacrer, mais il doit défendre ses acquis. Il doit défendre le droit de construire avec son propre travail une vie digne et meilleure. À propos de ceux qui ont soi‑disant ‘ autoproclamé ’ la démocratie, ils ont incité la révolte, et ont d'une façon insensée et douteuse mené le Chili dans le gouffre. Dans l'intérêt suprême du Peuple, au nom de la patrie, je vous exhorte à garder l'espoir. L'Histoire ne s'arrête pas, ni avec la répression, ni avec le crime. C'est une étape à franchir, un moment difficile. Il est possible qu'ils nous écrasent, mais l'avenir appartiendra au Peuple, aux travailleurs. L'humanité avance vers la conquête d'une vie meilleure.  

Compatriotes, il est possible de faire taire les radios, et je prendrai congé de vous. En ce moment des avions sont en train de passer, ils pourraient nous bombarder. Mais sachez que nous sommes là pour montrer que dans ce pays, il y a des hommes qui remplissent leurs fonctions jusqu'au bout. Moi, je le ferai, mandaté par le Peuple et en tant que président conscient de la dignité de ce dont je suis chargé.

C'est certainement la dernière occasion que j'ai de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu'ils ont prêté. Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l'Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd'hui s'est nommé Commandant Général des armées. Face à ces évènements, je peux dire aux travailleurs que je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au Peuple. Je vous dis que j'ai la certitude que la graine que l'on a confiée au Peuple chilien ne pourra pas être détruite définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir, mais ils n'éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force. L'Histoire est à nous, c'est le Peuple qui la fait.Allende-discours.jpg

Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez accordée à un homme qui fut le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous dire, c'est que la leçon sera retenue.

Le capital étranger, l'impérialisme, ont créé le climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et qu'aurait réaffirmé le commandant Araya. C'est de chez lui, avec l'aide étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges. Je voudrais m'adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous, à l'ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Je m'adresse aux fonctionnaires, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d'État, contre ceux qui ne défendent que les avantages d'une société capitaliste. Je m'adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m'adresse aux Chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs, face au silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir. L'Histoire les jugera.

Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m'écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d'un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le Peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier. Travailleurs : j'ai confiance dans le Chili et dans son destin. D'autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s'imposerait. Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société meilleure.

Vive le Chili, vive le Peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j'ai la certitude que le sacrifice ne sera pas vain et qu'au moins surviendra une punition morale pour la lâcheté et la trahison ”.

Salvador Allende Gossens
Président du Chili du 4 novembre 1970
à son exécution, le 19 septembre 1973333626-salvador-allende-photographie-1971.jpg

Partager cet article
Repost0
31 août 2013 6 31 /08 /août /2013 16:25

Aujourd'hui 31 août... la fin de la force généreuse de l'été de ses moissons de ses folies et celle aussi de la liberté de nos corps de créatures sauvages qui ont retrouvé un instant la puissance de la vie...

31 août de ma naissance que je n'aime pas avec trop de douleur autour mais surtout cette année il y a les 40 ans de l'assassinat de Jean Sénac le poète rebelle de l'Algérie indépendante sortie des pattes des esclavagistes de tous poils... Jean Sénac le frère tué dans sa cave vigie de la rue Elisée-Reclus à Alger le 31 août 1973 par les tenanciers d'un pouvoir bordel auxquels il opposait sa pauvreté choisie et légitime sa grandeur et son désespoir mêlés sa peine solitaire et son soleil partagé...

Désespoir qu'il faut tenir en main malgré l'imposture d'un monde devenu décadent et insensé et malgré la trahison des compagnons de route mais surtout en dépit de la perte des amis partis au-delà du temps...

Alors la poésie elle toujours présente pour nous garder de la folie et de la mort la voici encore l'écriture de passage... chaque été je la trouve au seuil de l'abandon elle la passagère des gares des pistes des rues de nos quartiers ruinés elle la messagère du désert blanc sur les traces de Yurugu le devin du sable le voyageur d'Afrique familier...

Alors ce jour ce 31 d'abord un poème à l'intention du poète de la négriture et de l'éveilleur d'hommes Aimé Césaire le plus grand des meneurs de mots né iJean-Senac-Denis-Martinez.jpgl y a cent ans et quelques semaines car en parlant d'Aimé Césaire on parle de tout ce qui a touché Jean Sénac l'enfant rebelle d'Oran guettant au bord de la Pointe Pescade la venue de frères en poésie depuis qu'on l'avait privé de son émission de radio Poésie sur tous les fronts. Frères qui ne sont jamais arrivés.

" Les êtres de poursuite / sont seuls irrémédiablement. " Diwan du môle


Entre colonisateur et colonisé, il n’y a de place que pour la corvée, l’intimidation, la pression, la police, le vol, le viol, les cultures obligatoires, le mépris, la méfiance, la morgue, la suffisance, la muflerie, des élites décérébrées, des masses avilies. [...] J’entends la tempête. On me parle de progrès, de "réalisations", de maladies guéries, de niveaux de vie élevés au-dessus d’eux-mêmes. Moi, je parle de sociétés vidées d’elles-mêmes, des cultures piétinées, d’institutions minées, de terres confisquées, de religions assassinées, de magnificences artistiques anéanties, d’extraordinaires possibilités supprimées. On me lance à la tête des faits, des statistiques, des kilométrages de routes, de canaux, de chemin de fer. Moi, je parle de milliers d’hommes sacrifiés au Congo-Océan. Je parle de ceux qui, à l’heure où j’écris, sont en train de creuser à la main le port d’Abidjan. Je parle de millions d’hommes arrachés à leurs dieux, à leur terre, à leurs habitudes, à leur vie, à la danse, à la sagesse. Je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme. On m’en donne plein la vue de tonnage de coton ou de cacao exporté, d’hectares d’oliviers ou de vignes plantés. Moi, je parle d’économies naturelles, d’économies harmonieuses et viables, d’économies à la mesure de l’homme indigène désorganisées, de cultures vivrières détruites, de sous-alimentation installée, de développement agricole orienté selon le seul bénéfice des métropoles, de rafles de produits, de rafles de matières premières.

Discours sur le Colonialisme ( 1950 ), Aimé Césaire, éd. Présence africaine, 1989 p.23‑24

 

Afrika natalecesairehomm6002-283x188.jpg

A Aimé Césaire

Vendredi, 30 août 2013

 

Devant le ventre du vieux baobab ouvert

Voyageur sans escale semeur d’oiseaux

nageurs natals d’un continent lacéré

Architecte aux yeux bleus elle t’attend

Afrika femme rouge et verte

Femme faite de terre et de boue sèche

Au fond des fleuves taris par la soif sans fin

du petit toubab mercenaire blanc cambrant

son grand fusil mangeur de crocodiles

que les torches totems de salive sauvent

Oh ! l’incendie violet escarbillé de cuivre

Dessus Marne­­‑Rouge ne le cuira pas

Oh ! La poussière qui pleut sur le chemin

De Rivière Blanche ne le boira pas

Je veux l’imaginer hôte pourrissant

des fourmis à sucre au fond de ta cabane

paroles danseuses de sel et de cannes

Et voilà le petit toubab blanc qui tourne

à l’envers sa nostalgie claire d’un royaume

contre les femmes pétrissant la nuit

de leurs mains écaillées de salamandres bleues

et la bouillie de mil  ravie de l’aube

Ce sont elles qui la brassent avec le lait

des fruits qu’elles pressent entre leurs seins

Ivres de miel termitières de pain d’épices

Qu’aucun gamin ici ne mange ni ne boit

 

Devant le ventre du vieux baobab ouvert                           

  0408aimecesaire0053 2469-701b3                                                  

Venu dessous les vents frottant la cuirasse

papillon de Madinina mélanger

ta liqueur nègre à celle des Arawaks

avant le maléfice des cavaliers

caraïbes buveurs de mangroves mâles

tu sais que les femmes pileuses de terre

façonnant les outres gavées de bières d’or

cambrées qui portent au fleuve sa part de chair  

surveillent ton retour à Jouanacaëra

où trônent les iguanes mangeurs de vanille

Elles ont gardé la langue de petite pierre

Plus personne pour dire à brasier rose

la vie goulue et sa pluie rouillée d’enfants blacks

après que les langues de lave aient sucé

les flancs d’arbres à colibris de Prêcheur

et de Grand‑Rivière où le rhum blanc s’endiable

Afrika femme marron née de la mangrove

A l’ombre des mancenilliers nous attendions

Que coule ton lait poison de délivrance

Et de fureur tiède dans le trou du fouet

Afrika femme rouge et verte nous portons

les fleurs vermillon et les pommes du malheur

Négrillon se dépêche de poser le pack

de Coca-cola aux pieds des toubabs en train

de becter au fond du bistrot d’Amadou

qui leur sert de la défense et de la moelle

d’éléphant flingué ce matin crémeux

Une balle l’a cueilli et l’a couché

là au milieu d’un troupeau d’orchidées

pendant que les jeunes manguiers mijotent

leur confiture poèmes interdits

 

Toi grand voyageur la forge du temps te veille

Venu des Antilles tu as traversé à la nage

les années que nous prendrons pour rentrer chez nous

le long du fleuve aux esclaves le grand serpentportraitcsaire.gif

Abbay né au pays des Noirs sort des flancs gras

de Tana déesse d’eau chevauchée par mille

tankwa de papyrus rongeant les lèvres d’eau

fumée des palmiers cigares de Tisoha

à bois lavé ils ont mis un moteur

au flanc des pinasses flambeaux de nacre noire

Mais la princesse tient le bruit dans le fourreau

des dents mastiquant du petit toubab blanc

Femme faite de la peau des crocos sacqués

de la boue sèche au sang pourpre des marigots

pour tailler sacs à mains sous les ongles qui crissent

Mais la princesse brouille le jeu des croqueuses

de jeunes Négros trop maigres pour devenir

bons larbins le jeu du couteau des exciseuses

Entaille des yeux nègres même plus la peur

Afrika femme rouge et verte femme faite

de terre cuite et ronde comme ses cuisses

dans le jeune feu des feuilles de palmes fraîches

Nous sommes nés et nous n’avons rien su d’elle

Femme sucrée par la grenade crépuscule

Notre géante maraudeuse d’îles

O Afrika natale nous avons goûté

les armes du Jeli ses flèches à naissance

ont percé des trous dans la lave sacrée

la peau à mémoire de la case de cannes

chauve où mort soleil tu bondis déjà hors

de l’habitation Eyma à petits coups

de ton corps palabreur fleur de coton nègre

 

Toi grand voyageur l’arc tendu  du désespoir

empaille les chimpanzés tondus bagouzés

horrifiés leurs nids en haut des grands fromagers

t’attendent tu les tires du cauchemar

d’un mot tu jettes leur sort sur le petitcesaire.jpg

toubab blanc lèvres scellées pommes étoilées

Femme faite des lèvres coquilles rousses

qui poussent au bord des balans salées douces

comme l’entrejambe des petites négresses

que les cannibales banquiers dodus avalent

et puis resquillent la récolte mil fonio

riz et sorgho Femme tu regardes bouillir

la soupe de songe pour tes petits Négros

Afrika femme rouge et verte femme faite

des dents cachées du tigre fou dans la réserve

Photos safaris devant conseil des vieux

au centre du village porteuse de torche

tu défais le maléfice des chasseurs

futurs O savane femme marron

Afrika natale nous buvons le parfum

de l’huile rackettée à la coupe brune

de leur sexe de porteuses d’histoires

que le petit toubab blanc trait pour beurrer

ses tartines et la tête de ses maîtresses

enfants nés du pollen qui n’ont pas d’odeur

Femme faite de petits couteaux corail

Plantée dans la terre rouge et verte

De tes cicatrices de tes lagons tes brousses

La terre du beau pays des Nègres niés

Inconcevable caravane d’hommes nus

Dont la sueur traite comme un lait amer

Fume sans fin au-dessus de Basse‑Pointe

 

Toi dernier goyavier au pied du soleil

tribune_cesaire.jpg

Que les mornes veilleurs  guettent fruit crépuscule

Penché au-dessus de la pierre Diamant

Aux abeilles tu lances ta douleur sucrée

verdie de l’écume des gros lézards qui roulent

leur ventre de houle laiteuse luciole

A pleins bras de ton corps cambré tu les prends

Tu offres leur gelée d’émeraudes au peuple

du plein midi qui n’a pas fini de pétrir

la bouillie d’ambre où se fige sa liberté

Toi dernier voyageur vieil ours semeur de braises

que tu gardais cachées sous ton manteau d’argile

Sans toi la mesure du temps se fait fragile

Et les mots percent nos lèvres de leurs miroirs

Afrika femme rouge et verte femme faite

D’agave crue de la pulpe du flamboyant

et de la fleur de café neigeuse nègre

Tu arraches de ta langue des lambeaux

couverts de sperme de sang de rituels

ravis chaque jour aux tiens et tu nourris

tes enfants affamés doux nageurs ardents

de ta rage ta douleur tes chants tes rêves

de ta naissance bien-aimée Femme faite

de terre et de boue sèche ton désir lève

de gueuler ta joie à la proue des pinasses

Femme faite du sang d’iguane pourpre

de la chair des ibis plumés devant les portes

des masures buvant le thé vert accroupie

au bord des marigots fendus Ho ! Négrillon

Avance jusqu’aux papayes écrasées

des taudis écarlates avance et dis‑leur  

que leur tour de se vêtir des cendres mûres

de la défaite approche pour eux les riches

tenanciers du bon bordel blanc eux les riches

profiteurs de maudite misère noire

dis‑leur que leur temps de coton s’effiloche

et que dans le ventre du vieux baobab

ouvert Afrika natale dévisage

ses beaux enfants mêlés dans la lenteur de l’aube.cesaire-agenda.jpg

Partager cet article
Repost0
26 août 2013 1 26 /08 /août /2013 23:03
      En hommage à Me Jacques Vergès qui a été l'avocat de l'Algérie libre et indépendante et qui a risqué sa peau dans le soutien actif et engagé dans tous les sens de ce terme qu'il a apporté aux Algériens et aux Algériennes qui ne l'ont jamais oublié.
      Cet article est extrait du Quotidien d'Oran : www.lequotidien-oran.com
Vergès et la guerre des Algériens03C003C000762408-photo-jacques-verges-dans-l-avocat-de-la-t.jpg

par Omar Merzoug

 

          La presse française a largement couvert la disparition de Jacques Vergès. Les quotidiens parisiens « Le Figaro », « Le Monde », « Libération » ont abondamment disséqué la carrière de l'avocat, les hebdomadaires suivront et les sites électroniques ne seront pas en reste. L'impression qui s'en dégage est celle de « l'avocat de la terreur », du défenseur des « dictateurs », des «causes perdues» et enfin du « provocateur  ». 

        A quoi est venue s'ajouter, c'est sûrement un effet de son décès, le caractè re mystérieux du personnage : " Sa vie, pleine de mystères, fait de lui un personnage de roman " écrit ' Le Figaro '. Disons-le nettement : la presse française, prévenue contre Vergès depuis son engagement anti-colonialiste, l'est encore davantage depuis qu'il a assuré la défense de Klaus Barbie, de Roger Garaudy et de Carlos. En revanche, les hommages qui viennent d'Algérie, d'Afrique et d'ailleurs semblent faire litière des réserves de la presse et d'une frange de l'opinion publique françaises.
jacques-verges.jpg

        Rendre hommage au grand avocat qu'il fut surtout pendant les années sanglantes de la révolution algérienne lorsqu'il accepta de plaider la cause des militants du FLN, enlevés, séquestrés et torturés par l'armée française, c'est d'abord retracer les moments de cette action, y dénicher les ressorts. " La Guerre d'Algérie a été la grande école de ma vie ", cette guerre qui, précise-t-il, " a été marquée par les pires crimes de guerre : viols systématiques des femmes, incendies des villages, exécutions sommaires, déplacements de populations et tortures ". On ne saurait mieux résumer l'action " civilisatrice " de l'armée française. Précisons que l'ignominie de telles actions ne saurait retomber indistinctement sur l'armée française dans son ensemble. Des soldats, des officier supérieurs se sont démarqués en dénonçant les crimes dont se rendaient coupables les tortionnaires et que couvrait le pouvoir politique des Mollet, Lacoste et Mitterrand.
3462374_3_9ea5_jacques-verges-en-1986-lors-du-proces-d-ibra.jpg

        En mai 1957, le général Paris de Bollardière demande à être relevé de son commandement en signe de protestation contre des actes qui salissent l'armée française. Dans une lettre envoyée à " L'Express ", il met en garde contre " l'effroyable danger qu'il y a à perdre de vue, sous prétexte d'efficacité immédiate, les valeurs morales ". Pourtant les tortionnaires des détachements spécialisés persistent et signent en faisant valoir que la " gégène ", les coups, les pendaisons, la baignoire et la " corvée de bois " font partie de l'arsenal de la répression du terrorisme du FLN. Les crimes du 17 octobre 1961 ne seront que l'acmé de ces pratiques qui déshonorent ceux qui les ont autorisés et couverts, au premier rang desquels il faut citer Maurice Papon. Le trouble jeté en France par ces pratiques, indignes d'une grande nation, a atteint les plus hautes sphères du pouvoir. En avril 1958, Michel Debré, futur premier ministre, déclarait à Jean-Marie Domenach, directeur de la revue " Esprit ", : " Oui, il y a des tortures en Algérie, mais c'est parce que nous n'avons pas d'Etat. Lorsque nous aurons un Etat, vous verrez, les choses changeront ".
        Elles ne changeront pas. Edmond Michelet, le Garde des Sceaux, déclarait en mars 1959, en parlant de la torture qu'il " s'agit là des séquelles de la vérole, du totalitarisme nazi ". Henri Marrou l'avait déjà écrit dans une tribune publiée par " Le Monde " : " Je ne prononcerai que trois mots, assez chargés de sens : camps de concentration, torture et répression collective " et il ajoutait : " Je ne puis éviter de parler de 'Gestapo' : partout en Algérie ont été installés de véritables laboratoires de torture, avec baignoire électrique et tout ce qu'il faut et ceci est une honte pour le pays de la Révolution française et de l'Affaire Dreyfus ". Il s'est donc trouvé, en France même, des hommes courageux, politiquement engagés et moralement intransigeants qui ont sonné l'alarme et dénoncé les crimes immondes commis au " nom du peuple français ".
Djamila-Bouhired.jpg

        Il est certain que Jacques Vergès en fait partie. Encarté au Parti communiste français en 1945, il décide, peu après le début de la guerre d' Algérie, de rompre les liens avec l'organisation communiste, parce qu'il juge les positions du PCF non seulement timorées, mais en décalage avec les réalités nouvelles imposées par l'insurrection de novembre 1954. Prisonnier de sa base ouvrière " raciste, colonialiste et impérialiste " comme le reconnaissait Laurent Casanova, membre du bureau politique, rénovateur éliminé par le très stalinien Maurice Thorez. Un signe qui ne saurait tromper quant au caractère raciste et colonialiste de la 'classe ouvrière', ceux qui votaient autrefois communiste votent aujourd'hui en faveur du Front national.

        Quand il entreprend de défendre les militants du FLN, Jacques Vergès et le collectif mettent au point la " défense de rupture " qui s'oppose à la défense prônée par les avocats humanistes en ce qu'elle exclut la connivence. Celle-ci vise à amadouer les juges, à chercher le dialogue avec eux. Au contraire, la défense dite de rupture balaie ces servilités et fait usage de tous les moyens pour faire retentir, hors les prétoires, le bruit de l'injustice faite aux accusés : " Contrairement à nos confrères de la gauche officielle, loin de chercher un impossible dialogue avec les juges, nous les avons traités comme ils le méritaient et de la manière la plus brutale " ( J.Vergèsin " Que mes guerres étaient belles ! " éditions du Rocher, Paris, 2007 ). Le procès Jeanson, plus exactement " le procès Haddad Hamada et autres ", qui s'ouvre le 5 septembre 1960 en est l'illustration. 6 Algériens et 18 Français s'apprêtent à être jugés.

        Dès l'ouverture du procès, la défense va ridiculiser les représentants de la justice en faisant lanterner le tribunal. Des questions de langue, et plus exactement de traduction, qui sont d'habitude rapidement expédiées vont se traîner plusieurs jours et donner la preuve de la versatilité du tribunal et de son président qui change plusieurs fois d'avis, rendant ainsi des décisions contradictoires. De la sorte le procès qui devait être bouclé en une semaine languit jusqu'au 1er octobre. Vergès le déclare expressément le 8 septembre 1960: " Au terme de ces trois jours de débat, la preuve est faite que la défense peut, car elle est maîtresse du jeu, ordonner ce procès comme elle l'entendra, le faire durer 6 mois "
jacques-verges-M117786.jpg

        Pour bien comprendre la notion de " défense de rupture " adoptée par le Collectif, il faut la situer dans son contexte. Or celui-ci est de part en part politique. " Nous sommes dans des procès politiques, notre défense est politique et nous soulevons des arguments politiques " déclare Vergès dans " Le Salaud lumineux " ( Conversations avec Jean-Louis Remilleux, Michel Lafon éditeur, 1990 ).

       Qu'est-ce qui distingue cette défense de rupture avec une stratégie de défense classique adoptée par les avocats de la gauche française ? La différence gît dans l'attitude de Vergès et du Collectif à l'égard des textes législatifs qui gouvernent le droit français. " Tous les avocats de la gauche invoquent en permanence la constitution française, tandis que nous nous situons le problème sur le plan international " souligne Vergès qui enfonce le clou : " Pour nous, l'Algérie n'est pas la France et les Algériens sont des résistants " en tout semblables aux résistants français pendant l'Occupation. On est en présence d'un véritable différend, c'est-à-dire qu'aucun dialogue n'est possible entre la défense et les juges. Il n'y a pas de commune mesure, un terrain où un compromis peut se déployer.

        C'est un dialogue de sourds : tandis que le tribunal persiste à qualifier les militants du FLN de " citoyens français " qui seraient donc justiciables du droit français, le collectif des avocats du FLN s'insurge en disant qu'il s'agit là de " citoyens algériens ". Alors que les magistrats français accusent les résistants algériens d'avoir constitué une " association de malfaiteurs ", Vergès rétorque : " Ce sont des résistants qui ont constitué une association de résistance ". Et lorsque le tribunal impute aux militants de la cause nationale des actes de terrorisme, Vergès réplique : ces militants ont " accompli sous l'ordre de leurs chefs des actions de guerre ".
Jacques-Verges_pics_390.jpg

        Telle est la défense de rupture parfaitement résumée au demeurant lors du procès du réseau Jeanson par la déclaration de Haddad Hamada, l'un des cadres du FLN. Après avoir rappelé que le FLN est un " mouvement libérateur " auquel il a " l'honneur d'appartenir ", un mouvement de rassemblement national ouvert à tous les Algériens. " La présence dans ses rangs d'Algériens israélites, sans distinction de race ni de religion ou d'opinions philosophiques en est un témoignage ", il ajoute : " Quant à l'accusation que vous portez contre moi, à savoir atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat, en ma qualité d'Algérien, j'ai conscience de n'avoir jamais commis un tel délit pour la simple raison que l'Algérie n'est pas française et qu'elle ne l'a jamais été, n'en déplaise à ceux qui veulent entretenir le mythe d'une Algérie française par des arguments qui sont un défi au bon sens ". Peu après le début de la révolution algérienne, en novembre 1954, Messali Hadj répond dans 'France Observateur' aux allégations de Pierre Mendès France et de François Mitterrand. Si, leur dit-il en substance, l'Algérie est une terre française, pourquoi donc est-elle soumise à un statut particulier ? Pourquoi y a-t-il un double collège, et pourquoi, en un mot, les mêmes dispositions légales ne s'appliquent-elles pas uniment à l'Algérie et à la Métropole ? Peu après, Colette et Francis Jeanson, dans 'L'Algérie hors la loi' (1955), apportent les preuves que l'Algérie n'est pas la France.
Verges.jpg
        En novembre 1955, un éditorial publié par ' Les Temps Modernes ', la revue de Jean-Paul Sartre, aborde frontalement la question : " Si 'l'Algérie était la France', cent vingt députés musulmans doivent entrer à l'Assemblée Nationale, les régimes des salaires, de la Sécurité Sociale, doivent être unifiés, toute discrimination doit disparaitre. Si l'Algérie n'est pas la France, il supprimer le gouvernement général, négocier avec les nationalistes et reconnaître au peuple algérien le pouvoir de s'administrer lui-même ". Pour en arriver là, il faudra plus de sept ans de guerre et des milliers de morts et de blessés. La responsabilité politique et morale, dans les crimes de guerre commis par l'armée, des Mollet et des Mitterrand, soutenus par les communistes est écrasante alors que le Front républicain avait reçu, aux élections du 2 janvier 1956, le mandat du peuple français d'en finir, selon les termes mêmes de Guy Mollet, avec une " guerre imbécile et sans issue ". Les tomates qui s'abattent sur la figure de Mollet, le 6 février 1956, le conduiront à une reculade honteuse et sans gloire devant les hordeshystériques de la populace de " Petits Blancs ".
L-avocat-de-la-terreur.jpg

        Cette stratégie de rupture provoque dans le tribunal une sorte de séisme. Les incidents se multiplient. Les assistants, pour une bonne part des parachutistes et des partisans de l'Algérie française, présents dans la salle, menacent et insultent les avocats. Ce qui leur attirera ce commentaire de Vergès s'adressant au président Roynard : " Sommes-nous ici dans un tribunal ou dans un meeting d'assassinat ? ". Cela vaudra à Jacques Vergès un avertissement du président Roynard. Ces nervis troublaient les débats en lançant à Jacques Vergès l'épithète de " Chinois ", celui en verve de provocation répliquait : " Dois-je rappeler à ces gens que lorsque leurs ancêtres 'bouffaient' des glands dans la forêt, les miens construisaient des palais ? ". La presse française relèvera l'atmosphère de lynchage qui sévissait alors au tribunal d'Alger : " C'est sous les huées d'une centaine de personnes (des nervis et des parachutistes mêlés) que les avocats parisiens quittèrent la salle et, en proie aux cris hostiles du public " massé aux abords du tribunal " ils durent être protégés par la police pour regagner leur hôtel ".

        Alors que la défense de connivence implique un accord sur les principes entre le tribunal, l'avocat et l'accusé, la stratégie de rupture se fonde sur l'absence de tout accord sur les principes et cette différence est fondamentale. Si risquée qu'elle soit, la stratégie de rupture a porté ses fruits en ce qu'elle a attiré l'attention des médias, et donc du monde, sur la lutte de libération nationale et sur les violations du droit que l'occupation française de l'Algérie impliquait. Elle fut fructueuse en ce qu'elle a entraîné un soutien et une solidarité internationale en mettant au jour les procédés infects utilisés par l'armée française pour soi-disant garder l'Algérie à la France. Elle a du même coup donné un " coup de fouet " à l'idée d'indépendance qui a fini par s'imposer en dépit de tout.
Jacques-Verges-mort.jpeg 
Partager cet article
Repost0
25 août 2013 7 25 /08 /août /2013 19:02

De la rouille sur les rails

Epinay, dimanche, 25 août 2013

detroit16.jpg

Leur monde sa pourriture sa décadence encore

un royaume fissure avec ses images symboles de la Babylone métal

jetés en vrac caoutchouc chromes peintures émaillées

tôles embouties carrosses matricules inutiles passerelles renversées

qui finissent ferraille ruisseaux d’eau rouille

que le dentier vampire de la grue carnassier fossile ne mâche plus

Pendant que les héros aux yeux d’argent se sont faits la malle

emportant le feu des diamants dans leur cassette Rémi tranquille mate

Et dedans la cathédrale fossoyeuse construite

par des types comme lui des bâtisseurs d’Empire d’acier de lave de laitier

au moins cinquante tribus de rats qui habitent et qui trônent

ravis rongeant les restes de l’histoire

Ils ont la maîtrise des autels des églises

et les bénitiers neigeux de Carrare leur servent de réserves à blé

que le curé ne risque plus d’empoisonner

C’est là que le vieux Rémi polisseur soudeur à la Chrysler

s’est installé avec son caddie de conserves

lait condensé nouilles et packs de bières qu’il roule à ses pieds 

depuis l’épicerie de Tan le Chinois de Taïwan

qui tourne encore au bord du fleuve grâce aux gars du port

découpant les navires de brume au chalumeau

avec les auréoles d’or des jantes jetées dedans par les mutants

 

Sable soudé au vent arides sont les roses

Porteuses-d-eau-Dogon.jpg

Ils ont fait ci ils ont dit ça ce n’est pas vous

Ça n’est pas moi ce n’est jamais personne en fait

Et l’honneur humain file à vide sa défaite

Vieux nos jardins somnolent nus au gré des choses

Pour eux pas de pièges de moissonneuse à sous

Arides sont les roses que le soc dénoue

En plein désert de fer nos enfances reposent

Et on est des milliers à crever sur un bout

De radeau la terre va errant au bord de

L’éternité rouille des rails tout m’indiffère 

 

Plus personne pour déranger Rémi le sortir de sa retraite

Beyrouth.jpg

Sa planque de pierres à vent et le traiter de fainéant

quand il refusait les heures supplémentaires ici c’est néant

maintenant le repaire des géants citadelle en loques

aux chevaliers pylônes immobiles pendent des câbles qui tricotent

des pulls over pour les étoiles de verre des tours ouvertes

que le guerrier soleil à l’Ouest rétame et fond dans sa forge énorme

Le soleil Rémi le vieil ouvrier le connaît bien c’est son ami

Avant le changement d’équipe de l’aube il le saluait de la main

et après celui du soir aussi plus de demain

plus de pointeuse de cadence de chaîne ni de bruit

Les hirondelles ont refait leur nid de laine et de boue

dans le silence des tuyaux d’orgue couchés

les mésanges logent aux gargouilles muselées de mousses

et d’air frais Rémi boit l’eau courante des gouttières

bénie par les jardins de pluie pendant qu’un tapis d’herbes

pousse là où il a éparpillé sa salle à manger

Pour une bière un ciboire c’est grand assez

et pour passer les pâtes une étole en soie ça fait l’affaire

le placard du presbytère en est plein

 

Arides sont les roses qui ont pris la place

Meule-du-Hogon-Nombori.jpg

Des éclisses brutales brûlant notre absence

Les buissons ont mûri dessus les aiguillages

Et que le sens s’efface de nos souvenances

Ils ont tout pris et ils ont tout désaccordé

Je ne sais plus quoi vous conter comment nouer

Le fil d’hiver à la trame des jours d’été

Ici se terre seul le chien de ma colère

Nous avons du retard arides sont les roses

Le jardin recommence sa jeunesse enfuie

Rouille des rails enfants qui sait où est la trace

 

Le soir après l’Angélus que les cloches pointeuses gavées d’effraies

detroit32.jpg

venues des terres Indiennes à leur tour n’annoncent plus

Tan l’épicier chinois de Taïwan rapplique sa carriole qu’il tire

bourrique broutant la nuit bourrée de liqueurs interdites

qui chauffaient les théières d’eau claire des marchands d’hier

carillonne l’appel muet des grands mutants

Rémi en aura pour des temps à se remettre de ses déboires complices

de fondeur de calices où mijotent encore les heures pourries

le sacrifice blafard de sa vie chauve cramées dans le chaos

du vulgaire incendie tenu par les curés et les armes des banquiers

Les voici maîtres stupéfaits de la maison que les arbres défont

Château de la misère généreuse pâture à frissons

pour les troupeaux de pipistrelles entoilées gris turquoise

arrivées au radar tenir compagnie et bonne chair

Les armoires du presbytère regorgent de mouches d’or noctuelles

sauterelles d’Afrique de chats lucioles aux babines troussées

protégeant le territoire où fument les bananiers géants

les manguiers les caïlcédrats la brume chaude qui craque

ses lézards en armures prêt à la nouvelle migration de l’été

qui dure contre la troupe des barbus barbouzes et leurs cierges

immenses flambeaux et goupillons parés à retrousser leurs jupes

et toujours fidèles à la banale cruauté d’inséminer la mort

 

Arides sont les roses riant sur nos tombes

Tongs-et-Autel-sacrifice-Dogon.jpg

Les murs de nos usines tombent la ville est

Un trou dans la nuit les tours jouent enfer et bruit

Et dérangent le désert avec leur cri d’ombre

Ces grands vautours tristes on ne sait plus qui c’est

Où marcher camarade où marcher quand les pistes

Se brouillent celles que nous inventions recèlent

Des signaux éblouissants qui parent les rails

De rouille nus ils nous emportent nulle part

Entre lune et sel nous éclipsons nos empires

Arides sont les roses sur nos feux couchés

 

Au milieu des cristaux d’astres calcinés qui frappent grésillant

Ruine-Detroit.jpg

sa caboche aux rides faucillées de vieil ouvrier soudeur

Rémi se souvient du chalumeau scellant ses premières

heures à la douleur des hommes de peine que la faim

attise longtemps de grandeur et d’ivresse

Aux remparts de la Babylone heureuse la tribu laborieuse

grimace et tient bon et les navires de guerre

et les chars d’assaut et les avions de combat passent

par là ils ne passeront plus par ici

et Tan remplit le ciboire de Rémi jusqu’à la saison terrifiante

de la Chrysler de la Ford de la Bentley et toutes les vieilles

starlettes US pelissées pastel trahissent et se noient

dans la baie de Cuba ici la charpente s’écarte

sur le soleil qui vitraille et les poutrelles taillent l’horizon

L’énorme cathédrale de métal frémit et bouscule

les poussières de papier des paroles écrites pour durer

des messages vertigineux d’avance et la bonne conscience

en arrêt des bourreaux d’hier Rémi sent ses oreilles

tracer la route pour larguer les chants maudits

que croassent les enfants de chœur au fond de la soute

lointaine la crypte profonde clignote un peu des tortures

poignardant le monde pendant que les sources les puits

les gelta fondent les pieds d’argile des sorciers obscurs

et que de jeunes dieux d’eau sautent à pieds joints fugaces

entre nos mains et vont sacrer d’indigo les yeux aveugles

du premier ancêtre serpent qu’ils appelleront arc-en-ciel

 

Arides sont les roses qui rouillent nos rails

Nous vieillissons chargés de pierres écarlates

Qui n’enchanteront plus les cairns blancs des nomades

Bergers des temps inutiles aux baroudeurs

Qui ne rempliront plus les poings offerts des hommes

Qui ne construiront plus leurs demeures de brume

Aux plateaux solitaires pierres sans raison

Qui pèsent désormais bien plus lourd que nos rêves

D’un voyage souverain dans la chair des choses

Pierres du dernier feu que le regain ignore

L’eau qui coule au lavoir nous sauve d’ignorance

Ancetres-et-serpent-lebe.jpg

Ils ont tout emporté sauf le grand abandon

Citadelle d’absence il ne te manque rien

Qu’oublier l’oracle qui t’a nommée captive

Avides veillent les roses sur notre soif

Suspendue aux terrasses où les ruches cueillent

 

Sous la rouille des rails le miel frais de l’errance.

Toutes les photos des peuples Dogon sont empruntées au blog : www.rootsvoyage.canalblog.com 

Partager cet article
Repost0
1 août 2013 4 01 /08 /août /2013 11:12

" L’art sera vivant le jour où le dernier artiste sera mort " Marcel Duchamp ( 1887 - 1968 )

la-proie2000overblog       Bienvenue dans le monde de Yurugu le renard pâle... le monde du sable et du silence le monde du vide indigo et de l'absence de neige ardente...

          Bienvenue dans le monde des textes pas finis des poèmes jamais écrits des roses fanées pas nées qui nous fracassent d'odeur juste avant hier... bienvenue chez les fous dehors défaits et rusés toujours en route sur les traces soufflées du vent...

          Bienvenue ailleurs quand les images inventent des trains à pétrole brut de fin de ce monde un brasier dont discutent entre eux les glaïeuls...

          Bienvenue dans le monde de Yurugu qui efface la peur de demain par la route et ses pattes sur la toile du festin dévorent la poussière de nos destins de foudre...

          Bienvenue dans l'attente de l'eau qui souffrira notre soif et les chants enfouis dessous les pierres ne nous sont pas donnés les anciens l'ont su muets où était le seau joyeux...

          Bienvenue à l'ombre qui nous recouvre et nous tisse de sa pelure de lune farouche... bienvenue à nos défaites et à l'oubli grâcieux sur nos traces effacées nues déjà vite perdues en route.

008-desert-blanc-egypte-fennec

Partager cet article
Repost0
21 juillet 2013 7 21 /07 /juillet /2013 21:45

" Tu marcheras dans le soleil " suitepepee6.jpg

14 juillet 1993… 15 heures… j’écoute France‑Inter ou France‑Culture sous la toile chauffée du tipi de mon grenier je veux avoir des nouvelles de mes amis sur la terre et FIP que je ne lâchais pas dans l’atelier de céramique de mes poteaux de banlieue n’émet pas ici c’est la brousse il y a de l’électricité mais pas le téléphone et je ne voudrais pas que ça soit autrement… “ Le chanteur et poète Léo Ferré est mort aujourd’hui des suites d’une longue… ” Léo ils viennent de nous jeter sur les épaules un manteau de vieillesse et de désespoir celui que tu nous as retirés il y a vingt cinq ans la première fois de cette année 68 j’en avais 12 c’était extra je ne savais rien du tout sauf ma peur et mon agonie bientôt à bord du petit matin des trains de ligne… 

Avec toi Léo nos enfances déchiquetées des quartiers ont pu goûter à l’intelligence du silence violet giclé de l’arbalète obscène de Rimbe et ses jets d’améthystes crues que même le prince des poètes a laissé partir avec sa jambe boiteuse et ses caillots d’absinthe pour l’Ogaden et au Choa d’Abyssinie royaume du négus Ménélik là où les diamants de sel remplacent les diamants de mots. La pureté de ta colère ton aboiement les chiens au museau de misère Pépé et sa bouille d’impuissance absente ta fronde d’anarchie ses galets ronds et doux baveurs  de mots aux dents de loups nous ont pris de plein fouet et retourné notre inculture bâtarde comme une peau d’animal déjà prêt à toutes les formes de services et de hontes inconnues et nous ont jetés sur les routes parés du costume de nuit étoilée des saltimbanques des rebelles des imposteurs des poètes sans poésie des hoboes marchant le long des voix de chemin de fer lacté de Djibouti à Dine‑Daoua pour ne pas perdre la trace de Rimbe de Harrar au lac salé du Danakil et à la maison bleue et blanche dans l’eau de Tadjourah…

14 juillet 2013… la croûte de sel de mon temps craque sèche sa blancheur à mémoire et les chameaux du Danakil remontent avec leur chargement vers le Nord mais je ne croise  plus leur route désormais les caravanes sur la piste de Mekele sont un mirage pour mes yeux qui ne voient que d’anciennes pochettes de vinyles noirs et blancs que j’échange contre un peu de fric à des passants pressés de retourner au présent. Les miroirs du lac Assalé sont voilés quand je regarde dedans Léo tu ne nous as pas seulement largués à notre décadence de moissonneurs sans moissons tu as emporté avec toi l’eau de nos sources communes à jamais taries qui ont lavé les chemises rougies du sang de nos vieux ouvriers et paysans révoltés fils des Communards mineurs en grève insoumis déserteurs et anarchistes et rafraîchi le genou incandescent de Rimbe sur sa civière tout au long de la plaine de sable blafarde moussant de rayons d’argent qui le ramenait à Zeilah avant de reprendre le bateau pour Aden. leo-ferre-ibanez-et-cedron.jpg                                                  

14 juillet 1993… à peine quelques minutes de l’incompréhension qui me lèche de son mufle volcan et me tire des plaintes que la chienne Bonnie reprend en bas son aboiement de peine je ne l’ai pas oublié et je sais que je vais repartir quitter la petite maison pour retrouver la folie de l’errance qui ne m’a pas lâchée dans ma fuite résolue violente acharnée du monde pestilent des banquiers des militaires des dealers des macs des poètes de cour des rois et leurs troupeaux de bouffons à miroirs. Je sais que je devrai planquer à nouveau comme aux jours de l’enfance foudroyée la passion farouche et obscure pour la route qui n’arrête nulle part et qui relie entre eux les peuples rebelles et leurs conteurs leurs Jeli leurs saltimbanques leurs griots et qu’ils la verront scintiller sur moi dans la lumière verte juste avant la nuit et qu’ils me chasseront.

14 juillet 2013… ils ont pris les noms dont nous n’avons pas voulu et ils ont revêtu nos pelisses de loups que nous avons oubliées aux wagons bars des trains de nuit nous les artistes sans art les passants sauvages inquiets maraudeurs d’outrances et dressés renverseurs de bi‑voies nains à boussoles qui indiquent opiniâtres le Nord alternatif aux chevelures de pâquerettes repues de mousse carbonique. Nous les voleurs de givre les conducteurs d’astres généreux aux naseaux bleus qui ne sommes revenus aux portes des Babylone monstrueuses et marquées du sceau de l’imposture d’une époque décadente que pour confier aux enfants des quartiers le signe tracé par les grands voyageurs lunaires sur le premier cairn au bord de la route de neige du Jabal Nafûsa du côté de Zawila où les pieds de sable de tant de fils et de filles esclaves ont marqué le chemin d’une humiliante transhumance celle des Têtes Rondes des grottes d’Akakus qui est aussi la nôtre. Nous n’avons pas su conduire la caravane jusqu’aux portes du royaume de Gao et la chamelle blanche nous a laissés à notre absence.leo_ferre.jpg

14 juillet 2013… Léo… sur cette vitre du bistrot où je bois à l’aube qu’on empêche un petit noir avant d’aller dormir quelqu’un a écrit au rouge à lèvres aujourd’hui les mots que tu nous envoyais à chacun de tes passages comète aux concerts de la FA au moment de faire claquer la gueule noire et blanche de ton piano “ encore un pour la route ”… C’était comme un sémaphore entre nous autres les anarchistes tous on avait le sentiment que le halo sacré de la torchère aux cent mille flambeaux brillait à notre intention de ces deux heures d’intelligence poétique et d’amitié partagées avec la giclée brute noire vermeil que tu nous offrais en confiance. On était tes frangins de vigilance ceux qui gardaient au fond de leurs poings crevés la colère et l’ivresse que tu servais d’abondance à chacun de tes récitals les deux totems des sculpteurs de solitude. Jamais on ne voulait croire que ce serait un jour “ le dernier pour la route… ” et qu’il nous faudrait le boire comme tu l’avais bu tous ces soirs‑là à la sortie du théâtre ou de la salle de concert quand nous étions mille et que tu t’en revenais aux côtés de Pépé après la fête.    

14 juillet 1993… entre mes appels et ceux de la chienne Bonnie elle m’est arrivée à la rescousse la tronche de môme des quartiers de Richard et ce verre qu’on ne boit pas parce qu’il faut bondir foncer à la recherche des copains qui se sont perdus au bout de la trouée nocturne dans le sous­‑monde des coursiers de la ville matrice où les rues étaient notre Grand Canyon on se tenait à l’épaule et j’avais vingt cinq ans… Richard je l’ai rencontré agrippé au guidon d’une mobylette bleue et à chaque fois qu’il partait pour la dernière tournée la plus longue celle qui nous menait au bout de la banlieue fracassée d’obscurité jusqu’à l’éblouissement des sorties d’autoroute le porteur chargé à ras et qu’il faisait frotter à l’angle du boulevard la main tendue vers nous comme pour dire au revoir il y en avait un qui fredonnait “ Allez Richard encore un le dernier pour la route… Eh ! Monsieur Richard le dernier… le dernier pour la route… ” On avait vingt‑cinq ans on ne savait rien de la mort des chambre d’hôpital où on arrive après trois jours et trois nuits à chercher en vain sur les listes des commissariats des papiers égarés dans un camion du SAMU de l’enfance vidangée vite fort sans peur et sans calculer demain.

On ne savait rien du monde qui s’annonçait là où de toutes façons on n’irait pas pointer notre museau de voyous de camés de soulards de fonceurs de rêveurs de clowns d’étrangers de zonards de voyageurs de poètes ratés de fous de hippies parce qu’on était nés au moment où on pouvait encore marcher dans le soleil comme le disait Arthur à sa sœur Isabelle sur son lit à l’Hôpital de la Conception à Marseille le dimanche 4 octobre 1891. Après s’être gavés de nos rites et deferre.jpg nos désordres les imposteurs se sont assis sur les trônes de paille enfermés dans leurs châteaux de verre et ils ont vendu aux enchères nos cheveux noués avec les perles de couleur des Indiens Rouges la parole d’un vieil homme accroupi au pied de la falaise sacrée et les masques sculptés pour l’ultime cérémonie. Alors notre temps d’enfants du rêve est devenu plus court que celui de ton passage comète sur la scène à bord du bateau ivre de Rimbe encore une fois Léo là où tu nous répétais doucement pour nous prévenir “ mon image seule est présente… ” et nous avons décidé de nous asseoir au bord de la piste en attendant.                 

Partager cet article
Repost0
16 juillet 2013 2 16 /07 /juillet /2013 02:07

      A toi Léo qui nous as quittés nous autres les artistes sans art les saltimbanques largués d'avoir trop marché dans le soleil des terres brutales où rien d'autre ne pousse que nos utopies au museau frivole de coquelicots... à toi qui t'es tiré il y a vingt ans en nous laissant juste ce qu'il faut de déserrance pour ne jamais leur ressembler et continuer la traque des mondes étoilés comme celui de Vincent et ses troupeaux d'iris que nous nous étions promis...

      A toi Léo qui as criblé de petites lunes orange et de fracas d'émeraude mon adolescence sans images et sans féeries quand j'ai découvert dans la pension du stalag Notre-Dame des Anges au milieu des soeurs souris grises et de leurs jupes à poussière et de leur méchanceté ordinaire les remous brûlants de C'est extra ! et que mon corps s'est nourri à ce feu-là jusqu'à sa première déchirure...

      A toi Léo qui m'as mis Rimbe dans la peau et qui m'a refilé l'exigence et le dégout de leurs fêtes à frime et à pognon dans les loges de la bêtise la route je te l'offre là encore toujours c'est la tienne c'est la nôtre que je ne lâche pas d'une semelle et la chienne Bonie la bâtarde l'anarchiste qui m'accompagne aussi comme toi  comme Pépé de son ombre absente... nous t'aboyons plus haut plus fort que jamais nous sommes tes enfants de misère et d'enchantement...

     

“ Tu marcheras dans le soleil ”Léo

Epinay, dimanche, 14 juillet 2013arthur_rimbaud1.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

14 juillet 1993… la sentence est tombée un après-midi d’été pendant que je peignais sur un de mes panneaux de contreplaqué dans mon atelier grenier juste dessous le toit de vieilles ardoises cassées il n’y avait que deux chiens assis de petite taille mais je me lavais les yeux au fond de leur rectangle vert turquoise et on avait monté un joli poêle à bois par l’échelle branlante avec une corde attaché pour me chauffer l’hiver dans la petite maison de l’Indre où je vivais depuis quelques années comme le font depuis toujours les artistes sans art et j’ai su d’un seul coup que notre monde celui des poètes hoboes traîneurs de semelles sur les chemins mouvants d’hiver saupoudrés glace et d’été fugaces notre monde de voleurs de nuages de malotrus de voyous crachant au museau des intellectuels méritants et glorieux notre monde d’aventuriers d’une histoire jamais écrite jamais montée en spectacle notre monde de funambules ivrognes de clowns heureux de rien de montreurs d’ours pailletés de promesses de fêtes sur les places des hameaux noirs arrivés le soir repartis au matin venait de basculer loin derrière moi et que jamais je ne pourrais le rejoindre désormais.70388-avec-le-temps-leo-ferre-

C’était bien un 14 juillet y a vingt piges de ça un de ces jours de fêtes imbéciles des pays qui ont des armées où des corps jeunes et heureux de sentir leur chair se parfumer des fleurs des tilleuls et des aubépines à l’aube dans les petits chemins mouillés qui moussent rose de la brume avant la grande lumière d’or sur les troupeaux des blés mûrs roulent au creux des sillons de terre fraîche et ils feront de la farine de sang séché avec ça et ils feront du pain pour tout un peuple d’ouvriers paysans avec ça et ils feront leurs guerres pour que plus personne ne sache que la terre frissonne des mains nues qui la moissonnent qui la modèlent qui l’émerveillent. C’était un 14 juillet et je m’occupais à cracher comme toujours dans l’assiette sur leurs armées coloniales leur contingent embarqué sans moufter direction la Kasbah d’Alger et sa gégène à métèques sur leurs légionnaires leur Fort Gardel et toute la clique…

C’était un 14 juillet banal où je me préparais à poser mes pinceaux dans l’assiette avec un peu d’eau parce que la chienne appelait couinait ronchonnait sa chanson d’errance en bas depuis un moment et que je devais descendre lui ouvrir la porte de la seule pièce vaste et un peu sombre aux poutres graissées de quelques siècles de suie sur dehors un territoire inexplorable pour ses pattes de détrousseuse d’orages et pour mes pieds de chevaucheuse des géants tambours battant la route et puis soudain il y avait un énorme trou qui se déchirait s’écartelait à l’intérieur de la peau de tous mes soleils rouges envolés juste à la bonne distance pour nos retrouvailles au bout de la nuit et la pluie de ses cendres rousses au fond de ma gorge calcinant mon cri.LeoFerre

C’était un 14 juillet sans avenir et sans passé avec juste épinglée à la porte ruinée de la grange une petite affichette rouge et noire : A vendre… 

14 juillet 1993… ça fait six ans que la petite maison et son hectare de broussailles savane m’ont permis de retrouver une existence de renard sauvage qui s’amarre solitaire à son terrier refuge d’ardeur bleue refusant leur univers en pestilence et décomposition qui s’accomplit sur place avec l’immobilité de la mort qui n’est pas celle des arbres généreux les arbres bougent de leur sève intérieure leur lave d’émeraude à mousson… Ça fait six ans que je continue la lutte minuscule comète orange démesurée à face d’Indiens Rouges dépouillés face de rebelles superbes démunis assoiffés face de fétiche ébouriffé lancinant d’attente d’on ne sait quoi toujours au bord de reprendre la route d’indigo des bergers nus d’Afrique et des iguanes resplendissants mouillés de thé vert aux encablures du petit matin…

Ça fait six ans que les arbres fruitiers que j’ai plantés ont appris à ne pas faire confiance aux saisons des hommes qui écobuent avec le pollen d’atome et leurs gants de caoutchouc blanc récolté sur la croûte de banco des routes d’Arlit des hommes qui tronçonnent les haies d’aubépines lunaires avec les cisailles d’aciers des engins broyeurs et qui comblent nos sources enfouies dessous des années de sieste vigilante aux résurgences rouges six ans que j’ai appris du sable du Fezzan à dessiner les foggaras de nos jardins interdits tressaillant de mémoire flagrante et de signes de rosée…leoferre.jpg

14 juillet 1993… l’eau qui se faufile dans l’outre du bassin de pierres contre la porte à l’inverse de la lumière abondante au solstice d’hiver et comptée au fuseau de verre de l’alambic de la St Jean bouillonne du récit secret des miens peuple muet aux doigts taillés coupés meurtris de paysans ouvriers et ce que je sais d’eux je l’ai appris d’elle il y a six ans que ça dure l’œuvre laborieuse commencée mise en route dans les Cévennes de mon adolescence lavée de son anthracite désespoir par les jeunes glaçons de la Mimente et ses ruisseaux de menthe épiques… 

L’eau du bassin qui me lave me nourrit m’enchante surgie des mains à guérison des sourciers du Berry qui me vient des puits d’Almenir et de Kelwawed près de l’Erg Ouan Kassa au cœur de l’Akakus libyen territoire de transhumance des peuples nomades Tamashek a commencé à tarir cet après-midi du 14 juillet 1993 à 15 heures et ma soif s’est enfuie avec elle de l’autre côté de notre enfance prisonnière à souffrance à mépris à ignorance dont nous nous étions sortis à coups de poignards silex au creux du ventre soumis de nos familles tuberculeuses aux lèvres étoilées de sang…

 

A suivre...

leo10.jpg

Partager cet article
Repost0
14 juillet 2013 7 14 /07 /juillet /2013 17:06

Léo je t'aime je t'écris ce soir cette nuit... avec toi toujours...Léo et Pépé

Partager cet article
Repost0
16 juin 2013 7 16 /06 /juin /2013 22:36

Carnets de route suite...hoboes

1976… Argentine… il existe dans tout le pays un minimum de 610 centres clandestins de détention les fameux CCD qui sont juste des camps de concentration à la mode des dictatures d’Amérique Latine. Il y en a 60 à Buenos‑Aires même. A quoi ils servent hein ?

Les groupes de patotas se chargent d’enlever les opposants et de les conduire au centre de détention dont ils dépendent. On les appelle alors des “ détenus‑disparus ”. Encapuchonnés et menottés nuit et jour ils sont torturés et interrogés durant au moins deux mois. Puis c’est le “ transport ” où le plus souvent on les balance dans le Rio de la Plata depuis un hélicoptère sinon ils sont abattus et jetés dans une fosse commune.

1976… 31 août j’aime pas cette date c’est celle de mes vingt piges et je me souviens que ça a été un des jours tristes de ma vie à l’époque je croyais un peu que ma life avait de l’importance… ça a pris une trentaine d’années pour que je sache que non c’est beaucoup… Après quinze piges de minotage papotage autour de la création algérienne et quelques rencontres fabuleuses pas lerche deux ou trois j’ai fini par capter ce que ça veut dire la solitude des hoboes la route au sens où n’a pas arrêté de le clamer Léo… Le dernier Hein Richard ! J’ai pigé pourquoi il faut toujours les fuir et s’en aller.

1976… hiver printemps été dans le Sud un petit bled à côté de Montpellier où se trouvent les chantiers de taille la vigne d’abord et puis les pommiers. Rien à dire on s’est sacrément bien dépatouillés de l’affaire. On crèche désormais dans deux petites piaules superposées qu’un agriculteur nous loue pour trois ronds et en plus il nous file le job de la taille de la vigne à notre arrivée dans le secteur c’est encore l’hiver un peu.

Ce vigneron ressemblait à un des paysans du Larzac que j’ai rencontrés furtivement déterminé généreux et silencieux. Il s’est douté qu’on était dans de la mauvaise embrouille au niveau des papiers de Markos et de Fil et il a souri gentil devant l’auto qui ne démarrait pas le matin à l’aube on la poussait dès six plombes il faisait encore nuit mais on fonçait sur les chantiers avec l’énergie de notre jeunesse éclatée qui croyait à la beauté du monde. On a vite fait pigé comment tailler les ceps et vu que c’était un job un peu dur pour les doigts gelés et les dos on a perdu Brigitt au démarrage et Fil l’a remplacée rapide par une fille du coin une Indigène extra qu’on a appelée Malou pour faire court et voilà !Village

Mars 1976… on a entamé la taille des pommiers il y a un petit mois c’est un gros job qui va rapporter ce qu’il faut pour nous aider à savoir ce qu’on veut faire et c’est Fil qui discute les prix avec le régisseur agricole de la place. Dans ce job comme ailleurs faut un chef et vu l’état préoccupant de Markos dont le pouce droit est enflammé avec un liquide jaune qui coule et que c’est pour sûr du pus on n’a pas le choix.

Faut dire pour être exact qu’avant de quitter nos vieux on a eu l’alerte qu’on n’a pas vue parce que c’était là maintenant et qu’on n’allait pas ralentir le mouvement c’était la route et Fil qui revenait du Portugal et des œillets de sang qui poussaient au milieu des containers d’oranges s’était imposé et qu’il la ramenait pas question de résister de tenir tête rien quoi ! Markos venait juste d’obtenir ses papiers de rechange qui faisaient de lui un autre quand le bout de son pouce droit a commencé à grossir comme une courge et à éclater la chair à vif qu’il enroulait dans un passement approximatif et qu’il lavait à l’eau de Javel pour ratatiner les microbes c’était de la médecine de campagne.

La douleur l’empêchait de dormir malgré la came arrosée de Gueuze et il était devenu pas trop fréquentable au moment où je l’ai accompagné aux urgences d’un hosto de cette banlieue où il n’y avait que des paumés dans notre genre c’était la queue des miracles là‑dedans avec l’odeur qu’on devine sur le gâteau sans sucre déjà et bien rassis.

‑ Un furoncle avec staphylocoques… tombé le verdict comme un coup de pied au derche. Finie la cavale et le départ pour le Sud avec tous les Road Moovies dans la tototte fini pour le coup avant d’avoir commencé !

Bouclé le Markos dans un pageot réglementaire avec trois voisins autour une semaine et puis le billard la perf sur une perche qu’il faut trimballer partout les antibios goutte à goutte glou glou glou finie la bibine au goulot le chichon et même la cloppe pas dans les couloirs hein ! La paluche emballée qui ressemble à un totem de la malchance et le pus qui s’en va de sa chair d’enfant mûr pour la débine au départ le fils prodige qu’est pas devenu larbin dans l’usine Métallo ou ailleurs qu’est rien devenu du tout et qui prend les fleurs de haine en plein milieu de son existence déjà foirée comme celle de tous les mômes d’ouvriers… “ Gentils enfants d’Aubervilliers Gentils enfants des prolétaires… ”

Fil à l’autre bout de l’histoire menace qu’il va partir se tirer sans nous qu’il les trouvera fastoche les remplaçants vu qu’on n’est que des glandeurs miteux et basta ! Une semaine après l’opération et les infirmières qui courent partout à peine débranché duEnfants d'Auber jus de vigueur Markos calte du pageot sans signer sa libération et il envoie promener les soins de la plaie qui purule à fond le poing au creux d’un gros cocon bien propre et vive la route !

Nunca màs ? Jamais plus ? Tu parles… 24 mars 1976… le coup d’Etat en Argentine… c’est le printemps 1976 qu’on se taille et qu’on croit laisser derrière nous les souvenirs aux bandages séchés d’amer le pus tout frais de notre misère adolescente.

Y aura entre dix et trente mille disparus et au moins dix mille prisonniers politiques dès 1976. La situation reste assez méconnue en Argentine même et à l’étranger jusqu’en 1978 du fait de la stratégie de discrétion adoptée par la junte. On apprendra après leur façon la plus raffinée qui consiste à faire accoucher les jeunes femmes enceintes rebelles dans les fameux centres de détention tels que l’Esma Ecole mécanique de la marine et à leur voler leurs bébés dès la naissance. Les militaires et leurs sbires ont ainsi retiré de leurs familles anarchistes communistes et à toutes celles qui refusaient la dictature cinq cents enfants et ils se les sont appropriés.

Printemps 1976… nous autres on haïssait les militaires et on ne voulait pas d’enfants. Les hippies des communautés installées partout où il y a de la terre des morceaux de maisons et quelques vagues chemins pour accéder sont photographiés entourés de tribus de gamins fous et hilares couverts de peintures indiennes de perles et de bouts de tissus multicolores. Parmi les néos‑­ruraux des Cévennes qui créchaient à l’intérieur des hameaux ruinés semblables au nôtre il y avait peu de gamins et ceux qui en ont eu ne venaient pas des grandes cités ouvrières. Nous autres nous n’avons pas guéri de notre enfance et des plaies incrustées de rubis il nous est resté la couleur rouge comme une marque de l’enfer.

Markos et Fil étaient insoumis au service militaire et dans notre façon d’être pas question de devenir objecteurs c’était un combat réel et quotidien contre l’armée contre la guerre contre la mort et contre les pères qui n’ont jamais rejeté ce monde de vieillards séniles prêts à tout pour maintenir par la force les privilèges d’un Occident vivant sur sa termitière géante d’esclaves. Entrer dans une sorte de clandestinité en changeant d’identité c’était ça l’héritage qui nous arrivait tout chaud de nos aînés embarqués enfants à 18 berges dans la Guerre d’Algérie et qui avaient connu les corvées de bois la torture le viol des petites mouquères et les éclaboussures écarlates des bombes de l’OAS dans les rues de la vieille Kasbah.7_15_alger4_H023821_L.jpg

Nous n’étions pas innocents et nous n’avons jamais eu de théories du combat ou de projet de société à venir parce que nous venions du monde ancien des ouvriers paysans qui n’ont pas cessé de refuser de partir à la guerre et c’est là que nous voulions retourner. Nous étions les enfants de la terre abandonnée par ceux qui avaient dû quitter les fermes et les troupeaux afin d’aller s’embaucher aux usines des Comtes de ci et des Maîtres de ça et qui demain n’auraient plus ni maison de paille ni boulot aux 3/8 ni même le tonneau de Diogène pour regarder se lever le soleil. Les militaires d’Agentine du Chili d’Uruguay ne se trompaient pas de cible car c’est dans la chair de l’enfance que poussent les plus belles des fleurs de haine.

Printemps 1976… Markos avait tenu un mois et demi avec son pouce emmailloté mais l’odeur qui s’en dégageait quand on retirait le pansement hurlait à faire peur. Jo la mère de Malou une femme jeune et pleine d’enthousiasme et de gaîté était infirmière et Malou qui n’appréciait pas plus que moi les dîners de kacha brûlé et de fèves bouillies était devenue mon alliée au‑dedans des gourbis où on mangeait ensemble le soir après les heures de taille. Markos et Fil s’empoignaient de plus en plus souvent au sujet des cadences que sa main blessée ralentissait et j’avais beau trimer pour deux le combat était devenu trop inégal. C’est Malou qui a décidé un jour où la douleur qui tambourinait au creux du poignet de Markos était remontée jusqu’au coude en voyant mes yeux hagards qu’on aille demander secours chez elle dans un grand deux pièces sous les toits au cœur des petites rues bourgeoises du vieux quartier de Montpellier.

Pour la première fois depuis je ne sais quand on m’a accueilli quelque part où je n’étais personne avec des paroles bienveillantes et deux bols de chocolat à ras bord plus une grande quantité de petits pains au lait qui nous attendaient posés sur une vieille table en bois repeinte couleur bleu indigo dans un lieu qui sentait bon les petits bouquets d’herbes en train de sécher suspendus au plafond. Alors quand est venu le moment de parler de cette peur terrible des cristaux salés ont coupé mes mots en petits fragments de désastre et c’est Malou qui a raconté la plaie que je saupoudrais d’argile chaque jour parce que c’est tout ce que je savais et puis l’odeur le pus la stridence des coups dans les nerfs.

‑ Ecoute Marion… pas de panique mais vous allez demain aux urgences de l’hôpital sans faute hein ? Malou connais bien elle vous emmènera et pas question de retourner dans la brousse sur vos arbres entendu ? 

Ce jour‑là je ne l’ai pas oublié et il m’est revenu tout frais tout clair quand une quarantaine de piges plus tard je me suis pointée aux urgences d’un autre hôpital avec mon épaule droite qui stridulait de la même chanson incessante et qui résonnait du tam‑tam d’une violence dont on met des fois toute la vie à se débarrasser. Le type des urgences nous a pris après qu’on ait poireauté quatre heures au creux de la moiteur bouillonnant dans la marmite énorme de ce lieu à maladies où déjà on s’était pointés le plus tard possible après avoir été faire notre matinée de taille jusqu’à trois heures pour que Fil nous lâche un peu. Il avait autant d’humanité dans sa voix indifférente et dans ses yeux qui ne regardaient rien qu’un préposé aux abattoirs. Il a défait le bandage de Markos qui a gémi et la phrase qu’il a prononcée après avoir tourné le poignet avec une moue ordinaire d’un côté et de l’autre c’était exactement ça :

‑ Eh bien vous devez être content de venir si tard hein ? On va sans doute vous couper le doigt maintenant…Hotel-Dieu-medecins650.jpg

Je voyais le regard de Markos cherchant à s’agripper à quelque chose de solide derrière la brume mauve de mes yeux. C’est Malou qui nous a aidée à remplir les papiers à trouver la salle commune de dix lits où la téloche carillonnait un feuilleton au milieu des grognements et des ronflements et où ça puait énorme et à aider Markos à enfiler le pyjama rayé pendant qu’une femme en uniforme bleu pâle accrochait au pied du lit la pancarte à laquelle durant trois mois j’allais m’habituer. Dessus c’était écrit en haut d’un grand papier blanc : ostéite aggravée pouce droit puis deux mots illisibles puis un traitement aux termes compliqués et la date de l’opération et c’est tout.

Alors il y a eu le retour jusqu’à la maison de Jo qui nous attendait il y a eu les larmes qui me griffaient de leurs petits couteaux de sel le récit de Malou et tout ce qu’on ne dirait pas à ce type des urgences qui est venu là s’étaler avec la marée d’autres désespoirs qui avaient déjà rempli nos vies à déborder. Que Markos s’était tiré de l’hosto pour ne pas payer l’addition et qu’il n’avait pas plus de papiers de sécu aujourd’hui qu’hier et que si on lui coupait le pouce droit alors Fil pour le chantier il ne me ferait pas de cadeau et le relent du kacha cramé me déboulait dans la gorge et me donnait une épouvantable envie de vomir. Alors il y a eu le bras de Jo autour de mon épaule et la fumée de la soupe qui brûlait au bout de ma langue et les mots qui rassurent dans la chambre où nous avons dormi ensemble Malou et moi comme si l’enfance avait le doit soudain de nager dans ses eaux douces avant les coups de lance aiguisés de mes cauchemars.

Eté 1976… il n’y a pas eu de drame et pas de surprise non plus… le pouce de Markos a diminué d’un tiers seulement avec trois mois d’hosto perfusion d’antibios et pansement matin et soir on s’en tirait bien… Son pouce il ne ressemblait plus à rien raclé jusqu’au cœur on y voyait les tendons les muscles la bidoche et tout le toutim mais le liquide jaunâtre continuait à s’écouler continuait continuait… Et moi je continuais le chantier seule sur mon échelle les doigts de pied crispés accrochés aux barreaux les poings refermés sur les manches du sécateur même la nuit même en rêve. Fil avait repris le contrôle de Malou qui me faisait des petits signes au passage et je mangeais à l’écart une gamelle que je bricolais la veille avec tout ce que j’aimais et surtout un bon claquos coulant à point sur de la baguette fraîche un régal !

Ça me faisait deux journées vu que sitôt quitté le chantier à la nuit qui tombait tard en avril je larguais le carrosse Ami8 où j’avais logique ma place à l’arrière au premier arrêt de bus direction l’hosto et là Markos m’attendait avec un double plateau que les dames de salle bonnes filles nous refilaient à force de me voir débraillée hirsute et de couleur de peau quasi black de crTaille-des-pommiers.jpgasse et de bronzage à cette fin de l’hiver rapporter chaque soir les journaux et les magazines récoltés sur mon passage aux trois kiosques qui me passaient les invendus pour celui qui trépignait râlait tambourinait et n’en finissait pas de guérir. Mais il y avait tant de pus dans la plaie de l’enfance que ça ne pouvait pas en finir et ça continuait continuait continuait…

Non il n’y a pas eu de surprise et la bonté nous est venue comme à chaque fois des êtres qui ont l’habitude de pétrir avec leurs mains nues les souffrances du monde et la chair vive de la terre. C’étaient des gens qui causaient peu juste quand y avait besoin comme Jo et comme l’agriculteur qui nous logeait et qui en voyant Markos revenir un de ces incroyables jours lumineux d’été le bras bandé jusqu’au coude nous a fait cadeau des trois derniers mois de loyer sans poser de question.

Non il n’y a pas eu de surprise avec Fil non plus et quand le chantier de taille a été terminé je n’ai eu droit qu’aux deux tiers de la paie et c’est là que j’ai pigé que quelques soient les opinions auxquelles ils adhèrent ce genre d’êtres humains n’évoluent qu’à travers leur image et leur spectacle personnel. Il a trouvé moyen de parler en plus puisque forcément Markos n’avait pas assuré et tant pis si j’avais trimé double vu que sans lui on n’aurait rien eu de toutes façons… Et le pus a continué de s’écouler tout doux jour après jour mais à chaque pansement il y en avait moins et puis un matin et puis un soir le pansement était sec et l’infirmière nous a annoncé que la cicatrisation venait de commencer. Une partie de la douleur avait trouvé le moyen de sortir de là où on nous l’avait mise d’enfance et sans nous demander notre avis et maintenant on allait pouvoir reprendre la route.

A suivre...on-the-road-again_940x705.jpg

Partager cet article
Repost0
9 juin 2013 7 09 /06 /juin /2013 17:52

      Voilà ça y est c'est fait... le livre collectif Le pays natal écrit par 17 auteurs et auteures de la Méditerranée et animé par Leïla Sebbar vient de sortir au joli mois de mai 2013 publié par les Ed.Elyzad en Tunisie et en France.

        Cela m'a permis de raconter une histoire de cette enfance que vous connaissez un peu dont je garde d'autres bribes pour un bouquin de nouvelles déjà en route... La voici et que ça ne vous empêche pas de l'acheter et de découvrir les textes qui m'ont époustouflée par leur passion d'écriture et parce que nous sommes vraiment des voyageurs du monde...

La maison des autres

Le-pays-natal.jpeg

 ‑ En voiture !… Attention à la fermeture des portières !… 

C’est comme ça que je l’ai quittée deux longs mois la cité d’Auber tout près du fleuve. Les mêmes c’était les mêmes au retour du bled chaque année les mômes des Zimmigrés flocons d’amadou sur bitume black retombés et nous autres les moutards des ouvriers sans gloire lâcheurs de cambrousse paysans avant et maintenant quoi hein ? Eux mes poteaux d’errance mes frangins mes nomades et mézigue la farouche fille d’ici d’où ça ? Y a sept ans que je suis touillée comme mafé mouton et pâte d’arachide avec ceux qui ont traversé familles et baluchons et vu que nous on a pas d’histoire de voyages à se raconter avec bateaux bourrés d’oranges et de citrons qui sentent l’odeur des oasis et les dattes aussi alors j’ai pris l’habitude d’écouter les histoires des autres… de dévorer les parfums de la maison des autres… de répéter les mots de la langue des autres. C’est comme ça qu’après l’enfance longtemps qui s’étire dessus ma peau en costume de transhumance j’habite une Babel sauvage ultramarine faute d’avoir jamais pu causer ou aboyer la goualante des miens la langue populaire des paysans ouvriers qui n’existe pas.

‑ En voiture !… Attention au départ !…

Loco-bleue.jpg

Sur le quai de la Gare du Nord qui est ma khaïma avec ses relents de sueur ses appels de bestioles qui dévorent le pain dur au milieu du hululement des sifflets le chef de gare agite le feu follet violet de sa loupiote et en avant ! Conducteur des locomotives vapeur et puis des autorails et de toutes les motrices qu’il sait repérer rien qu’à un détail familier et au miaulement des rails jamais le même sur le réseau Nord Célestin a été un chevalier de fer  menant sa caravane d’ouvriers voyageurs aux mines et dans les fourneaux toute sa vie. Les ouvriers qui sont de la main d’œuvre comme on dit ont les paumes brûlées par l’incendie du soleil qui ruisselle rouge du haut des grandes cheminées empoussiérées de cendres mais lui Célestin ses mains elles ont aussi le don des roses et des fruits mûrs. D’ailleurs le petit jardin ouvrier fait verger par derrière avec ses pommiers reinettes acidulées ses pruniers reines‑claudes qui fondent de miel ses cerisiers et sa treille bourdonnante de mésanges nos petites charbonnières gourmandes.

Du côté de la barrière bleue ses rangées de glaïeuls rouge spahis ses lilas violets et ses marguerites en touffes épaisses où je me cache délimitent un patio que Célestin a carrelé de tomettes ocres. Ensuite on entre sous une nef de fers à béton qui forment un dédale de galeries et au‑dessus il y a des vitraux de ciel cernés de branches. C’est le repère d’une bande de rosiers arrivés là par l’intermédiaire des passagers du chemin de fer depuis tous les jardins de la terre. Ceux qui connaissent la passion du conducteur de locos pour les fleurs et surtout pour les rosiers lui ont rapporté de jeunes plants à chaque retour de leurs séjours au pays qu’il bouture dans le mystère de sa cabane atelier où il n’y a que moi qui ai accès.

Célestin se nourrit autant des parfums du jardin que de celui des mots et ça c’est ma baraka. Il profite que je lui passe les outils pour les greffes de se plants les plus rares afin de me faire voyager sur la route de la soie et traverser la cité d’Antioche la Couronne de l’Orient syrienne. Ou bien c’est la route des épices et de l’encens qui transitaient par Aden avant d’être chargés sur les caravanes en partance pour Petra et Damas et aussi par Bérénice la citadelle des éléphants sacrés.

Berenice-IV--1.jpg

Comme tous les voyageurs grand‑père Célestin n’a pas peur des gens et quand il sort la tête de son oreiller de silence qui est la façon des conducteurs de locos c’est pour me répéter qu’on aime la terre notre nourrice généreuse en la partageant avec les nomades de l’exil qui poussent leurs troupeaux de souvenirs d’un pays à l’autre. J’imagine que s’il avait pu il serait parti à la recherche des paysages incroyables qui ont donné leur nom à ses rosiers de Damas les plus fous. Il aurait débarqué sur l’Île grecque de Samos et marché jusqu’au temple d’Aphrodite et dans la ville iranienne d’Ispahan il se serait accroupi au milieu des milliers de petites têtes ébouriffées aux pétales rose nacre autour de la tombe du poète Omar Khayyam.

Mais pour Célestin la bourlingue s’arrête aux aller‑retour des locos du réseau Nord et aux récits d’aventures des poseurs de traverses et de rails qui sont les héros populaires de l’histoire des Chemins de Fer. Du transsibérien parti de Samara sur la Volga avant de relier Moscou au Lac Baïkal et à Vladivostok… de l’Orient‑Express qui trace la route entre Paris Vienne et Istanbul avec sa traversée du Danube à bord d’un bac à l’extraordinaire épopée du Chemin de Fer de Bagdad j’ai découvert le monde par les yeux de Célestin qui partage sans jamais l’avouer les rêves et les errances des hoboes américains ces resquilleurs des trains de marchandises du Far Ouest. 

Berenice.png.jpg

      ‑ En voiture !… Attention à la fermeture des portières !… 

Ce matin je pars à l’assaut du monde pour ma première vraie transhumance avec Célestin à bord du wagon des Africains qui nous tiennent la bonne compagnie. On a embarqué au milieu des ouvriers qui remontent aux baraques des mines après être allé voir la famille ou plus loin direction des usines aux tours de feu où ils prennent la suite des autres étrangers. Nous on s’arrête bien avant la bande des Africains qui remplissent le premier wagon à chaque fois qu’ils retournent tous ensemble pour ne pas se perdre. C’est pas nouveau qu’on baroude Célestin et moi vu que quand vous héritez d’un grand‑père conducteur de locos c’est forcé la bougeotte vous l’avez dans le sang. Mais là du coup à cause de mon caractère têtu à fouiner dedans la maison des Arabes et à renifler du côté des cabanes où crèchent les grands chasseurs d’Afrique on a décidé de me séparer du clan.

A l’intérieur du wagon on retrouve Kader un immigré de la même tribu que M’mâ Ouarda qui a sa maison au rez‑de‑chaussée de notre escalier avec sa famille Marïma ma jumelle d’ébène Kaki Tassadit Zohra Nabile et Dassine. Lakhdar son mari c’est le grutier des terrains vagues d’à côté le tarbouif rafraîchi aux embruns champagne des étoiles. M’mâ Ouarda fréquente les légendes et les contes de la Kabylie et des tribus touarègues Ajjer et elle se fait jamais prier pour entamer en épluchant les légumes du couscous ou en préparant le matloh l’histoire de la grotte de nacre qu’elle ne raconte qu’à nous vu qu’on ne dit pas les récits des djnoun devant les hommes. M’mâ Ouarda mélange comme la semoule à l’eau les paroles d’Arabie et les paroles d’ici le langage des quartiers qu’elle entend et qu’elle accommode avec de grands rires pareils à ceux des tobols les génies des sables. Elle commence toujours comme ça :

Et maintenant écoute moi…

Avant de descendre de notre wagon je demande à Kader s’il a une maison là‑bas au bled et il me répond par les mots de la langue que je redis dans ma tête souvent pour ne pas oublier comme ceux de Mémé mon arrière grand‑mère et son parler richou du Nord :

‑ Ceux qui marchent ils ont pas de maison ma fille… la zeriba avec l’azafou et la khaïma en peaux de chèvres c’est ce qui est bon pour nous…

Dans la petite maison ouvrière que Célestin et Mémé mon arrière grand‑mère qui a été couturière à façon après avoir commencé son enfance à bosser aux filatures dans les années 1880 louent aux Chemins de Fer j’habite parmi les bouquins et les revues de La vie du rail aussi précieux que la lumière des lampes qui comburent rien qu’à la nuit quand on commence à raconter. Célestin me lit les récits qu’il choisit dans les gros livres cartonnés Robinson suisse Robinson Crusoé Les Aventures de Huckleberry Finn Moby-Dick et surtout Les mille et une Nuits qui nous embarquent au plus loin d’ici mais il ne me parle jamais de la banlieue rouge où la cité d’Auber notre tess’ dressée parmi ses frangines métal et béton avec ses tourelles ses pontons ses miradors ses coursives et ses milliers de portes qui ouvrent sur nulle part est un bateau fou à la dérive ni des combats des ouvriers métallos fraiseurs tourneurs soudeurs qui ont quitté une petite campagne un jour où ils ne retourneront pas.

Rosiers-mandarine.jpg

Mémé est la seule qui pourrait me refiler les tuyaux sur cette famille de paysans ouvriers venue du pays de ch’Nord après avoir largué pour de bon les grands domaines où les hommes servaient de rabatteurs pour les chasses à courre des maîtres… les corons et leurs camus… les fourneaux et leurs incendies de laitier. Si elle en connaît un bout Mémé de l’existence des t’chiots gars louant leurs bras aux propriétaires terriens qui possédaient les filatures et les sucreries où ils les embauchaient quand y avait besoin… Mémé est une conteuse qui a engrangé les tribulations de plusieurs générations de gens du pays et pas moyen de flairer quand elle fait causer sa mémoire et quand elle invente. Mézigue qui me cherche des racines profondes comme celles des palétuviers des bolongs je tape du pied je l’interromps je la questionne je l’harcèle et Mémé qui me matte de l’autre côté de ses lunettes l’œil amusé et sérieux à la fois s’accroche à sa litanie :

‑ Eh ma t’chiotte… j’y vas tout duch'mint ma j’y vas…

Mémé… Célestin et moi on l’écoute y a intérêt… Elle a ses mains pour témoigner ses mains cousues d’hiéroglyphes cicatrices reprisées ravaudées et ça nous dit bien des choses sur son enfance à elle. J’ai beau les mettre bout à bout les fils de couleur qu’elle dévide en mâchouillant de ses lèvres qui rient sur des gencives où pas un chicot a tenu la rampe jamais j’ai pu reconstituer la longue transhumance des miens égarés un à un entre labours terrils usines tranchées fricots couture à domicile dont les rejetons qui ne connaissent plus rien de l’épopée des paysans ouvriers du Nord ont fini par s’échouer à Babylone City au bord du fleuve. 

Et quand mes quinquets refouillent encore l’image de carton sépia une très vieille photo de 1900 avec toute la famille assise endimanchée dessous la treille et les chiens aussi la première petite maison ouvrière je sais que la goualante des hommes et des femmes aux mains nues résonne en moi de la même émotion farouche que celle des vieux immigrés dont la silhouette recroquevillée au creux du burnous de laine au passage de l’aube me donne envie de pleurer.

Burnous.jpg

      Et maintenant écoute moi…

Mes premiers mots je me souviens comme tous les enfants des cités de ces temps‑là ils avaient le goût des grenades et des mangues qui éclaboussaient de sucré acide nos gorges avec leurs sonorités rauques et leurs incendies de miel…

Ecoute… Chouïa… chouïa… djnoun… ksour… melma… djida… falfla… kaouah… M’mâ Ouarda chante ou raconte les histoires de son pays d’Arabie et des djnoun qui planquent à l’intérieur des cavernes des montagnes où elle a son douar de naissance et sitôt que je rentre de l’école maternelle où on m’a claquemurée déjà je cours rejoindre Marïama de l’autre côté de la porte qui n’est jamais fermée. Nos canines de jeunes fennecs dévorent le morceau de matloh encore chaud et je reste là à écouter entre les cuisses généreuses enfouie dans les jupes de tissu rose et bleu qui crisse sous mes doigts et ses paillettes dorées M’mâ Ouarda jusqu’à trop tard et la langue qui roule avec les pierres blanches d’as‑Sahara… Chouïa chouïa je suis les caravanes de chameaux chargés du sel de l’azalaï qui reviennent des mines de Taoudeni dans le désert du Tanezrouft jusqu’à Tombouctou sur les bords du fleuve Niger… 

Mes premiers mots je me souviens… écoute… c’était une langue aux couleurs brutales et aux parfums d’ambre gris de bois de santal et de cardamome… écoute… abiad… azrak… guelta… hamada… oued… sebka… djamal… khaïma…

Ils ont réussi ils nous ont séparés… mais la langue de M’mâ Ouarda est enroulée autour de la mienne comme les branches du rosier de Bagdad qui ont crapahuté jusqu’aux ardoises de la petite maison ouvrière et ont planté leurs pattes griffues dans les chevrons du toit… La langue de M’mâ Ouarda personne jamais ne pourra la retirer du lieu de l’écriture où je l’accueille au cœur du patio déserté ma princesse d’Orient ma solitaire comme jadis elle m’a accueillie elle l’étrangère dans la maison de l’exil et j’étais la bienvenue…     

Célestin choisit dans la pile des magazines La vie du rail qu’il garde précieux depuis le premier jour de son premier turbin aux locos posés à côté du poste radio à lampes sous la carte du monde étalé punaisée au mur entre tous les récits de la construction des Chemins de Fer celui où on part en quête de l’univers mystérieux de l’Arabie avec l’épopée du chemin de fer de Bagdad. En voiture ! On embarque à Berlin direction Constantinople et le golfe Persique on rejoint les réseaux syriens d’Alep et de Damas et de l’autre côté en route pour la Mésopotamie Mossoul et Basrah ! La carte elle nous sert à déplacer de petites locos imaginaires sur la surface d’un monde bien réel où je ne sais pas séparer les morceaux du temps. Célestin s’obstine à me persuader que Babylone et Damas ne font pas partie du même paysage et que c’est impossible d’aller des jardins suspendus de l’une aux collines “ délicatement sucrées de roses ” de l’autre. 

Parmi les rosiers de Célestin le seul à n’avoir pas de nom c’est celui dont les roses au ventre mandarine et aux pétales café crème éclaboussent de leur parfum de loukoum et d’ambre notre rue quand on allume les lampes des histoires pour faire venir les djnoun. A force d’obstination j’ai fini par me dire que Célestin y était allé lui à Bagdad ou à Damas et puis à Babylone ravir l’un des rosiers de la reine Sémiramis tout en haut de la dernière terrasse de son palais. 

Un jour Célestin est parti pour de bon en emportant avec lui le secret du rosier et souvent quand je pense à lui me revient cette phrase étrange : 

‑ Qui sait si tu pourras encore marcher libre sur la terre ma petite voyageuse…

Est‑ce qu’il se doutait qu’à cause de la misère de la guerre et de la peur je verrai s’en aller peu à peu ceux qui m’ont accueillie dans la demeure africaine d’Auber de Montfermeil ou d’Epinay rejoignant les caravanes fantômes qui cherchent la piste perdue de Syrte ou d’Abidjan  au creux de leurs mémoires…

‑ Tu nous a bien manqué ma fille… disait M’mâ Ouarda à chacun de mes retours d’errance…

               Vous aussi vous allez tellement me manquer à moi qui n’ai jamais eu d’autre maison que la maison des autres et d’autres rêves que le parfum insolent des rosiers d’or de Bagdad. mosquee_damas_03.jpg 

Partager cet article
Repost0